1930 |
Face à la stabilisation de la bureaucratie stalinienne, construire et souder une force fidèle au bolchévisme. |
Œuvres - novembre 1930
Le comte Sforza
Cher camarade,
Je m'adresse à vous à propos d'une chose tout à fait particulière. Le comte Sforza, ex-ministre des affaires étrangères au ministère de Giolitti, a publié un gros volume consacré à la caractérisation de divers hommes politiques, dont Lenine. Dans l'ensemble, le livre est banal, superficiel, mais non dépourvu d'un certain intérêt dans la mesure où le comte parle des gens de son milieu. Cependant la caractérisation de Lenine présente une combinaison exclusive de sottise et de lâcheté. Il y est entassé en peu de pages presque autant d'erreurs de fait que d'affirmations calomnieuses. Sforza raconte que Krassine et Vorovsky lui avaient confié leur opinion non seulement critique mais méprisante sur Lenine. Pour caractériser ce livre, il suffit de citer une phrase que Sforza met dans la bouche de Vorovsky (concernant Lenine): "Nous sommes dirigés par un instituteur allemand d'école primaire à qui, avant de le tuer, la syphilis laisse encore deux étincelles de génie".
Pour pouvoir mettre une telle ignominie dans la bouche de Vorovsky (que Sforza au passage traite de menteur), Mr. le comte peint les choses comme si Vorovsky avait fait la connaissance de Lénine en 1917 seulement et le traitait en étranger. Pourtant, à partir de 1903, Vorovsky a été un disciple dévoué de Lenine. La phrase sur la syphilis est empruntée aux écrite des Gardes-blancs de la période ultérieure, c'est-à-dire de l'époque de la maladie de Lenine (les commérages sur la paralysie progressive, etc.) Tandis qu'à l'époque de l'entretien de Vorovsky avec le comte, ces commérages n'étaient pas inventés. Cela suffit. Tout le reste est peut-être moins dégoûtant, mais se trouve à peu près au même niveau.
Au comte italien ainsi qu'à quelques autres chenapans titrés et non titrés qui veulent calomnier Lenine, je veux répondre par un pamphlet politique. C'est pourquoi il m'est indispensable d'avoir les caractéristiques personnelles et politiques du comte Sforza. N'y a-t-il pas dans son passé d'affaires louches, frivoles ou scandaleuses ? Je n'ai pas du tout l'intention de faire des cérémonies avec cette canaille.
Ce ne serait pas mal de jeter un coup d'œil dans sa généalogie, ligne paternelle comme ligne maternelle. Autant que je me souvienne, Sforza est une des plus anciennes familles italiennes. On peut conclure de là, a priori, qu'il y avait parmi ses ancêtres pas mal de chenapans, pillards, violeurs, etc. On peut être sûr qu'il se trouve parmi eux des individus qui ont enrichi leur race de cette maladie que les Français appellent "le mal napolitain" et les Italiens "le mal français". Quoique ce ne soit guère attirant, il est cette fois indispensable de bien fouiller la chronique scandaleuse de la famille Sforza.
Je ne doute pas que les camarades italiens peuvent le faire à Paris avec un plein succès. Plus concrètes, plus exactes et plus "succulentes" vont être les informations, tant mieux pour le pamphlet: on peut y consacrer quelques pages pour faire passer à ces messieurs l'envie d'écrire des choses abominables sur le grand révolutionnaire.
Dans son livre, Sforza fait parade de son raffinement littéraire et de son éducation intégrale. A cet égard aussi il serait bon d'obtenir quelques renseignements. Les fascistes ont certainement publié des documents compromettants sur les derniers ministres bourgeois, y compris le ministère Giolitti. Ne trouve-t-on pas dans ces publications des faits intéressants concernant Sforza ? Si quelqu'un des camarades italiens passe deux jours à la Bibliothèque Nationale, il peut sans doute rassembler des données d'une inestimable valeur.