1946 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 75 – 4ème année – Hebdomadaire (B.I.) le n° 3 francs |
LA LUTTE DE CLASSES nº 75
15 novembre 1946
"Le pays est divisé en deux blocs", tel est le commentaire unanime au sujet des élections du 10 novembre.
Le recul du Parti socialiste, non moins unanimement regretté, est expliqué par Le Populaire comme un "symptôme grave de la crise que traverse actuellement la démocratie française", comme le résultat "d'un profond courant de mécontentement et de désaffection à l'égard des institutions républicaines elles-mêmes".
M. Schuman s'était séparé provisoirement de De Gaulle pour, soi-disant, éviter une division du pays en "deux blocs hostiles", menant à la guerre civile. Dans le même but, M. Thorez prêche l'union et la soumission des travailleurs au patronat, la résignation aux conditions de vie de plus en plus mauvaises, qui ne résultent pas du bas niveau de la production – elle est à 87% et dans certains domaines à 100% de celle d'avant-guerre – mais uniquement du complot des grands capitalistes contre les masses pauvres. Mais ni les bonnes paroles de M. Schuman, ni la résignation prêchée par M. Thorez ne peuvent empêcher cette division du pays en "deux blocs hostiles". Car, d'un côté, une poignée de riches ayant entre leurs mains tous les leviers de commande (l'Etat, la Presse, les Partis, l'Eglise, etc.) affame les masses ; de l'autre, les masses travailleuses qui ont subi tous les fardeaux de la guerre et versé leur sang pour échapper à la servitude et à la surexploitation, continuent à souffrir des mêmes maux qui les accablent depuis 1938.
C'est la LUTTE DE CLASSES, qui s'approfondit tous les jours, que les journalistes sous-entendent par "deux blocs hostiles". Et c'est une lutte de classe qu'ont menée les partis de la bourgeoisie, tous groupés derrière le drapeau "contre le communisme".
Mais la lutte de classe des travailleurs contre la bourgeoisie n'a pas trouvé un véritable parti capable de déployer, dans les élections, face au drapeau anti-communiste, le drapeau anti-capitaliste. En l'absence de ce véritable parti révolutionnaire, c'est le P.C.F. qui est devenu, sous le mot d'ordre "contre la réaction", le représentant ELECTORAL du bloc anti-capitaliste.
Voilà ce qui explique le succès du P.C.F., malgré les trahisons de ses chefs qui, dans les élections, ont détourné à leur profit le mécontentement et la volonté anti-capitaliste des travailleurs. Et voilà pourquoi la bourgeoisie est inquiète, bien que les chefs du P.C.F. soient pour elle des collaborateurs et non pas des ennemis.
Les dernières élections n'ont pas apporté et ne pouvaient pas apporter de remède gouvernemental aux maux qui accablent le peuple. Elles n'ont pas apporté une fin au provisoire, mais laissent au contraire intactes les sources du conflit. Un déplacement de voix pouvait renforcer ou affaiblir tel ou tel parti, mais ne pouvait en aucun cas donner une solution gouvernementale à la lutte des travailleurs.
De même qu'au moment où ils avaient la majorité, la peur de dévoiler leur véritable visage en gouvernant seuls a poussé le P.C. et le P.S. aux combinaisons avec De Gaulle et le M.R.P., de même aujourd'hui la majorité de droite n'oserait pas davantage gouverner sans MM. Thorez et Blum.
Une fois de plus, ce n'est pas l'arithmétique parlementaire et électorale, – maintenant que leurs places respectives ont été gagnées,– mais la nécessité de faire tous bloc contre les travailleurs qui déterminera la physionomie du prochain gouvernement. C'est pourquoi nous pouvions affirmer avec certitude, le 31 octobre : "Les élections prochaines nous maintiendront dans l'impasse."
Mais la lutte de classes, qui dans les élections s'est exprimée comme une lutte de bulletins entre deux blocs, anti-communiste et anti-réactionnaire, se développera tout autrement dans la vie de tous les jours, et sur son véritable terrain : les usines, les villes et les campagnes.
Dans les élections, le Parti Communiste Français, en donnant une expression verbale partielle "contre la réaction" aux aspirations des travailleurs, a usurpé le titre de parti des travailleurs. Mais dans la vie de tous les jours, dans les usines, ce parti, par sa peur des grèves et de toute action énergique et réelle contre les capitalistes, apparaît et apparaîtra de plus en plus comme visant uniquement à gagner des places pour lui et non pas pour la défense des travailleurs.
Dans ces luttes de tous les jours, ce sont les défenseurs réels des travailleurs, ce sont les révolutionnaires conséquents qui apparaîtront de plus en plus comme le véritable parti de la classe ouvrière.
Dans les élections, les deux blocs paraissent de force presque égale numériquement avec de faibles oscillations à gauche et à droite.
Dans la vie de tous les jours, si les travailleurs révolutionnaires s'élèvent à la hauteur de la situation, le bloc des ouvriers et des paysans, le bloc des exploités sera l'écrasante majorité de la population ; tandis que de l'autre côté, le bloc anti-communiste apparaîtra pour ce qu'il est véritablement, non pas comme le défenseur d'on ne sait quelles valeurs spirituelles (ce qui lui permet aux élections de recueillir des millions de voix), mais comme le bloc d'une poignée de riches exploiteurs avec une petite minorité de laquais de toutes les couleurs, qu'ils soient de droite ou de gauche.
Comme aux plus beaux jours du régime des restrictions, le Gouvernement en est réduit cette semaine à répartir 150 grammes de viande frigorifiée.
"Le refus des producteurs de livrer aux prix réglementés menace de tourner à la catastrophe", expliquent les journaux. Il y a quelques jours, M. Bidault disait en substance : "L'incivisme des producteurs est allé trop loin. Si les produits continuent à faire défaut aux prix réglementés, le Gouvernement sera obligé de recourir à la contrainte."
Si ces déclarations ne sont que des mots, rien ne sera changé. Mais si ce n'est pas un vain mot, cela ne peut vouloir dire autre chose que le retour à la réquisition.
Tout le monde sait cependant que, tour à tour, contrôle ou liberté du marché ont été appliqués, sans plus de résultat pour le consommateur des villes. La liberté du marché fait monter les prix, la réglementation fait fuir les produits au marché noir.
"Les agriculteurs, nous explique Le Monde (10-11), hésitent à livrer leur production d'une année en échange de signes monétaires qui perdent 5% de leur pouvoir d'achat par mois." Il est donc officiellement reconnu que l'inflation fait régulièrement et automatiquement monter les prix tous les mois.
Que peuvent vouloir signifier, dans ces conditions, les "mesures de contrainte" exercées à la production ?
Ces messieurs voudraient que les paysans acceptent de livrer à des prix qui permettent aux capitalistes de continuer leur politique d'inflation tout en payant aux ouvriers des salaires de famine. Ce n'est que si le paysan livre à des "prix raisonnables" que l'ouvrier pourra se contenter d'un bas salaire et ne pas revendiquer. Il faut qu'en pillant et l'ouvrier et le paysan, l'Etat puisse continuer sa politique inflationniste de financement des capitalistes pour les productions d'armement, la concurrence sur les marchés étrangers, les expéditions coloniales, etc... (Lutte de Classes, 31-10).
Mais les mesures de contrainte que l'Etat envisage et que les paysans ont acceptées pendant la guerre, parce que c'était la guerre, les accepteront-ils maintenant ?
Et si l'Etat réussit à piller le paysan, cela sera-t-il efficace pour ravitailler les villes ?
Pourquoi les mesures de contrainte ont-elles jusqu'à présent prouvé leur inefficacité ?
C'est parce que dans la mesure où l'action de l'Etat s'exerce, comme toute l'expérience nous le prouve, elle s'exerce contre les petits et non pas contre les gros.
Le petit paysan court à la ruine sous le poids de l'inflation qui menace son patrimoine.
Mais l'inflation et la spéculation sont au contraire aujourd'hui la source même des bénéfices des gros propriétaires terriens qui, pour la plupart, ne font qu'un avec les magnats de l'industrie et les propriétaires des banques, rois de la finance.
L'appareil de l'Etat a-t-il jamais exercé une contrainte sur ceux-ci ?
Les capitalistes eux-mêmes reconnaissent que l'Etat est de moins en moins capable de jouer le rôle de régulateur qu'il s'attribue. "La résistance à la hausse des prix s'est affaiblie par suite de la désorganisation administrative et du relâchement de l'autorité" (écrit Le Monde). Constatant avec regret ce relâchement, ils sont les premiers à en profiter.
Une vaste conspiration est organisée sur le dos des masses travailleuses. Alors que le Gouvernement annonce une hausse de 60% sur le sucre en raison de l'augmentation "à la production" du prix des betteraves, c'est sous la pression du trust du sucre, propriétaire des champs de betteraves, que cette augmentation leur a été accordée.
En même temps que les journaux se lamentent sur le "refus" des paysans de livrer, ils dévoilent tous les jours que ce sont en réalité les grossistes et les intermédiaires qui font la loi : de par leur position, ils accaparent les produits, les stockent, les vendent quand les prix sont ceux qu'ils dictent, ou peuvent se permettre de ne pas les vendre, couverts par toutes sortes de manœuvres de spéculation, d'exportation, d'assurances.
L'Etat ne trouve d'autre solution que de piller les petits paysans, alors qu'une poignée de gros propriétaires et d'intermédiaires, dont il est le complice, rançonnent le peuple à la ville comme à la campagne. Mais par cela même, toutes ses "mesures" resteront inefficaces.
Puisque la situation demande une contrainte, la première question qu'il faut se poser, c'est : contrainte de qui, contre qui ?
Dans certaines régions de province, la C.G.T. locale, sous la pression des travailleurs, a confisqué chez des accapareurs les marchandises en les mettant en vente au prix de la taxe. Voilà la seule contrainte efficace, la seule bonne méthode en faveur des travailleurs !
Si cette action ne s'exerce pas sur une plus grande échelle, c'est parce que ceux qui dirigent la C.G.T. n'ont mené ce travail que sous la pression des travailleurs, et à contre-cœur, car ils sont eux-mêmes engagés dans une collaboration avec la bourgeoisie et son Etat. Dans ces conditions, loin d'entreprendre une action d'envergure, ils s'opposent là où ils peuvent à l'initiative des travailleurs, et n'en prennent certaines que pour la forme, comme le "contrôle" sur les marchés des prix de détail.
Les journaux rapportent (11-11) qu'à Lille, 300 anciens prisonniers de guerre ont réquisitionné chez trois grossistes 13 tonnes de pâtes alimentaires qu'ils ont transportées avec les camions de ces derniers aux bureaux du Ravitaillement pour être mises en vente. A la suite de cette intervention, le Ravitaillement a dû débloquer immédiatement 67 tonnes de pâtes qui se trouvaient bloquées depuis des mois chez les grossistes.
La C.G.T., qui implore l'Etat de "réquisitionner les stocks de vin des grossistes dans les chais d'Algérie", pourrait elle-même entreprendre l'action dans ce sens à l'aide des ouvriers, marins, dockers. Elle aurait la force de le faire, parce que toutes les masses travailleuses et pauvres de la ville et de la campagne s'uniraient autour d'une action qui correspond aux intérêts de l'écrasante majorité de la population.
L'action que les Syndicats locaux ont été contraints de mener, et le succès de ces actions, prouve qu'une vigilance croissante des travailleurs sur leurs organisations et une volonté d'action pourraient faire de celles-ci un instrument de lutte contre les accapareurs. Contre l'inertie, la mauvaise volonté ou l'opposition des bureaucrates, il faut se mobiliser pour aller dans la voie du contrôle sur les capitalistes et les gros marchands, et dans la voie de la liaison directe entre la ville et la campagne par l'intermédiaire d'organisations ouvrières.
Aux Etats-Unis
Le journal trotskyste américain The Militant publiait, pendant la campagne électorale aux Etats-Unis, un dessin qui représentait le Capital américain battant le tambour de ses deux bras : "républicain" et "démocrate". C'est bien ainsi qu'il faut comprendre le rôle des politiciens bourgeois, dont l'étiquette ne sert qu'à donner le change, et à rechercher sous quel prétexte, au nom de quelle "idéologie", il est plus facile d'enchaîner le peuple à la politique des classes dirigeantes.
Les "idéologues" bourgeois de "gauche" en France, et les Staliniens en premier, ont présenté le résultat des élections en Amérique comme une victoire du camp réactionnaire sur le camp "progressiste" : il leur est ainsi beaucoup plus facile d'expliquer le pourquoi des agissements actuels de l'impérialisme américain, qu'ils présentaient hier encore comme le rempart de la démocratie.
Le fait qu'il n'y a aucune différence dans les actes de ces deux Partis, est cependant avoué par leurs propres représentants. "La victoire républicaine aux élections ne modifie en rien la politique étrangère américaine", déclare Byrnes. Si l'aile "gauche" du Parti Démocrate, dans sa propagande, rejette ce soutien comme le fait du Président Truman, et se réclame, elle, de la politique démocrate et d'entente entre les peuples de Roosevelt, c'est parce qu'elle escompte que le passé est déjà passé dans l'oubli.
Alors qu'en 1941 le Parti Républicain avait mené la campagne contre Roosevelt sous le slogan de la non-immixtion dans les affaires non-américaines comme le seul moyen de préserver la paix, le candidat républicain aux élections de 1941, Wendell Willkie, fut aussitôt après un des premiers "envoyés spéciaux" de Roosevelt et soutiens de sa politique de guerre. Le républicain Dewey, probablement futur candidat à la Présidence, déclarait inlassablement sous Roosevelt qu'il le soutenait entièrement dans sa politique extérieure et dans la poursuite des buts de guerre de l'Amérique. Il n'y a donc en réalité rien de nouveau dans le fait que Républicains et Démocrates aient mené de concert leur politique sous Truman, et que Byrnes déclare aujourd'hui que la victoire du Parti Républicain ne changera rien à cette politique.
C'est le Parti Démocrate qui a mené l'Amérique dans la première et deuxième guerre mondiale, et c'est lui qui a commencé la préparation de la troisième. Les Partis démocrate et républicain sont unis, hier comme aujourd'hui, sur une même politique extérieure menant à la guerre, celle de la domination de l'impérialisme américain sur le monde entier.
Le Parti Républicain avait mené sa campagne électorale sous le slogan : "Vous en avez assez ? Votez républicain !" L'équipe de rechange "démocrate" avait épuisé son crédit. "Un besoin de changement poussait les masses vers l'opposition", rapportent les journaux. Mais l'équipe de rechange "républicaine" se trouve, même sur le plan intérieur, dans l'obligation de continuer le travail qui avait été celui du Parti Démocrate : de même qu'en France, où les formules des différents partis qui gouvernent pour le compte de la bourgeoisie sont différentes, mais leur action toujours la même.
Les "Républicains" promettent de remédier à une situation qui, sous les "Démocrates", est devenue celle d'une inflation continuelle, de la montée en flèche des prix, avec baisse constante du pouvoir d'achat, de la spéculation et du marché noir (les ménagères des villes américaines ne trouvent ni viande, ni sucre, ni savon), des troubles sociaux gigantesques.
Mais les "Républicains" comme les "Démocrates" ne sont que les agents directement stipendiés du Grand Capital, et les intérêts de celui-ci sont au-dessus des intérêts électoraux de ses agents.
Déjà Truman avait été obligé de renoncer au contrôle sur les prix, pour donner satisfaction au grand patronat qui voulait reprendre par cette voie les concessions de salaires lâchées dans les dernières grèves. Les "Républicains" continueront cette politique de licence aux profits capitalistes. De même, ils ne se montreront pas plus "méchants" vis-à-vis du mouvement ouvrier, car les récentes expériences ont montré aux capitalistes qu'ils ne pourraient pas aller trop loin contre les ouvriers, sans se heurter à une réaction vigoureuse de leur part. Comme les "Démocrates", les "Républicains" continueront l'offensive patronale par la baisse du pouvoir d'achat, l'organisation des bandes fascistes extra-légales, les manœuvres racistes, l'attaque des organisations révolutionnaires.
"Républicains" et "Démocrates" sont l'avers et le revers de la même médaille : celle de la politique d'expansion capitaliste américaine au détriment du reste du monde, y compris de l'Europe agenouillée.
Seul le jeune mouvement ouvrier américain, qui a fait dans les 15 dernières années des progrès gigantesques, reste le gage d'une issue, en même temps que pour le peuple américain, pour les peuples du monde entier.
Bien que nous ayons exprimé notre doute quant à la possibilité pour le P.C.I. d'avoir des députés, nous ne nous attendions nullement à la faillite que représente le recul presque général des voix du P.C.I. dans les anciens secteurs, par rapport aux élections de juin (dans la Gironde, le P.C.I. perd 4.500 voix ; dans l'Isère, 1.000, etc...).
En effet, la situation était très favorable à un regroupement des masses derrière un Parti nouveau, capable de réveiller leur confiance dans une issue nouvelle. Car si le P.C.F. a gagné 500.000 voix au détriment du P.S., on compte un million d'abstentionnistes nouveaux par rapport aux élections d'octobre 45 et de juin 46. Malgré l'existence du P.C.F., les possibilités incluses dans la situation sont démontrées amplement par les 14.000 voix ouvrières qui sont allées au P.C.I. dans la 1ere circonscription de Seine-et-Oise, où le P.C.I. se présentait pour la première fois.
Un Parti sérieux, vraiment populaire, même faible, aurait donc pu au moins grouper autour de lui un nombre croissant de voix ouvrières.
Mais le P.C.I. n'est pas un parti populaire ouvrier. Le P.C.I. représente au point de vue social un groupement de petits-bourgeois rassemblés sur la base du programme trotskyste, mais qui ont été incapables de mettre en pratique ses idées dans la vie quotidienne et dans la lutte ouvrière, et de se transformer ainsi en un Parti ouvrier révolutionnaire.
Le P.C.I. trahit involontairement sa véritable nature sociale dans ces lignes, publiées dans La Vérité du 18-10-46 : "Tant que le P.C.I. n'apparaîtra pas au Parlement pour s'y opposer aux politiciens bourgeois, et utiliser la tribune de la Chambre pour toucher l'ensemble de la classe travailleuse du pays, et, en particulier, les couches qui attachent encore beaucoup d'importance aux débats parlementaires, il aura les plus grandes difficultés à faire admettre son programme et son drapeau à de larges masses de travailleurs. Des élus du Parti Communiste Internationaliste au Parlement seront la garantie d'un développement plus rapide du Parti, et aussi du rebondissement des luttes révolutionnaires du prolétariat français."
Il est évident que toute nouvelle position conquise (parlementaire ou autre) ouvre de nouvelles possibilités pour un parti révolutionnaire. Mais attendre des élections le moyen de se lier à la classe ouvrière, prendre les élections pour le plus court chemin menant aux masses, cela est typique du raisonnement politique petit-bourgeois.
La première question que nous ont posée des travailleurs à qui nous avons demandé de voter pour le P.C.I. a été la suivante : "Qu'ont-ils fait ?" Pour avoir les voix ouvrières, il faut d'abord accomplir un travail révolutionnaire de tous les jours dans les usines, où les travailleurs ont besoin non pas de "stratèges", mais d'éléments capables d'élever leur savoir et leur conscience.
Les élections viennent faire justice des illusions de ceux qui croient pouvoir remplacer ce travail de tous les jours par des slogans et des "manœuvres".
Si le faible rayonnement du P.C.I. dévoile sa situation sociale, celle-ci explique le confusionnisme de sa direction qui n'a pu apparaître que comme concurrente du P.C.F. et non pas comme le Parti révolutionnaire, et en général comme ne sachant pas ce qu'elle voulait. Le P.C.I. demandait leurs voix aux travailleurs, "pour imposer à la bourgeoisie un gouvernement de partis ouvriers". La conclusion inévitable de tout travailleur, sachant que 2 et 2 font 4, ne pouvait être autre que : "Donc il faut voter P.C. ou P.S. et de préférence P.C., puisqu'il est le plus fort et plus "à gauche" des deux.
C'est par les usines que passe la voie vers les masses, et les éléments révolutionnaires du P.C.I. peuvent redresser la situation, s'ils comprennent cette véritable signification du résultat des élections.
Chez Renault, au cours d'une discussion sur les salaires, un ouvrier en arrive à cette conclusion : "Ce qui nous tue, c'est les professionnels, qui gagnent des 60 francs de l'heure, pendant que nous on arrive péniblement à 45. Si ça continue, il n'y aura que les professionnels qui pourront vivre. Pourtant, quand on va chez le boucher, il n'y a pas marqué sur notre front O.S. ou Professionnel. On devrait faire un mouvement, tous les O.S., pour que cela cesse."
Ce à quoi un autre lui rétorque : "Alors, on réajusterait tout le monde à 45 francs. Qu'est-ce qu'il y aurait de changé ? Ne crois pas que ce sont les professionnels qui sont la source de notre misère. S'ils gagnent plus que nous, c'est parce qu'ils sont moins nombreux ; les patrons ont besoin d'eux, c'est pour cela qu'ils les paient un peu mieux pour les garder. Quant aux O.S., tu n'as qu'à les voir tous les matins qui font la queue à la porte"
En effet, la différence des salaires n'a jamais été aussi grande. Mais, si les ouvriers qualifiés sont mieux payés, cette différence est due à leur qualification. Et si, avec son salaire de 60 francs, le professionnel peut vivre un peu mieux que l'O.S., est-ce à dire qu'il arrive pour cela à subvenir à tous les besoins de sa famille ?
Ce ne sont certes pas les ouvriers qualifiés et les techniciens qui représentent un danger pour la classe ouvrière. Ils en sont partie intégrante et sont nécessaires à la production. Leurs salaires représentent leur valeur professionnelle réelle.
Mais, ce qui nous fait du tort, c'est, dans le cadre de l'usine, l'immense armée des improductifs et parasites, les "nourrissons", entretenus sur le dos des travailleurs, payés pour faire la chiourme et les flics, pour pousser les ouvriers à s'exténuer toujours davantage.
Et même ceux-ci, que les ouvriers voient dans les usines, ce ne sont que de petits besogneux en comparaison d'un M. Lefaucheux par exemple, avec son million huit cent mille francs par mois, et derrière lui, tous les actionnaires qu'on ne voit jamais et qui empochent intégralement tout le fruit de notre travail.
Que représentent les faibles ressources de tous les travailleurs, quelle que soit la différence de leurs salaires, face à l'immense pouvoir d'achat de nos exploiteurs et leurs valets ?
Là est le véritable problème.
Mais la C.G.T., qui en paroles prêche journellement l'unité ouvrière, par son attitude de capitulation devant le patronat, contribue à semer la confusion et favorise les manœuvres patronales de division, provoquant ainsi l'opposition entre couches ouvrières plus ou moins bien payées.
Le seul remède efficace, c'est l'unification de la lutte de tous les travailleurs contre leurs exploiteurs communs, pour arracher à ces derniers des conditions de vie plus supportables.
Dans une conversation sur les conséquences de l'inflation, un ouvrier dit :
– Ce qu'on a, c'est de la monnaie de singe. Plus ça va, moins on est riche. Ca finira que les gros s'en iront parce que la France sera trop pauvre.
– Comment, mais eux, ce n'est pas de la monnaie de singe qu'ils ont : ils ont des champs, des châteaux, des mines, des usines, des bijoux...
Un autre ajoute :
– Ils ont toi aussi...
– C'est juste, ils ont toi, ils ont ta sueur, la mienne et celle de tous les ouvriers. Il n'y a que les ouvriers qui n'ont rien et s'il y en a qui doivent partir, finalement, c'est nous ; et encore si on nous laisse faire. Puis, ce ne sera pas une solution. Regarde en Italie, par exemple : les journaux ont rapporté dernièrement que des femmes italiennes ont été trouvées mortes dans la montagne avec leurs enfants, alors qu'elles essayaient de passer en France pour fuir la misère qu'il y a là-bas. Et pourtant, nous savons qu'en France, la situation n'est pas plus brillante. C'est pareil partout. En Belgique, parce qu'on n'y est pas, on nous dit que c'est le pays de cocagne. Pour l'étranger, la France, c'est le pays du relèvement. Mais pour les travailleurs, partout c'est l'enfer. Pour les capitalistes, c'est le paradis partout.
CHEZ HISPANO (Boulevard Brune)
Dans un compte-rendu de la Section syndicale, nous relevons : "Bien que nous affirmions notre attachement au principe des 40 heures qui furent arrachées au patronat après de longues années de lutte, nous œuvrerons pour le retour aux 48 heures pour tout le personnel, pour le maintien du pouvoir d'achat déjà insuffisant en raison du coût scandaleux de la vie. "Chez Hispano, le travail manque, alors la direction se souvient de la loi des 40 h.
La Section syndicale, elle, passe aux aveux. Quand Croizat a établi le principe du travail au rendement, il prétendait respecter le principe des 40 heures, les heures supplémentaires devant offrir à l'ouvrier un surplus de salaire.
Aujourd'hui, la Section syndicale de chez Hispano reconnaît officiellement ce que sait chaque ouvrier, qu'avec 40 heures on ne peut pas vivre.
Mais là où est le comble, c'est que la Section syndicale, au lieu de revendiquer une paye suffisante pour vivre avec 40 heures (ce qui serait l'application du principe des 40 heures auquel elle affirme son attachement), elle lutte pour obliger le patron à saboter les 40 heures.
Voilà une façon étrange de défendre les intérêts ouvriers.
Renault
A une des dernières payes, une ouvrière s'indignait de ce que, dans certains secteurs, on touchait de 47 à 48 francs de l'heure, tandis que dans le sien on ne touchait que 42 à 43 francs, et sa conclusion était : "C'est la faute aux contremaîtres qui ne veulent pas nous régler à plus de 72 minutes dans l'heure."
72 minutes dans l'heure, c'est le maximum auquel on puisse régler sans crever le plafond et, disait un ouvrier, "celui qui, avant la guerre, aurait réglé à 72 minutes, on lui aurait cassé la gueule". Aujourd'hui, tous les ouvriers sont obligés de régler au moins à 72 minutes pour gagner un salaire minimum. Un ouvrier qui règle à 72 minutes gagne 43,20. Pour gagner 48 francs, il doit régler à 80 minutes, d'où un travail plus intensif.
Qu'un salaire de 43 francs soit insuffisant, cela est absolument indéniable, mais un salaire de 48 francs est également insuffisant, et il n'est pas de notre intérêt de chercher à gagner un peu plus en travaillant beaucoup plus, mais de lutter pour revaloriser nos salaires.
Certains pensent que, si les contremaîtres refusent de nous régler au-dessus de 72 minutes, c'est que la maison y a un intérêt, et que le nôtre, au contraire, est de régler à un taux élevé. Or, si nous réglons au-dessus de 72 minutes, il est certain que tôt ou tard nous aurons la visite des chronos. Dans certains secteurs, ils ont déjà révisé les temps. Et, si les contremaîtres ont intérêt à nous faire travailler au maximum puisqu'ils touchent des primes à la production, ils n'ont aucun intérêt à ce que nous crevions le plafond au point de provoquer une descente des chronos, car alors, les temps seront rognés, les ouvriers seront coulés, et la prime des contremaîtres s'en ressentira.
Voilà comment le salaire au rendement de M. Croizat provoque des révisions de chronométrages, et aiguise les antagonismes entre les ouvriers d'une part (les uns jalousant ceux qui gagnent davantage, les autres, plus conscients, les accusant d'être des jaunes) et entre les ouvriers et les contremaîtres d'autre part.
C'est pourquoi la grande majorité d'entre nous est contre le travail au rendement.
Chez Thomson-Favorites
"Si nous avons revendiqué une augmentation de 25%, disait Beaumont à la dernière Assemblée générale de la C.G.C.T., c'est parce que la production a augmenté. Nous revendiquerons une augmentation toujours croissante avec la production."
A ce moment, au Comité d'entreprise, un délégué du C.E. demandait une augmentation de notre taux minute, voulant réduire par là le mauvais travail fourni par des ouvrières qui essayaient par ce moyen de suppléer à une cadence qu'elles ne pouvaient plus forcer. Le problème de la production étant envisagé sous l'angle du rendement individuel, nous étions obligées d'en arriver là dans l'impossibilité soit d'aller plus vite, soit de diminuer.
Le contremaître ayant trouvé la solution : "Baissez votre moyenne ; vous resterez au même tarif, mais à la condition que le travail soit bien fait." Nous avions accepté, mais cela n'a pas pu durer. Il nous faut maintenant reprendre l'ancienne cadence.
Car ce qui importe avant tout à la direction, c'est de ramasser le maximum de profits, de remonter la pente, non pas en améliorant la technique (et cela elle est seule à pouvoir le faire, puisqu'elle détient tous les moyens de production), mais par un surtravail sur le dos des travailleurs.
Si les ouvrières s'en vont, les bénéfices, eux, restent et les prix augmentent. C'est à eux que nous devons lier nos salaires en luttant pour l'échelle mobile et pour le contrôle ouvrier sur la production, seul moyen de faire profiter la classe ouvrière du résultat de ses efforts.
Ayez confiance ...
Les bourgeois, par la voix de M. Bidault, nous invitent à avoir confiance dans la monnaie, parce que c'est la "confiance générale" qui nous fera éviter l'inflation...
Mais ce qui est bon, semble-t-il, pour les salariés et les paysans, ne l'est pas pour eux-mêmes. Le Monde, organe des 200 familles, en fait de confiance, publie cet "Avis important : les abonnements ne pourront plus être souscrits que pour une période de trois ou six mois". Les abonnements d'un an sont supprimés. Leur "confiance" dans la monnaie ne va pas au-delà de six mois...