1946

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 77 – 5ème année – Hebdomadaire (B.I.) le n° 3 francs


LA LUTTE DE CLASSES nº 77

Barta

30 novembre 1946


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LES "MESURES COURAGEUSES" ET LE NOUVEAU GOUVERNEMENT

L'élection du "Conseil de la République"  a mis un terme aux EPREUVES DE FORCE électorales qui se succèdent depuis un an entre les partis.

A présent, chaque parti doit justifier ses prétentions antérieures et s'efforcer par conséquent de donner l'illusion qu'il possède véritablement des solutions, qu'il est capable de nous tirer d'une situation tous les jours plus insupportable.

Une première "mesure courageuse" dont il était question avant les élections, pour "sauver le franc", vient d'être proposée par M. Schuman. Ce que le ministre des Finances a trouvé, en fait d'économies budgétaires, c'est la suppression de 50 milliards de subventions qui maintiennent les prix actuels de quelques denrées de première nécessité, comme le lait et le blé, et des transports. M. Schuman dépasse tout ce qu'on avait pu imaginer en matière d'"ironie" financière bourgeoise : pour limiter l'inflation qui sape tous les jours le pouvoir d'achat des masses et ruine les travailleurs, il veut organiser tout simplement une nouvelle hausse des prix ; augmentation du prix du métro, des chemins de fer, du lait, du pain, etc...

Pour ce qui est des chefs du P.C.F., "Maurice Thorez a répété que la clé de tout, demain comme hier, serait l'effort de production, L'ENTHOUSIASME AU TRAVAIL DANS LES MASSES DU PEUPLE." (Huma, 28 novembre).

A gauche comme à droite, les "mesures courageuses" sont destinées aux masses laborieuses. Confisquer les bénéfices et les super-bénéfices réalisés par les capitalistes dans le sang que le peuple a versé à la guerre, exproprier les monopoleurs, arrêter les trafiquants, supprimer les crédits militaires qui alimentent un corps d'officiers pétainiste, tout cela c'est bien entendu de la démagogie pour nos bien pensants ministres.

Car si la direction du P.C.F. fait grand tapage sur SON "programme" de gouvernement, qui ne voudrait la renaissance économique, la modernisation de l'agriculture, un bon ravitaillement, la liquidation du vichysme, etc ?... Seulement, COMMENT CE PROGRAMME SERA-T-IL REALISE ? Faut-il que ce beau programme reçoive l'adhésion d'une majorité parlementaire comprenant non seulement le Parti socialiste, mais aussi le M.R.P. ou le Parti radical ? Le même problème s'est posé il y a un an. Malgré la majorité P.C.-P.S. d'octobre 1945, malgré des déclarations répétées du Populaire ou de L'Humanité sur la nécessité de mesures courageuses liquidant le vichysme, la réduction des crédits militaires, etc..., rien n'a été fait.

Si les chefs staliniens ont farci leur programme de belles phrases de renaissance et de bien-être du peuple, ils n'en feront jamais une réalité, puisqu'ils ne proposent aucune mesure réelle contre la puissance économique et politique de la bourgeoisie. Ce n'est pour eux qu'un alibi pour justifier leurs promesses antérieures ; ensuite ils ne manqueront pas d'invoquer que l'échec est dû aux autres partis, qui n'ont pas donné leur adhésion, ou qui ont repoussé la présidence de Thorez, ou bien qui ne l'ont pas soutenu assez, etc...

Mais un parti qui prétend représenter vraiment les intérêts démocratiques et économiques de l'écrasante masse des travailleurs, contre une minorité de spéculateurs et d'exploiteurs qui consom-ment en ce moment la ruine du pays, si le programme n'est pas pour lui une tromperie pour sauver sa face après avoir obtenu des sièges au Parlement et au Gouvernement, ce parti doit proposer son programme directement aux masses travailleuses et leur tenir le langage suivant :

"Que prouve l'expérience depuis un an ? Elle prouve qu'au moment où il s'agit d'assurer l'existence de tous les jours de la majorité écrasante de la population, où chaque jour met en jeu l'avenir du pays, les formes traditionnelles de gouvernement ont fait faillite. Rien ne peut être réalisé par le Parlement en faveur des masses populaires et du relèvement à la base du pays. Car le Parlement n'est pas une institution agissante, mais une institution parlante où les mots servent à cacher ce que les partis font, et où on ne peut pas examiner à la lumière des faits la valeur de ce que fait réellement chaque Parti."

"Luttons ensemble pour constituer un GOUVERNEMENT OUVRIER ET PAYSAN, c'est-à-dire un Gouvernement s'appuyant directement sur le peuple travailleur réuni dans ses Comités d'usine et de quartier. Un tel Gouvernement correspond aux traditions véritablement démocratiques de la France : l'organisation des travailleurs indépendamment des institutions de la bourgeoisie, réalisée par la Commune de Paris de 1871, re-monte en effet à la Révolution de 17. C'est de cette façon que les communistes russes, en 1917, ont pu transformer un pays, dont la ruine était consommée, en la deuxième puissance industrielle du monde.

C'est seulement de cette façon que nous pourrons réaliser le programme qui nous sauvera, nous, travailleurs. Dans cette voie, nous aurons l'appui de la population laborieuse de tous les pays, et ce n'est pas avec les banquiers de Washington et de Londres, mais avec les travailleurs des Etats-Unis, d'Angleterre, d'Asie, que nous forgerons un monde nouveau."


Un programme populaire de redressement du pays à la base ne peut pas être réalisé par le Parlement et le Gouvernement bourgeois. C'est ainsi que, depuis de longs mois, on avait répandu l'illusion qu'il existait un plan de reconstruction, appelé le "plan Monnet" , qui menait soi-disant au redressement économique du pays. Aujourd'hui que ce plan est devenu public, on voit qu'il ne s'agit que d'une aide de l'Etat aux capitalistes ; non pas de l'utilisation de toutes les ressources de la nation dans un but unique de réalisations techniques, mais de "conversations autour d'une table de restaurant" avec les banquiers (Le Monde, 28-11). L'Etat aidera les capitalistes et ceux-ci n'en continueront pas moins à mener entre eux une guerre de concurrence économique dont les victimes seront les consommateurs.

Tout ceci nous laissera en l'état. Le programme des chefs staliniens ne leur est nécessaire que pour camoufler leur participation à un Gouvernement d'union nationale, sous prétexte de relèvement du pays, et à couvrir l'offensive de la bourgeoisie contre les ouvriers. Les seules mesures courageuses qui seront prises, ne le seront pas contre les capitalistes, mais contre les masses populaires, et il n'y aura pas une seule ligne du programme de Thorez qui sera réalisée en leur faveur.

Mais la situation des masses laborieuses devient tous les jours plus angoissante ; et c'est dans la lutte à laquelle recourront les travailleurs, débarrassés de toutes les illusions réformistes, que se trouve le point de départ de la reconstruction économique et démocratique de la France ouvrière et paysanne.


30 NOVEMBRE 38

Cette date évoque un triste souvenir pour de nombreux ouvriers. C'est, en effet, avec le 30 novembre 38 que commence le recul de la classe ouvrière qui aboutira à la guerre. Au moment où la C.G.T. se réunissait en Congrès à Nantes, au milieu de novembre 38, le gouvernement Daladier et Reynaud commençait sa politique d'écrasement de la classe ouvrière, par les décrets-lois. Ces décrets-lois étaient une première atteinte sérieuse aux conventions collectives chèrement acquises dans les combats de 36. 

C'est à ce moment que Daladier "assouplit la loi de 40 heures". Une large brèche est taillée dans les     Conventions Collectives, notamment en ce qui concerne le choix des délégués. Les Congressistes de Nantes "condamnent" les mesures gouvernementales, et organisent une journée de protestation nationale pour le 26 novembre. Mais si la C.G.T. envisage l'action, c'est que les ouvriers DEPUIS LONGTEMPS ONT DEJA ENGAGE L'ACTION.

En effet, durant le mois de novembre 1938, des grèves gigantesques éclatent dans tout le pays. C'est devant la poussée ouvrière que la C.G.T. organise la journée de protestation en vue de canaliser le mouvement. Mais les ouvriers sont impatients et ne peuvent attendre la protestation platonique du 26 novembre. Dans la région parisienne, dès le 24 novembre, la bagarre s'engage ; les ouvriers cessent le travail chez Renault, Caudron, Bloch et Blériot, à Billancourt, ainsi que dans de nombreuses autres usines.

C'est chez Renault que le conflit entre dans la phase la plus aigüe. Timbaud  en donne la raison (Le Peuple du 25 nov.) :

"Aux usines Renault, on a affiché dans un atelier où on travaillait 32 heures depuis un an, un nouvel horaire comportant 40 heures en 6 jours. A l'usine des moteurs d'aviation on a indiqué qu'on n'appliquerait plus les Conventions Collectives de l'aviation, ce qui amènerait une diminution des salaires. Dans la matinée, un ouvrier a été renvoyé ainsi que deux militants ; en outre, et on ne saurait s'élever suffisamment contre cette mesure, la Direction voulait imposer de nouvelles élections de délégués sur la base des nouveaux décrets-lois, qui auraient dû signer l'acceptation des mesures inclues dans les décrets-lois."

En apprenant ces mesures, les ouvriers envoient aussitôt les délégués à la Direction, qui refuse de les recevoir. Immédiatement le travail cesse. Dans toutes les usines, les ouvriers sont expulsés par la police. Chez Caudron et chez Renault, les ouvriers tiennent l'usine et dans la journée du 24, 15.000 ouvriers occupent Renault. La police entre en action pour évacuer les lieux. Malgré les appels "au calme" des dirigeants syndicaux, les ouvriers refusent de quitter l'usine.

Devant la ténacité des ouvriers, Doury  et Croizat lancent une mise en garde contre les provocateurs, comme si la provocation ne venait pas uniquement du patronat et de la police. Mais les ouvriers tiennent bon. Voici ce que quelques-uns racontent de ces journées :

- "Il y avait des types drôlement gonflés ; dans un secteur ne possédant qu'une issue par un souterrain, nous avons déposé plusieurs tonneaux d'essence. Lorsque les flics sont arrivés, des gars se sont élancés avec des torches enflammées, prêts à tout faire sauter. Devant cette menace, la police a reculé. Il y a eu de drôles de bagarres, des flics ont été tués et jetés à la Seine."

- "Ca a bardé, j'ai pris quelques coups de matraques. A la fin, nous avons dû céder. Les flics et les pompiers nous ont attaqués aux gaz par les toits. Sur le pont qui conduit dans l'île, il y a eu des bagarres sanglantes. Huit jours après, on a retrouvé à la passerelle de Suresnes des ouvriers noyés qui étaient encore empoignés avec des flics. Les journaux n'ont jamais parlé qu'il y avait eu des morts, mais il y en a eu des deux côtés."

- "Quand les flics se sont amenés, il y a eu des bagarres et beaucoup d'ouvriers se sont sauvés. A la fin, sur 28.000 ouvriers, nous n'étions plus que 280. Nous étions prisonniers dans un atelier où nous étions barricadés. Il y avait plusieurs issues que nous avions bouchées avec des chariots, des camions, et toute sorte de matériel. Nous avions approché des caisses de pignons et tous les flics qui se sont approchés en ont reçu. Pour ma part, j'avais obstrué les deux souterrains en y balançant des fenwiks (2 dans chaque). Les gardes-mobiles nous ont donné l'ordre de nous rendre, affirmant que nous n'aurions pas de sanctions. Nous avons refusé, alors ils ont commencé à nous charger. Ils ne réussirent pas à pénétrer dans l'atelier. Devant l'impossibilité de forcer nos barrages, ils nous attaquèrent aux gaz lacrymogènes par le toit. Je peux dire que tant qu'ils n'ont pas employé les gaz, pas un seul n'a pénétré dans l'atelier. Avec les gaz, nous dûmes capituler. Le sang me coulait de partout. Pour nous faire sortir, les mobiles n'avaient laissé qu'une petite porte ouverte et au fur et à mesure que nous sortions, on prenait un grand coup de matraque sur le crâne et menottes aux poignets, on était conduit dans les cars "Renault" par deux flics. Qu'est-ce qu'il y avait comme flics ! Ils avaient dû mobiliser tout Paris. Un gars s'est mis à engueuler le directeur, un nommé Augé, qui discutait avec les cognes. Les deux flics qui l'accompagnaient le matraquèrent, l'autre s'écroula. Ils le prirent comme un sac et le balancèrent dans le car, puis s'en retournèrent chercher d'autres prisonniers. Mais le copain n'était pas évanoui, c'était une feinte, et d'un seul coup il se mit à détaler à toute vitesse. Les flics coururent un peu après lui, mais ils avaient trop de boulot et le gars a réussi à filer. Ensuite les flics étaient tellement mauvais qu'ils se sont vengés sur nous.

On nous emmène d'abord au commissariat de Boulogne, puis dans un autre commissariat, puis dans un troisième où là c'était le passage à tabac. Après 10 minutes de "gymnastique", on en avait assez. On nous a jugé quelques jours après par paquets de 10. Inculpation : rébellion en bandes armées à la force publique. J'en ai eu pour trois mois de tôle. Après notre arrestation, nous pensions que la grève générale du 30 nous tirerait de là, mais nous avons été roulés par la C.G.T. Pendant que nous étions en cabane, la femme et les gosses ont été secourus par le Secours Rouge. Ils n'ont manqué de rien. Nous aurions mieux fait de continuer un peu plus longtemps en 1936 plutôt que de faire la bêtise de 1938."

Ce n'est donc qu'après des luttes sanglantes que les ouvriers abandonnèrent le terrain. Devant la provocation policière de chez Renault, la C.G.T. décide de transformer la journée de protestation du 26 novembre en une démonstration nationale. En même temps qu'elle déclare grève générale pour le 30 novembre, les dirigeants ouvriers craignent d'être débordés par le mouvement. C'est pourquoi, avant même de le déclencher, ils le ligotent. La C.G.T. affirme : "Quels que soient les circonstances et les événements, le travail devra reprendre le 1er décembre." Elle appelle à la grève "dans le calme, pas de provocations, pas d'occupations d'usines, pas de manifestations ni de réunions", autrement dit, pendant que le gouvernement prend toutes les mesures de répression, mobilisation, déploiement de police, etc... la C.G.T. appelle les ouvriers à rester chez eux et à laisser le gouvernement et son appareil de répression maîtres du pavé et des usines. Pendant ce temps 283 ouvriers arrêtés chez Renault sont poursuivis devant le tribunal sous l'inculpation de rébellion en bande armée, c'est-à-dire traités comme des bandits de droit commun. La grosse majorité d'entre eux fera 3 mois de prison ; il faudra attendre la fin de la guerre, c'est-à-dire 7 ans après, pour qu'ils soient réintégrés dans l'usine et il faudra attendre 1946 pour qu'ils soient réin-tégrés dans leur droit d'ancienneté.

Après la grève du 30 novembre qui a échoué en grande partie puisque les transports ont fonctionné avec un ordre de réquisition, la C.G.T. se félicité de son "succès" et conclut "tous les incidents ont été évités, c'est ce qu'il fallait".

Avant le 30 novembre, les ouvriers avaient encore assez d'énergie pour vaincre la bourgeoisie. Mais les chefs des organisations "ouvrières" ont tout fait pour endiguer le mouvement. Et si Jouhaux et les dirigeants réformistes ont trahi la classe ouvrière en donnant la possibilité à Daladier, Reynaud d'organiser la répression, les chefs staliniens ne l'ont pas moins trahie en usant de toute leur influence pour inviter les ouvriers à se ranger "dans le calme" derrière les mots d'ordre de Jouhaux, qu'on savait vendu à la bourgeoisie.

VAUQUELIN


LES DIRIGEANTS SYNDICAUX, "TECHNICIENS" ADJOINTS DE M. FARGE...

Le lundi 25, devant les abattoirs de La Villette, des milliers de travailleurs sont venus manifester à l'appel des dirigeants de l'Union des Syndicats. Ceux-ci avaient organisé cette manifestation pour "les travailleurs disponibles ce jour", en signe de protestation contre les incidents sanglants provoqués par les grossistes à La Villette huit jours auparavant.

La C.G.T. demande que soit "brisé le complot des trafiquants de la viande qui affament les travailleurs". Car le mécontentement des ouvriers est grave. Travailler durement sans manger, est-ce là une situation à laquelle on puisse se résigner indéfiniment ?

Et combien de temps faut-il attendre encore pour qu'une solution soit trouvée au "problème de la viande" ?

Les journaux capitalistes comme Le Monde écrivent que ce n'est pas avec les mesures de taxation "arbitraires et stériles" qu'on peut défendre les "consommateurs des grands centres qui veulent avant tout manger", car "c'est la taxation qui a tari le marché parisien" et "c'est la C.G.T. qui a pratiquement imposé sa volonté à M. Farge, lequel avait préparé un projet de réglementation pour la viande beaucoup plus libéral".

Il aurait donc fallu, selon eux, laisser les prix libres, et on aurait eu de la viande. Pour prétendre cela, ils font mine d'oublier que les prix de la viande, comme tous les prix, n'auraient fait que monter. Et comment les ouvriers auraient-ils fait, avec leurs salaires actuels, pour acheter ? Pourrait-on nous expliquer, sans cela, pourquoi nous "manquons" de beurre, qui existe aussi en abondance, et en général de toutes les denrées essentielles ?

C'est parce que la majorité des consommateurs n'arrive pas à se nourrir au prix du marché libre, que les dirigeants de la C.G.T. avaient exigé 300 grammes à la taxe, au lieu des 150 grammes alloués.

Cet essai de taxation a fait faillite. C'est parce que, explique M. Farge, il faut ou laisser complètement la liberté au marché, ou alors recourir à la réquisition à la ferme (ce qui du reste n'aurait pas éliminé les spéculateurs). N'ayant pu se résoudre encore à cette dernière solution, qui aurait signifié déclarer la guerre aux paysans, M. Farge fait appel au "syndicalisme agissant" et met en avant la C.G.T.

Et les chefs de la C.G.T. de trouver une so-lution : "Une Commission, composée de représentants de la C.G.T. et de la C.G.A., va se rendre dans les différents centres producteurs pour traiter avec les producteurs de l'achat direct en collaboration avec les bouchers détaillants honnêtes."

Ainsi, c'est dans les démarches de quelques fonctionnaires de la C.G.T. et de bouchers honnêtes que se trouve la solution. Mais l'honnêteté des commerçants et des paysans n'avancera pas les dirigeants de la C.G.T., qui avaient eux-mêmes reconnu l'impossibilité de procéder à des achats dans une situation où les grossistes peuvent se livrer à la surenchère, et où en plus l'administration locale les protège, comme c'est le cas (la plupart des préfets, comme au temps de Vichy, n'autorisent pas la sortie du bétail de leur département).

Mais les dirigeants de la C.G.T. n'ont trouvé cette "solution" que parce que, fervents partisans de la politique du "produire" et des bas salaires, ils ne veulent pas agir véritablement dans le sens où il faudrait.

Car en réalité il n'y a pas de "problème de la viande" isolé. Le problème qui se pose, c'est celui de la stabilité de la monnaie, de l'orientation de la production et du pouvoir d'achat des ouvriers, c'est-à-dire que la monnaie ait une valeur, que le paysan puisse acheter avec cette monnaie les articles et l'outillage qui sont nécessaires à son économie, et que les travailleurs puissent avoir un salaire suffisant pour acheter ce qui leur est nécessaire pour vivre. C'est donc une lutte d'ensemble, et avant tout la lutte des ouvriers sur le terrain des usines.

Les dirigeants de la C.G.T. trouvent que leur tâche c'est d'aider le gouvernement à trouver des "solutions". Mais on ne peut pas aider une administration pourrie à faire "mieux" ; c'est essayer des cautères sur une jambe de bois. Oui, les organisations syndicales peuvent faire mieux, pourraient faire réellement quelque chose : mais à condition d'organiser la lutte des travailleurs sur tous les terrains. Et si la politique de la C.G.T. contre les grossistes et les spéculateurs avait un sens réel de défense des ouvriers, cela devrait signifier avant tout la lutte des ouvriers sur le terrain des usines pour un standard de vie plus élevé.


UN DRAME DU DESESPOIR

A Béthune, un homme s'est jeté à l'eau avec toute sa famille : "Un ivrogne avait ligoté sa femme et ses 7 enfants pour les entraîner avec lui dans la mort". Et c'est L'Humanité, organe soi-disant de défense des travailleurs, qui nous présente sous cette forme un de ces innombrables drames qui découvrent les épouvantables ulcères dont est rongée la société capitaliste.

La famille habitait une "maison provisoire" : aucun renseignement sur le nombre de pièces et l'état de la "maison" où "habitaient" ces 9 victimes. "Le couple s'adonnait à la boisson et les enfants, livrés à eux-mêmes, étaient dans un état d'hygiène lamentable. Aussi avait-il été décidé de les confier à l'Assistance publique..."

Pourquoi les enfants étaient-ils livrés à eux-mêmes ? A cause de l'ivrognerie des parents ? Mais dans les familles riches, que les parents s'adonnent à la boisson ou pas, qu'ils passent leur temps à fréquenter les boîtes de nuit, les tripots ou les champs de course, les enfants ne sont jamais laissés à eux-mêmes, et il n'est pas question de les livrer à l'Assistance publique, bagne pour les enfants. C'est la misère des parents qui est cause que les enfants aient été dans un état d'hygiène lamentable. Et la misère qui frappe une famille de 9 personnes, explique aussi l'ivrognerie des parents, seule consolation des gens que la vie a écrasés.

Les statistiques indiquent qu'il y avait en France pour l'année 1934 (car depuis il n'y en a pas eu d'autres), 11.164 suicidés, c'est-à-dire un suicidé pour 3.600 habitants. Depuis, la courbe de la misère a augmenté et avec elle sans doute le nombre des suicidés. C'est pour cacher la terrible réalité sociale, provoquée par le régime capitaliste, que les renégats de la classe ouvrière, à la suite des curés, attribuent de semblables drames à l'ivrognerie, au "péché de l'homme". Les travailleurs y verront une fin désespérée à des maux qu'ils éprouvent tous les jours. Mais c'est dans la lutte socialiste qu'ils trouveront, à ces mêmes maux, une issue réelle et valable pour tous.

Gauthier


SOLIDARITE ENTRE EXPLOITES

En usine, plusieurs ouvriers discutent à propos des multiples soulèvements des peuples coloniaux :

– L'Angleterre a fort à faire avec ses colonies : les Indes, l'Egypte, la Palestine. Mais aussi, c'est bien elle la plus cruelle dans ses colonies.

– Il n'y a pas qu'elle, regarde la Hollande avec l'Indonésie.

– Et la France, alors, en Indochine...

– Oui, partout où les colonies sont encore occupées, elles se soulèvent.

– Et vous avez vu, en Indochine, ils ont bombardé les villages.

Un ouvrier algérien, qui revient des camps de travail de son pays, intervient :

– En Algérie, à Sétif, Bône, j'y étais, moi, à ce moment-là. Je peux parler des villages incendiés par les garnisons et des femmes mitraillées dans les rues. En France on a dit que c'était de la provocation, mais nous là-bas, on était tous nus et on n'avait rien à manger. En Indochine c'est certainement pareil.

Et commentant un article répugnant du Monde, qu'un camarade lui a fait lire, il ajoute :

– Ils accusent les Indochinois de tuer les Français. Mais qu'est-ce qu'ils font eux, là-bas. Ils ne se croisent pas les bras... Si ça se trouve, c'est eux qui ont monté la provocation.

– Oui, pour reprendre ce que la lutte des travailleurs indochinois leur a arraché l'année dernière. Et eux aussi, ils ont bombardé des villages comme les Anglais à Sourabaya, en répression qu'ils disent. Les nazis, quand ils ont incendié Oradour , c'était aussi de la répression. Vous voyez bien que ce sont les mêmes méthodes.

– Dire que nous aussi on est Français... Il n'y a pas de raison, ils croiront qu'on y est aussi puisqu'on ne dit rien.

– On devrait les aider, mais nous ici, qu'est-ce qu'on peut faire ?

– On en voyait avant dans les forges et les fonderies, mais il y a moins maintenant.

– Forcément, on les fait crever à petit feu dans les camps. Vous savez qu'à Albi, l'autre fois, ils se sont révoltés et c'est la police française qui les a matés. Est-ce que vous ne croyez pas que si les ouvriers avaient protesté, les assassins n'auraient pas reculé ?

Un Stalinien intervient :

– Oui, mais avec le nouveau gouvernement, ça ne se passera plus comme ça.

– Ah, pourquoi ? Au moment de Sétif, Tillon était ministre de l'aviation. Aujourd'hui, c'est Tillon qui est à l'armement. Il me semble que cela se passe en famille, que tout le monde est au courant. Il faudrait cesser de fabriquer des bombes et des avions. Voilà ce qu'il faudrait faire. Mais pour cela, il faudrait passer par dessus la tête de nos "Ministres". Sinon, nous sommes complices. Et quand notre bourgeoisie aura écrasé ses colonies, elle se servira des indigènes pour nous mater, nous. Ce sera aussi facile, à ce moment-là, car ils seront montés contre les Français. Et ils n'épargneront pas les ouvriers, car leurs représentants auront trempé dans le bain.

Béhel


THIERRY D'ARGENLIEU RECOMMENCE...

Depuis 8 jours, la guerre, qui n'avait à vrai dire jamais cessé en Indochine, y a été à nouveau ouvertement déclenchée. La ville de Haï-phong, où se sont produits les premiers "incidents", a été bombardée par l'aviation française. Les crédits de guerre, que tout le monde désigne comme la source de l'inflation et de la ruine du peuple français, trouvent ici leur application au bénéfice des planteurs de caoutchouc et de la Banque d'Indochine. Car l'origine des incidents du port de Haïphong n'est autre, selon les informations officielles elles-mêmes, que la création par les autorités militaires françaises, en violation des accords conclus, d'un bureau des douanes et du commerce extérieur excluant toute participation annamite.

Le modus vivendi – l'accord signé par d'Argenlieu et Hô-Chi Minh – est mis ainsi en pièces 20 jours après son entrée en vigueur, parce que les intentions des colonialistes n'étaient que de reconquérir l'Indochine, et que le peuple vietnamien, qui s'était soulevé pour son indépendance au prix de terribles sacrifices, ne pouvait à nouveau se remettre volontairement sous le joug.

Dans France-Soir , le journaliste Pertinax donne en exemple l'Indonésie, où les impérialistes hollandais seraient arrivés, eux, à leurs fins et à un véritable accord ; mais en même temps arrive l'information de Batavia, publiée dans Le Monde (28-11), selon laquelle "...de durs combats continuent à se dérouler aux environs de Semarang, au centre de Java, où les forces hollandaises utilisent l'aviation pour appuyer leur poussée vers l'Ouest".

Les conventions que peuvent signer les impérialistes, en face d'une résistance acharnée, ne sont jamais respectées. Elles ne sont que prétextes à manoeuvres et à tromperies. Les peuples des Indes, d'Indonésie, d'Indochine, l'ont à présent largement expérimenté.

Tout ce que le général clérical d'Argenlieu, successeur en Indochine de cet autre représentant de l'armée "républicaine", de Hauteclocque, avait exécuté jusqu'à présent en application du modus vivendi, cela a été la libération des détenus de la prison de Saïgon (qui ont préféré demander à être dirigés sur le lieu de relégation de Poulo Condor  plutôt que de se soumettre à la tromperie du modus vivendi).

Derrière des protestations d'entente et d'amitié, il n'y avait aucune parcelle de vérité. Manoeuvrant     contre l'unité et l'indépendance de l'Indochine, l'impérialisme français a procédé à la création de "l'Etat libre" de Cochinchine pour diviser le Viêt-nam, et tellement libre que le président-marionnette, M. Thinh, nommé par d'Argenlieu, a fini par se suicider.

Au moment même où d'Argenlieu concluait l'accord, il déclarait à Saïgon, où il avait son gouvernement "libre", que le modus vivendi ne voulait pas dire indépendance "comme on le dit dans le pays". Et, en remerciant les consuls américain et britannique, il se félicitait de ce que 43 millions de dollars d'excédents d'exportations, provenant de la vente du caoutchouc, avaient été réalisés. En même temps, la plus terrible misère règne dans le pays.

En Indochine, ce ne sont pas les bavards du Parlement qui sont les représentants déclarés du capitalisme français, mais bien le général clérical et son Etat-Major. Il y a quelques mois à peine, un journal français n'était-il pas saccagé à Saïgon pour avoir exprimé des sentiments de sympathie vis-à-vis du peuple viet-namien ?

Aussi les politiciens staliniens et de gauche demandent-ils (en même temps qu'ils votent les crédits pour le corps expéditionnaire), qu'une Commission d'enquête parlementaire soit envoyée pour faire respecter le modus vivendi que d'Argenlieu ne respecte pas. "Le stade des négociations n'est pas dépassé", écrit L'Humanité.

Mais tout ce à quoi a abouti Hô-Chi Minh par ses déclarations d'entente et de collaboration, et en signant lui-même le modus vivendi, cela a été de concourir à l'illusion qu'un modus vivendi était possible entre la domination de l'impérialisme français et l'indépendance du peuple d'Indochine;. Et c'est grâce à ces illusions créées par lui-même, qu'aujourd'hui les impérialistes se permettent d'accuser le Viêt-nam d'avoir provoqué un conflit, à l'origine duquel ils sont. C'est en répandant ces illusions, en n'expliquant pas que même si une trêve avait été possible, une entente avec l'impérialisme était exclue, que Hô-Chi Minh a trahi la lutte des ouvriers et des paysans et laissé le champ libre aux colonialistes.

La bourgeoisie impérialiste, menacée dans ses privilèges par le soulèvement des peuples coloniaux, essaie de combiner sa politique de violence (qui n'est pas d'aujourd'hui) avec des "ententes" qu'accepte la bourgeoisie indigène, prête à toutes les capitulations, en échange de quelques concessions.

Cependant, aujourd'hui, le gouvernement français se montre inquiet de ce que les "appels au calme" de Hô-Chi Minh ne soient pas écoutés, et qu'il risque d'être débordé par les "extrémistes". Le peuple travailleur d'Indochine, comme l'écrasante majorité des peuples coloniaux aujourd'hui, n'est en effet pas disposé à capituler. Et c'est parce que Hô-Chi Minh représente le compromis de la faible bourgeoisie coloniale, prête à s'entendre avec l'impérialisme, que l'indépendance des peuples coloniaux n'a d'autre garant que la lutte indépendante ouvrière et paysanne. Mais c'est pourquoi aussi le mouvement des peuples opprimés pour conquérir leur liberté contre l'impérialisme ne pourra aboutir qu'en liaison et en même temps que l'émancipation des prolétaires des métropoles, en même temps que la victoire socialiste des prolétaires des pays oppresseurs sur leur propre bourgeoisie.

Mais il ne peut pas non plus être question pour les travailleurs des métropoles de défendre leur niveau de vie, tant que leur propre bourgeoisie gaspillera le plus clair du revenu national dans des entreprises guerrières et colonialistes. Un des aspects les plus importants de la lutte que mène le peuple français en ce moment pour la sauvegarde de sa liberté et de son niveau de vie doit être l'opposition et la lutte contre les expéditions militaires dans les colonies, et l'aide active aux ouvriers et paysans dans leur guerre d'émancipation contre l'impérialisme.


Listes de souscription de novembre, premiers versements [...]
Total à ce jour 4.745 francs


Nous remercions particulièrement les camarades indochinois de leur dévouement. Car pour eux plus que d'autres il était difficile de prélever une telle somme sur leur maigres soldes, afin de souscrire à la lutte pour la défense des idées révolutionnaires de libération des travailleurs et des peuples opprimés.



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