1946 - 1949 |
Correspondance
du 16 décembre 1946 au 29 juin 1949
1. L'Union Communiste (Trotskyste) à Natalia Sedova
Paris, le 16 Décembre 1946
Chère camarade Nathalie
Ce n'est que maintenant que nous avons pu nous procurer, par hasard, votre adresse. Nous nous empressons de vous envoyer une partie de notre matériel, dans l'espoir que vous trouverez le temps de lire les articles que nous avons soulignés à votre intention. Nous serions heureux de recevoir votre appréciation critique. Si cela présente quelque intérêt pour vous, nous vous enverrons la collection complète. Nous sommes à votre disposition pour vous donner tous les éclaircissements que vous nous demanderez au sujet de notre organisation.
En attendant de vous lire, recevez chère camarade, notre salut fraternel.
L'UNION COMMUNISTE (Trotskyste)
Adresse : Jacques RAMBOZ
7, Impasse du Rouet PARIS 14ème
2. Natalia Sedova à l'Union Communiste (Trotskyste)
Coyoacan, 28 Janvier 1947
Cher camarade
Je vous remercie pour votre lettre du 16 Décembre. Je vous réponds avec tant de retard parce que j'ai été malade. J'ai aussi reçu tout le matériel que vous m'avez envoyé, dont je vous remercie. Je lirai avec grand intérêt tous les articles que vous avez soulignés. Je n'ai pas pu le faire plus tôt, pour la raison déjà mentionnée. Je vous serai reconnaissante si vous vouliez continuer à m'envoyer La Lutte de Classes. Après avoir lu les articles en question, je vous en parlerai. En attendant, je serai bien contente si vous pouviez me donner des informations générales sur votre organisation.
Recevez, cher camarade, mon salut fraternel.
Natalia Sedova
3. L' Union Communiste (Trotskyste) à Natalia Sedova
Paris, le 20 Février 1947
Chère camarade Sedova
Nous avons été heureux de recevoir votre lettre du 28/1/47 ; entre-temps nous avons continué et continuons à vous envoyer régulièrement La Lutte de Classes.
On peut résumer comme suit les renseignement généraux concernant notre activité et notre développement : Les camarades qui ont jeté les bases de notre organisation ont milité pendant plusieurs années dans le POI et ont fait partie en 1938 de la fraction qui est entrée dans le PSOP.
En 1939, au moment de la dispersion des groupes et des cadres trotskystes, nous avons fait notre premier travail indépendant pour des raisons avant tout organisationnelles, et avons sorti, en collaboration avec quelques jeunes camarades, un organe ronéotypé, L'Ouvrier, de lutte contre le daladiérisme, la guerre, et le rôle des social-démocraties dans la destruction des syndicats.
En 1939 nous étions partis de zéro, et il a fallu recommencer au même point en 1940, après les événements militaires. En novembre 1940 nous avons publié notre brochure La Lutte contre la 2ème Guerre impérialiste mondiale, pour défendre ce que nous jugions la politique trotskyste contre les positions nationalistes et petites-bourgeoises adoptées par l'organisation résultant du regroupement d'anciens militants du POI.
C'est en 1942, après avoir pu éduquer et instruire un certain nombre de jeunes camarades venant du PCF ou sans passé politique, que nous avons sorti notre journal La Lutte de Classes. Le choix du titre était déterminé par notre volonté d'opposer une propagande révolutionnaire et internationaliste au courant d'union nationale et gaulliste justifié par la lutte contre l'occupant.
Le but de notre activité pratique était d'entrer en contact avec des ouvriers et de donner à des éléments prolétariens la possibilité de s'instruire dans l'esprit et selon les méthodes d'une formation révolutionnaire professionnelle. Sans avoir atteint une force numérique appréciable, c'est cependant à la suite de ce travail que nous avons pu, en octobre 1945, doubler notre organe d'un bulletin syndical, La Voix des Travailleurs.
Pratiquement, ce bulletin était le résultat de l'expérience que nous avions faite pendant les mois précédents, avec l'édition de tracts locaux d'usine au nom d'"un groupe d'ouvriers", partout où nous pouvions avoir la liaison avec des ouvriers d'usine conscients.
Nous avons élaboré notre position syndicale (défendue dans la Voix) sur la base de notre propre travail syndical, sans avoir connaissance des derniers écrits de Trotsky sur cette question.
En même temps, avec le changement des conditions politiques générales, nous avons intensifié notre travail d'agitation et diffusé devant les usines de la région parisienne, d'Octobre 1945 à Juin 1946, 100.000 tracts défendant la politique exposée dans notre journal. Simultanément nous avons entrepris d'imposer la vente de notre journal devant les usines ; pour cela nous avons dû soutenir la lutte physique contre les staliniens (qui s'opposaient à la vente), menée de front avec l'agitation politique sur les droits de la démocratie ouvrière. Dans ce sens, nous avons été les premiers à agir et à proposer l'unité d'action au PCI.
Nous pouvons dire aussi, qu'étant donné la carence politique du PCI, nous avons été à plusieurs moments, dans la région parisienne, le seul groupe défendant ouvertement une politique trotskyste dans la classe ouvrière.
Dans le Nº 60 de la Lutte (30 Avril 1946), nous avons expliqué les raisons de la disparition de La Voix des Travailleurs. Mais nous continuons le travail selon les mêmes méthodes, et avec le même but de découvrir les meilleurs moyens pour élever le niveau de la conscience des travailleurs.
Nous sommes un groupe numériquement faible, mais à majorité ouvrière.
Si nous n'avons actuellement aucun rapport avec le PCI, c'est parce que ses dirigeants se sont montrés absolument incapables de respecter les règles les plus élémentaires de l'honnêteté et du comportement prolétariens (tandis qu'ils sont politiquement à plat ventre devant les sociaux-démocrates et les staliniens).
Alors que tout en étant soi-disant d'accord avec le programme, nous n'avons été d'accord sur rien à chaque fois qu'il s'agissait d'une chose précise, le PCI oppose à notre critique ouverte le silence, et à la recherche de la vérité, une "unité" qui, de la façon dont ils la posent, doit servir à cacher les difficultés et non à approfondir le mouvement révolutionnaire.
Vous pourrez vous rendre compte de nos divergences politiques avec le PCI d'après le matériel déjà reçu.
Etant donné l'importance spéciale que nous attachons à votre opinion, nous vous serions reconnaissants de nous donner votre appréciation au plus tôt. Dans cette attente, nous vous adressons, chère camarade, notre salut fraternel.
L'Union Communiste (Trotskyste)
P.S. 1 Nous vous joignons copie d'une lettre expliquant notre rupture avec les groupes ayant formé le PCI, et restée sans réponse.
P.S. 2 Nous vous prions de nous adresser votre correspondance à l'adresse : Jacques Ramboz 3, Bd Victor Paris (15ème)
4. L' Union Communiste (Trotskyste) à Natalia Sedova
Paris, le 2 Avril 1947
Chère camarade Sedova
Suite à votre lettre du 28/1, nous vous avons écrit le 20 Février, une lettre contenant des renseignements généraux sur notre organisation. Nous avons aussi continué à vous envoyer régulièrement La Lutte de Classes.
Nous serions heureux de savoir si ces envois vous sont parvenus, et nous espérons qu'il vous sera possible de nous en informer.
Dans cette attente, nous vous adressons, chère camarade Sedova, notre salut fraternel.
L'Union Communiste (Trotskyste)
5. L'Union Communiste (Trotskyste) à Natalia Sedova
Paris, le 5 juin 1947
Chère camarade Sedova
Nous sommes inquiets de ne pas avoir reçu de réponse à nos lettres des 20 Février et 2 Avril ; nous nous demandons si c'est la poste qui ne transmet pas, ou si ce sont vos travaux ou votre santé qui ne vous ont pas permis de nous écrire ; mais quoi qu'il en soit, nous voulons espérer que vous êtes en bonne santé, et pour le cas où vous auriez déjà écrit, nous vous prions de bien vouloir nous réécrire par lettre recommandée à l'adresse de : Michel Bucholz, 2 rue Claude-Matrat à Issy-les-Moulineaux (Seine).
Nous sommes heureux d'avoir pu couronner notre lutte théorique, politique et organisationnelle par une lutte de masses d'une importance capitale et pour la classe ouvrière et pour nous-mêmes. Nous vous avons adressé les documents concernant ces événements ; nous espérons que le matériel plus ancien vous aura renseignée exactement sur le caractère organisé de ce mouvement, fruit d'un travail long et patient. Et ce sera certainement pour vous la plus haute satisfaction de recevoir la confirmation que c'est essentiellement la pensée de Trotsky, et l'exemple de tous ceux qui se sont consacrés entièrement au service de l'émancipation des travailleurs, qui nous a aidé à subir avec succès les différentes épreuves depuis 1939 jusqu'à maintenant. Nous mènerons la lutte jusqu'au but, car les crimes des classes dirigeantes et de la bureaucratie stalinienne ne peuvent comporter qu'une seule vengeance réelle, la révolution prolétarienne.
Nous vous adressons, chère camarade Sedova, notre salut fraternel.
pour l'Union Communiste (Trotskyste)
6. Natalia Sedova à La Lutte de Classes
Mexico, 12 juillet 1947
A La Lutte de Classes
Chers camarades
J'ai reçu vos lettres et votre matériel. C'est-à-dire l'essentiel de votre matériel. A propos de vos divergences avec l'organisation française pendant la guerre et à l'égard des mouvements de résistance, je dois vous informer que nous avons demandé que le prochain Congrès mondial traite en premier lieu la politique des principaux partis par rapport à ce problème. Il me semble que vous devez être tout à fait d'accord là-dessus. Mais votre groupe participera-t-il au Congrès et à la discussion préalable? A-t-il été invité par le SI ? A-t-il demandé à prendre part à la discussion et au Congrès ?
J'ai vu que vous critiquez la conduite de notre parti à l'égard des grèves en France. Dans ce domaine, il me semble que vous n'avez pas raison. Il me semble que le PCI s'est bien conduit pendant les grèves en s'adressant aux ouvriers staliniens. J'aimerais bien avoir vos informations là-dessus.
La chose la plus importante pour moi, c'est de savoir quels obstacles vous empêchent d'entrer au PCI. Je crois me rappeler que la direction du parti vous a offert d'entrer avec tous les droits inhérents aux fractions. J'ai lu votre document adressé au comité d'unification, et écrit en 1944. Maintenez-vous encore la même position ?
Depuis à peu près deux mois je ne reçois pas La Lutte de Classes.
J'aimerais connaître votre position à l'égard de la défense de la Russie, du mot d'ordre de gouvernement PS-PC-CGT, du front unique avec le stalinisme, toutes questions qui se débattent maintenant dans notre organisation.
Salutations fraternelles,
Natalia Sedova
7. Natalia Sedova à David Korner
Coyoacan, 22 Octobre 1947
Cher camarade
Je viens de recevoir votre lettre du 25 Septembre par laquelle je comprends que vous n'avez jamais reçu ma lettre du 12 Juillet. Quelle bonne idée avez-vous eu de m'écrire encore une fois. Car j'étais très inquiète de votre silence. Je vous envoie ci-inclus une copie de ma lettre.
Je ne reçois plus, depuis à peu près cinq mois, La Lutte de Classes, par contre je reçois régulièrement La Voix des Travailleurs. Ce journal est bien fait, le ton est combatif et la position prise juste. Je me demande si La Voix des Travailleurs n'est pas une continuation de La Lutte de Classes. J'ai même l'impression d'avoir lu quelque part que vous allez retourner au nom de Lutte de Classes. J'attends avec impatience de vos nouvelles.
Recevez mon salut fraternel
Natalie Sedova
8. La Voix des Travailleurs à Natalia Sedova
Paris, le 6 Novembre 1947
Chère camarade Sedova
Votre lettre du 22 Octobre nous a remplis de joie. Nous allons essayer de répondre le plus complètement possible à vos questions.
En ce qui concerne La Voix des Travailleurs, elle continue en effet La Lutte de Classes, que nous ferons paraître sous forme de bulletin théorique dès que nous aurons les forces nécessaires.
La grève Renault du mois de mai, ayant été déclenchée et dirigée par nos camarades de l'usine (sans l'aide d'aucune autre organisation), nous a offert la possibilité de reprendre l'ancienne Voix des Travailleurs sur une base nouvelle. Hebdomadaire, elle est vendue principalement dans l'usine Renault ; surtout parmi les 1.200 ouvriers des départements 6 et 18. Un ouvrier sur 3 en est lecteur. Nous nous proposons à l'aide du journal, d'influencer et d'éduquer les ouvriers qui cherchent une nouvelle voie. La position stratégique que nous occupons actuellement chez Renault nous permet d'espérer un développement sinon rapide, du moins solide.
Au sujet du PCI, nous avons dû prendre acte, à la suite d'échecs répétés, de l'impossibilité de toute collaboration. Nous ne parlons pas la même langue, et nous avons des méthodes et des opinions tout à fait différentes pour le travail ouvrier. Les difficultés ne viennent pas des divergences politiques en général, mais de la composition sociale du PCI. A ce sujet, notre position de 1944 reste valable aujourd'hui. Nous espérions alors qu'une fraction, sinon la majorité du PCI, se retrouverait avec nous dans la voie révolutionnaire. Aujourd'hui il nous apparaît que les dirigeants du PCI, non seulement ne connaissent pas leur métier, mais ont des mœurs de véritables politiciens. Dans notre lutte nous avons reçu des coups non seulement de la bourgeoisie et des staliniens, mais aussi des dirigeants du PCI.
Notre position à leur égard, nous l'avons justifiée vis-à-vis des ouvriers notamment dans le n° 75 de La Lutte de Classes ("Raisons d'une faillite") et nous en avons parlé dans la Voix n° 17 ("L'Acier retrouve sa voix") et au n° 23 (au sujet des élections). Nous ne voyons pas très bien à quelle critique du PCI vous faites allusion dans votre lettre au sujet des appels aux ouvriers staliniens. Comme vous avez pu vous rendre compte d'après la Voix, nous faisons constamment appel à ces ouvriers (de même qu'aux ouvriers socialistes, etc...) et pas seulement sur le papier, nous luttons ensemble dans l'usine.
En réalité, nous critiquons le PCI pour son attitude essentiellement opportuniste à l'égard des dirigeants staliniens, qui va jusqu'à couvrir leurs crimes, comme par exemple l'assassinat de notre camarade Mathieu [*]. Nous étions habitués à l'idée que, étant donné la décadence actuelle du mouvement ouvrier, il ne se trouve personne pour protester contre un pareil crime, mais nous ne nous attendions pas à ce que les premiers à faire silence et à négliger le travail pour la découverte des assassins et leur dénonciation, soient précisément les dirigeants d'un Parti qui est le représentant officiel de la 4ème Internationale.
Au sujet du mot d'ordre PS-PC-CGT, nous vous avons envoyé le n° 54 de La Lutte de Classes qui y consacre un article.
Nous ignorons les discussions au sein de l'Internationale au sujet du Front unique avec les staliniens et de la défense de l'URSS.
Au sujet du Front unique avec le stalinisme, nous pensons que notre position vous l'avez concrètement dans la Voix (nous tâcherons à l'avenir de vous envoyer nos tracts d'usine). Nous ne pouvons pas traiter la question abstraitement de même que pour la défense de l'URSS ; là aussi vous avez dans notre matériel les positions prises successivement par notre organisation pendant et après la guerre.
Pour ce qui concerne la nature de l'URSS, nous sommes assez "démodés", puisque nous pensons que seule l'analyse de Trotsky offre un moyen scientifique de compréhension de la société "soviétique", ainsi que d'orientation politique.
Un élément qui nous paraît décisif dans la question de la défense de l'URSS, c'est que cette défense dépend de nos forces, et que si nous ne sommes pas capables de défendre la classe ouvrière, nous ne sommes pas capables de défendre l'URSS non plus ; le défaut est donc de discuter non pas sur la base d'une croissance organisationnelle, mais abstraitement.
Dans notre politique pratique, vous avez vu que nous attaquons avant tout l'impérialisme américain comme provocateur à la guerre, et nous dénonçons les crimes de Staline dans ses méthodes. Mais nous ne dénonçons pas l'URSS comme provocateur à la guerre, ou comme impérialiste. Il nous semble que les fautes de ceux qui par leur opportunisme à l'égard des staliniens, apportent de l'eau au moulin révisionniste, sont dues non pas au désir de défendre l'URSS, mais à leur impuissance dans le mouvement ouvrier.
En ce qui concerne l'Internationale, nous ne demandions pas mieux que de participer à la réunion du Congrès international. Seulement à la suite de notre refus d'entrer dans le PCI, nous n'avons reçu ni invitations ni matériel préparatoire. Depuis 1939, nous avons été complètement ignorés par l'organisation internationale et n'avons eu d'autres rapports que de temps en temps une admonestation d'entrer dans le PCI, de cesser de jouer aux petits garçons, etc...
La conjoncture aujourd'hui est favorable dans le mouvement ouvrier en France pour le Parti révolutionnaire. La situation qui nous a permis à nous, une poignée, de faire le travail que nous avons fait chez Renault, existe dans la majorité de la classe ouvrière. Seulement là où nous ne sommes pas, ce sont des réformistes ou autres qui prennent le dessus, qui groupent autour d'eux les ouvriers dégoûtés, pendant que les dirigeants du PCI font appel dans leur journal au redressement de la CGT, au front unique avec messieurs les staliniens, etc... En conséquence, leur influence dans la classe ouvrière est nulle, et vous avez pu le voir d'après le résultat des élections, où le PCI, dans 5 arrondissements, a eu peu plus de 1.000 voix.
De toute façon, quelque pénible que soit cette conclusion, pour notre part, nous avons maintenant la certitude morale que pour autant que la situation objective nous le permettra, nous mènerons le travail à bonne fin et nous sommes décidés à le mener quoiqu'il arrive.
Nous tâcherons de vous tenir au courant le plus possible de ce qui se passe ici et souhaitons que votre santé vous permette de le suivre, en attendant les jours meilleurs dont nous avons tous la certitude.
Recevez, chère camarade Sedova, notre salut affectueux.
P.S. : Excusez le décousu de cette lettre, nous avons peu de temps et nous ne voulons pas retarder cette lettre.
[*] Mathieu Bucholz, qui fut enlevé et assassiné, le 11 Septembre 1944, sur l'ordre de responsables staliniens (voir La Lutte de Classes, Nº 67, 18 Septembre 1946)
9. Natalia Sedova à David Korner
Coyoacan, 17 Mars 1948
Cher camarade Mathieu
Oui, j'avais reçu votre lettre du 6 Novembre 1947. Il n'est donc pas nécessaire de m'en envoyer une copie. Mon long silence est dû en partie au fait que j'ai voulu attendre la publication projetée de votre bulletin théorique La Lutte de Classes.
Je reçois régulièrement La Voix des Travailleurs. Je vous en remercie beaucoup. Cela me fait beaucoup de plaisir de le recevoir si vite – il arrive dans trois ou quatre jours. Ainsi j'ai les nouvelles toutes récentes. La Voix des Travailleurs est très intéressant dans sa tendance révolutionnaire qui manque tellement en général dans nos publications. Mais je me demande si son "atmosphère" n'est pas un peu trop limitée aux questions du syndicalisme. J'en comprends la raison : vous le regardiez comme une partie du bulletin Lutte de Classes – le complétant. Vous avez eu l'intention de le publier, mais malheureusement, à ce qu'il me semble, cela n'a pas encore pu se faire. Et c'est pourquoi manquent les questions théoriques et de politique générale.
Je me rappelle d'une de vos lettres écrite, il me semble, au camarade M. [**] Vous y analysez sa brochure Les Révolutionnaires devant la Russie... J'ai même l'impression d'avoir vu cette analyse dans un numéro de La Lutte de Classes. Vous partagez beaucoup des points exprimés par l'auteur de cette brochure.
Et savez-vous que le camarade M. se trouve à présent à Paris ? Je voudrais bien que vous fassiez sa connaissance. Je pense qu'il vous sera facile de vous mettre d'accord avec lui. Vous m'avez parlé dans votre lettre de l'impossibilité de vous entendre avec Vérité. Mais vous ne m'avez pas exposé du tout les points de divergence entre vous. Au lieu de ça vous vous plaignez du manque de caractère révolutionnaire dans toutes leurs actions. C'est parfaitement juste. Car ce manque de sens révolutionnaire leur dicte leur attitude politique, théorique et pratique. Dans le camarade M. vous trouverez un allié enthousiaste. Je vous recommande et, si vous le permettez, j'insiste à ce que vous rencontriez le camarade M. le plus tôt possible. Vous pouvez lui écrire à cette adresse : Sophie Gallienne, 3 rue Lecourbe, Paris XV.
Salutations fraternelles,
Natalia
Elena Villalobos
Avenue Viena 19 - Coyoacan Mexico, D.F.
[**] Fernandez Grandizo, dit Munis (1912-1989). Sa brochure Les Révolutionnaires devant la Russie et le stalinisme mondial avait été publiée en 1946 par Editorial Revolucion à Mexico.
10. David Korner à Natalia Sedova
Paris, le 18 Juin 1948
Chère camarade
Tout d'abord voici en quelques mots notre situation. Nous avons été obligés de suspendre provisoirement la parution du journal parce qu'il est devenu impossible de le continuer sur les mêmes bases. Il avait été conçu comme un moyen de lutte et d'éducation avant tout, de l'avant-garde ouvrière de chez Renault. Nous espérions, en partant de là, sur la base d'une croissance du mouvement ouvrier atteindre d'autres couches ouvrières. Mais l'expérience faite depuis le mois de Janvier jusqu'au dernier Nº paru (47) nous a prouvé que l'échec de la grève de Novembre-Décembre avait mis fin à une telle perspective.
Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait changer de formule et nous avons décidé de faire paraître le journal, deux fois par mois, format agrandi et de le faire vendre aussi par les kiosques. C'est le seul moyen d'atteindre de nouvelles couches et pas seulement ouvrières. Bien entendu, le contenu doit changer lui aussi et se rapprocher bien davantage de l'ancienne Lutte de Classes ; mais nous devons pour ce faire attendre après les vacances, car nous avons grandement besoin de prendre un peu de repos avant de nous atteler à cette tâche ; d'autre part nous sommes en pleine bataille chez Renault pour la reconnaissance du syndicat. Vous savez par la Voix que le Juge de Paix nous a déclaré représentatif, mais la direction ne tient pas compte du jugement et nous devons la battre sur ce terrain. Le 30 Juin ont lieu des élections de délégués et bien que nous n'ayons pas été admis à présenter nos candidats nous avons décidé de faire comme si de rien n'était : publier nos listes, faire notre propagande et inviter les ouvriers à voter pour nous. Entre-temps, le Juge de Paix a fixé pour le 23 Juin, le jugement de la contestation des élections décidées par la direction et les autres organisations syndicales, sans notre accord. Il est probable qu'il nous donnera gain de cause.
En tout cas, l'essentiel, c'est que nous menons la bataille sur tous les fronts, que nos camarades apprennent à se battre avec toutes les armes, que la liaison avec les ouvriers se renforce et que nos cadres grandissent, tant en nombre qu'en qualité.
Où en sont nos rapports avec les minoritaires du PCI ? Nous avons pris contact avec la fraction Gallienne et le résultat est plus que décevant. Je pense qu'il y a un malentendu dans leur désir de rupture avec le PCI. Ces camarades ne voient rien à reprocher au PCI concernant son "sens révolutionnaire" ; leur seule pensée, c'est que la "discussion" sur l'URSS décide de tout. Bien que très réduit en nombre et sans aucune base ouvrière, leur première pensée n'est pas d'acquérir cette base. Comme nous leur expliquions que nous n'avions pas de forces suffisantes pour mener le travail ouvrier, publier le journal et en même temps, discuter avec "l'avant-garde" (c'est-à-dire la poussière de petits groupes, débris peu glorieux de l'époque des cercles) ils nous ont rétorqué : "qu'après tout ils tiendront compte de l'expérience de chez Renault" mais qu'on pouvait laisser ce travail sur le deuxième plan, la tâche la plus urgente étant "d'en finir" avec les petits groupes, créer un grand parti, etc... Mais si telle est la tâche, pourquoi commencer par se retirer du PCI. Mais de toute évidence le "sens révolutionnaire" leur manque complètement pour oser proposer de "négliger" le travail ouvrier de chez Renault, alors que nos camarades y mènent une lutte extrêmement dure où il y va non seulement de l'avenir du mouvement mais de leur propre vie. Nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour éclairer ces camarades et tâcher de collaborer avec eux dans la mesure du possible ; mais nous n'avons plus grand espoir.
Vous serait-il possible, chère camarade, de collaborer éventuellement à la Voix bimensuelle avec ou sans signature. Ce serait pour nous une aide décisive.
Nous vous prions de nous écrire ce que vous pensez sur ces sujets sans ménagement. Recevez, chère camarade, les salutations affectueuses de notre organisation.
A. Mathieu
11. David Korner à Natalia Sedova
Paris, le 29 Juin 1949
Chère camarade Sedova
Il y a bien longtemps que j'aurais souhaité pouvoir vous écrire. Mais j'attendais qu'un résultat officiel vienne donner du poids à nos affirmations.
Maintenant, c'est chose faite. Nous avons réussi, par une action de masse, propagande et agitation chez Renault, à imposer la reconnaissance de notre "représentativité" et notre participation aux élections de délégués. Nous avons obtenu une moyenne de 1.300 voix et 7 délégués sur 132 ; le bulletin vous en fournit le commentaire. Ce que je veux souligner pour vous, c'est que cela ne représente pas un "reste d'influence" de la grève de Mai 1947, mais une conquête nouvelle, une pénétration dans l'usine en dehors des départements 6 et 18 (où nous obtenons approximativement 325 voix). Il faut, pour apprécier ce résultat, tenir compte du fait qu'il a été obtenu dans une période marquée par des défaites ouvrières, qui, comme toujours, bien que donnant raison à la politique des révolutionnaires, ne profitent qu'aux bureaucrates. Nous avons aussi maintenant une base chez Citroën.
Pour mener à bien cette tâche il a fallu vaincre non seulement les difficultés sur le terrain de l'usine, mais aussi surmonter le découragement dû à la décomposition croissante des milieux "révolutionnaires". A ce sujet, nous avons le grand regret de vous faire savoir que le camarade M. nous a produit l'effet d'un habitant tombé de la lune, et que non seulement nous n'avons pu collaborer avec lui, mais son séjour ici ne contribue en rien à un renouvellement de la situation.
Quant aux perspectives d'avenir, elles seraient brillantes si la croissance qualitative des cadres pouvait se faire rapidement. Etant donné que nous ne pouvons compter que sur nos seules forces (il ne nous a même pas été possible de voir une deuxième fois depuis la grève de Mai le camarade Rosmer qui cependant paraissait approuver notre travail) il faut du temps, et c'est le temps justement qui nous presse, étant donné la situation mondiale. Mais de grands progrès vont cependant être réalisés par rapport au passé, grâce à la situation nouvelle du syndicat. En ce qui concerne La Lutte de Classes, il ne nous a pas été possible de faire paraître de nouveaux numéros. Nous sommes en tout et pour tout deux rédacteurs, qui écrivons péniblement, et il y a tant de choses à faire pour faire marcher une organisation dont le combat est quotidien.
Je serais heureux de connaître votre avis sur l'article "Qui unifiera l'Europe" (partie concernant l'URSS). Nous ne négligeons nullement la théorie, c'est elle qui nous a permis d'aller de l'avant sur une base trotskyste (révolutionnaire). Mais pour la renouveler il faut que l'action révolutionnaire pratique – qui, elle, n'est possible que sur la base des théories "classiques" – aboutisse à de nouvelles conclusions, sinon on tombe inévitablement dans les révisionnismes les plus plats. Nous considérons l'analyse de Trotsky sur l'URSS (La Révolution trahie en particulier) comme une œuvre dont on ne peut trouver l'équivalent qu'en remontant à Marx et Engels. L'analyse de l'évolution de l'URSS depuis 1940 n'est possible que sur cette base. Nous considérons l'URSS comme un "Etat ouvrier dégénéré" dont les traits négatifs l'emportent sur les traits positifs, chose qui se concrétise dans les effets de l'occupation russe en Europe centrale et dans les Balkans. Seule une montée révolutionnaire dans le monde pourra du reste trancher la question de la défense de l'URSS d'une façon définitive.
Chère camarade, permettez-nous, à cette occasion, de vous renouveler aussi l'expression de notre vive reconnaissance pour tout ce que votre génération a fait pour la révolution socialiste, et soyez certaine que votre exemple nous inspire la volonté de tenir, coûte que coûte, jusqu'au bout.
Recevez, chère camarade Sedova, nos salutations fraternelles.