1946 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE de CLASSES Organe de l'Union Communiste (IVème Internationale) n°60 - 4ème année |
LA LUTTE DE CLASSES nº 60
30 avril 1946
Aux élections du mois d'octobre dernier, le Parti Communiste Français avait mené une "grande bataille démocratique" contre le projet de loi proposé par De Gaulle qui, approuvé par une majorité de "oui-oui", sanctionnait une nouvelle fois le système de gouvernement incontrôlé et irresponsable que nous connaissons depuis Daladier, Reynaud et Pétain.
Mais dans la nouvelle Constitution élaborée par le P.C.F. et le P.S. (avec le concours du M.R.P.) et présentée par le P.C.F. et le P.S. aux électeurs TOUJOURS AU NOM DE LA DEMOCRATIE, se trouve incorporée précisément, telle que l'avait conçue De Gaulle, l'émancipation juridique du gouvernement vis-à-vis de l'Assemblée (articles 73 à 85 : dissolution automatique de la Chambre lors d'une deuxième crise ministérielle, etc...).
Ce seul fait suffit à ouvrir les yeux à tout travailleur qui réfléchit sur le véritable sens de la lutte que se livrent les différents Partis qui se disputent le pouvoir actuel.
Quand P.R.L. et M.R.P. crient qu'il faut voter "non", sans quoi nous nous exposons à la "dictature" DE L'ASSEMBLEE, ils se moquent du peuple, puisque la nouvelle Constitution rend le gouvernement indépendant de l'Assemblée : il LA DOMINE par la menace de dissolution. Etant eux-mêmes partisans de ce système, leur "non" ne tend qu'à pêcher en eau trouble, à exploiter en leur faveur le mécontentement qui règne dans le pays. Il s'agit encore moins pour eux, qui même dans une Assemblée croupion voient une menace de dictature, de démocratiser, de rapprocher le pouvoir du peuple.
En réalité, la machine gouvernementale actuelle, qui défend les privilèges des capitalistes, s'est totalement éloignée du peuple. Comme on le voit par le nouvel exemple du P.C.F. lui-même, TOUS les partis qui prétendent gérer l'Etat actuel sont OBLIGES d'accepter (si on leur fait l'honneur de leur supposer des scrupules) la bonapartisation du gouvernement qui, en imposant sa volonté aux Assemblées par la menace de dissolution, gouverne uniquement au moyen de la police et de la bureaucratie.
Les plébiscites servent précisément au gouvernement à MASQUER son émancipation de tout contrôle, à l'aide d'un prétendu vote populaire organisé autour de telle ou telle question juridique embrouillée : mais le résultat du vote n'influe en aucune façon sur le fait que le peuple aura toujours en face de lui un pouvoir oppresseur. Le fait qu'après le départ de De Gaulle, Gouin ait déclaré "nous revenons à la légalité républicaine", cela a-t-il entraîné quelque modification dans le système de gouvernement ?
Plus l'Etat bourgeois devient totalitaire, c'est-à-dire soumettant la nation à une vaste oppression bureaucratique et policière, plus il a besoin de se camoufler derrière des "manifestations de la volonté populaire". C'est précisément dans les pays totalitaires et fascistes qu'avaient lieu le plus fréquemment des "referendum".
C'est pourquoi, c'est en boycottant le referendum qu'on démasque le caractère anti-démocratique du régime actuel.
Le retour à la démocratie véritable ne peut se faire qu'à travers la lutte directe des masses, qui créeront au fur et à mesure les instruments et les organismes démocratiques nécessaires à leur action – tels les Comités d'usine, les organismes ouvriers de contrôle à tous les échelons – pour aboutir à la destruction et au remplacement de l'Etat totalitaire actuel par l'Etat démocratique des Comités ouvriers et paysans.
Nous avions le "oui" de la fin du provisoire, de la stabilité, le "oui" d'un meilleur ravitaillement, le "oui" qui fait échec à la réaction, le "oui" de l'amitié entre les alliés – et ainsi de suite, suivant la tête du client. A ces "oui" de basse démagogie électorale des Thorez et des Duclos, vient, au dernier moment, s'ajouter le "oui" pour les véritables nationalisations, contre le patronat, pour la défense des revendications ouvrières, etc... Cette nouvelle variante, la pire de toutes, c'est le "oui" des capitulards, le "oui" que vient de prononcer la majorité du C.C. du P.C.I., parti soi-disant révolutionnaire.
Bien que dans le n° 119 de La Vérité en date du 19 avril on ait pu lire sous la signature de J. Marcoux : "Il est absurde et honteux d'inviter le 5 mai les masses laborieuses à lutter contre la réaction en leur demandant de voter une Constitution faite en collaboration avec les agents de la réaction même", dans le N°120 de la même Vérité (sic), le même Marcoux nous dit tout le contraire : "Le M.R.P. ayant fait bloc avec les partis bourgeois contre les partis "ouvriers" en faisant voter "non" au "référendum", il faut faire bloc avec ces derniers en faisant voter "oui", pour empêcher que le plébiscite pour ou contre le P.C.F.-P.S. tourne à leur désavantage".
Sa tâche ainsi définie, Marcoux n'a plus qu'à psalmodier d'après Duclos : "ce qu'il y a dans la Constitution ("pourrie") importe peu, il faut voter avec les partis ouvriers contre la réaction". Mais pourquoi les chefs de ces partis ont-ils engendré une Constitution pourrie, gaulliste, et quelle est sa portée ? Peu importe à nos stratèges. Le "oui" que Thorez justifie par des phrases démocratiques, eux, le justifient par des phrases "révolutionnaires".
Mais pourquoi capituler et se livrer à une basse démagogie de crainte que la réaction ait une majorité de "non" ? En octobre, De Gaulle et ses partisans, du P.S. au M.R.P. et futurs P.R.L. n'avaient-ils pas gagné une majorité plébiscitaire consacrée alors par le "oui-oui", ce qui n'a pas empêché De Gaulle d'être obligé de s'en aller quelques mois après ? Capituler devant le chantage stalinien, "bénir nos chaînes", voter une Constitution gaulliste sous prétexte d'empêcher la droite d'avoir une majorité de "non", cela n'empêchera nullement la réaction de se grouper, de se mobiliser. Tout au contraire, si elle peut ouvertement faire bloc et au nom de la "liberté", c'est précisément parce que la Constitution est pourrie. Dire oui à une telle Constitution, c'est vous en rendre responsables devant les millions de petites gens écrasées par l'Etat collecteur d'impôts et des travailleurs qui, livrés à la pire exploitation patronale dans les usines, voient que les "meilleurs défenseurs des profiteurs" actuellement, ce sont les Staliniens. Vos bonnes intentions ne sont que des trésors au fond des Océans. Vous ne pourrez pas, sous prétexte qu'un gouvernement P.C.F.-P.S.-C.G.T. représente un moindre mal, réconcilier les couches travailleuses exaspérées avec le régime actuel d'étouffement et de misère croissante. En faisant plébisciter le P.C.F. et le P.S., vous ne luttez pas contre le fascisme, vous ne faites que renforcer les partis qui, par leur action, sont les fourriers du fascisme.
"Le parti du prolétariat ne peut s'emparer du pouvoir que si, en régime de propriété privée, c'est-à-dire d'oppression capitaliste, la majorité de la population se prononce en sa faveur", – ainsi s'expriment les démocrates petits bourgeois, larbins véritables de la bourgeoisie, mais qui s'intitulent encore "Socialistes".
"Que le prolétariat révolutionnaire renverse d'abord la bourgeoisie, se libère du joug du capital, détruise le mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie et il saura s'attirer le concours et la sympathie des masses laborieuses non prolétariennes, en satisfaisant leurs besoins au détriment des exploiteurs" – ainsi nous exprimons-nous". (Lénine).
Ce ne sont que des petits-bourgeois "démocrates", tous ces dirigeants qui au lieu de guider les masses pratiquement dans leur lutte, les enchaînent à la domination de la bourgeoisie, à ses méthodes de propagande, à sa démagogie électorale et au crétinisme parlementaire. La majorité du C.C. du P.C.I. déguise sa capitulation devant la politique pourrie des staliniens au sujet du référendum en un "bloc avec les masses travailleuses". C'est pourquoi celles-ci auront mille fois raison en ne distinguant pas du bloc pourri que constitue la direction des Thorez et des Duclos, la partie qui s'appelle "majorité du C.C. du P.C.I." !
A. MATHIEU
Les organes syndicaux appellent la jeunesse à s'éduquer et à participer activement au mouvement ouvrier : ce sont les paroles. Les "responsables syndicaux; non seulement ne les y aident pas, mais encore bien souvent font tout pour faire échouer les tentatives des jeunes d'intervenir dans le mouvement ouvrier autrement que par des bals et des mascarades : ce sont les faits.
Ainsi, à la C.G.C.T. (Thomson-Favorites) la commission de jeunes décide de monter une bibliothèque, et un camarade met à sa disposition des livres propres à développer, en même temps que la conscience de classe des jeunes travailleurs, leur combativité (ouvrages de Jaurès , Engels, Silone , Gorki , etc...). Le délégué du comité d'entreprise s'y oppose, parce qu'il les trouve "trop tendancieux". "Noyés dans 500 autres livres plus classiques tels que Zola, Rabelais, France, Hugo, Balzac et nos grands classiques de la grande époque, ils pourraient à la rigueur être acceptés..." déclara-t-il. En effet, pour ces messieurs, c'est être "tendancieux" que d'être marxiste, et du côté des ouvriers. Peut-être pourrait-on même demander au curé de mettre sa bibliothèque à la disposition du syndicat ?
Nous devons ajouter que nous ne voyons aucun inconvénient que les auteurs classiques figurent dans la bibliothèque, si on peut les y mettre. Mais empêcher sa constitution en attendant de les avoir, c'est un mauvais prétexte qui en dit long.
En effet, si les jeunes sont trop "jeunes", au gré de ces messieurs, pour réfléchir aux problèmes sociaux, que reste-t-il à leur activité ? En dehors du travail abrutissant, la préparation militaire (qu'on les oblige à faire en dehors des heures de travail), le sport, les bals. C'est avec ces méthodes que Hitler a "éduqué" les jeunes prolétaires allemands...
L'antimarxisme des bureaucrates de la C.G.T. apparaît ainsi dans toute sa signification antiouvrière, puisque la base même de tous les mouvements fascistes et réactionnaires a été, avec le travail abrutissant et la militarisation, l'antimarxisme.
Sans rien faire contre l'état de choses qui les engendre, on reproche à la jeunesse de se dévoyer, de rechercher le marché noir, de perdre le goût du travail, etc... Et ce sont ces mêmes moralisateurs qui ferment aux jeunes l'accès à la culture. Jeunes travailleurs, montrez votre indignation à ces soi-disant dirigeants, passez outre à leur interdiction, avec ou sans leur consentement constituez votre bibliothèque d'usine !
LUCIEN
Sous le titre "Les agents des trusts", L'Etincelle, journal de la section du P.C.F. de Billancourt, écrit : "Un certain Barrière qui travaillait à l'atelier 323 aux cylindres, se permettait pendant l'heure du déjeuner de distribuer des tracts et journaux antisyndicaux et trotskystes et en même temps inciter, par des paroles démagogiques, les ouvriers à la grève".
Les mouchards avouent le motif pour lequel ils ont fait renvoyer le camarade en allant le dénoncer à la direction ; ce n'est pas celui qu'ils avaient invoqué, à savoir que "le règlement interdit la diffusion d'imprimés dans l'usine". Le véritable motif, c'est que le camarade "incitait les ouvriers à la grève"...
A la Chambre, on vient de voter le texte d'une Constitution "démocratique" où il est dit notamment : "Le droit de grève est reconnu à tous dans le cadre des lois qui le réglementent" (Art. 32). La C.G.T. vient d'inviter les syndiqués à répondre "oui" à cette Constitution. Le droit de grève reconnu à tous suppose pour tous le droit de faire de la propagande en faveur de la grève. Et ce sont ceux-là même qui se prétendent les meilleurs défenseurs de la "Constitution", qui la violent en désignant à la répression patronale les ouvriers qui font de la propagande en faveur d'un droit reconnu par la Constitution...
Que ces individus se défendent en attaquant les militants ouvriers, c'est leur rôle de chiens de garde du capital. Qu'ils les calomnient, c'est leur affaire ; les ouvriers sauront bien tôt ou tard faire justice aux méthodes employées. Mais qu'ils les fassent mettre à la porte, ceci est bien une preuve et un aveu que la Constitution démocratique n'est qu'un chiffon de papier quand il s'agit du sort des travailleurs...
Plus que tout autre, L'Humanité fait couler beaucoup d'encre autour des scandales sans cesse répétés du ravitaillement. Cachin écrivait le 19 avril dans un article "Le Ministre a parlé" : "Il faut le répéter à satiété pour qu'on l'entende enfin, le problème du ravitaillement du peuple de France est un des plus importants à l'heure actuelle, c'est à lui qu'il faut d'urgence accorder l'attention la plus vigilante..." "Le mal essentiel est l'opposition croissante, criante et cynique, entre la surabondance pour les uns et la plus sévère restriction pour les autres..." "Dans sa déclaration à la radio, le Ministre du Ravitaillement nous informe que pour la plupart les denrées alimentaires même les plus indispensables échappent au marché régulier, viande, beurre œufs, à peine dans leur ensemble 10 à 20% des denrées entrent dans le circuit du ravitaillement général..."
"Sus aux affameurs" font afficher P.C.F., C.G.T. et les syndicats des métallurgistes du XVème, XIVème et XIIème arrt. : "Boulanger, directeur du trust Citroën-Michelin, un des plus grands saboteurs de l'économie française, qui possède deux fermes de 1.800 hectares laisse à ses travailleurs une nourriture de famine".
Le P.C.F. fait ainsi figure de défenseur des intérêts ouvriers. Mais Boulanger, le réactionnaire et l'affameur siège avec le "communiste" Waldeck-Rochet et d'autres dans la Commission du "Plan Monnet" chargée de la "modernisation de la France".
Quand les ouvriers de chez Citroën veulent défendre leur nourriture devant Boulanger l'affameur, les staliniens prennent position contre par leur mot d'ordre "produire" et Boulanger récolte les fruits.
La production échappe au contrôle des ministres et les préfets, les hauts-fonctionnaires, les répartiteurs sont corrompus et entre les mains de la haute finance. Mais le P.C.F. n'arrête pas pour cela sa démagogie, et sous le titre : "Le scandale des pommes de terre", il déclare : "Nous, communistes, avons toujours lutté contre le marché noir et les affameurs... mais pour assurer le ravitaillement des travailleurs devant la vente libre de ces précieuses tubercules, nous vous disons : pas une cantine, pas un ménage, pas une école ne doit rester sans passer ses commandes à la campagne ; pour la prochaine récolte, il faut gagner la bataille du ravitaillement, il faut produire, il faut ensemencer, pas un pouce de terrain ne doit rester inculte".
Dans le Seine-et-Oise, dans les Ardennes, les fermiers producteurs attendent encore le passage du ravitaillement général. Cachin pense-t-il que les travailleurs sans famille peuvent remplacer l'administration impuissante, et se ravitailler, sans un organisme véritablement entre leurs mains, d'où seront exclus, par un contrôle ouvrier, tous les trafiquants et les spéculateurs ?
Quand les staliniens disent : il faut ensemencer, les ouvriers sont en droit de demander : avons-nous travaillé moins, avons-nous ensemencé moins ? Nous disons non ! Les ouvriers travaillent plus avec un salaire 10 fois inférieur, minés et malades, mais puisque les spéculateurs, les grossistes, les affameurs profitent de nos efforts, comme le dit Cachin, n'avons-nous pas raison, nous producteurs ouvriers, de vouloir obtenir le droit de regard dans les affaires du capital, les prolétaires n'ont-ils pas raison de poser la question : nous voulons savoir ce que vous faites de notre production, nous voulons également le droit de regard sur la répartition, ce que justement ne veulent pas les Boulanger, les Frachon et les Cachin.
Mais les travailleurs ne sont pas dupes d'une habile propagande, ils savent que la production et la répartition sont les deux bouts du même bâton. Les chefs staliniens, incapables de les défendre devant les capitalistes par crainte de perdre leurs privilèges, utilisent les scandales du ravitaillement pour accomplir leur campagne électorale, ils "spéculent" ainsi sur ce qu'il y a de plus précieux pour l'avenir de l'humanité, mais comme dit le proverbe : "Qui joue avec le feu se brûle" ; les travailleurs leur disent : "Vous faites de la démagogie, mais cela tout le monde le sait, notre vie à nous, c'est l'avenir de nos foyers, et cela dure plus longtemps qu'une campagne électorale ; c'est pour cela que nous n'accordons aucune confiance aux affameurs, à ces gens-là, nous leur disons : SANS NOURRITURE, PAS DE TRAVAIL !
Le numéro 12 de La Voix des Travailleurs, ci-dessous, est paru au verso du numéro 60 de La Lutte de Classes (ci-dessus)
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L'Emancipation
des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes (Marx) |
La Voix des Travailleurs nº 12
30 avril 1946
Au mois d'octobre dernier, à la demande de nos camarades des usines, nous avons sorti La Voix des Travailleurs comme un moyen de liaison de l'activité syndicale, pour dévoiler et combattre les formes les plus variées de l'exploitation patronale, pour démasquer l'incurie et la duperie des directions syndicales actuelles. Ce travail, mené à l'échelle de l'usine par des bulletins locaux, demandait à être coordonné pour servir d'exemple à toutes les usines.
A l'heure actuelle, où les ouvriers sont livrés par la bureaucratie cégétiste, sous différents prétextes, à la pire exploitation patronale, les ouvriers révolutionnaires se trouvent tout naturellement à la pointe du combat pour les revendications quotidiennes et les plus minimes des travailleurs. La lutte ouvrière dans les usines est une des formes de la lutte générale du prolétariat contre la bourgeoisie. Les communistes, qui représentent les intérêts généraux du prolétariat (le renversement de la classe capitaliste), luttent donc de la façon la plus conséquente et la plus opiniâtre pour les revendications économiques des travailleurs.
La Voix des Travailleurs répondait à une nécessité urgente et aux intérêts de tous les ouvriers, indépendamment de leur position politique. Mais l'effort matériel des ouvriers qui approuvent La Voix des Travailleurs est de beaucoup en retard sur la sympathie qu'ils lui manifestent. Nous avions cependant espéré, et nous étions en droit de le faire, que le concours plus large des travailleurs permettrait la vie d'un journal d'usine soutenu directement par eux.
Mais tel n'a pas été le cas. Dans une usine par exemple, où un camarade diffuse 30 Voix, ces 30 lecteurs ne font pas à leur tour l'effort d'en diffuser au moins 3, ce qui ferait 90 à 120 lecteurs. Tout le travail du journal, y compris sa diffusion, retombe sur les camarades ayant pris l'initiative de sa création, en plus de toutes les autres difficultés qu'ils avaient à vaincre (défense contre des énergumènes staliniens, obstacles légaux, mouchardage dans les usines, etc...).
Les ouvriers n'ont pas eu suffisamment conscience des difficultés qu'un tel journal avait à vaincre. Devant ainsi en assumer nous-mêmes toutes les charges, il s'est créé un déséquilibre dangereux au détriment de notre organe politique. Car, en l'absence d'un effort sérieux de la partie consciente des ouvriers, nous n'avons pas les moyens de faire paraître et diffuser régulièrement, au moins toutes les deux semaines, 2 journaux, l'un luttant pour les buts politiques généraux du prolétariat, l'autre accordant une place dominante aux faits quotidiens de la vie des travailleurs. Or, de même que nous sommes, en tant que révolutionnaires, à la pointe du combat pour les revendications immédiates des travailleurs, de même nos camarades des usines ne peuvent pas négliger le soutien et la diffusion du journal politique, l'un ne se concevant pas sans l'autre, surtout dans la situation actuelle où la lutte ouvrière la plus minime se heurte à la résistance du patron, de l'Etat et de la bureaucratie syndicale.
Il ne s'agit pas pour nous d'abandonner un seul instant la lutte revendicative en faveur de la lutte politique. Mais pour équilibrer l'ensemble de notre travail, nous serons obligés dorénavant de réserver dans La Lutte de Classes une place proportionnée aux articles, rubriques et échos de La Voix des Travailleurs, qui reparaîtra comme journal spécialement consacré à la défense économique des ouvriers le jour où ceux-ci, par leur concours actif de diffusion et de soutien matériel, le permettront.
La Commission Syndicale de "l'Union Communiste"
Dès 1939 Paul Reynaud a poussé les ouvriers à la production pour la "défense nationale". Tous ceux qui ont succédé à Reynaud avant, pendant et après l'occupation, qu'ils agissent pour le compte des impérialistes, français, allemands ou alliés ont repris le même refrain : produire, produire ; "c'était la seule chance de salut pour la France".
Pour la France capitaliste nous n'en doutons pas, les fortunes se sont bâties avec la sueur et le sang des travailleurs. Mais pour la France ouvrière le standard de vie n'a pas cessé de baisser.
Maintenant que les ouvriers commencent à ne plus être dupes de tous les appels à la production, les bureaucrates syndicaux ont inventé la fable du salaire au rendement pour faire croire à l'ouvrier qu'il sera récompensé suivant son effort. Mais a-t-on déjà vu en système capitaliste des ouvriers payés selon leur travail ?
Chez Citroën où la section syndicale est très active lorsqu'il s'agit d'endiguer un conflit, le citoyen Beaumont écrit dans Notre voix :
"Ainsi 5,50 frs. de l'heure soit environ 1.100 frs par mois sont pris à ce travailleur (O.S.) pour le seul bénéfice des actionnaires de chez Citroën !" Naël appuie en disant que chez Citroën "sur chaque minute gagnée l'ouvrier perd 0,35 fr. ; pour 1 heure gagnée il perd 21,50 frs. au profit de M. Boulanger sur un salaire moyen de 31,10 frs.".
Chez Bernard Moteurs, écrit Hureau, les augmentations sont vraiment déconcertantes l'ouvrier qui dans sa journée aurait gagné 20% sur 8 heures toucherait 6 fr. de prime pour 1 h.36 de travail.
Chez Massiot, affirme Thomas, le salaire est payé "suivant le système Schueller" qui fait dépendre la rémunération des ouvriers du chiffre d'affaires ; et il ajoute : "qu'y a-t-il de plus perfide qu'un bilan ?"
Ainsi partout les "responsables" syndicaux sont obligés de reconnaître que la rémunération "progressive" des travailleurs est une duperie. Ils démontrent par des exemples, avec des chiffres à l'appui, dans tous les journaux syndicaux, que le salaire au rendement est en pratique un salaire
"dégressif". Mais alors pourquoi continuent-ils à pousser les ouvriers à "produire", alors qu'ils reconnaissent publiquement que l'effort des ouvriers est "puni" au lieu d'être encouragé (Naël, Métallo d'avril) ?
Nos bureaucrates syndicaux reconnaissent également que la vie augmente tous les jours et qu'une augmentation de salaires s'impose. Mais ils ne veulent pas de l'échelle mobile car, comme le dit Arrachard dans la V .O. du 18 avril, c'est une formule dangereuse et paresseuse car elle favorise la hausse des prix et freine la production.
C'est pourquoi Arrachard trouve qu'il vaut mieux défendre le salaire au rendement car il stimule la production. Mais si le salaire au rendement n'est pas une formule "paresseuse", n'en est-il pas moins une formule "dangereuse" pour les ouvriers ?
Arrachard nous dit lui-même que le grand patronat s'efforce d'obtenir une augmentation légale des prix.
Et Beaumont nous apprend que les patrons veulent justifier leurs demandes d'augmentation des prix par l'augmentation des salaires (augmentation du salaire au rendement).
Hureau continue en disant que chez Cornely ces demandes d'augmentations des prix pour le patron se traduisent ainsi : "que nos prix soient augmentés de 10% et nous augmenterons les salaires de 4%.
La formule salaire au rendement comme la formule échelle mobile n'empêche donc pas la hausse des prix. Mais tandis que l'échelle mobile a pour but de faire augmenter les salaires suivant les prix, le salaire au rendement n'est en réalité qu'un salaire dégressif.
Les travailleurs ne se laisseront donc pas duper par les exhortations de nos "bonzes". Ils n'accepteront pas davantage d'abandonner leurs maigres loisirs, d'user leur force et leur santé pour remplir un panier percé.
Ils revendiquent un salaire décent pour un travail décent et l'échelle mobile comme garantie.
VAUQUELIN
– "Je ne voudrais pas critiquer Thorez, mais il va dans les mines pour faire produire les mineurs, et il n'y a pas à manger ! Pour travailler, faut le ventre plein".
J'explique la position de Thorez au gouvernement bourgeois. L'ouvrier m'interrompt et me dit :
– "Le gouvernement, cela ne suffit pas, c'est dans la rue qu'il faut que les ouvriers descendent, il y aura peut-être des victimes, mais c'est pour le bien de la classe ouvrière."
– "Thorez ne veut pas d'action ! C'est pour cela qu'il a dit : Rendez les armes, il n'y a qu'une seule police."
– "C'est en 1936, me dit-il, que l'on aurait dû descendre dans la rue, mais il y avait Blum et la pause." Je lui rappelle Thorez qui disait : "Il faut savoir finir une grève".
– "Alors, il n'est plus communiste, Thorez."
– "Non, ce ne sont plus des communistes, quand tu veux dire ce que nous avons discuté ensemble, on te casse la gueule. Ce matin j'ai vu des ouvriers inconscients du P.C.F. qui déchiraient le journal La Voix des Travailleurs, journal qui dit ce que tu penses. Moi, j'étais aux J.C. mais j'ai quitté quand L'Humanité n'écrivait plus "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous". Mais je reste quand même communiste."
– "Moi aussi, dit le maçon, tu peux m'apporter des Voix, je t'en vendrai auprès de mes camarades."
MANQUE DE CRÉDIT
Le gouvernement a réduit les crédits militaires pour soulager le budget. Mais les culottes de peau sont toujours en place et continuent leur rôle de budgétivores. Et ce sont encore les ouvriers qui font les frais de la réduction des crédits militaires.
Chez Hispano, la section syndicale se plaint de ce que la suppression des crédits militaires pose le problème du chômage.
Chez Amiot, des ouvriers ont été licenciés pour manque de crédits militaires. La direction en a profité pour se "débarrasser" des ouvriers les plus combatifs.
Dans un chantier au Bourget il y a beaucoup de travail ; néanmoins on a débauché 25% des ouvriers à la suite de la réduction de crédits militaires.
Au lieu de mettre au chômage des ouvriers qui travaillaient pour l'armée n'aurait-on pas dû les employer à des travaux plus utiles ? Comme nous disait un ouvrier travaillant au Bourget : "On s'occupe de réparer le champ d'aviation, mais il serait beaucoup plus utile d'aller réparer les nombreux immeubles détruits qui sont en face".
Il n'y a pas d'argent pour la reconstruction, mais le gouvernement trouve des centaines de milliards pour entretenir des parasites dans la zone militaire d'occupation en Allemagne : les officiers, les sous-officiers, les A.F.F.A.T. et les Asto qui touchent au moins 15.000 francs par mois, nourris, couchés, blanchis, sans compter les possibilités de système D qui, elles, se chiffrent par millions.
Les ouvriers réclament la suppression totale des crédits militaires car ils en ont assez de nourrir des parasites.
CARNAUD
A la récupération les ouvrières sont payées pour le même travail 22 fr. de l'heure au 3º étage, 24 fr. au 4º étage à l'emballage, 23 fr. au 1º étage, 24 fr. aux autres.
A BAS LES DIFFÉRENCES DE SALAIRES A travail égal, salaire égal.
Des salaires de famine et le manque de conditions de sécurité font de cette boîte un vrai bagne.
Mardi 23 avril, à 16 heures, un grave accident a eu lieu à une chaîne de l'atelier 5 : une jeune ouvrière a eu une partie du cuir chevelu arraché.
Depuis longtemps, les ouvrières se plaignent du peu d'espace existant entre chaque chaîne, juste la place pour chaque ouvrière de passer et surtout, la bordeuse n'a pas de pare-choc, d'où l'accident.
Pour obliger le patron a assurer les dispositifs de sécurité nécessaires à la protection des travailleurs, il faut lui opposer pas de sécurité, pas de travail !
CITROEN
Les salaires au rendement contre les travailleurs.
Devant les mouvements de grève partiels de l'ensemble des usines Citroën, la direction a augmenté les travailleurs de 1 fr.50 de l'heure, sur les taux minutes. La section syndicale affirme que ce réajustement ne correspond pas au besoin des travailleurs, mais elle engage une campagne pour l'application d'un salaire au rendement : ainsi elle propose à des ouvriers déjà minés par la fatigue et la sous-alimentation de travailler sans plafond et d'élargir les travaux au boni à des catégories d'ouvriers qui bénéficient encore des tarifs horaires. La direction d'un des trusts les plus rapaces profite de cette campagne pour accroître ses profits.
Voici à ce sujet ce que nous transmettent des ouvriers de Clichy :
Entretien Outillage :
Les ouvriers ajusteurs qui travaillent à l'heure ont été mis au boni individuel par décision de la direction, qui a fait chronométrer les temps alloués, malgré la protestation d'un bon nombre d'entre eux.
Au Bronze Alu :
Les coquilleurs coulaient des pistons à 5.11, depuis la récente augmentation la direction fait couler à 5.12. Les temps sont plus courts ; de ce fait, l'augmentation se traduit pour eux par une diminution du salaire. Dans le même atelier, à l'ébarbage, les travailleurs étaient au boni d'équipe ou collectif, aujourd'hui la direction a décidé de mettre ces ouvriers au boni individuel. Pour protester contre ces procédés, les ébarbeurs se sont mis en grève, celle-ci a duré plusieurs heures, à la suite des promesses de négociations auprès de la direction faites par les responsables syndicaux, les ébarbeurs ont repris le travail, ils attendent la réponse de l'entrevue. "Que voulez-vous, il faut produire !" (sic).
Aux Forges :
Les ouvriers sont mécontents. Comme l'écrivait l'opposition syndicale, l'outillage de la firme Citroën est en partie désuet, les bons de crédit pour défection de ce dernier sont payés sur la base des taux d'affûtage. Dans ce sens le salaire progressif est une vaste fumisterie pour les ouvriers qui tout en se crevant n'arrivent plus à gagner leur vie. Pour protester contre ce fait et faire réajuster leurs salaires, les forgerons ont décidé de passer à l'action, depuis jeudi ils font la grève perlée et travaillent à 50% de leur production normale.
Voilà comment les travailleurs de Clichy répondent aux bureaucrates syndicaux, aux Naël et aux Beaumont, qui affirmaient dans la dernière assemblée générale à Clichy, après Grenelle, qu'il y a du mieux depuis deux ans.
Les ouvriers, qui ne sont pas appointés, ne sont pas d'accord, c'est pourquoi ils protestent :
– "On voit bien que tu n'y es pas dans la tôle !"
–"Il n'y a pas si longtemps que j'ai quitté les manivelles!"
– "Oui, répond l'ouvrier, mais moi je te dis que cela va plus mal pour nous".
L'orateur poursuit : – "Que voulez-vous camarades, nous sommes à peine 100 dans cette salle, alors qu'il y a 2.000 ouvriers dans l'usine".
– Si vous défendiez les salaires et la cantine, on serait sûrement plus nombreux, mais il y a pas d'action, c'est toujours de la parlotte alors on en a marre !
(Transmis par les militants de l'opposition syndicale de Clichy)
PIERRE
GNOME ET RHONE (S.N.E.C.M.A.)
A Kellermann, en réunion syndicale, à la question posée par des ouvriers sur l'augmentation des salaires nécessaires pour vivre, le secrétaire Delteil a répondu : "Inutile les augmentations, vous ne pourriez rien acheter avec, il n'y a rien à acheter". – Nous voudrions bien savoir comment les chefs de service vont s'y prendre pour pouvoir se servir des 120.000 frs. de rappel qui leu a été versé récemment, et pourquoi les actionnaires de chez Gnome n'ont pas été expropriés sans indemnités ni rachat ?
LEBLOND.
RENAULT
Les sableurs de l'atelier 66, fonderie-acier, ne touchent pas le lait auquel leur travail insalubre leur donne droit. Ceux qui travaillent de nuit, ne touchent pas non plus le casse-croûte gratuit. Les ouvriers s'étant plaint à leur délégué, ce dernier leur répondit : "Que voulez-vous que j'y fasse. Je n'en ai pas de lait, je ne peux pas vous en donner".
Est-ce là la réponse d'un délégué ?
GOODRICH
A Colombes, tous les ouvriers ont été augmentés de 2 francs de l'heure. Mais la direction a décidé d'augmenter, suivant un taux variable, 40% des ouvriers de chaque catégorie selon son propre choix. Cette seconde augmentation venant s'ajouter à la première. Les ouvriers ont protesté contre ces mesures de division au sein de la classe ouvrière.
D'autre part, dans cette même usine, les ouvriers sont payés suivant le système Bedeau, ainsi que tout le personnel des bureaux. Ce système très compliqué, basé sur le calcul des points correspondant aux pièces fournies par l'ouvrier, est pratiquement indéchiffrable même pour les travailleurs les mieux éduqués. C'est donc un moyen très sûr pour le patron de mieux exploiter l'ouvrier. Les ouvriers s'en rendent de plus en plus compte, chez Goodrich, et commencent à protester.
UN AVEU
"Le 1er Mai de la Libération, il aurait été nécessaire de travailler pour donner aux armées le moyen de battre les hordes hitlériennes", ainsi s'exprime Moreau dans le journal syndical de chez Citroën.
Pourquoi n'a-t-on pas travaillé le le, Mai 1945 ? La C.G.T. avait pourtant bien décidé d'en faire une journée de travail de choc ? C'est que les ouvriers ont imposé par leur pression à la base que la journée du 1er Mai soit une journée revendicative.
Le chemin à suivre
Le Courrier de Paris (19 avril). – "Abbeville, 300 ouvriers s'emparent de 7 boeufs et les font débiter à la population par les bouchers, ce qui a permis une augmentation de 80 grammes par ration".
Si nous appliquions l'échelle mobile, comme les capitalistes
Le Monde (24 avril). – "Chez nous, la 11 CV Citroën qui se vendait 24.700 frs. en 1939 est officiellement cataloguée à 121.350 fr. La "Juvaquatre" Renault, qui était à 20.900 fr. avant la guerre, est taxée aujourd'hui 107.000 fr." Ces prix sont avec licence d'achat, sans licence nous pouvons ajouter une centaine de mille francs aux chiffres. Mais même sur les prix officiels cela représente une moyenne de 5 fois la valeur de 1939.
Sur 48 heures, le salaire moyen en métallurgie était en 1939, de 2.400 frs. par mois, pour avoir en 1946 le même pouvoir d'achat cela porte le salaire mensuel à 12.000 fr. Nous sommes loin du compte.