1920 |
Les interventions de Lénine au III� congrès de l'Internationale Communiste - celui de l'�tablissement des principes fondamentaux de l'I.C.. |
II° congrès de l'Internationale Communiste
Discours sur l�affiliation au Labour Party de Grande‑Bretagne
La question de l�affiliation du P.C. de Grande-Bretagne au Labour Party f�t r�solue lors de cette session du congr�s : il se pronon�a pour l�affiliation par 58 voix pour, 24 contre et 2 abstentions. Cependant le Labour Party refusa d�admettre le P.C. dans ses rangs.
Camarades, le camarade Gallacher a commenc� son discours en disant qu'il regrettait que nous soyons oblig�s d'entendre pour la centi�me et pour la milli�me fois, les phrases que le camarade Mac Laine et d'autres camarades anglais ont d�j� r�p�t�es � sati�t� dans leurs discours, dans les journaux et les revues. Je consid�re qu'il n'y a pas lieu de le regretter. La m�thode de l'ancienne Internationale consistait � laisser le soin de r�soudre de telles questions aux partis des pays int�ress�s. C'�tait une grave erreur. Il est fort possible que nous ne connaissions pas tr�s exactement la situation de tel ou tel parti, mais il s'agit en l'occurrence de poser les principes de la tactique du Parti communiste. C'est tr�s important et nous devons, au nom de la III� Internationale, formuler ici clairement le point de vue communiste.
Tout d'abord, je tiens � noter une petite inexactitude commise par le camarade Mac Laine, et qu'on ne peut accepter. Il qualifie le Labour Party d'organisation politique du mouvement trade‑unioniste. Il l'a r�p�t� par la suite : le Labour Party � est l'expression politique du mouvement syndical �. J'ai rencontr� cette opinion � plusieurs reprises dans le journal du Parti socialiste britannique. C'est faux et cela provoque en partie l'opposition, dans une certaine mesure parfaitement justifi�e, des ouvriers r�volutionnaires anglais. En effet, les d�finitions � organisation politique du mouvement trade‑unioniste � ou � expression politique � de ce mouvement sont erron�es. Certes, le Labour est en majeure partie compos� d'ouvriers. Mais, est-il v�ritablement un parti politique ouvrier ? Cela ne d�pend pas seulement de la question de savoir s'il est compos� d'ouvriers, mais �galement quels sont ceux qui le dirigent et quel est le caract�re de son action et de sa tactique politique. Seuls ces derniers �l�ments nous permettent de juger si nous sommes en pr�sence d'un v�ritable parti politique du prol�tariat De ce point de vue, le seul juste, le Labour Party est un parti fonci�rement bourgeois, car, bien que compos� d'ouvriers, il est dirig� par des r�actionnaires, par les pires r�actionnaires, qui agissent tout � fait dans l'esprit de la bourgeoisie ; c'est une organisation de la bourgeoisie, organisation qui n'existe que pour duper syst�matiquement les ouvriers, avec l'aide des Noske et Scheidemann anglais.
Mais nous sommes �galement en pr�sence d'un autre point de vue, d�fendu par les camarades Sylvia Pankhurst et GaIlacher, et qui r�v�le leur opinion. Quel est le contenu des discours de Gallacher et de beaucoup de ses amis ? Ils nous disent : nous sommes pas assez li�s aux masses, mais prenez le Parti Socialiste Britannique : ses liaisons avec les masses sont jusqu'� pr�sent encore plus mau�vaises ; il est tr�s faible. Et le camarade Gallacher nous a racont� comment lui et ses camarades avaient organis� d�une fa�on vraiment excellente un mouvement r�volutionnaire � Glasgow, en �cosse, et comment, pendant la guerre, ils avaient su tr�s bien man�uvrer sur le plan tactique et soutenir habilement les pacifistes petits‑bourgeois Ramsay Mac Donald et Snowden lors de leurs visites � Glasgow, pour organiser gr�ce � ce soutien, un vigoureux mouvement de masse contre la guerre.
Notre but consiste pr�cis�ment � int�grer cet excellent r�volutionnaire, repr�sent� par le camarade Gallacher et ses amis, dans un Parti communiste ayant une tactique vraiment communiste, c�est-�-dire marxiste. Telle est actuellement notre t�che. D�une part, le Parti Socialiste Britannique est trop faible et ne sait pas faire convenablement de l'agitation parmi les masses ; d�autre part, nous avons de jeunes �l�ments r�volutionnaires si bien repr�sent�s ici par le camarade Gallacher, et qui, tout en �tant li�s aux masses, ne forment pas un parti politique ‑ ce qui les rend en ce sens encore plus faibles que le Parti socialiste britannique ‑ et qui ne savent absolument pas organiser leur travail politique. Dans ces conditions, nous devons exprimer en toute franchise notre opinion sur la tactique juste. Lorsque le camarade Gallacher a dit en parlant du Parti socialiste britannique que ce parti �tait � incurablement r�formiste � (hopelessly reformist), il a certainement exag�r�. Mais le sens g�n�ral et le contenu de toutes les r�solutions que nous avons adopt�es ici montrent avec une clart� absolue que nous exigeons un changement dans cet esprit de la tactique du Parti socialiste britannique, et que la seule tactique juste des amis de Gallacher consistera � entrer sans d�lai dans le Parti communiste, pour transformer la tactique de ce dernier dans l'esprit des r�solutions adopt�es ici. Si vous avez tant de partisans que vous pouvez organiser � Glasgow des r�unions populaires de masse, il ne vous sera pas difficile d'entra�ner au parti plus de dix mille personnes. Le dernier congr�s du Parti socialiste britannique, qui s'est tenu � Londres voici trois ou quatre jours, a d�cid� qu'il s'appellerait dor�navant Parti communiste et il a introduit dans son programme un paragraphe relatif � la participation aux �lections parlementaires et � l'affiliation au Labour Party. Dix mille membres organis�s �taient repr�sent�s � ce congr�s. Il ne serait donc pas difficile pour les camarades �cossais d'amener � ce � Parti communiste de Grande‑Bretagne � plus de dix mille ouvriers r�volutionnaires, qui poss�dent mieux l'art d'agir parmi les masses, et de modifier par ce moyen l'ancienne tactique du Parti socialiste britannique dans le sens d'une agitation plus profitable, d'une action plus r�volutionnaire. La camarade Sylvia Pankhurst a indiqu� plusieurs fois � la commission qu'on avait besoin en Grande-Bretagne de � gauches �. Je lui ai naturellement r�pondu que cela �tait absolument exact, mais qu'il ne fallait pas forcer la note dans le � gauchisme �. Ensuite, elle a dit : � Nous sommes d'excellents pionniers, mais pour le moment nous faisons surtout du bruit (noisy) �. Je n'interpr�te pas cette boutade dans le mauvais sens, mais bien dans le bon sens, � savoir qu'ils excellent dans l'agitation r�volutionnaire. Nous appr�cions beaucoup cela, et nous devons l'appr�cier. Nous l'avons dit dans toutes nos r�solutions, car nous soulignons toujours que nous ne pouvons consid�rer un parti comme parti ouvrier que s'il est, et seulement s'il est effectivement li� aux masses et lutte contre les anciens chefs enti�rement pourris, aussi bien les chauvins de l'aile droite que ceux qui occupent une position interm�diaire, comme les Ind�pendants de droite d'Allemagne. Dans toutes nos r�solutions, nous l'avons affirm� et r�p�t� plus de dix fois. C'est dire pr�cis�ment que nous exigeons une transformation de l'ancien parti dans le sens d'une liaison plus �troite avec les masses.
Sylvia Pankhurst a encore demand� : � Est‑il admis�sible que le Parti communiste s'affilie � un autre parti po�litique qui, de son c�t�, fait partie de la II� Internationale ? �. Et elle a r�pondu que c'�tait impossible. Il ne faut pas ou�blier que le Labour Party anglais se trouve plac� dans des conditions tr�s particuli�res : c'est un parti tr�s original, ou, plus exactement, ce n'est pas du tout un parti au sens habituel de ce mot. Compos� de travailleurs de toutes les organisations professionnelles, il groupe aujourd'hui environ quatre millions de membres et laisse assez de libert� � tous les partis politiques qui le composent. Ainsi, l'immense majorit� des ouvriers anglais qui en font partie sont me�n�s en laisse par les pires �l�ments bourgeois, les social�-tra�tres, encore pires que Scheidemann, Noske et consorts. Mais, dans le m�me temps, le Labour Party tol�re dans ses rangs le Parti Socialiste Britannique et admet que ce parti poss�de ses propres journaux, dans lesquels les membres de ce m�me Labour Party peuvent d�clarer, ouvertement et en toute libert�, que les chefs du parti sont des social‑tra�tres. Le camarade Mac Laine nous a cit� de telles d�clara�tions du Parti socialiste britannique. Je puis moi‑m�me af�firmer avoir lu dans le journal Call, du Parti Socialiste Britannique, que les chefs du Labour Party �taient des so�cial‑patriotes et des social‑tra�tres. Cela signifie qu'un parti adh�rant au Labour Party a la possibilit� non seu�lement de critiquer s�v�rement les vieux chefs, mais encore de les nommer ouvertement et nettement en les qualifiant de social‑tra�tres. C'est une situation tr�s originale que celle d'un parti qui rassemble d'�normes masses d'ouvriers comme s'il s'agissait d'un parti politique, mais qui se voit cepen�dant oblig� de laisser toute latitude � ses membres. Le camarade Mac Laine nous a indiqu� qu'au Congr�s du Labour Party, les Scheidemann de chez eux se sont vus oblig�s de poser ouvertement la question de l'adh�sion � la Ille Internationale et que toutes les organisations et sections locales ont d� discuter de cette question. Dans ces conditions, ce serait commettre une erreur que de ne pas s'affilier � ce parti.
Au cours d'une conversation particuli�re, la camarade Pankhurst m'a dit : � Si nous devenons de v�ritables r�volutionnaires et si nous entrons au Labour Party, ces Messieurs nous excluront. � Mais ce ne serait pas mal du tout. Dans notre r�solution il est dit que nous sommes partisans de l'affiliation, pour autant que le Labour Party laisse assez de libert� de critique. Nous sommes, sur ce point, cons�quents jusqu'au bout. Le camarade Mac Laine a encore soulign� que des conditions si originales se sont actuellement cr��es en Grande�-Bretagne, qu'un parti politique peut, s'il le d�sire, rester un parti ouvrier r�volutionnaire, bien qu'affili� � une organisation ouvri�re de structure sp�ciale, groupant quatre millions de membres, organisation mi‑professionnelle, mi‑politique et dirig�e par des chefs bourgeois. Dans ces conditions, ce serait une tr�s grande erreur de la part des meilleurs �l�ments r�volutionnaires que de ne pas faire tout leur possible pour rester dans ce parti. Que Messieurs Thomas et autres social‑tra�tres, que vous appelez ainsi, vous excluent. Cela produira un excellent effet sur les masses ouvri�res anglaises.
Les camarades font ressortir que l'aristocratie ouvri�re est plus forte en Grande‑Bretagne que partout ailleurs. C'est bien vrai. C'est qu'elle a derri�re elle non pas des d�cades, mais des si�cles d'existence. La bourgeoisie, qui poss�de une bien plus grande exp�rience ‑ une exp�rience d�mocratique ‑ a su y soudoyer des ouvriers et former parmi eux une couche importante, plus forte en Grande‑Bretagne que dans les autres pays, mais cependant pas tellement importante comparativement aux larges masses ouvri�res. Cette couche est profond�ment impr�gn�e de pr�jug�s bourgeois et elle poursuit une politique r�formiste bourgeoise bien d�termin�e. Ainsi, en Irlande, nous voyons 200 000 soldats anglais, par une terreur f�roce, �craser les Irlandais. Les socialistes anglais ne font aucune propagande r�volutionnaire parmi eux. Or, nous avons clairement indiqu� dans nos r�solutions que nous ne reconnaissons la qualit� de membres de l�Internationale Communiste qu'� ceux des partis anglais qui font une propagande vraiment r�volutionnaire les ouvriers et les soldats anglais. Je souligne que ni ici ni dans les commissions, nous n'avons rencontr� objections � cette condition.
Les camarades Gallacher et Sylvia Pankhurst ne peuvent pas le nier. Ils ne peuvent pas contester que tout en restant au sein du Labour que jouit d'une libert� suffisamment large pour pouvoir �crire que tels ou tels chefs du Labour Party sont des tra�tres; que ces vieux leaders d�fendent les int�r�ts de la bourgeoisie, qu'ils sont des agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier ; c'est absolument vrai. Lorsque les communistes jouissent de cette libert�, ils doivent, s'ils veulent tenir compte de l'exp�rience des r�volutionnaires de tous les pays et non seulement de celle de la r�volution russe ‑ car nous sommes ici � un congr�s international et non russe ‑ s'affilier au Labour Party. Le camarade Gallacher a fait de l�ironie en disant qu'en l'occurrence nous sommes influenc�s par le Parti Socialiste Britannique. Non, notre conviction se fonde sur l'exp�rience de toutes les r�volutions de tous les pays. Nous pensons qu'il est de notre devoir de le dire aux masses. Le Parti communiste anglais doit conserver la libert� indispensable pour pouvoir d�masquer et critiquer les tra�tres � la cause des ouvriers et qui sont beaucoup plus forts en Grande‑Bretagne que dans les autres pays. Ce n'est pas difficile � comprendre. L'affirmation du camarade Galla�cher qui d�clare qu'en nous pronon�ant pour l'affiliation au Labour Party, nous �carterions de nous les meilleurs �l�ments parmi les ouvriers anglais, est erron�e. Nous devons tenter l'exp�rience. Nous sommes persuad�s que les r�solutions et d�cisions qui seront adopt�es par le congr�s seront publi�es dans tous les journaux socialistes r�volutionnaires anglais et que toutes les organisations et sections locales auront la possibilit� d'en discuter. Nos r�solutions indiquent, le plus clairement possible, que nous sommes les repr�sentants de la tactique r�volutionnaire de la classe ouvri�re de tous les pays et que notre but est de lutter contre le vieux r�formisme et l'opportunisme. Les �v�nements montrent que notre tactique l'emporte effectivement sur le vieux r�formisme. Et alors les meilleurs �l�ments r�volutionnaires de la classe ouvri�re, m�contents de la lenteur du d�veloppement qui sera sans doute plus lent en Grande Bretagne que dans d'autres pays, viendront � nous. La lenteur du d�veloppement est due au fait que la bourgeoisie anglaise peut offrir de meilleures conditions d'existence � l'aristocratie ouvri�re, freinant par l� m�me le mouvement r�volutionnaire de Grande‑Bretagne. C'est pourquoi les camarades anglais doivent tendre non seulement � �lever l'esprit r�volutionnaire des masses, ce qu'ils font admirablement (le camarade Gallacher l'a d�montr�), mais aussi il cr�er un v�ritable parti politique de la classe ouvri�re. Ni le camarade Gallacher, ni Sylvia Pankhurst, qui ont pris la parole ici, n'appartiennent encore au Parti communiste r�volutionnaire. Une organisation prol�tarienne aussi remarquable que les Shop Stewards n'adh�re pas encore � un parti politique. Si vous vous organisez sur le plan politique, vous verrez que notre tactique est fond�e sur une appr�ciation exacte du d�veloppement politique des derni�res d�cennies et qu'un v�ritable parti r�volutionnaire ne peut �tre cr�� que s'il absorbe tous les meilleurs �l�ments de la classe r�volutionnaire et utilise la moindre possibilit� pour lutter contre les chefs r�actionnaires partout o� ils se manifestent.
Si le Parti communiste anglais commence par agir r�volutionnairement au sein du Labour Party et si les Henderson se voient contraints de l'exclure, ce sera une grande victoire du mouvement ouvrier communiste et r�volutionnaire de Grande‑Bretagne.
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