1946

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 76 – 5ème année – Hebdomadaire (B.I.) le n° 3 francs


LA LUTTE DE CLASSES nº 76

Barta

23 novembre 1946


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DU FRONT POPULAIRE A L'UNION NATIONALE

Les jeux électoraux sont faits, et le citoyen, avec ses droits, renvoyé chez lui. Le peuple, souverain d'un jour, s'est donné des maîtres pour cinq ans. Et ses maîtres agissent en parfaite opposition avec leurs promesses.

Tous les partis de droite, du Rassemblement des Gauches et du M.R.P. à l'Union Gaulliste, ont obtenu la majorité au nom de l'anticommunisme et dans le but d'éliminer du gouvernement le P.C.F. Mais au lieu de former un "GOUVERNEMENT DE SALUT PUBLIC", ils avouent maintenant que leur propre salut dépend d'une collaboration avec le P.C.F. "LA COLLABORATION DES COMMUNISTES SERAIT LA GARANTIE DU TRAVAIL DE LA CLASSE ouvrière QUI A DEJA DONNE DE SI MAGNIFIQUES EXEMPLES DE CIVISME", écrit La Dépêche de Paris (16-11) résumant leurs pensées communes.

Pour donner le change, ils s'opposent "farouchement" à un Thorez président du Conseil. Mais tout change si ce même Thorez porte seulement le titre de vice-président. Ils sont prêts alors à être entièrement solidaires de lui dans les Conseils ministériels.

Pour sa part, M. Thorez (inutile de parler de Léon Blum), n'est pas moins "politicien conséquent" que ses compères de droite.

Avant les élections, il se rajeunissait de dix ans et proclamait "A gauche, rassemblement !" : un nouveau Front Populaire contre la démagogie anti-communiste de la droite.

Comme l'a démontré l'expérience de 1936, un tel gouvernement "antifasciste", d'union avec des Daladier démocrates, serait impuissant à liquider le Vichysme, à arrêter la montée de la réaction qui trouve sa source dans la puissance économique des 200 familles, défendues par tous les Daladier démocrates. Cependant un tel gouvernement avait trouvé son origine dans la lutte des travailleurs contre les capitalistes (Juin 36) et excluait du gouvernement les réactionnaires avérés.

M. Thorez avoue maintenant que son but c'est de former un gouvernement d'où personne n'est exclu, et proclame même la "neutralité" gouvernementale en matière de religion, à la place de la laïcité. Le "Front populaire anti-fasciste" pour liquider le Vichysme, pour exclure du gouvernement les tenants de la réaction cléricale, le M.R.P., et les formations d'extrême-droite, a fait place à l'"Union nationale" de tous les Partis républicains (et qui ne l'est pas !) contre... mais contre qui se sont formés depuis toujours les gouvernements d'u-nion nationale ?

Depuis la collaboration de Millerand le "socialiste" et de Galliffet, bourreau de la Commune, dans le ministère de Waldeck-Rousseau, depuis l'union sacrée 14-18, en passant par Poincaré, jusqu'à l'union sacrée de 39, tous ces gouvernements, toutes ces coalitions ont été nécessaires pour ligoter les travailleurs et les petites gens quand la bourgeoisie avait besoin de rejeter sur eux brutalement de nouveaux fardeaux (opérations financières, etc.) C'est ce "magnifique exemple de civisme", la résignation aux entreprises des capitalistes, que La Dépêche de Paris attend de la classe ouvrière, grâce à M. Thorez.

Au lieu de réaliser l'unité des masses travailleuses contre la réaction et le Vichysme, pour permettre la construction d'une France nouvelle, ouvrière et paysanne, Thorez s'apprête à réaliser l'union des ministres communistes avec des ministres réactionnaires et vichystes, contre les masses travailleuses, pour sauver l'ancienne France, la France des capitalistes et des 200 familles.

Dans de "retentissantes" interviews accordées à l'organe officiel du capital anglais, le Times, et à l'agence améri-caine I.N.S., Thorez fait savoir qu'il existe "d'autres voies dans la marche au socialisme que celle du communisme russe" et que le Parti communiste "dans son activité gouvernementale et dans le cadre du système parlementaire qu'il a contribué à rétablir, s'en tiendra strictement au programme démocratique".

En fait de programme démocratique, réalisé "dans le cadre du système parlementaire", laissons parler M. Yves Farge. Celui-ci ne s'était pas proposé d'accomplir des réformes démocratiques à la place de la révolution, de nettoyer la maison faute de pouvoir la transformer. M. Farge a voulu simplement, "dans le cadre du régime parlementaire", déférer à la justice des voleurs, de simples voleurs. Mais que s'est-il passé ? "LORSQUE, LE 1er OCTOBRE, J'AI ANNONCE EN QUELQUES MOTS DU HAUT DE LA TRIBUNE DE L'ASSEMBLEE NATIONALE QUE J'AVAIS DEPOSE ENTRE LES MAINS DU GARDE DES SCEAUX LE DOSSIER DU VIN, J'AI VU, ET VOUS AVEZ VU, LES COLONNES DU TEMPLE PERDRE LEUR EQUILIBRE. JE N'AVAIS FAIT QUE RASSEMBLER DES DONNEES CONNUES DE TOUS LES INITIES RETENUS PAR JE NE SAIS QUELLE PEUR, QUELLE SOLIDARITE DE LA CONCUSSION OU LA LACHETE ; JE N'AVAIS FAIT QUE REMETTRE A LA MAGISTRATURE DE MON PAYS DES DOCUMENTS ETABLISSANT QUE, SUR LA MISERE DES PRODUCTEURS ET DES CONSOMMATEURS, ON AVAIT REALISE PLUS D'UN MILLIARD DE BENEFICES FRAUDULEUX. VOUS AVEZ ENTENDU LE TAPAGE ? VOUS AVEZ ASSISTE COMME MOI A CETTE PANIQUE QUI PRIT MEME UN ASPECT POLITIQUE, SI BIEN QUE J'AI PREFERE GARDER JUSQU'A CE JOUR LE SILENCE."

Pour punir de simples voleurs, les colonnes du temple "démocratique" de Thorez perdirent leur équilibre. Il en avait été de même, quand, le 30 septembre, un député nord-africain, Ferhat Abbas, avait essayé de dévoiler simplement une partie de la vérité sur l'attitude de l'administration en Afrique du Nord.

Que se passerait-il si les ministres communistes essayaient de faire plus, de démocratiser le régime ? Le temple s'écroulerait sans aucun doute.

Nous voyons qu'en abandonnant la voie russe, c'est-à-dire la voie d'un gouvernement ouvrier et paysan, M. Thorez a renoncé non seulement à la révolution, mais à la plus élémentaire démocratie. Car la voie des Communistes russes de 1917 était elle-même le résultat de toute l'expérience démocratique du mouvement ouvrier au XIXème siècle, en France, en Allemagne et partout.

C'est parce qu'ils restent fidèles à la leçon des Communistes russes de 1917 que les ouvriers révolutionnaires de France, en luttant pour un GOUVERNEMENT OUVRIER ET PAYSAN, sont les seuls défenseurs réels des masses travailleuses contre les entreprises des 200 familles et leurs valets.


DERNIERE INCARNATION DE L'ETAT

En intitulant un de nos précédents articles : "L'Etat, voleur n° 1", – pour montrer comment, à côté et pour la classe capitaliste, l'Etat bureaucratique gaspille le plus clair du revenu national –, tous ceux qui n'en ont pas fait l'expérience, auront pu croire à une exagération de notre part, à une "tactique" destinée à noircir outre mesure ce que nous voulons voir détruit et remplacé.

Mais si auprès de certaines personnes "avancées" et cependant bien pensantes dès qu'il s'agit de l'Etat, nous, révolutionnaires, sommes sujets à caution, laissons parler les défenseurs même de l'ordre social actuel.

Les agents de l'Etat, nous explique d'abord M. Pierre Audiat dans Le Monde (14-11), ne connaissent pas et ne peuvent pas connaître la situation de ceux qu'ils sont appelés à contrôler. "Que voulez-vous que fasse un employé, demande-t-il, si honnête et si zélé qu'il soit, contre, par exemple, un marchand de bestiaux qui parle le patois de ses clients, connaît mieux que son pater les étables et leur contenu à dix lieues à la ronde ? L'infortuné ressemble à ces nigauds de foires, qui, les yeux bandés... etc..."

Or, si en temps ordinaire, l'Etat pouvait se limiter à son rôle d'organe de répression contre les travailleurs ou d'arbitrage entre les capitalistes, il doit aujourd'hui, devant la faillite des méthodes capitalistes de production et de répartition, introduire un minimum d'ordre pour empêcher les masses de se révolter.

Quelle est donc la solution du respectable journaliste dans le bien-pensant journal, après avoir constaté l'entière incapacité des organes de l'Etat dans les tâches administratives réelles ?

En partant des mêmes prémisses : l'impuissance de l'Etat à remplir des fonctions vraiment constructives pour les masses, - quelle est la conclusion respective des révolutionnaires "amoraux", et du "respectable" journaliste qui parle au nom des 200 familles ?

Il faut des gens compétents : c'est là une conclusion commune.

En conséquence, écrivions-nous, "IL FAUT QUE CE SOIENT LES VERITABLES INTERESSES QUI S'OCCUPENT SEULS DE LEURS AFFAIRES ET NE LAISSENT PAS CE SOIN A LEURS ENNEMIS : LES OUVRIERS ET LES EMPLOYES SONT LES VRAIS ALLIES DES MASSES POPULAIRES. LES SEULS QUI PEUVENT ETRE VIGILANTS, QUI PEUVENT ORIENTER LA PRODUCTION ET LA REPARTITION VERS LE GRAND PUBLIC, VERS LE CONSOMMATEUR PAUVRE, C'EST-A-DIRE AUSSI VERS EUX-MEMES, ET NON PAS VERS LES RICHES PARASITES QUI VIVENT DE DIVIDENDES ET DE SPECULATION". Ouvriers et paysans connaissent de par leur propre activité ce qu'est la production : seul le filet aux mailles très étroites du contrôle populaire peut remplir les tâches que l'Etat est INCAPABLE d'exercer.

Mais M. Pierre Audiat, lui, écrit : "On voit bien ce qu'il faudrait : que dans chaque secteur du ravitaillement un maître fraudeur, un expert du marché noir passât, pour sauver sa peau, au camp de l'ennemi, c'est-à-dire de l'autorité et la servît avec zèle... Au reste, cela ne constituerait point un précédent scandaleux : Balzac l'autorise en nous montrant Vautrin, forçat évadé, bandit hors la loi, terminer sa carrière comme chef de la Sûreté. Qu'une douzaine de Vautrin tiennent en main les leviers du contrôle économique, fraudeurs et voleurs comprendront que c'est sérieux."

Telle est la crainte de ces messieurs à l'égard des travailleurs, qu'ils en deviennent stupides, et pour tout remède, voudraient livrer l'Etat à des trafiquants, convertis en pères nourriciers de leurs anciennes victimes.

Mais, est-il obligé de constater - et c'est par la bouche du journaliste bourgeois que se confirme la justesse de notre titre - "malheureusement nous n'en sommes pas là, et nous voyons plus souvent l'inflexible Javert se transformer en Vautrin que Vautrin s'incarner finalement en Javert".

Si on dépouille cette phrase de sa forme littéraire, M. Audiat dit en somme ce que nous exprimions crûment : "L'ETAT AGIT COMME UN GENDARME QUI PARTICIPE, AVEC LES BANDITS QU'IL DOIT EN PRINCIPE EMPECHER DE NUIRE, AU PARTAGE DU BUTIN."

Dans sa dernière phase de putréfaction, l'Etat bourgeois, de l'aveu même de ses soutiens, a comme symbole le bagnard Vautrin.


Qui lutte contre la guerre ?

UNE RESOLUTION DE SYNDICATS AUX ETATS-UNIS

Dès l'annonce de la grève des 400.000 mineurs américains, le gouvernement des Etats-Unis faisait connaître son intention d'arrêter l'exportation de charbon. Il est d'autant plus facile ici à la propagande officielle de présenter ces grèves comme se retournant "contre nous", que la France souffre d'une grande pénurie de charbon. Et ce n'est assurément pas cette propagande qui expliquera aux ouvriers la véritable signification du mouvement gréviste américain.

Le mouvement gréviste américain ne doit pas son ampleur et sa persistance uniquement aux luttes revendicatives de demandes d'augmentation des salaires. Le mouvement ouvrier américain a aujourd'hui le caractère d'une résistance aux capitalistes sur tous les terrains, d'une lutte contre la décomposition générale du régime économique, politique et social.

Alors même que le retour de l'industrie de guerre à l'industrie de paix ne s'est pas entièrement effectué, une crise de "surproduction" se développe déjà aux Etats-Unis. De par la montée incessante des prix dûe à l'inflation et à la soif de profits des capitalistes, le pouvoir d'achat des masses populaires décline et les empêche d'avoir accès aux marchandises qu'elles continuent à produire en quantité croissante.

Les capitalistes américains cherchent fiévreusement des débouchés extérieurs pour leurs marchandises, mais la guerre, qui a ruiné leurs principaux concurrents, leur a aussi enlevé leurs acheteurs, en appauvrissant à l'extrême la presque totalité des pays du monde.

En fin de compte, la politique de l'impérialisme américain. se traduit par la préparation d'une nouvelle guerre qui doit lui ouvrir, par la force, les débouchés économiques qui lui échappent. La préparation de cette nouvelle guerre est la première cause de l'inflation, qui est à la base de la montée incessante des prix. Officiellement, 40% du budget américain sont absorbés par les dépenses militaires.

Toute cette situation, si elle pèse sur l'humanité entière, pèse aussi directement sur les masses travailleuses américaines. C'est contre cela qu'elles luttent : non pas seulement pour l'amélioration immédiate de leur niveau de vie déclinant, mais contre les causes mêmes du mal.

Le mouvement ouvrier américain dénonce les profiteurs qui "ont récolté des bénéfices énormes, pendant que les travailleurs et les soldats-travailleurs américains ont dû subir des sacrifices sans nombre". Une résolution du Conseil des Syndicats industriels tenu à Flint flétrit "l'alliance immorale des intérêts financiers et des politiciens qui utilisent l'énergie atomique pour la préparation de la guerre mondiale n° 3. L'Amérique dépense 18 billions de dollars pour la guerre, tandis qu'elle refuse 2 billions pour les anciens combattants". La résolution continue : "Quoique les ouvriers américains n'aient aucun intérêt à mener une nouvelle guerre pour obtenir du pétrole en Iran, en Chine et en Europe au bénéfice des intérêts pétroliers, le gouvernement américain établit ses bases sur tous les points du globe." Le Conseil se prononce pour "LE RETRAIT DE TOUTES LES TROUPES DES QUATRE GRANDES PUISSANCES DES TERRITOIRES OCCUPES, ET DEMANDE AU PRESIDENT EU AU CONGRES DE RETIRER IMMEDIATEMENT NOS TROUPES D'OCCUPATION".

C'est dans cette revendication des ouvriers américains que réside pour le monde entier la seule chance, la seule garantie d'un pas réel vers la paix. Car, tant que sur tous les points du globe des troupes restent face à face, la guerre est en permanence à l'ordre du jour, malgré tous les bavardages des hommes d'Etat sur le "désarmement" et les "ententes souhaitables", qui n'ont cependant jamais lieu.

La presse essaie d'exploiter ici, à des fins de propagande capitaliste, le mouvement gréviste américain. Mais si la propagande des capitalistes et social-chauvins essaie de mettre en lu-mière tous les "inconvénients" qui naissent de cette lutte, ne pourrait-on pas leur rappeler qu'au moment où ils prétendaient mener la guerre pour la démocratie, ils ont écrasé le monde sous les bombes en disant que c'était là un mal nécessaire ? Cependant, nous n'avons eu ni la démocratie, ni la réalisation d'aucune des promesses impérialistes.

Par contre, la lutte ouvrière américaine est notre lutte. C'est aussi la seule lutte concrète contre la troisième guerre mondiale qui menace. Nous devons la mener et la soutenir de concert avec le prolétariat américain. Car, comme l'écrivent nos camarades des Etats-Unis : "Nous croyons que la lutte des ouvriers contre les capitalistes est internationale. Les mêmes grands trusts de l'acier, de l'auto, du pétrole qui oppriment les ouvriers aux Etats-Unis, étendent leurs tentacules à travers les Océans et oppriment les travailleurs de la lointaine Asie, d'Afrique, d'Europe et d'Amérique latine. Le succès des travailleurs dans d'autres pays affaiblit le capitalisme ici. Les défaites subies par nos frères de classe ailleurs tendent à stabiliser le Grand Capital en Amérique."

Dans la lutte contre la misère et la nouvelle guerre menaçante, le mouvement ouvrier américain nous montre le chemin


UNE PREMIERE REPONSE

Dans l'une des communes de la 1ère circonscription de Seine-et-Oise, à Goussainville, 151 travailleurs ont voté trotskyste sur la liste du P.C.I. C'est dans cette même commune que notre camarade Mathieu, assassiné par les Staliniens pour son activité internationaliste, a aidé, sous l'occupation, nombre de camarades ouvriers à échapper au S.T.O. ou à revenir d'Allemagne avec de faux-papiers. C'est dans cette même commune que nos camarades, ouvriers honnêtes et conscients connus par la population, ont été calomniés et traqués par les agents staliniens, pour leur propagande révolutionnaire et internationaliste.

151 travailleurs – 10% du total des votants P.C.F. – ont répondu à la calomnie stalinienne en votant trotskyste. Et sûrement que la grande majorité des travailleurs qui ont voté P.C.F., à part une infime minorité, réprouve ses procédés. Les travailleurs de Goussainville nous aideront à faire toute la lumière sur la véritable nature des militants ouvriers révolutionnaires, et sur celle de leurs assassins.

...ECHOS...


LE STATUT DES OUVRIERS FRONTALIERS BELGES

Avant la dévaluation, les ouvriers frontaliers belges pour 1.000 francs français touchaient 780 francs belges. Ils en touchent aujourd'hui les 36%, soit 360 fr. C'est cette situation qui les a poussés dernièrement à la grève pour le rétablissement du "change préférentiel".

Non contents d'être intervenus pour faire cesser cette grève, C.G.T.B.  et Syndicat chrétien ont mis sur pied un "statut des frontaliers", "réglementant" – en fait freinant – l'activité des travailleurs. Dans ce statut, les responsables "socialistes" et staliniens de la C.G.T.B. exigent que, pour se mettre en grève, les frontaliers aient la permission... de la C.G.T. française ! Le Syndicat chrétien a la partie belle pour se poser démagogiquement, en paroles, en champion du droit des travailleurs à régler leurs propres affaires. Voilà comment la politique policière anti-ouvrière des "socialistes" et staliniens de la C.G.T.B. permet les manœuvres de division du Syndicat chrétien, et, en essayant d'imposer aux frontaliers un contrôle extérieur bureaucratique, aiguise les antagonismes avec leurs camarades français.

Devant une nouvelle dévaluation imminente, le rétablissement même du change préférentiel n'est pas une solution pour le travailleur belge, et rencontre l'hostilité de beaucoup d'ouvriers français. Seul un rajustement général des salaires, garanti par l'échelle mobile, peut souder la masse des travailleurs français et belges en un seul bloc, par-dessus les entraves bureaucratiques, et garantir aux frontaliers le retour à leur ancien standard de vie.


CHEZ CARNAUD

La production est très poussée, particulièrement parce que ce sont des femmes : par exemple, au sertissage il faut en faire 1.50O à l'heure sans poseuse de fond ou 2.000 avec poseuse de fond. Dans le coin des chaînes de bidons, il y a 6 chaînes et, vu le manque de place, il y a déjà eu 4 ouvrières qui ont eu les cheveux arrachés dont une le cuir chevelu. Par suite de la vitesse demandée, beaucoup d'ouvrières se coupent assez grièvement.

Une déléguée nous demande, pour les jours de travail avec électricité, si nous préférons le dimanche ou bien la nuit ; nous en profitons pour dire : c'est le moment ou jamais d'introduire la semaine de 40 heures au prix du salaire de 47 h. 1/2. Mais la déléguée répond : mais c'est de la démagogie, actuellement il faut penser à la production, et d'abord les patrons n'accepteraient pas...

Sans penser à la "production", les patrons, eux, payent aux ouvrières des salaires de famine et les laissent travailler dans des conditions inhumaines.


CHEZ RENAULT

Un responsable syndical, faisant du zèle, éteint la lumière à un moment où le travail est encore pénible sans lumière. Devant les protestations des ouvriers, il prétend obéir aux ordres de la section syndicale pour parer au déficit.

Ainsi, pour parer au déficit d'électricité, messieurs les "défenseurs" de la classe ouvrière ne trouvent rien de mieux que d'économiser sur les yeux des ouvriers... Pendant ce temps, la lumière coule à flots aux eaux de Versailles et à toutes les parades chauvines, il ne manque pas une ampoule dans les boîtes de nuit, et on se garde bien de prélever une once de charbon sur la ration des grands hôtels.


ATTENTION AUX MANŒUVRES PATRONALES

Le programme des coupures d'électricité a entraîné une nouvelle répartition des heures de travail. Les patrons ne veulent pas supporter les inconvénients de cette nouvelle réglementation (comme ils ne veulent en général rien supporter), et cherchent à les rejeter entièrement sur le dos des ouvriers. Comme les nouveaux horaires de travail obligent certaines industries à faire le travail de nuit et le dimanche (qui constitue une grande fatigue supplémentaire pour les ouvriers), les patrons cherchent en plus des "trucs" pour tourner la loi sur les heures supplémentaires et le travail de nuit.

C'est ainsi que pour cette quinzaine, chez Carnaud, les ouvriers travailleront 57 heures une semaine, et 40 heures la semaine suivante. Mais au lieu de payer les heures supplémentaires sur la première semaine : 9 heures à 25% et 9 heures à 50%, le salaire portera sur la quinzaine, c'est-à-dire 80 heures, avec 16 heures supplémentaires payées à 25% et une heure à 50%. La loi hebdomadaire des 40 heures étant faite pour empêcher que les ouvriers ne soient surmenés et surexploités, c'est un vol manifeste que de payer les heures supplémentaires sur la base de 80 heures.

Comme des manœuvres de ce genre se produiront certainement dans toutes les usines, les ouvriers doivent être vigilants et ne pas tolérer des opérations qui constituent des vols sur leurs salaires.


Conversation ouvrière

Le Métallo, dans chacun de ses numéros, rend régulièrement compte des millions de francs de cotisations ouvrières consacrées aux œuvres sociales.

Mais, comme tout cet argent ne suffit encore pas à soulager toutes les misères engendrées par le système d'exploitation capitaliste, le Comité d'entreprise de la R.N.U.R. vient de lancer un appel à une tombola "gratuite", concluant : "Tous les participants auront à cœur d'acheter des actions aux œuvres sociales".

Un responsable syndical qui recommandait l'achat de ces actions s'est attiré la réponse suivante :

– Les œuvres sociales, on s'en fout ! ce n'est pas à nous de payer, c'est aux patrons. C'est une honte de voir que la C.G.T. utilise nos timbres à cela, au lieu de constituer des fonds de grève en cas de mouvement.

– Les grèves, mais il n'en faut pas. C'est l'arme de la réaction. Le jour où il faudra une grève, la C.G.T. vous le dira et elle sera à même de prendre ses responsabilités.

Un autre enchaîne :

– Comme elle a fait dans le temps.

– Comment ?

– Eh bien ! en les sabotant. La C.G.T. est contre les grèves, notre seule arme. C'est pour cela qu'elle nous trahit. Elle a saboté la grève des cheminots, celle des P.T.T., celle des Postes.

– C'est parce que c'étaient des grèves partielles. Et des grèves partielles, cela ne rend rien. Vous devriez étudier le marxisme...

– Qui n'enseigne pas de briser les grèves, même partielles.

– Mais on est en 1946, camarades, ça a changé. Les ouvriers sont illettrés. Si on faisait une grève, ils ne suivraient pas.

Protestation de tous les ouvriers présents : "Eh bien ! alors, qu'est-ce qu'il lui faut..."

Un autre responsable intervient et essaie d'expliquer que la source de nos maux, c'est l'ignorance des ouvriers, qui sont souvent illettrés. Il s'attire cette réponse : "Ils ont donc désappris à lire depuis 1936 ?"


La représentation ouvrière chez Renault

Le journal Action a consacré un grand article à démontrer que depuis la nationalisation de l'usine, les ouvriers ont une part active à la gestion de l'entreprise. Au cinéma, on nous a également montré les ouvriers de la R.N.U.R. comme étant un peu propriétaires.

En fait, malgré la nationalisation, les ouvriers de chez Renault sont parmi les plus mal payés de la région parisienne (43 frs. de l'heure), et il ne se passe pas de semaine sans que des ouvriers apportent des preuves à leurs délégués que dans telle ou telle boîte les salaires sont plus élevés pour une cadence plus faible.

Les ouvriers participent à la gestion de la maison par l'intermédiaire du Comité d'Entreprise. Ceux des ouvriers qui avaient plus d'un an de maison, ont été invités à se prononcer une fois par vote, pour désigner ceux qui les représenteraient au Comité d'Entreprise. Quant à la grande majorité des ouvriers, ils ne connaissent même pas leur représentant.

Or, que fait le Comité d'Entreprise ?

Il collabore avec la Direction sur les questions auxquelles celle-ci lui permet de collaborer. Sa tâche principale, c'est de pousser les ouvriers à la production. Ces jours-ci, on a apposé une note sur les panneaux syndicaux invitant les ouvriers à la participation à un concours ayant pour thème : "Comment développer la production ?"

Le rôle du Comité d'Entreprise a été, suivant M. Lefaucheux, Président-Directeur de la R.N.U.R., de "contribuer à éclairer le personnel sur les difficultés de l'entreprise ("on ne peut vous donner que 22,5% au lieu de 25%, la Régie serait en déficit"). Toujours d'après M. Lefaucheux, le rôle du Comité d'Entreprise a été "d'utiliser au maximum chacun des membres du personnel. Les ouvriers de la R.N.U.R. doivent produire beaucoup, car maintenant ils ne travaillent plus pour le seigneur de Billancourt, mais pour eux-mêmes". Mais M. Lefaucheux, là encore, nous spécifie que "la Régie Nationale n'appartient pas à son personnel, mais à la Nation (voire l'Etat)". Et comme disait un ouvrier : "Nous ne travaillons pas pour nous-mêmes, nous sommes la vache nourricière de l'Etat qui peut spéculer avec les devises que fournit notre production, puisque tout est exporté.

Un dernier rôle du Comité d'Entreprise, c'est de faire le mouchard. Certains ouvriers, tout en le payant, mangent un deuxième repas à la cantine (c'est certainement qu'ils ne sont pas gavés avec un seul) et, paraît-il, des ouvriers étrangers à l'usine viennent aussi prendre leur repas à la cantine chez Renault. L'Accélérateur, journal du Comité d'Entreprise, traite ces ouvriers de voleurs. Si, comme le dit M. Lefaucheux, la Régie est propriété de la Nation toute entière, y a-t-il tant de mal à ce que des ouvriers étrangers à l'usine bénéficient de certains avantages réservés au personnel ? Et s'il faut traiter quelqu'un de voleur, n'y a-t-il pas suffisamment d'actionnaires qui empochent de superbes dividendes, de concessionnaires qui, pour la vente d'une simple Juvaquatre, s'octroient 14.950 frs., et enfin, l'Etat, au cours de l'exercice 1945, sous forme d'impôts, la coquette somme de : 399.423.419 frs.95.

Et c'est contre quelques ouvriers qui resquillent de temps en temps un quart de pinard, quand le ravitaillement n'en fournit pas, que le Comité d'Entreprise demande à la Direction de prendre des mesures de contrôle sévères contre cette "immoralité" (sic).

C'est cela, la représentation ouvrière au "Comité d'Entreprise" de chez Renault.


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