1920 |
Les interventions de Lénine au III� congrès de l'Internationale Communiste - celui de l'�tablissement des principes fondamentaux de l'I.C.. |
II° congrès de l'Internationale Communiste
Rapport sur la situation internationale et les t�ches fondamentales de l'I.C.
(Ovation. Toute la salle se l�ve et applaudit. L'orateur essaie de parler, mais les applaudissements et les exclamations dans toutes les langues continuent. L'ovation se prolonge.)
Camarades, les th�ses sur les questions relatives aux t�ches fondamentales de l'Internationale Communiste ont �t� publi�es dans toutes les langues et (surtout pour les camarades russes) elles n'apportent rien de bien nouveau, puisqu�elles ne font qu'�tendre dans une large mesure � divers pays occidentaux, � l'Europe occidentale, certains traits essentiels de notre exp�rience r�volutionnaire et les le�ons de notre mouvement r�volutionnaire. Aussi dans mon rapport insisterai‑je, ne serait‑ce que sommairement, sur la premi�re partie de mon sujet, � savoir : la situation internationale.
A la base de la situation internationale, telle qu'elle appara�t aujourd�hui, se trouvent les rapports �conomiques de l�imp�rialisme. Dans le courant du XX� si�cle, cette phase nouvelle, supr�me et ultime du capitalisme, a pris son aspect d�finitif. Vous savez tous, bien entendu que le trait le plus caract�ristique, le trait essentiel de l'imp�rialisme r�side dans le fait que le capital a atteint de vastes proportions. A la place de la libre concurrence est apparu le monopole, aux proportions gigantesques. Un nombre infime de capitalistes ont pu concentrer entre leurs mains parfois des branches enti�res de l'industrie; celles-ci sont pass�es aux mains d'ententes, de cartels, de syndicats, de trusts, de caract�re souvent international. Des branches enti�res de l'industrie, non seulement � l'int�rieur des diff�rents pays, mais �galement � l'�chelle mondiale, se sont ainsi trouv�es accapar�es par les monopolistes, sous le rapport financier, sous celui du droit de propri�t� et pour une part, sous celui de la production. Sur ce terrain s'est affirm�e la supr�matie sans pr�c�dent d'un nombre infime de grandes banques, de rois de la finance, de magnats de la finance qui transformaient en fait les r�publiques, m�me les plus libres, en monarchies financi�res. D�s avant la guerre, la chose �tait reconnue publiquement par des auteurs nullement r�volutionnaires, comme Lysis en France.
Cette domination d'une poign�e de capitalistes atteignit son point culminant au moment o� le globe terrestre se trouva partag�, non seulement au sens de l'accaparement des diff�rentes sources de mati�res premi�res et des moyens de production par les plus grands capitalistes, mais �galement au sens de l'ach�vement du partage pr�alable des colonies. Il y a quarante ans, on comptait un peu plus de 250 millions d'habitants de pays coloniaux domin�s par six puissances capitalistes. A la veille de la guerre de 1914, les colonies comptaient pr�s de 600 millions d'habitants. En y ajoutant des pays comme la Perse, la Turquie, la Chine, qui �taient d�j� � ce moment des semi‑colonies, on obtenait en chiffres ronds une population d'un milliard d'hommes asservis aux pays les plus riches, les plus civilis�s et les plus libres, en vertu du r�gime de d�pendance coloniale. Et vous savez qu'en dehors d'une d�pendance directe poli�tique et juridique, la d�pendance coloniale implique toute une s�rie de rapports de d�pendance financi�re et �conomi�que, toute une s�rie de guerres que l'on ne consid�rait pas comme telles parce qu'elles n'�taient souvent que des carnages, � une �poque o� les arm�es imp�rialistes d'Europe et d'Am�rique pourvues des moyens d'extermination les plus perfectionn�s, massacraient les habitants sans armes et sans d�fense des pays coloniaux.
C'est de ce partage du globe, de cette domination des monopoles capitalistes, de cette omnipotence d'un nombre infime de grandes banques (deux, trois, quatre ou cinq, pas plus, par Etat), que devait na�tre in�vitablement la premi�re guerre imp�rialiste de 1914‑1918. On s'est battu pour un nouveau partage du monde, on s'est battu pour sa�voir lequel de ces groupes infimes de grands Etats, l'an�glais ou l'allemand, aurait la possibilit� et le droit de pil�ler, d'opprimer, d'exploiter la terre enti�re. Vous savez que la guerre a tranch� cette question au profit du groupe anglais. Mais elle n'a fait qu'exasp�rer � l'extr�me toutes les contradictions capitalistes. Elle a rejet� d'un coup une population d'environ 250 millions d'habitants dans une situation analogue � celle des colonies. Elle y a rejet� la Russie, qui compte environ 130 millions d'habitants, l'Au�triche‑Hongrie, l'Allemagne, la Bulgarie, qui en comptent au moins 120 millions. Un quart de milliard d'hommes, dans des pays qui, comme l'Allemagne, sont parmi les plus avanc�s, les plus �clair�s, les plus cultiv�s, les plus � la hauteur, sur le plan technique, du progr�s moderne. Par le trait� de Versailles, la guerre leur a impos� des conditions telles que des peuples avanc�s sont tomb�s dans un �tat de d�pendance coloniale, de mis�re, de famine, de ruine et d�asservissement, car ils sont li�s par ce trait� pour plu�sieurs g�n�rations et r�duits � des conditions qu'aucun peuple civilis� n'a jamais connues. Telle est l'image du monde apr�s la guerre : un milliard et quart d'hommes au sont soumis au joug colonial, � l'exploitation d'un capitalisme bestial, qui se vantait d'aimer la paix et qui, il y a une cinquantaine d'ann�es, avait quelques droits de s�en vanter, tant que la terre n'�tait pas partag�e, tant qu�il n'y avait pas la domination des monopoles, tant que le capitalisme pouvait se d�velopper d'une fa�on relative�ment pacifique sans provoquer d'immenses conflits militai�res.
Aujourd'hui, apr�s cette �poque � pacifique �, nous assistons � une aggravation monstrueuse de l'oppression, nous constatons le retour d'une oppression coloniale et mi�litaire beaucoup plus dure qu'avant. Le trait� de Versailles a plac� l'Allemagne et toute une s�rie d'Etats vaincus dans des conditions qui rendent mat�riellement impossible leur existence �conomique, les privent de tous droits et les humilient.
Quel est le nombre de nations � profiter d'un tel �tat de choses ? Pour r�pondre � cette question, nous devons nous rappeler que la population des Etats‑Unis d'Am�rique, qui sont seuls � avoir tout gagn� � la guerre, qui, de pays endett� au possible, sont devenus le pays auquel tout le monde doit de l'argent, ne d�passe pas 100 millions d'hommes. La population du Japon, qui a beaucoup gagn� en restant � l'�cart du conflit Europe‑Am�rique et en s�emparant d'une �norme partie du continent asiatique, est de 50 millions. La population de la Grande‑Bretagne, qui a profit� le plus apr�s ces deux pays, atteint 50 millions Et si nous y ajoutons les Etats neutres dont la population est tr�s faible, qui se sont enrichis pendant la guerre, nous obtenons ‑ en chiffres ronds ‑ un quart de milliard.
Cela nous donne, en ses traits g�n�raux, le tableau du monde tel qu'il appara�t apr�s la guerre imp�rialiste. Un milliard et quart d'hommes dans les colonies opprim�es, les pays d�membr�s comme la Perse, la Turquie, la Chine; et les pays vaincus, r�duits � l'�tat de colonies. Un quart de milliard d'hommes, tout au plus, pour les pays qui se sont maintenus dans leur situation d'antan, mais qui sont tous tomb�s sous la d�pendance �conomique de l'Am�rique, et qui, durant toute la guerre, furent sous sa d�pendance militaire, car la guerre s'est �tendue � tout l'univers et n'a permis � aucun pays de rester neutre en fait. Enfin, l'on compte encore un quart de milliard d'habitants, tout au plus, dans les pays dont, bien entendu, seul le haut du panier, seuls les capitalistes ont profit� du partage du globe. Au total, pr�s d'un milliard trois quarts d'habitants composant la population du globe. Je tiens � vous rappeler ce tableau du monde, car toutes les contradictions fondamentales du capitalisme, de l'imp�rialisme, qui m�nent � la r�volution, toutes les contradictions fondamentales du mouvement ouvrier qui ont amen� la lutte acharn�e contre la Il� Internationale dont a parl� le camarade pr�sident, tout cela est li� au partage de la population du globe.
Bien entendu, ces chiffres ne donnent qu'une id�e g�n�rale et sommaire de la situation �conomique du monde. Et naturellement, camarades, gr�ce � ce partage de la population du globe, le pouvoir d'exploitation du capital financier et des monopoles capitalistes s'est accru dans de tr�s grandes proportions.
Ce ne sont pas seulement les pays coloniaux, les pays vaincus qui se trouvent r�duits � l'�tat de d�pendance; � l�int�rieur m�me de chaque pays victorieux, des contradictions plus aigu�s se sont d�velopp�es, toutes les contradictions capitalistes se sont aggrav�es. Je le montrerai bri�vement par quelques exemples.
Voyez les dettes d'�tat. Nous savons que les dettes des principaux Etats europ�ens ont augment�, de 1914 � 1920, au moins sept fois. Je vous citerai encore une source �conomique, qui prend une importance particuli�rement grande; c'est Keynes, diplomate anglais et auteur du livre cons�quences �conomiques de la paix, charg� par son gouvernement de participer aux n�gociations de paix de Versailles, il les a suivies sur place, d'un point de vue purement bourgeois, il a �tudi� la question pas � pas, en d�tail, et, en sa qualit� d'�conomiste, a pris part aux conf�rences. Il a abouti � des conclusions qui sont plus incisives, plus concr�tes et plus �difiantes que celles d'un r�volutionnaire communiste, parce qu'elles sont celles d'un bourgeois authentique, d'un ennemi implacable du bolch�visme dont il se fait, en petit‑bourgeois anglais, une image monstrueuse, bestiale et f�roce. Keynes en est arriv� � cette conclusion qu�avec le trait� de Versailles, l'Europe et le monde vont � la banqueroute. Il a donn� sa d�mission; il a jet� son livre � la face de son gouvernement et dit : � Vous commettez une folie �. Je vous citerai ses chiffres qui, dans l'ensemble r�duisent � ceci :
Quels sont les rapports de d�biteurs � cr�anciers qui se sont �tablis entre les principales puissances ? Je convertis les livres sterling en roubles‑or, au taux de 10 roubles-or pour une livre sterling. Voici ce que cela donne : les Etats‑Unis ont un actif de 19 milliards; leur passif nul. Jusqu'� la guerre, ils �taient les d�biteurs de la Grande‑Bretagne. Au dernier congr�s du Parti communiste d�Allemagne, le 14 avril 1920, le camarade L�vi notait avec raison dans son rapport qu'il ne restait plus que deux puissances ind�pendantes de par le monde : la Grande-Bretagne et l'Am�rique. Mais seule l'Am�rique est rest�e absolument ind�pendante du point de vue financier. Avant la guerre, elle �tait d�bitrice; aujourd'hui elle est cr�anci�re. Toutes les autres puissances du monde sont endett�es. La Grande‑Bretagne en est r�duite � la situation suivant : actif 17 milliards, passif 8 milliards, elle est d�j� � moiti� d�bitrice. De plus, dans son actif figurent pr�s de 6 milliards que lui doit la Russie. Les fournitures militaires que la Russie avait achet�es pendant la guerre font partie des cr�ances anglaises. Il y a quelque temps, quand en sa qualit� de repr�sentant du gouvernement des Soviets de Russie, Krassine a pu s'entretenir avec Lloyd‑George au sujet des trait�s financiers, il fit ressortir aux yeux des techniciens et des politiciens, dirigeants du gouvernement anglais, que s'ils comptaient se faire rembourser ces dettes, ils se trompaient �trangement. Et le diplomate anglais Keynes le leur avait d�j� pr�dit.
Cela ne tient pas seulement au fait, et il n'en est m�me pas question, que le gouvernement r�volutionnaire russe n'a pas l'intention de payer ces dettes. Aucun gouvernement ne saurait accepter de les r�gler, pour la bonne raison qu'elles ne repr�sentent que les int�r�ts usuraires de ce qui a d�j� �t� pay� une vingtaine de fois, et ce m�me bourgeois Keynes, qui n'a nulle sympathie pour le mouvement r�volutionnaire russe, le dit : � Il est clair qu'il n'est pas possible de tenir compte de ces dettes. �
En ce qui concerne la France, Keynes cite des chiffres comme ceux-ci : son actif est de trois milliards et demi, son passif de 10 milliards et demi ! Et c'est le pays dont les Fran�ais eux-m�mes disaient qu'il �tait l'usurier du monde, parce que son � �pargne � �tait colossale et que le pillage colonial et financier, qui lui avait fourni un capital gigantesque, lui permettait de pr�ter des milliards et, des milliards, en particulier � la Russie. Ces pr�ts procuraient � la France des revenus �normes. Et malgr� cela, malgr� la victoire, la France se trouve dans la situation de d�biteur.
Un auteur bourgeois am�ricain, cit� par le camarade Braun, communiste, dans son livre Qui doit payer les dettes de guerre ? (Leipzig 1920), d�finit de la fa�on suivante le rapport qui existe entre les dettes et le patrimoine national : dans les pays victorieux, en Grande-�Bretagne et en France, les dettes repr�sentent plus de 50 % du patrimoine national. En Italie, ce pourcentage est de 60 � 70; quant � la Russie, il est de 90, mais ‑ comme vous le savez � ces dettes ne nous inqui�tent nullement, �tant donn� que quelque temps avant que ne paraisse le livre de Keynes, nous avions suivi son excellent conseil : nous avons annul� toutes nos dettes. (Vifs applaudissements.)
Seulement Keynes r�v�le ici son habituelle bizarrerie de philistin : en conseillant d'annuler toutes les dettes, il d�clare que, bien entendu, la France ne fera qu'y gagner, que bien entendu, la Grande-Bretagne n'y perdra pas grand�-chose car, de toutes mani�res, on ne pourrait rien tirer de la Russie; que l'Am�rique y perdra pas mal, mais Keynes compte sur la � g�n�rosit� � am�ricaine ! A cet �gard, nous ne partageons pas les conceptions de Keynes et des autres pacifistes petits‑bourgeois. Nous pensons que pour obtenir l�annulation des dettes, il leur faudra trouver quelque chose d�autre et travailler dans une direction quelque peu diff�rente de celle qui consiste � compter sur la � g�n�rosit� � de Messieurs les capitalistes.
Il ressort de ces quelques chiffres que la guerre imp�rialiste a cr�� �galement pour les pays victorieux une situation impossible. L'�cart �norme entre les salaires et la hausse des prix l'indique �galement. Le 8 mars de cette ann�e, le Conseil sup�rieur �conomique, institution charg�e d�fendre l'ordre bourgeois du monde entier contre-r�volution montante, a vot� une r�solution qui se termine par un appel � l'ordre, au travail, � l'�pargne, � la condition �videmment que les ouvriers restent les esclaves du capital. Ce Conseil sup�rieur �conomique, organe de l�Entente, organe des capitalistes du monde entier a dress� le bilan que voici :
Aux Etats‑Unis, la hausse des prix des denr�es alimentaires a �t� en moyenne de 120 %, alors que les salaires n'ont augment� que de 100 %, En Grande‑Bretagne, les denr�es ont augment� de 170 % et les salaires de 130 %. En France, les denr�es ont augment� de 300 %, les salaires de 200 %. Au Japon, les prix ont augment� de 130 %, les salaires de 60 % (je confronte les chiffres indiqu�s par le camarade Braun dans sa brochure et ceux du Conseil sup�rieur �conomique donn�s par le Times du 10 mars 1920).
Il est clair que dans une telle situation l'accroissement du m�contentement des ouvriers, l'accentuation de l'�tat d�esprit et des aspirations r�volutionnaires, l�essor des gr�ves spontan�es de masse sont in�vitables. Car la situation des ouvriers devient intol�rable. Ils se convainquent par leur propre exp�rience que les capitalistes se sont enrichis prodigieusement du fait de la guerre, dont ils rejettent les charges et les dettes sur leurs �paules. R�cemment, une d�p�che nous apprenait que l'Am�rique veut rapatrier en Russie encore 500 communistes, pour se d�barrasser de ces � dangereux agitateurs �.
Mais m�me si l'Am�rique nous envoyait, non pas 500, mais 500 000 � agitateurs � russes, am�ricains, japonais, fran�ais, cela ne changerait rien � l'affaire, car le d�calage des prix subsisterait, contre lequel ils ne peuvent rien. Et ils n'y peuvent rien parce que la propri�t� priv�e est chez eux strictement respect�e, parce qu'elle est chez eux � sacr�e �. Il ne faut pas l'oublier, la propri�t� priv�e des exploiteurs n'est abolie qu'en Russie. Les capitalistes ne peuvent rien en ce qui concerne le d�calage des prix, et les ouvriers ne peuvent pas vivre avec les anciens salaires. Contre cette calamit�, aucune vieille m�thode ne peut servir, aucune gr�ve isol�e, aucune lutte parlementaire, aucun scrutin n'y peut rien, car la � propri�t� priv�e est sacr�e �, et les capitalistes ont accumul� de telles dettes que le monde entier se trouve asservi � une poign�e d'hommes; cependant, les conditions d'existence des ouvriers deviennent de plus en plus insupportables. Il n'y a pas d'autre issue que l'abolition de la � propri�t� priv�e � des exploiteurs.
Dans sa brochure : La Grande‑Bretagne et la r�volution mondiale, dont notre Courrier du Commissariat du Peuple aux affaires �trang�res de f�vrier 1920 a publi� des extraits tr�s pr�cieux, le camarade Lapinski indique qu'en Grande‑Bretagne, les prix du charbon � l'exportation ont �t� deux fois plus �lev�s que ceux pr�vus par les milieux industriels officiels.
Dans le Lancashire, on en est arriv� � une hausse des actions de 400 %. Les b�n�fices des banques sont de l'ordre de 40 � 50 % au minimum, encore faut‑il noter que lorsqu'il s'agit de d�terminer les b�n�fices, tous les banquiers savent en camoufler la part du lion en ne l'appelant pas b�n�fices, mais en la dissimulant sous forme de primes, de tanti�mes, etc. De sorte que l� aussi, des faits �conomiques indiscutables montrent que la richesse d'une infime poign�e d'hommes s'est accrue d'une mani�re incroyable, qu'un luxe inou� d�passe toutes les bornes, tandis que la mis�re de la classe ouvri�re ne cesse de s'aggraver. En particulier, il faut encore noter une circonstance que le camarade L�vi a soulign�e d'une mani�re particuli�rement frappante dans rapport mentionn� plus haut : la modification de la valeur de l'argent. En raison des dettes, de l'�mission de papier‑monnaie, etc., l'argent s'est partout d�pr�ci�. La m�me source bourgeoise, que j'ai d�j� cit�e, c'est‑�‑dire la d�claration du Conseil sup�rieur �conomique du 8 mars 1920, estime qu'en Grande‑Bretagne, la d�pr�ciation de la monnaie, par rapport au dollar, est de l'ordre d'un tiers; en France et en Italie, des deux tiers; quant � l'Allemagne, elle y atteint 96 %.
Ce fait montre que le � m�canisme � de l'�conomie ca�pitaliste mondiale est compl�tement d�traqu�. Il n'est plus possible de continuer les relations commerciales dont d�pendent, en r�gime capitaliste, l'approvisionnement en mati�res premi�res et l'�coulement des produits manufac�tur�s; elles ne peuvent continuer pr�cis�ment du fait que toute une s�rie de pays se trouvent soumis � un seul, par suite de la d�pr�ciation de l'argent. Aucun des pays riches ne peut vivre ni commercer parce qu'il ne peut vendre ses produits, ni recevoir des mati�res premi�res.
Il arrive ainsi que l'Am�rique elle-m�me, le pays le plus riche, auquel sont soumis tous les autres, ne peut ni acheter ni vendre. Et ce m�me Keynes, qui a connu les tours et d�tours des n�gociations de Versailles, est contraint de reconna�tre cette impossibilit�, en d�pit de sa d�cision bien arr�t�e de d�fendre le capitalisme et malgr� toute sa haine du bolch�visme. Soit dit en passant, je ne pense pas qu� aucun manifeste communiste ou, d'une fa�on g�n�rale, r�volutionnaire, puisse jamais �galer, quant � sa vigueur, les pages o� Keynes d�peint Wilson et le � wilsonisme � en action. Wilson fut l'idole des petits bourgeois et des pacifistes genre Keynes et certains h�ros de la II� Internationale (et m�me de l'Internationale � deux et demie �) qui ont exalt� ses � 14 points � et �crit des livres � savants � sur les � racines � de la politique wilsonienne, esp�rant que Wilson sauverait la � paix sociale �, r�concilierait les exploiteurs et les exploit�s, et r�aliserait des r�formes sociales. Keynes a montr� avec force comment Wilson a �t� jou� comme un niais, et comment toutes ces illusions s'en sont all�es en fum�e au premier contact avec la politique pratique, mercantile et affairiste du capital incarn� par MM. Clemenceau et Lloyd‑George. Les masses ouvri�res voient maintenant de plus en plus clairement par leur exp�rience v�cue, et les p�dants savants pourraient le voir � la seule lecture de l'ouvrage de Keynes, que les � racines � de la politique de Wilson plongeaient dans l'obscurantisme cl�rical, la phras�ologie petite‑bourgeoise et l'incompr�hension totale de la lutte des classes.
De tout cela deux conditions, deux donn�es fondamentales d�coulent tout naturellement et in�vitablement. D'une part, la mis�re, la ruine des masses se sont accrues d'une fa�on inou�e, et tout d'abord en ce qui concerne un milliard et quart d'�tres humains, soit 70 % de la population du globe. Il s'agit des pays coloniaux, d�pendants, dont la population est priv�e de tout droit juridique, des pays plac�s � sous mandat � des forbans de la finance. Et, de plus, l'esclavage des pays vaincus a �t� sanctionn� par le trait� de Versailles et les accords secrets concernant la Russie, qui ont par moment ‑ il est vrai ‑ autant de valeur que les chiffons de papier sur lesquels il est �crit que nous devons tant et tant de milliards. Nous sommes en pr�sence, dans l'histoire mondiale, d'un premier exemple de sanction juridique de la spoliation, de l'esclavage, de la d�pendance, de la mis�re et de la faim d'un milliard et quart d'�tres humains.
D'autre part, dans chaque pays devenu cr�ancier, la situation des ouvriers est devenue insupportable. La guerre a aggrav� au plus haut point toutes les contradictions capitalistes, et c'est l� l'origine de cette profonde effervescence r�volutionnaire, qui ne fait que cro�tre, car pendant la guerre les hommes �taient sous le r�gime de la discipline militaire, envoy�s � la mort ou menac�s des repr�sailles imm�diates de la justice militaire. Les conditions impos�es par la guerre ne permettaient pas de voir la r�alit� �conomique. Les �crivains, les po�tes, le clerg�, toute la presse glorifiaient la guerre. Aujourd'hui que la guerre est finie, les r�v�lations commencent � se faire jour. D�masqu�, l'imp�rialisme allemand, avec sa paix de Brest‑Litovsk. D�masqu�e, la paix de Versailles, qui devait �tre la victoire de l'imp�rialisme et qui s'est r�v�l�e comme sa d�faite. L'exemple de Keynes montre, entre autres, comment des dizaines et des centaines de milliers de petits bourgeois, d'intellectuels ou simplement de personnes tant soit peu �volu�es et culti�v�es d'Europe et d'Am�rique ont d� prendre le m�me che�min que lui, qui a donn� sa d�mission et jet� � la face de son gouvernement le livre qui le d�masquait. Keynes a montr� ce qui se passe et se passera dans la conscience de milliers et de centaines de milliers d'hommes, quand ils comprendront que tous les discours sur la � guerre pour la libert� �, etc., n'ont �t� que mensonge et que la guerre a abouti qu'� ce r�sultat : enrichir une infime minorit�, alors que les autres �taient ruin�s, r�duits en esclavage. En effet, le bourgeois Keynes d�clare que, pour sauvegarder leur existence, pour sauver l'�conomie anglaise, les Anglais doivent obtenir la reprise de relations commerciales libres entre l'Allemagne et la Russie ! Mais comment l'obtenir ? En annulant toutes les dettes, ainsi qu'il le propose ! C'est une id�e qui n'appartient pas au seul savant �conomiste Keynes. Des millions d'hommes y viennent et viendront. Et des millions d'hommes entendent les �conomistes bourgeois d�clarer qu'il n'y a pas d'autre issue que l'annulation des dettes, qu'en cons�quence � maudits soient les bolch�viks � (qui les ont annul�es), et faisons appel � la � g�n�rosit� � de l'Am�rique !! Je pense qu'au nom du Congr�s de l'Internationale Communiste, il y aurait lieu d'envoyer une adresse de remerciements � ces �conomistes qui font de l'agitation en faveur du bolch�visme.
Si, d'une part, la situation �conomique des masses est devenue insupportable; si, d'autre part, au sein de l'infime minorit� des pays victorieux tout‑puissants a commenc� et s'acc�l�re le d�saccord r�v�l� par Keynes, nous sommes bien en pr�sence du m�rissement des deux conditions de la r�volution mondiale.
Nous avons maintenant sous les yeux un tableau un peu plus complet du monde. Nous savons ce qu'est cette d�pendance � l'�gard d'une poign�e de richards d'un mil�liard et quart d'hommes plac�s dans des conditions d'existence intol�rables. D'un autre c�t�, quand on a pr�sent� aux peuples le Pacte de la Soci�t� des Nations, par lequel celle-ci d�clare mettre fin aux guerres et ne point permettre � quiconque de rompre la paix, quand ce pacte ‑ ultime esp�rance des masses laborieuses du monde entier ‑ entra en vigueur, ce fut pour nous la plus grande victoire. Tant, qu'il n'�tait pas en vigueur, on pouvait dire : il est impossible de ne pas imposer � un pays comme l'Allemagne des conditions particuli�res; quand il y aura un trait�, vous verrez que tout ira bien. Mais quand ce pacte fut publi�, les pires adversaires du bolch�visme ont d� le renier ! D�s son entr�e en vigueur, il s'est trouv� que le petit groupe des pays les plus riches, ce � quatuor des gros � ‑ Clemenceau, Lloyd‑George, Orlando et Wilson, ‑ fut charg� de r�gler les nouveaux rapports ! Et quand la machine du pacte fut mise en route, ce fut la catastrophe g�n�rale !
Nous l'avons vu par les guerres contre la Russie. Faible, ruin�e, accabl�e, la Russie, le pays le plus retardataire, lutte contre toutes les nations, contre l'alliance des Etats riches, puissants, qui dominent le monde, et elle sort victorieuse de cette lutte. Nous ne pouvions opposer des forces tant soit peu �quivalentes, et nous f�mes pourtant les vainqueurs. Pourquoi ? Parce qu'il n'y avait pas ombre d'unit� parmi eux, parce que chaque puissance agissait contre une autre. La France voulait que la Russie lui pay�t ses dettes et dev�nt une force redoutable contre l'Allemagne; la Grande‑Bretagne d�sirait le partage de la Russie, elle tentait de s'emparer du p�trole de Bakou et de conclure des trait�s avec les pays limitrophes de la Russie. Parmi les documents officiels anglais, il existe un livre qui �num�re tr�s consciencieusement tous les Etats (on en compte 14) qui, il y a six mois, en d�cembre 1919, promettaient de prendre Moscou et P�trograd. La Grande‑Bretagne fondait sur eux sa politique et leur pr�tait des millions. Mais aujourd'hui, tous ces calculs ont fait et tous ces pr�ts sont perdus.
Telle est la situation cr��e par la Soci�t� des Nations. Chaque jour d'existence de ce pacte constitue une excellente agitation en faveur du bolch�visme. Car les partisans les plus puissants de � l'ordre � capitaliste nous montrent comment, � propos de chaque question, ils se font des crocs-en-jambe
Le partage de la Turquie, de la Perse, de la M�sopotamie de la Chine donne lieu � des querelles f�roces entre Japon, la Grande‑Bretagne, l'Am�rique et la France. La presse bourgeoise de ces pays est pleine des attaques les plus v�h�mentes et les plus acerbes contre leurs � coll�gues � qui leur font passer le butin sous le nez. Nous sommes les t�moins du total d�saccord qui r�gne parmi cette poign�e infime des pays les plus riches. Il est impossible qu'un milliard et quart d'hommes, repr�sentant les 70 % de la population du globe, vivent dans les conditions d'asservis�sement qu'entend leur imposer le capitalisme � avanc� � et civilis�. Quant � l'infime poign�e de puissances richissimes, la Grande‑Bretagne, l'Am�rique, le Japon (qui a pu piller les pays d'Orient, les pays d'Asie, mais qui ne peut avoir aucune force ind�pendante, financi�re et militaire sans l'aide d'un autre pays), ces deux ou trois pays ne sont pas en mesure d'organiser les relations �conomiques et leur politique tend � faire �chouer celle de leurs associ�s et partenaires de la Soci�t� des Nations. D'o� la crise mondiale. Et ce sont ces causes �conomiques de la crise qui constituent la raison essentielle du fait que l'Internationale Communiste remporte de brillants succ�s.
Camarades, nous abordons maintenant la question de la crise r�volutionnaire, base de notre action r�volutionnaire. Et ici, il faut avant tout noter deux erreurs tr�s r�pandues. D�une part, les �conomistes bourgeois repr�sentent cette crise comme un simple � malaise �, selon l'�l�gante formule des Anglais. D'autre part, des r�volutionnaires s�efforcent parfois de d�montrer que cette crise est absolument sans issue.
C'est une erreur. Il n'existe pas de situation absolument sans issue. La bourgeoisie se conduit comme un forban sans vergogne qui a perdu la t�te; elle commet b�tise sur b�tise aggravant la situation et h�tant sa propre perte. C�est un fait. Mais il n'est pas possible de � prouver � qu�il n'y a absolument aucune chance qu'elle endorme une minorit� d'exploit�s � l'aide de petites concessions, qu'elle r�prime un mouvement ou une insurrection d'une partie des opprim�s et des exploit�s. Tenter d'en � prouver � � l�avance l'impossibilit� � absolue � serait pur p�dantisme, verbiage ou jeu d'esprit. Dans cette question et dans des questions analogues, seule la pratique peut fournir la � preuve � r�elle. Le r�gime bourgeois traverse dans monde entier une profonde crise r�volutionnaire. Il faut � d�montrer � maintenant, par l'action pratique des partis r�volutionnaires, qu'ils poss�dent suffisamment de conscience, d'organisation, de liens avec les masses exploit�es, d'esprit de d�cision et de savoir‑faire pour exploiter cette crise au profit d'une r�volution victorieuse.
C'est avant tout pour pr�parer cette � d�monstration � que nous nous sommes r�unis en ce congr�s de l'Internationale Communiste.
Pour montrer � quel point l'opportunisme r�gne encore dans les partis qui d�sirent adh�rer � la III� Internationale, � quel point le travail de certains partis est encore loin de pr�parer la classe r�volutionnaire � mettre � profit la crise r�volutionnaire, je citerai le chef du � Parti travailliste ind�pendant � de Grande‑Bretagne, Ramsay Mac Donald. Dans son livre le Parlement et la R�volution, consacr� pr�cis�ment aux questions essentielles qui nous occupent aujourd'hui, Mac Donald d�peint la situation � peu pr�s dans l'esprit des pacifistes bourgeois. Il reconna�t qu'il existe une crise r�volutionnaire, que l'�tat d'esprit r�volutionnaire grandit, que les masses ouvri�res manifestent de la sympathie pour le pouvoir des Soviets et la dictature du prol�tariat (notez qu'il est question de la Grande‑Bretagne), que la dictature du prol�tariat vaut mieux que la dictature actuelle de la bourgeoisie anglaise.
Mais il reste profond�ment un pacifiste et un conciliateur bourgeois, un petit‑bourgeois qui r�ve d'un gouvernement en dehors des classes. Il ne reconna�t la lutte des classes que comme un � fait descriptif �, � l'exemple de tous les menteurs, sophistes et p�dants de la bourgeoisie. Il passe sous silence l'exp�rience de K�renski, des mench�viks et des socialistes‑r�volutionnaires de Russie, l'exp�rience similaire de la Hongrie et de l'Allemagne, etc., concernant la cr�ation d'un gouvernement � d�mocratique � et soi‑disant en dehors dos classes. Il endort son parti et les ouvriers qui ont le malheur de prendre ce bourgeois pour un socialiste et ce philistin pour un chef, en leur disant : � Nous savons que tout cela (c'est‑�‑dire la crise r�volutionnaire, la fermentation r�volutionnaire) passera, s'arrangera �. La guerre, voyez‑vous, devait in�vitablement provoquer la crise, mais apr�s la guerre, peut‑�tre pas d'un seul coup, � tout s'arrangera � !
Voil� ce qu'�crit un homme qui est le chef d'un parti d�sireux d�adh�rer � la III� Internationale. C'est l� une r�v�lation d�autant plus pr�cieuse qu'elle est d'une sinc�rit� exceptionnelle, de ce que l'on peut observer non moins souvent dans les milieux dirigeants du parti socialiste fran�ais et du parti social‑d�mocrate ind�pendant allemand, � savoir non seulement l'incapacit�, mais �galement le refus d�utiliser dans un sens r�volutionnaire la crise r�volution�naire ou, en d'autres termes, l'incapacit� et le refus de proc�der � une pr�paration r�ellement r�volutionnaire du parti et de la classe � la dictature du prol�tariat.
C'est le mal le plus grave dont souffrent maints partis qui abandonnent actuellement la II� Internationale. Et c�est pr�cis�ment pourquoi j'insiste surtout, dans les th�ses que je pr�sente au congr�s, sur la d�finition la plus concr�te et la plus pr�cise des t�ches qu'implique la pr�paration � la dictature du prol�tariat.
Encore un exemple. Un nouveau livre contre le bolch�visme vient de para�tre. Il para�t actuellement des quantit�s extraordinaires de livres de ce genre en Europe et en Am�rique, mais plus on en publie et plus la sympathie des masses pour le bolch�visme grandit et se renforce. Il s�agit du livre d'Otto Bauer : Bolch�visme ou Social-d�mocratie ? Les Allemands y apprennent clairement ce qu�est le mench�visme, dont le r�le honteux dans la r�volution russe est assez connu des ouvriers de tous les pays. Otto Bauer a donn� l� un pamphlet profond�ment mench�vik, bien qu'il ait dissimul� sa sympathie pour le mench�visme. Mais il est aujourd'hui indispensable de r�pandre en Europe et en Am�rique une connaissance plus pr�cise de ce qu'est le mench�visme, car c'est le nom g�n�rique de tous les courants soi‑disant socialistes, social‑d�mocrates, etc., hostiles au bolch�visme. Il nous para�trait fastidieux � nous, Russes, d'�crire pour expliquer � l'Europe ce qu'est le mench�visme. Otto Bauer l'a montr� dans son livre et nous remercions � l'avance les �diteurs bourgeois et opportunistes qui le publieront et en feront la traduction en diff�rentes langues. Le livre de Bauer sera utile, ne serait�-ce qu'� titre de compl�ment aux manuels de communisme. Prenez n'importe quel paragraphe, n'importe quel raisonnement d'Otto Bauer et d�montrez en quoi consiste le mench�visme, quelles sont les racines des id�es qui ont pour aboutissement l'action pratique des tra�tres au socialisme, des amis de K�renski, de Scheidemann, etc.; cette question pourrait �tre pos�e utilement et avec profit aux � examens � probatoires du bon communiste. Si vous ne pouvez pas y r�pondre, c'est que vous n'�tes pas encore communiste et il est pr�f�rable que vous n'adh�riez pas au parti. ( Applaudissements. )
Otto Bauer a parfaitement exprim� le fond m�me des conceptions de l'opportunisme mondial dans une phrase pour laquelle, si nous �tions les ma�tres � Vienne, nous devrions, de son vivant, lui �lever un monument. L'emploi de la violence dans la lutte de classe, au sein des d�mocraties modernes ‑ a‑t‑il d�clar� sentencieusement ‑ serait � une violence exerc�e sur les facteurs sociaux de la force m�me �.
Vous trouverez sans doute que cela rend un son bizarre et incompr�hensible ? C'est le mod�le de ce � quoi ils ont r�duit le marxisme, � quelle banalit� et � quelle d�fense des exploiteurs on peut d�grader la th�orie la plus r�volutionnaire. Prenez la vari�t� allemande de l'esprit petit-bourgeois et vous aboutirez � la � th�orie � suivant laquelle � les facteurs sociaux de la force � sont le nombre, le degr� d'organisation, la place que l'on occupe dans le processus de la production et de la r�partition, l'activit�, l'instruction. Si le salari� de la campagne, si l'ouvrier de la ville exercent la violence r�volutionnaire contre le propri�taire foncier ou le capitaliste, ce n'est nullement la dictature du prol�tariat, ce n'est nullement la violence sur les exploiteurs et les oppresseurs du peuple. Pas du tout. C'est de la � violence sur les facteurs sociaux de la force �.
Peut‑�tre mon exemple para�t‑il un peu humoristique. Mais la nature de l'opportunisme contemporain est telle que sa lutte contre le bolch�visme prend une allure humoristique. Entra�ner la classe ouvri�re, tout ce qu'elle compte d'hommes dou�s de r�flexion, � la lutte du mench�visme international (des Mac Donald, des O. Bauer et Cie) contre le bolch�visme, c'est pour l'Europe et l'Am�rique la chose la plus utile, la plus urgente.
Ici, nous devons nous demander ce qui explique la per�sistance de ces tendances en Europe et pourquoi cet opportunisme est plus fort en Europe occidentale que chez nous. Mais parce que les pays avanc�s ont b�ti et b�tissent leur culture gr�ce � la possibilit� qu'ils ont de vivre aux d�pens d�un milliard d'opprim�s. Parce que les capitalistes de ces pays ont des profits bien sup�rieurs � ceux qu'ils pourraient tirer de la spoliation des ouvriers de leur pays.
On estimait avant la guerre que les trois pays les plus riches; la Grande‑Bretagne, la France et l'Allemagne, tiraient de la seule exportation de leurs capitaux � l'�tranger un revenu annuel de 8 � 10 milliards de francs sans compter les autres revenus.
On comprend qu'il soit possible de pr�lever sur cette jolie somme au moins un demi‑milliard � distribuer en aum�ne aux dirigeants ouvriers, � l'aristocratie ouvri�re, comme dessous‑de‑table de toute esp�ce. En effet, tout est dans la corruption. On s'y prend de mille fa�ons ‑ en �levant le niveau de culture des grands centres, en cr�ant des �tablissements �ducatifs, des milliers de sin�cures � l'intention des dirigeants des coop�ratives, des trade‑unions, des leaders parlementaires. Cela se fait dans tous les pays de civilisation capitaliste. Et ces milliards de super‑b�n�fice constituent la base �conomique de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier. En Am�rique, en Grande‑Bretagne, en France, nous assistons � une r�sistance infiniment plus forte des chefs opportunistes, des couches sup�rieures de la classe ouvri�re, de l'aristocratie ouvri�re; ils opposent une r�sistance plus grande au mouvement communiste. C�est pourquoi nous devons nous attendre � voir les partis ouvriers europ�ens et am�ricains se gu�rir de cette maladie plus difficilement que nous. Nous savons que depuis la fondation de la III� Internationale, des progr�s �normes ont �t� r�alis�s en ce qui concerne la gu�rison de cette maladie, mais nous n'en sommes pas encore � la gu�rison d�finitive : l'�puration des partis ouvriers, des partis r�volutionnaires du prol�tariat du monde entier de l'influence bourgeoise et des opportunistes qui se trouvent dans leur propre sein, est encore loin d'�tre achev�e.
Je ne m'arr�terai pas sur la fa�on concr�te dont nous devons le faire. Il en est question dans mes th�ses, qui ont �t� publi�es. Ma t�che consiste � indiquer les causes �conomiques profondes de ce ph�nom�ne. Cette maladie est devenue chronique; sa gu�rison se fait plus attendre que les optimistes ne pouvaient l'esp�rer. L'opportunisme, voil� notre ennemi principal. L'opportunisme des couches sup�rieures du mouvement ouvrier, c'est un socialisme non prol�tarien, mais bourgeois. La preuve est faite que les militants du mouvement ouvrier qui appartiennent � la tendance opportuniste sont de meilleurs d�fenseurs de la bourgeoisie que les bourgeois eux-m�mes. S'ils n'avaient pas eu main la direction des ouvriers, la bourgeoisie ne pourrait, pas se maintenir. Ce n'est pas seulement l'histoire du r�gime K�renski en Russie qui le prouve; la R�publique d�mocratique d'Allemagne, avec � sa t�te un gouvernement social‑d�mocrate, le prouve aussi de m�me que le comportement d'Albert Thomas � l'�gard de son gouvernement bourgeois. La preuve est faite enfin par l'exp�rience analogue de la Grande‑Bretagne et des Etats‑Unis. L'opportunisme est notre ennemi principal et nous devons en venir � bout. Nous devons quitter ce congr�s avec la ferme r�solution de mener cette lutte jusqu'au bout dans tous les partis. C'est l� notre t�che essentielle.
Compar�e � cette t�che, celle qui consiste � redresser les erreurs de la tendance de � gauche � dans le mouvement communiste sera ais�e. Nous observons dans maints pays un antiparlementarisme qui n'est pas tant le fait d'hommes issus de la petite‑bourgeoisie que celui de certains groupes avanc�s du prol�tariat, mus par la haine � l'�gard de l'ancien parlementarisme, haine l�gitime, juste et n�cessaire, provoqu�e par le comportement des parlementaires de Grande‑Bretagne, de France, d'Italie, de tous les pays. Il faut distribuer les directives de l'Internationale Communiste, �clairer mieux et davantage les camarades sur l'exp�rience russe et le r�le v�ritable d'un parti politique prol�tarien. Notre travail consistera � r�soudre ce probl�me. Et la lutte contre ces erreurs du mouvement prol�tarien, contre ces insuffisances, sera mille fois plus facile que la lutte contre la bourgeoisie qui, sous le couvert du r�formisme, p�n�tre dans les vieux partis de la II� Internationale et oriente toute leur activit� dans un esprit prol�tarien, mais bourgeois.
En conclusion, camarades, je m'arr�terai encore sur un autre aspect de la question. Le camarade pr�sident a dit que ce congr�s m�ritait bien le titre de congr�s mondial. Je pense qu'il a raison, surtout parce que nous avons ici pas mal de repr�sentants du mouvement r�volutionnaire des pays capitalistes avanc�s et des pays arri�r�s. Ce n'est qu'un petit com�mencement, mais l'essentiel est qu'il y ait un commence�ment. L'union des prol�taires r�volutionnaires des pays capitalistes avanc�s avec les masses r�volutionnaires des pays o� il n'y a pas ou presque pas de prol�tariat, avec les masses opprim�es des colonies, des pays d'Orient, cette union devient une r�alit� dans ce congr�s. Il ne d�pend que de nous � et je suis convaincu que nous le ferons � de la consolider. L'imp�rialisme mondial ne pourra que s��crouler quand l'offensive r�volutionnaire des ouvriers exploit�s et opprim�s au sein de chaque pays, surmontant la r�sistance des �l�ments petits‑bourgeois et l'influence de cette minorit� infime qu'est l'aristocratie ouvri�re, fera sa jonction avec l'offensive r�volutionnaire des centaines de millions d'hommes qui, jusqu'� pr�sent, �taient en dehors de l'histoire et consid�r�s comme n'en �tant que l�objet.
La guerre imp�rialiste a aid� la r�volution : la bourgeoisie a tir� des colonies, des pays arri�r�s, de l'isolement o� ils �taient, des soldats qu'elle a lanc�s dans cette guerre imp�rialiste. La bourgeoisie anglaise a inculqu� aux soldats hindous qu'il �tait du devoir du paysan hindou de d�fendre la Grande‑Bretagne contre l'Allemagne, la bourgeoisie fran�aise a inculqu� aux soldats de ses colonies que les Noirs devaient d�fendre la France. Elle leur a enseign� le maniement des armes. C'est une science extr�mement utile, et nous pourrions en remercier la bourgeoisie du plus profond de nous‑m�mes, au nom de tous les ouvriers et de tous les paysans russes, au nom surtout de toute l'Arm�e Rouge de Russie. La guerre imp�rialiste a fait entrer les peuples d�pendants dans l'histoire du monde. Et l'une de nos t�ches les plus importantes est de r�fl�chir aujourd'hui � la fa�on poser la premi�re pierre de l'organisation du mouvement sovi�tique dans les pays non�-capitalistes. Les Soviets y sont possibles; ce ne seront pas des Soviets ouvriers, mais des Soviets paysans ou des Soviets de travailleurs.
Cela exigera un travail �norme; des erreurs seront in�vitables; de grosses difficult�s se dresseront sur notre chemin. Une t�che essentielle du Il� Congr�s est d'�laborer ou d'indiquer les bases pratiques qui permettront que le travail qui se faisait jusqu'� pr�sent d'une mani�re inorganis�e parmi des centaines de millions d'hommes, se fasse dor�navant d'une mani�re organis�e, coh�rente et syst�matique.
Un peu plus d'un an apr�s le I� Congr�s de l'Internationale Communiste, nous voil� vainqueurs de la II� Internationale; les id�es sovi�tiques ne sont pas aujourd'hui r�pandues uniquement parmi les ouvriers des pays civilis�s, qui les connaissent et les comprennent; les ouvriers de tous les pays se moquent des beaux esprits, parmi les quels il y en a bon nombre qui se disent socialistes et qui font des dissertations savantes ou presque sur le � syst�me � sovi�tique, comme aiment � s'exprimer les Allemands syst�maticiens, ou sur �Vid�e� sovi�tique, comme s'expriment les partisans anglais du � ghilde‑socialisme �; ces dissertations sur le � syst�me � et sur l'� id�e � sovi�tiques en imposent parfois aux yeux et � l'esprit des ouvriers. Mais ils rejettent tout ce fatras de p�dants et se saisissent de l'arme que les Soviets leur offrent. Et la compr�hension du r�le et de la signification des Soviets s'est maintenant r�pandue jusque dans les pays d'Orient.
Les bases d'un mouvement sovi�tique sont maintenant jet�es dans tout l'Orient, dans toute l'Asie, parmi tous les peuples coloniaux.
L'id�e que les exploit�s doivent se soulever contre les exploiteurs et former leurs Soviets n'est pas trop compliqu�e. Apr�s notre exp�rience, apr�s deux ans et demi d'existence de la R�publique des Soviets de Russie, apr�s le I� Congr�s de la III� Internationale, cette id�e devient accessible � des centaines de millions d'hommes opprim�s par les exploiteurs du monde entier, et si aujourd'hui, en Russie, nous sommes souvent contraints d'accepter des compromis, de temporiser, �tant plus faibles que les imp�rialistes internationaux, nous savons pourtant que nous d�fendons les int�r�ts de cette masse d'un milliard et quart d'hommes. Des barri�res, des pr�jug�s, de l'ignorance, qui d'heure en heure reculent dans le pass�, nous g�nent encore, mais plus nous avan�ons et mieux nous repr�sentons et d�fendons dans les faits ces 70 �% de la population du globe, cette masse de travailleurs et d'exploit�s. Nous pouvons dire avec fiert� : lors du premier congr�s, nous n'�tions au fond que des propagandistes, nous ne faisions que jeter au prol�tariat du monde entier des id�es essentielles, nous ne faisions que lancer un appel � la lutte, que demander : o� sont les hommes susceptibles de s'engager dans cette voie ? Aujourd'hui, il y a partout un prol�tariat avanc�. Il existe partout une arm�e prol�tarienne, parfois mal organis�e il est vrai, et qui demande � �tre r�organis�e, et si nos camarades de tous les pays nous aident maintenant � organiser une arm�e unique, rien ne pourra plus nous emp�cher accomplir notre �uvre. Cette �uvre, c'est la r�volution prol�tarienne universelle, la cr�ation de la R�publique universelle des Soviets.
(Applaudissements prolong�s)
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