1843-50 |
"On remarquera que, dans tous ces �crits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-d�mocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi �lastique pour d�signer notre conception propre.." F. Engels, 1894. Une publication effectuée en collaboration avec la biblioth�que de sciences sociales de l'Universit� de Qu�bec. |
Le parti de classe
Le Parti � contre-courant (1850-1863)
Le rideau tomba sur la premi�re p�riode du mouvement autonome des ouvriers allemands en 1852, lorsque furent condamn�s les communistes de Cologne [1]. Cette p�riode a pratiquement sombr� dans l'oubli aujourd'hui. Et pourtant ce mouvement tint de 1836 � 1856 et, du fait de l'�parpillement des ouvriers allemands � l'�tranger, il retentit sur tous les pays du monde civilis�. Mais ce n'est pas tout. L'actuelle Internationale est au fond la continuation directe du mouvement allemand d'alors, qui fut en somme la premi�re organisation ouvri�re internationale, dont sont issus de nombreux militants qui jou�rent un r�le directeur dans l'Association internationale des travailleurs. De m�me, les principes th�oriques que, dans le Manifeste du parti communiste de 1848, la Ligue des communistes inscrivit sur son �tendard forment aujourd'hui, pour tout le mouvement prol�tarien d'Europe et d'Am�rique, le moyen de liaison international le plus puissant.
Il n'existe jusqu'ici qu'une seule source importante pour l'histoire homog�ne de ce mouvement : le livre noir, de Wermuth et Stieber, intitul� Les Conjurations communistes du XIXe si�cle, Berlin, deux volumes, 1853 et 1854 [2]. Ce factum, �lucubr� par deux des plus mis�rables fripouilles polici�res de notre si�cle, n'est qu'un ramassis de mensonges et fourmille de faux volontaires. C'est pourquoi il sert aujourd'hui encore de r�f�rence supr�me pour tous les �crits non communistes sur cette p�riode.
La seule contribution que je puisse y donner, c'est une esquisse qui, � vrai dire, ne se rapporte qu'� la Ligue et repr�sente le strict n�cessaire � l'intelligence des R�v�lations [3]. J'esp�re qu'il me sera possible un jour de mettre en forme la riche documentation que, Marx et moi, nous avons r�unie pour servir � l'histoire de cette glorieuse p�riode de jeunesse du mouvement ouvrier international.
Des r�fugi�s allemands fond�rent en 1834, � Paris, l'association d�mocratique et r�publicaine des � Bannis �, dont les �l�ments les plus extr�mes, en majeure partie prol�tariens, firent scission en 1836 pour cr�er une organisation nouvelle, secr�te : la Ligue des justes. L'association-m�re, o� �taient rest�s les bonnets de nuit � la Jacques Venedey, s'endormit bient�t compl�tement : lorsqu'en 1840 la police en �venta quelques sections en Allemagne, ce n'�tait plus qu'une ombre � peine. La nouvelle Ligue, en revanche, eut un d�veloppement relativement rapide. Ce fut pour commencer un rejeton allemand du communisme ouvrier fran�ais, inspir� de r�miniscences babouvistes, qui refleurissait � cette m�me �poque � Paris : la communaut� des biens �tait exig�e comme cons�quence n�cessaire de l'�galit�. Les buts en �taient ceux des soci�t�s parisiennes secr�tes de cette �poque, � mi-chemin entre l'association de propagande et la soci�t� de conjuration, Paris restant cependant toujours le centre de l'activit� r�volutionnaire, bien que l'on n'exclu�t nullement, � l'occasion, la pr�paration d'un putsch en Allemagne. Quoi qu'il en soit, comme Paris restait le champ de bataille d�cisif, la Ligue n'�tait alors, en fait, qu'une section allemande des soci�t�s secr�tes fran�aises, notamment de la Soci�t� des saisons dirig�e par Barb�s et Blanqui, avec laquelle elle �tait en relations �troites. Les Fran�ais lanc�rent une grande action le 12 mai 1839 : les sections de la Ligue y particip�rent et furent donc entra�n�es dans la d�faite commune.
Parmi les Allemands, on avait arr�t� notamment Karl Schapper et Heinrich Bauer ; apr�s une d�tention assez longue, le gouvernement de Louis-Philippe se contenta de les expulser. Tous deux se rendirent � Londres.
Karl Schapper, originaire de Weilburg (Nassau), participa en 1832, alors qu'il �tudiait les sciences sylvicoles, � la conspiration ourdie par Georges B�chner. Il prit part, le 3 avril 1833, � l'assaut de la Garde du Constable de Francfort [4], r�ussit � passer � l'�tranger et participa, en f�vrier 1839, � l'exp�dition de Mazzini en Savoie [5]. D'une taille de g�ant, d�cid� et �nergique, toujours pr�t � mettre en jeu son existence et � sacrifier ses int�r�ts mat�riels, il �tait le mod�le du r�volutionnaire professionnel tel qu'il appara�t dans les ann�es 1830. Malgr� une certaine lourdeur de pens�e, il �tait ouvert � une vision th�orique plus juste comme le d�montre l'�volution qu'il a suivie entre l'�poque o� il �tait un � d�magogue [6] � et celle o� il devint communiste : une fois une le�on assimil�e, il s'y accrochait avec d'autant plus d'ent�tement. Tout cela explique que sa passion r�volutionnaire l'emportait parfois sur sa raison, mais il a toujours fini par comprendre son erreur, et n'h�sitait pas � le reconna�tre. C'�tait un homme dans toute la force du terme, et sa contribution � la cr�ation du mouvement ouvrier allemand restera inoubliable.
Heinrich Bauer, de Franconie, �tait cordonnier. Il avait un esprit vif, �veill�, et �tait plein de malice. Beaucoup de finesse et de d�cision se cachait dans cet homme de petite taille.
R�fugi� � Londres, il y rencontra Schapper, qui avait �t� typographe � Paris et essayait maintenant de gagner sa vie comme professeur de langues. Ensemble, ils renou�rent les fils rompus de l'organisation, et firent de Londres le centre de la Ligue. L'horloger Joseph Moll, originaire de Cologne, les rejoignit � Londres, s'il ne l'avait d�j� fait � Paris. C'�tait un hercule de taille moyenne ‑ combien de fois lui et Schapper n'ont-ils pas d�fendu victorieusement la porte d'une salle de r�union contre la pouss�e de cent adversaires ! ‑ et, s'il �galait ses deux compagnons pour ce qui est de l'�nergie et la d�cision, il les surpassait tous deux en intelligence th�orique. Il �tait non seulement un diplomate n�, comme le prouve le succ�s des nombreuses missions dont il fut charg�, mais il �tait encore, plus que tous les autres, ouvert aux id�es th�oriques. � Londres, en 1843, je fis leur connaissance � tous trois : ils �taient les premiers prol�taires r�volutionnaires que j'aie rencontr�s. Certes, nos conceptions divergeaient alors sur quelques points de d�tail, mais j'opposais � leur communisme �galitaire born� [7] une bonne part d'orgueil philosophique non moins born�. Quoi qu'il en soit, je n'oublierai jamais l'impression �norme que ces trois hommes v�ritables firent sur moi alors que j'�tais seulement en train de devenir un homme.
� Londres ‑ comme en Suisse, mais dans une mesure moindre ‑, ils profit�rent de la libert� d'association et de r�union. D�s le 7 f�vrier 1840, ils fond�rent l'Association allemande pour la formation des ouvriers [8] qui existe encore aujourd'hui. Cette association servit � la Ligue de terrain de recrutement et, comme toujours, les communistes �tant les militants les plus actifs et les plus intelligents sa direction aboutit tout naturellement entre les mains de la Ligue, qui eut bient�t � Londres plusieurs communes ou, comme on disait alors, � ateliers �. Cette tactique qui s'imposait d'elle-m�me, on la suivit aussi en Suisse et ailleurs. Partout o� il �tait possible de fonder des associations ouvri�res, on les utilisa de cette fa�on. Dans les pays o� la loi l'interdisait, on contactait les soci�t�s de gymnastique, de chant, etc.
La liaison �tait essentiellement maintenue par les compagnons qui allaient de ville en ville pour leur m�tier et qui, en cas de besoin, jouaient le r�le d'�missaires. � tous les points de vue, la Ligue fut grandement aid�e par les sages gouvernements qui, en expulsant tout ouvrier ind�sirable ‑ et neuf fois sur dix c'�tait un membre de la Ligue ‑, en faisaient un �missaire.
La Ligue ainsi reconstitu�e prit une extension consid�rable. En Suisse notamment, Weitling, August Becker ‑ cerveau peu commun, mais qui, comme tant d'Allemands, fut victime de son inconsistance int�rieure ‑ et d'autres avaient cr�� une organisation affili�e plus ou moins au r�seau communiste de Weitling. Ce n'est pas le lieu ici de critiquer la conception communiste de Weitling. Mais, pour ce qui est de son importance en tant que premi�re manifestation th�orique ind�pendante du prol�tariat allemand, je souscris aujourd'hui encore � l'appr�ciation de Marx dans le Vorw�rts de Paris, en 1844 : � Jamais la bourgeoisie allemande ‑ ses philosophes et savants y compris ‑ n'a �crit sur l'�mancipation de la bourgeoisie, soit l'�mancipation politique, un ouvrage comparable � celui de Weitling sur les Garanties de l'harmonie et de la libert�. Si l'on compare la m�diocrit� froide et plate de la litt�rature politique allemande avec le gigantesque et �clatant d�but litt�raire des ouvriers allemands, si l'on compare ces bottes de g�ant de l'enfant prol�taire avec les chaussures de nain d�j� �cul�es de la bourgeoisie allemande, on ne peut que pr�dire une figure athl�tique au cendrillon allemand [9]. �
Le prol�tariat allemand poss�de aujourd’hui cette taille de g�ant, et il n'a pas fini de grandir.
Il existait �galement en Allemagne de nombreuses sections qui, par la force des choses, avaient un caract�re plus �ph�m�re. Mais celles qui naissaient faisaient plus que compenser celles qui disparaissaient. Ce ne fut qu'au bout de sept ans, fin 1846, que la police de Berlin (Mentel) et de Magdebourg (Beck) tomba sur les traces de la Ligue, mais fut incapable de les suivre tr�s loin.
� Paris, o� il vivait en 1840 avant son s�jour en Suisse, Weitling regroupa les �l�ments dispers�s.
Le noyau de la Ligue �tait form� par les ouvriers tailleurs allemands qui travaillaient partout, en Suisse, � Londres aussi bien qu'� Paris. Dans cette derni�re ville, la langue allemande �tait si courante dans ce corps de m�tier qu'un tailleur norv�gien, qui, en 1846, �tait pass� directement par mer de Drontheim en France, apprit, en dix-huit mois, fort bien l'allemand, mais ne sut jamais dire un mot de fran�ais. En 1847, deux des communes de Paris se composaient essentiellement de tailleurs, et une autre d'ouvriers �b�nistes.
Depuis que le centre de gravit� �tait pass� de Paris � Londres, un autre ph�nom�ne apparaissait de plus en plus clairement : d'allemande la Ligue devenait progressivement internationale. L'Association ouvri�re �tait le lieu de rencontre non seulement des Allemands et des Suisses, mais encore d'adh�rents de toutes les nationalit�s qui se servaient de la langue allemande dans leurs relations avec les �trangers, notamment des Scandinaves, des Hollandais, des Tch�ques, des Slaves du Sud, ainsi que des Russes et des Alsaciens. En 1847, il y avait, entre autre, un grenadier de la Garde anglaise qui assistait r�guli�rement aux r�unions en uniforme. L'organisation s'appela bient�t Association communiste des ouvriers allemands, et les cartes d'adh�sion portaient la mention : � Tous les hommes sont fr�res �, en une bonne vingtaine de langues �crites non sans quelques fautes par-ci par-l�. � l'exemple de l'Association publique, la Ligue secr�te prit un tour plus international, d'abord en un sens encore limit� ‑ le fait des diverses nationalit�s de ses membres et la conscience de ce que toute r�volution devait �tre europ�enne pour triompher. On n'alla pas plus loin, mais la base �tait jet�e.
Des liaisons �troites se nou�rent avec les r�volutionnaires fran�ais, par le truchement des militants qui avaient particip� � la journ�e du 12 mai 1839 et avaient d� se r�fugier � Londres apr�s leur �chec. Puis ce furent des contacts avec les Polonais de l'aile la plus radicale. Comme il est normal, l'�migration polonaise officielle ainsi que Mazzini �taient plut�t des adversaires que des alli�s de la Ligue. En raison du caract�re sp�cifiquement anglais de leur agitation, les chartistes anglais �taient alors n�glig�s, �tant consid�r�s comme non r�volutionnaires. Ce n'est que plus tard, par mon interm�diaire, que les dirigeants londoniens de la Ligue entr�rent en liaison avec eux.
� d'autres �gards encore, la Ligue changea de caract�re au fur et � mesure des �v�nements. Bien que l'on consid�r�t toujours ‑ � juste titre d'ailleurs, � cette �poque ‑ Paris comme la ville-m�re de la r�volution, on s'�tait lib�r� de la tutelle des conspirateurs parisiens. � mesure que la Ligue gagnait du terrain, la conscience politique de ses membres s'�levait. On sentait que l'on plongeait des racines de plus en plus profondes dans la classe ouvri�re allemande, et que ces ouvriers �taient appel�s historiquement � devenir le porte-drapeau de la g�n�ration suivante des ouvriers du nord et de l'est de l'Europe. On avait en Weitling un th�oricien communiste que l'on pouvait comparer en tous points � ses homologues fran�ais de l'�poque. Enfin, on avait appris, gr�ce � l'exp�rience du 12 mai, qu'il fallait renoncer pour le moment aux tentatives de putsch. M�me si l'on continuait de voir en chaque �v�nement l'indice d'une temp�te imminente et si l'on s'en tenait en g�n�ral aux anciens statuts de caract�re mi-conspiratif, la faute en �tait surtout � l'ancien esprit de contestation r�volutionnaire qui commen�ait cependant � faire place � une compr�hension nouvelle plus large et plus profonde.
En revanche, la doctrine sociale de la Ligue, toute impr�cise qu'elle f�t, contenait une tr�s grave lacune, due aux conditions m�mes de l'�poque. Ses adh�rents, ceux du moins qui �taient des travailleurs, �taient presque exclusivement des artisans proprement dits. M�me dans les tr�s grandes villes de l'�poque, le patron qui les exploitait n'�tait la plupart du temps qu'un petit ma�tre-artisan. C'est � peine que naissait � Londres l'exploitation de la couture en grand, ce que l'on appelle la confection, avec la transformation du m�tier en industrie � domicile pour le compte d'un grand capitaliste. Bref, d'une part, l'exploiteur de ces artisans �tait un petit patron, d'autre part, chacun pouvait esp�rer se transformer lui-m�me un jour en petit patron. C'est pourquoi les artisans allemands de ce temps-l� �taient encore infest�s d'une foule d'id�es h�rit�es des anciennes corporations. Ce qui fait leur plus grand honneur, c'est que, eux, qui n'�taient pas encore des prol�taires dans toute l'acception du terme, mais un prolongement de la petite bourgeoisie en train d'�voluer vers le prol�tariat moderne sans �tre encore en opposition directe avec la bourgeoisie, c'est-�-dire le grand capital, c'est que ces artisans aient �t� capables d'anticiper instinctivement leur d�veloppement futur et de se constituer en parti du prol�tariat, bien que ce ne f�t pas encore avec une pleine conscience.
Il �tait donc in�vitable que leurs vieux pr�jug�s d'artisans vinssent � tout moment leur faire quelque croche-pied, notamment lorsqu'il s'agissait de critiquer les divers aspects de la soci�t� existante, c'est-�-dire de saisir les faits �conomiques. Je ne crois pas qu'� cette date la Ligue ait compt� un seul membre ayant jamais lu un trait� d'�conomie politique. Mais cela ne provoqua pas de d�sastre : pour l'heure, l' � �galit� �, la � fraternit� � et la � justice � �taient d'un bon secours pour franchir les obstacles sur le plan th�orique.
Dans l'intervalle, il s'�tait d�velopp�, � c�t� du communisme de la Ligue et de Weitling, un autre communisme, tout � fait diff�rent. � Manchester, je me trouvais nez � nez avec les r�alit�s �conomiques auxquelles les historiens n'ont jusqu'ici attribu� qu'un r�le tout � fait mineur, quand ils leur en attribuaient un. De fait, elles constituent, du moins dans le monde moderne, une puissance historique d�cisive, puisqu'elles repr�sentent le fondement sur lequel s'�l�vent les actuels antagonismes de classe qui, dans les pays o� la grande industrie en a suscit� le plein �panouissement, comme en Angleterre notamment, repr�sentent � leur tour la base de formation des partis politiques, des luttes de parti et, en cons�quence, de toute la vie politique.
Non seulement Marx avait abouti � la m�me conception, mais d�s 1844 il l'avait syst�matis�e dans les Annales franco-allemandes [10]. En g�n�ral, ce n'est pas l'�tat qui conditionne et r�gle la soci�t� bourgeoise, mais la soci�t� bourgeoise qui conditionne et r�gle l'�tat, de sorte qu'il faut expliquer la politique et l'histoire par les conditions �conomiques et leur d�veloppement, et non l'inverse. Lorsqu'en �t� 1844 je rencontrai Marx � Paris, nous constat�mes que nous �tions en accord complet sur tous les probl�mes th�oriques, et c'est de l� que date notre collaboration. Quand nous nous retrouv�mes � Bruxelles au printemps 1845, Marx avait d�j� construit toute sa th�orie mat�rialiste de l'histoire sur les principes �nonc�s ci-dessus, et il ne nous restait plus qu'� nous mettre en devoir d'expliciter la nouvelle conception dans les d�tails et dans les directions les plus diverses.
Or, il se trouve que cette d�couverte r�volutionnaire pour la science historique, due pour l'essentiel � Marx et pour une tr�s faible part � moi, avait une importance directe pour le mouvement ouvrier de l'�poque. Le communisme chez les Fran�ais et les Allemands, et le chartisme chez les Anglais n'apparaissaient plus d�s lors comme le simple fait du hasard, comme quelque chose qui aurait aussi bien pu ne pas se produire. Au contraire, ces mouvements se pr�sent�rent comme le mouvement de la classe opprim�e des temps modernes, du prol�tariat, comme les formes plus ou moins d�velopp�es de sa lutte historiquement in�vitable contre la bourgeoisie, comme les formes de la lutte des classes qui d�sormais se distinguent de toutes les anciennes luttes de classes sur ce point pr�cis : l'actuelle classe opprim�e ne peut r�aliser son �mancipation sans �manciper en m�me temps toute la soci�t� de la division en classes, donc mettre fin � la lutte des classes. Communisme ne signifie plus d�sormais �lucubration par un effort d'imagination d'un id�al de soci�t� aussi parfaite que possible, mais compr�hension de la nature, des conditions de la lutte prol�tarienne et des buts g�n�raux qui en d�coulent.
Cependant, nous n'avions absolument pas l'intention de chuchoter, par le truchement de gros volumes, ces nouveaux r�sultats scientifiques aux oreilles du monde savant. Au contraire. Tous deux, nous �tions d�j� profond�ment engag�s dans le mouvement politique, nous avions certains contacts avec des intellectuels, dans l'ouest de l'Allemagne notamment, et une solide liaison avec le prol�tariat organis�. Notre t�che �tait de donner une base scientifique � notre conception. Mais il ne nous importait pas moins de gagner � notre conviction le prol�tariat europ�en, et pour commencer celui d'Allemagne. Apr�s que nous e�mes clarifi� les id�es pour nous-m�mes, nous nous m�mes � l'ouvrage. � Bruxelles, nous fond�mes une association ouvri�re allemande, et nous nous empar�mes de la Deutsche Br�sseler Zeitung [11], dont nous f�mes notre porte-parole jusqu'� la r�volution de f�vrier. Nous nou�mes des liaisons avec la fraction r�volutionnaire des chartistes anglais par le truchement de Julian Harney, r�dacteur de l'organe central du mouvement chartiste, The Northern Star [12], auquel je collaborais. De m�me, nous avions form� une sorte de cartel avec les d�mocrates bruxellois (Marx �tait vice-pr�sident de la Soci�t� d�mocratique) et les social-d�mocrates fran�ais de La R�forme[13] dans laquelle je publiais des informations sur les mouvements anglais et allemands. En somme, nos liaisons avec les organisations et la presse radicales et prol�tariennes comblaient nos vœux.
En ce qui concerne la Ligue des justes, notre position �tait la suivante. Nous connaissions bien entendu l'existence de la Ligue : en 1843, Schapper m'avait propos� d'y adh�rer, mais j'avais alors, cela va de soi, d�clin� son offre. Cependant, nous entret�nmes non seulement une correspondance suivie avec le groupe de Londres, mais nous gardions encore des relations �troites avec le docteur Ewerbeck, qui dirigeait alors les communes parisiennes. M�me si nous ne nous pr�occupions pas des affaires particuli�res de la Ligue, nous �tions au courant de tout ce qui s'y passait d'important. En outre, nous influions, par la parole, la correspondance et la presse, sur les conceptions th�oriques des membres les plus importants de la Ligue. Lorsqu'il s'agissait des affaires internes du parti communiste en formation, nous utilisions le syst�me des circulaires par proc�d� lithographique, afin d'informer tous nos amis et correspondants dans le monde. Il nous arrivait parfois dans ces circulaires de mettre en cause la Ligue elle-m�me. Par exemple, un jeune intellectuel de Westphalie ‑ Hermann Kriege ‑ qui alla en Am�rique et s'y pr�senta comme �missaire de la Ligue. S'�tant associ� avec un vieux fou du nom de Harro Harring pour r�volutionner l'Am�rique par le truchement de la Ligue, il fonda un journal [14] et pr�cha, au nom de la Ligue, un communisme tout p�tri d'amour, d�bordant m�me d'amour et farci de r�verie amoureuse. Nous y all�mes de notre circulaire qui ne manqua pas de produire son effet : la Ligue fut d�barrass�e de Kriege [15].
Plus tard, Weitling vint � Bruxelles. Mais ce n'�tait plus le jeune et na�f compagnon tailleur, tout �tonn� de son propre talent, qui cherchait � se faire une image claire de ce que pouvait �tre la soci�t� communiste. C'�tait le grand homme pers�cut� par les envieux en raison de sa sup�riorit�. Il flairait partout des rivaux, des ennemis cach�s et des pi�ges. C'�tait le proph�te, traqu� de pays en pays, qui avait en poche une recette toute pr�te pour r�aliser le paradis sur terre, et s'imaginait que chacun ne songeait qu'� lui voler sa panac�e. � Londres, il s'�tait d�j� brouill� avec les membres de la Ligue. De m�me, � Bruxelles, o� notamment Marx et sa femme lui t�moign�rent une amiti� m�l�e d'une patience surhumaine. Mais il ne pouvait s'entendre avec personne. Aussi finit-il par se rendre en Am�rique pour y mettre � l'�preuve ses id�es de proph�te.
Toutes ces circonstances contribu�rent � op�rer sans bruit une r�volution au sein de la Ligue, et notamment parmi les dirigeants de Londres. Ceux-ci se rendaient de plus en plus compte des insuffisances des anciennes conceptions du communisme simplement �galitaire des Fran�ais aussi bien que du communisme pr�conis� par Weitling. La tentative de Weitling de ramener le communisme au christianisme primitif, en d�pit de certains traits de g�nie que l'on rencontre dans son �vangile du pauvre p�cheur, n'avait abouti en Suisse qu'� mettre le mouvement entre les mains d'illumin�s tels qu'Albrecht, ainsi que d'autres proph�tes et charlatans qui exploit�rent plus ou moins ouvertement leurs adeptes. Les vieux r�volutionnaires de la Ligue ne pouvaient qu'�tre �cœur�s par toute la veulerie et la flagornerie de ce � vrai socialisme � d�bit� par quelques gens de lettres qui transcrivaient en un mauvais allemand h�g�lien les r�veries sentimentales m�l�es aux formules socialistes fran�aises (cf. le chapitre sur le socialisme allemand ou � vrai socialisme � dans le Manifeste communiste) que Kriege et la lecture de cette litt�rature introduisaient dans la Ligue. Devant l'inconsistance des anciennes doctrines th�oriques qui aboutissaient dans la pratique � de telles aberrations, on se rendit de plus en plus compte � Londres qu'elles ne tenaient plus debout et que, Marx et moi, nous avions raison avec notre nouvelle th�orie. Cette prise de conscience se trouva indubitablement acc�l�r�e par l'action, parmi les dirigeants de Londres, de deux hommes qui d�passaient tous ceux que nous avons cit�s jusqu'ici en capacit� d'assimilation th�orique : le peintre miniaturiste Karl Pf�nder de Heilbronn et le tailleur Georges Eccarius de Thuringe [16].
Bref, au printemps 1847, Moll alla trouver Marx � Bruxelles, puis vint me voir ensuite � Paris, afin de nous inviter une nouvelle fois au nom de ses camarades � entrer dans la Ligue. Ils �taient, nous disait-il, convaincus en g�n�ral de l'exactitude de notre conception tout autant que de la n�cessit� de soustraire la Ligue aux anciens usages et proc�d�s conspiratifs. Si nous voulions adh�rer, l'occasion nous serait offerte de d�velopper, � un congr�s de la Ligue, notre communisme critique dans une proclamation qui serait ensuite publi�e comme manifeste de la Ligue ; de la sorte, nous pourrions contribuer avec nos forces � substituer � l'organisation surann�e de la Ligue une organisation nouvelle, conforme aux exigences de l'�poque aussi bien qu'au but du communisme.
II ne faisait pas le moindre doute qu'il fallait une organisation au sein de la classe ouvri�re allemande, ne f�t-ce que pour la propagande. Cependant, dans la mesure o� elle n'�tait pas purement locale, ce ne pouvait �tre qu'une association secr�te, m�me si elle existait aussi hors d'Allemagne. Or, la Ligue constituait pr�cis�ment une organisation de ce genre. Ce que nous avions critiqu� jusqu'alors dans la Ligue, les repr�sentants de la Ligue le consid�raient eux aussi comme erron� et se disaient pr�ts � le sacrifier. Et l'on nous invitait � contribuer � cette r�organisation. Pouvions-nous refuser ? �videmment non. Nous entr�mes donc dans la Ligue. � Bruxelles, Marx cr�a une commune avec nos sympathisants, tandis que je rendis visite aux trois communes de Paris.
En �t� 1847, la Ligue tint son premier congr�s � Londres. G. Wolff y repr�sentait la commune de Bruxelles, et moi celle de Paris. On y mena d'abord � bonne fin la r�organisation de la Ligue. Toutes les vieilles formules mystiques datant du temps de la conspiration furent �limin�es ; la Ligue s'organisa en communes, cercles, cercles dirigeants, Conseil central et Congr�s, et prit le nom de Ligue des communistes. Le premier article des statuts proclamait [17] : � Le but de la Ligue est le renversement de la bourgeoisie, la domination du prol�tariat, l'abolition de la vieille soci�t� bourgeoise, fond�e sur les antagonismes de classes, et l'instauration d'une soci�t� nouvelle, sans classes et sans propri�t� priv�e. �
L'organisation �tait parfaitement d�mocratique, ses dirigeants �tant �lus et � tout moment r�vocables ; ce seul fait barrait la route � toutes les vell�it�s de conspiration qui impliquent une dictature, et transformait la Ligue ‑ du moins pour les temps de paix ordinaires ‑ en une simple association de propagande. On proc�da alors si d�mocratiquement que ces nouveaux statuts furent soumis � la discussion des communes, puis aux d�bats du deuxi�me congr�s qui les adopta d�finitivement le 8 d�cembre 1847. Wermuth et Stieber les reproduisirent dans leur ouvrage, I, p. 239, annexe VIII.
Le second congr�s si�gea de fin novembre � d�but d�cembre de la m�me ann�e. Marx y assistait aussi et d�fendit la nouvelle th�orie tout au long des d�bats qui dur�rent une bonne dizaine de jours. Toutes les objections et les doutes furent lev�s, les nouveaux principes furent adopt�s � l'unanimit�, et l'on nous chargea, Marx et moi, d'�laborer le Manifeste. C'est ce qui fut fait rapidement. Quelques semaines avant la r�volution de f�vrier, il fut envoy� � Londres pour �tre imprim�. Il a fait, depuis lors, le tour du monde ; traduit dans presque toutes les langues, il sert aujourd'hui encore, dans les pays les plus divers, de guide au mouvement prol�tarien. L'ancienne devise de la Ligue : � Tous les hommes sont fr�res �, y �tait remplac�e par le nouveau cri de guerre : � Prol�taires de tous les pays, unissez-vous ! �, qui proclame ouvertement le caract�re international de la lutte. Dix-sept ans plus tard, ce cri de guerre r�sonnait dans le monde comme mot d'ordre de ralliement pour la lutte de l'Association internationale des travailleurs, et aujourd'hui le prol�tariat militant de tous les pays l'a inscrit sur sa banni�re.
Or donc, la r�volution de f�vrier �clata. Aussit�t le Conseil central de Londres d�l�gua ses pouvoirs au cercle directeur de Bruxelles. Mais cette d�cision intervint � un moment o� Bruxelles �tait soumis � un v�ritable �tat de si�ge et o� les Allemands en particulier ne pouvaient plus se r�unir nulle part. Quoi qu'il en soit, nous �tions tous sur le point de nous rendre � Paris. Le nouveau Conseil central r�solut donc de se dissoudre, afin de remettre tous ses pouvoirs � Marx, l'habilitant � constituer imm�diatement � Paris un nouveau Conseil central. Les cinq camarades qui avaient pris cette r�solution (3 mars 1848) venaient � peine de se s�parer que la police envahit le logis de Marx pour l'arr�ter et le mettre en demeure de partir le lendemain en France, o� il avait pr�cis�ment l'intention de se rendre.
Nous nous retrouv�mes donc tous bient�t � Paris. Et c'est l� que fut r�dig� le document suivant, sign� des membres du nouveau conseil central et diffus� dans toute l'Allemagne. De nos jours encore, il est plein d'enseignements � plus d'un titre :
� Prol�taires de tous les pays, unissez-vous !
1. L'Allemagne enti�re sera proclam�e R�publique une et indivisible.
[2. Tout Allemand de vingt et un ans sera �lecteur et �ligible, � condition de ne pas avoir �t� frapp� d'une peine criminelle.]
3. Les repr�sentants du peuple seront r�tribu�s, afin que l'ouvrier puisse lui aussi si�ger au parlement du peuple allemand.
4. Tout le peuple sera en armes. [� l'avenir, les arm�es seront en m�me temps des arm�es d'ouvriers. Ainsi, l'arm�e ne consommera pas seulement comme par le pass�, mais produira encore plus que ce qu'il lui faut pour son entretien. C'est, en outre, un moyen d'organiser le travail dans la soci�t�.]
[5. L'administration de la justice sera gratuite.
6. Toutes les charges f�odales, avec toutes les contributions, corv�es, d�mes, etc., qui ont pes� jusqu'ici sur la population rurale, seront supprim�es sans qu'il y ait lieu au moindre d�dommagement.]
7. Les domaines des princes et autres f�odaux, toutes les mines, carri�res, etc., seront transform�s en propri�t� d'�tat. Dans ces domaines, l'exploitation agricole s'effectuera en grand avec les proc�d�s les plus modernes de la science au profit de la collectivit� enti�re.
8. Les hypoth�ques pesant sur les biens des paysans seront d�clar�es propri�t� d'�tat. Les paysans paieront � l'�tat les int�r�ts de ces hypoth�ques.
9. Dans les r�gions o� le r�gime des baux � ferme est d�velopp�, la rente fonci�re ou le fermage sera pay� � l'�tat sous la forme d'un imp�t.
[Toutes les mesures indiqu�es aux num�ros 6, 7, 8 et 9 seront prises pour diminuer les charges publiques ainsi que celles des cultivateurs et des petits fermiers, sans diminuer les ressources n�cessaires � l'�tat pour couvrir ses frais, ni compromettre la production. Le propri�taire foncier proprement dit, � savoir celui qui n'est ni cultivateur ni fermier, ne contribue aucunement � la production, de sorte que sa consommation est un simple abus.
10. Une banque d'�tat, dont la monnaie aura cours forc�, prendra la place de toutes les banques priv�es.
Cette mesure permettra de r�gler dans l'int�r�t de tout le peuple le syst�me de cr�dit, et sapera la domination des gros financiers. En substituant progressivement � l'or et � l'argent du papier-monnaie, elle fait baisser le co�t de l'instrument indispensable au mode de distribution bourgeois, de l'�talon d'�change, et permet d'utiliser l'or et l'argent dans les �changes avec l'�tranger. Cette mesure est finalement n�cessaire pour river les int�r�ts de la bourgeoisie conservatrice � la r�volution.]
11. Tous les moyens de transport ‑ chemins de fer, canaux, bateaux � vapeur, routes, postes, etc. ‑ seront pris en main par l'�tat. Ils seront transform�s en propri�t� d'�tat et les classes les plus d�munies pourront les utiliser gratuitement.
[12. La seule diff�rence � introduire dans le syst�me des traitements des fonctionnaires, c'est que ceux qui ont une famille, c'est-�-dire plus de besoins, toucheront un traitement sup�rieur aux autres.
13. S�paration totale entre l'�glise et l'�tat. Les ministres de toutes les confessions seront r�tribu�s uniquement par les largesses de leurs coreligionnaires.]
14. Restriction du droit de succession.
15. Introduction d'imp�ts fortement progressifs, et suppression des imp�ts sur la consommation.
16. Cr�ation d'ateliers nationaux. L'�tat garantit l'existence � tous les travailleurs et assure l'entretien de ceux qui sont inaptes au travail.
17. Instruction g�n�rale et gratuite.
Il est de l'int�r�t du prol�tariat, des petits-bourgeois et petits cultivateurs allemands d'œuvrer de toute leur �nergie � la r�alisation des mesures ci-dessus �nonc�es. C'est uniquement en les r�alisant que des millions d'Allemands, exploit�s jusqu'ici par un petit nombre d'individus d�sireux de perp�tuer l'oppression, pourront obtenir justice et conqu�rir le pouvoir qui leur revient, puisqu'ils produisent toute la richesse dans la soci�t�.
Le Comit�
Karl Marx, Karl Schapper, Heinrich Bauer, Friedrich Engels, Joseph Moll, Wilhelm Wolff
� Paris s�vissait alors la manie des l�gions r�volutionnaires. Espagnols, Italiens, Belges, Hollandais, Polonais, Allemands se constituaient en troupes pour d�livrer leurs patries respectives. La l�gion allemande �tait dirig�e par Herwegh, Bornstedt, B�rnstein. �tant donn� que tous les travailleurs �trangers se trouv�rent, au lendemain de la r�volution, non seulement sans travail, mais encore en butte aux tracasseries du public, l'afflux vers ces l�gions �tait consid�rable. Le nouveau gouvernement y voyait un moyen de se d�barrasser des travailleurs �trangers, si bien qu'il leur accorda l'�tape du soldat [19], soit une indemnit� de 50 centimes par jour de marche jusqu'� la fronti�re, o� le ministre des Affaires ext�rieures, le beau parleur Lamartine qui avait toujours la larme � l'œil, trouverait toujours une occasion pour les trahir et les livrer � leurs gouvernements respectifs.
C'est de la mani�re la plus nette que nous pr�mes parti contre cet enfantillage r�volutionnaire. Entreprendre une invasion au beau milieu de l'effervescence allemande du moment afin d'y importer de l'�tranger la r�volution de vive force, c'�tait donner un croc-en-jambe � la r�volution en Allemagne m�me, consolider les gouvernements en place et enfin ‑ Lamartine en �tait le plus s�r garant – livrer sans d�fense les l�gionnaires aux coups de l'arm�e allemande. De fait, lorsque la r�volution vainquit ensuite � Berlin et � Vienne, la l�gion fut plus inutile que jamais. Comme on avait commenc�, ainsi continua-t-on de jouer [20].
Nous fond�mes un club communiste allemand [21], afin de donner aux ouvriers le conseil de gagner isol�ment l'Allemagne et d'y faire de la propagande pour le mouvement, plut�t que de s'engager dans la l�gion. Notre vieil ami Flocon, qui faisait partie du Gouvernement provisoire, r�ussit � obtenir pour les ouvriers rapatri�s par nos soins les m�mes avantages de voyage qu'aux l�gionnaires. Nous f�mes ainsi rentrer trois � quatre cents ouvriers, en grande majorit� membres de la Ligue.
Comme il �tait facilement pr�visible, la Ligue s'av�ra comme un levier pratiquement d�risoire face aux masses populaires jet�es dans le tourbillon r�volutionnaire. Les trois quarts des membres de la Ligue avaient chang� de domicile du fait de leur retour en Allemagne, et la plupart des communes auxquelles ils avaient adh�r� jusqu'alors se trouv�rent automatiquement dissoutes, de sorte qu'ils perdirent toute liaison avec la Ligue. Les plus ambitieux ne cherch�rent m�me pas � r�tablir cette liaison, mais se mirent � cr�er, pour leur propre compte, de petits mouvements s�par�s dans leur localit�. Enfin, dans chacun des innombrables �tats en lesquels l'Allemagne �tait alors divis�e, dans chaque province, dans chaque ville, la situation �tait � son tour si particuli�re que la Ligue e�t �t�, de toute fa�on, dans l'impossibilit� de donner autre chose que des consignes g�n�rales qu'il �tait en somme plus commode de diffuser par voie de presse. En fin de compte, d�s l'instant o� cessaient les causes qui avaient rendu n�cessaire la clandestinit�, la Ligue n'avait plus besoin d'�tre une organisation secr�te. Ceux qui devaient en �tre le moins surpris, c'�tait ceux qui venaient pr�cis�ment d'enlever � la Ligue ses derniers aspects conspirateurs.
Il s'av�ra aussit�t que la Ligue avait �t� une excellente �cole d'action r�volutionnaire. Sur le Rhin, o� La Nouvelle Gazette rh�nane constituait un point de ralliement solide [22], dans le Nassau, la Hesse rh�nane, etc., des membres de la Ligue avaient pris partout la t�te du mouvement d�mocratique extr�miste. De m�me � Hambourg. En Allemagne m�ridionale, la petite bourgeoisie d�mocratique pr�pond�rante nous barrait la route. � Breslau, Wilhelm Wolff d�ploya une activit� tr�s fructueuse jusqu'� l'�t� 1848 et obtint un mandat pour repr�senter la Sil�sie au parlement de Francfort. � Berlin, enfin, Stephan Born, ancien membre tr�s actif de la Ligue � Bruxelles et � Paris, fonda une Association fraternelle ouvri�re qui prit une grande extension et subsista jusqu'en 1850. H�las, Born, encore jeune et plein de talent, fut trop press� de devenir une sommit� politique et fraternisa avec le tiers et le quart simplement pour rassembler beaucoup de monde. Il n'�tait pas homme � mettre de l'unit� dans les tendances oppos�es, ni de la clart� dans le chaos. Ainsi, dans les publications officielles de cette association, s'entrem�lent en un fouillis inextricable des id�es expos�es dans le Manifeste communiste, des r�miniscences et revendications datant des vieilles corporations, des bribes des constructions de Louis Blanc et de Proudhon, des id�es protectionnistes, etc. ; bref, il voulait �tre de tous les mouvements et n'�tait que la mouche du coche. On lan�a des gr�ves, des coop�ratives ouvri�res, des associations de production, en oubliant qu'il s'agissait, avant tout, de commencer par conqu�rir, gr�ce � des victoires politiques, un terrain sur lequel tout cela pouvait �tre r�alis� � long terme. Or, lorsque les victoires de la r�action firent comprendre aux dirigeants de cette Association fraternelle des ouvriers qu'il fallait intervenir directement dans la lutte r�volutionnaire, ils furent naturellement l�ch�s par la masse confuse qu'ils avaient rassembl�e autour d'eux. Born participa � l'insurrection de Dresde en mai 1849 [23], et parvint � en sortir sain et sauf. Mais l'Association fraternelle ouvri�re �tait rest�e � l'�cart du grand mouvement politique du prol�tariat, comme une organisation particuli�re, qui n'existait gu�re que sur le papier. Son r�le fut si effac� que la r�action ne jugea n�cessaire de la combattre qu'en 1850, et de liquider ce qui en restait quelques ann�es plus tard seulement. Born ‑ Buttermilch de son vrai nom ‑ ne devint pas un grand homme politique, mais un petit professeur suisse qui, au lieu de traduire Marx dans le langage des artisans, traduisit le tendre Renan en son propre allemand � l'eau de rose.
Le 13 juin 1849 � Paris [24], la d�faite des soul�vements allemands de mai [25], l'�crasement de la r�volution hongroise par les Russes [26] marqu�rent la fin d'une grande p�riode de la r�volution de 1848. Cependant, la victoire de la r�action n'en �tait pas pour autant d�finitive, loin de l�. Une r�organisation des forces r�volutionnaires, dispers�es par une premi�re d�faite, s'imposait, et par suite aussi celle de la Ligue. Mais, tout comme avant 1848, les conditions du moment interdisaient au prol�tariat de s'organiser au grand jour : il fallut donc recourir de nouveau � l'organisation secr�te.
Au cours de l'automne 1849, la plupart des membres des anciens conseils centraux et des congr�s se retrouv�rent � Londres. Il ne manquait plus que Schapper (qui �tait d�tenu � Wiesbaden, mais nous rejoignit �galement au printemps 1850, apr�s son acquittement), ainsi que Moll qui, apr�s avoir rempli une s�rie de missions et de tourn�es d'agitation les plus dangereuses ‑ en dernier, il recrutait des canonniers mont�s pour l'artillerie du Palatinat [27] au sein m�me de l'arm�e prussienne ‑, s'engagea dans la compagnie ouvri�re de Besan�on du corps d'arm�e de Willich et fut tu� d'une balle dans la t�te au cours de l'accrochage de la Murg, pr�s du pont de Rotenfels.
Willich fait contraste sur ce point. C'�tait l'un de ces communistes de sentiment si nombreux apr�s 1845 en Allemagne occidentale. Ne serait-ce que pour cette raison, il �tait en opposition instinctive et secr�te avec notre tendance critique. Qui plus est, c'�tait litt�ralement un proph�te, convaincu de sa mission personnelle de lib�rateur pr�destin� du prol�tariat allemand et, en tant que tel, pr�tendant direct � la dictature aussi bien militaire que politique. � c�t� du communisme de type christianisme primitif de Weitling, on vit donc s'instituer une sorte d'islam communiste. Cependant, la propagande en faveur de la nouvelle religion se limita tout d'abord � la caserne de r�fugi�s command�e par Willich.
Or donc, la Ligue fut r�organis�e, lors de la publication de l'Adresse de mars 1850 [28] et de l'envoi en Allemagne de notre �missaire H. Bauer. Cette adresse, �labor�e par Marx et moi, pr�sente aujourd'hui encore un int�r�t, du fait que la d�mocratie petite-bourgeoise continue de former le parti qui doit arriver au pouvoir pour sauver la soci�t� de l'emprise des ouvriers communistes, lors de la prochaine secousse dont l'�ch�ance ne saurait tarder maintenant (l'�ch�ance des r�volutions europ�ennes allant de quinze � dix-huit ans au cours de ce si�cle, par exemple 1815-1830, 1848-1852, 1870). Sur plus d'un point, cette adresse est encore valable aujourd'hui. La tourn�e de Heinrich Bauer fut un succ�s complet. Le joyeux petit cordonnier �tait un diplomate n�. Il fit revenir dans l'organisation active les anciens membres de la Ligue, dont les uns s'�taient lass�s, et dont les autres op�raient � leur propre compte, notamment les chefs actuels de l'Association fraternelle des travailleurs. La Ligue joua un r�le pr�pond�rant dans les soci�t�s d'ouvriers, de paysans ou de gymnastique, et ce avec plus de succ�s qu'avant 1848. Ainsi l'Adresse trimestrielle suivante aux communes (juin 1850) [29] put constater que l'estudiantin Schurz, de Bonn (plus tard ministre aux �tats-Unis), qui parcourait l'Allemagne au profit de la d�mocratie petite-bourgeoise, aurait � trouv� toutes les forces utilisables d�j� entre les mains de la Ligue �. Celle-ci, comme on le voit, �tait indubitablement la seule organisation r�volutionnaire ayant une importance en Allemagne.
Le sort de cette organisation �tait directement li� aux perspectives d'une reprise r�volutionnaire. Or, celles-ci devenaient de plus en plus incertaines, voire contraires au cours de l'ann�e 1850. La crise industrielle de 1847 qui avait pr�par� la r�volution de 1848 �tait surmont�e, et il s'ouvrait une nouvelle p�riode de prosp�rit� industrielle sans pareille jusqu'ici. Quiconque avait des yeux pour voir, et s'en servait, s'apercevait clairement que la temp�te r�volutionnaire de 1848 s'apaisait progressivement. Dans la revue de mai � octobre 1850 [30], Marx et moi nous �crivions : � Du fait de la prosp�rit� g�n�rale, au cours de laquelle les forces productives de la soci�t� bourgeoise se d�veloppent avec toute la luxuriance possible au sein des rapports bourgeois, il ne peut �tre question d'une v�ritable r�volution. Celle-ci n'est possible qu'aux p�riodes de conflit ouvert entre ces deux facteurs : les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises. Les diff�rentes querelles auxquelles se livrent actuellement les repr�sentants des diverses factions du parti de l'ordre sur le continent, et dans lesquelles elles se discr�ditent les unes les autres, bien loin de fournir de nouvelles occasions de r�volution, ne sont au contraire possibles que parce que la base des rapports sociaux est en ce moment bien assur�e et ‑ ce que la r�action ignore ‑ solidement bourgeoise. Les multiples tentatives entreprises par la r�action pour endiguer l'essor social de la bourgeoisie viendront s'�chouer contre cette base, et ce tout aussi s�rement que toute l'indignation morale et les proclamations enthousiastes de la d�mocratie. �
Cette froide appr�ciation de la situation fut consid�r�e comme une h�r�sie, � une �poque o� les Ledru-Rollin, Louis Blanc, Mazzini, Kossuth et, parmi les lumi�res allemandes de second ordre, Ruge, Kinkel, G�gg et tutti quanti constituaient en s�rie � Londres de futurs gouvernements provisoires, non seulement pour leurs patries respectives, mais encore pour l'Europe enti�re : il ne leur restait plus qu'� rassembler, gr�ce � un emprunt r�volutionnaire, �mis en Am�rique, l'argent n�cessaire pour r�aliser en un clin d'œil la r�volution europ�enne ainsi que les diff�rentes r�publiques qui en d�coulaient tout naturellement. Qui pourrait s'�tonner de ce qu'un homme tel que Willich ait donn� dans le panneau, que Schapper lui-m�me, en raison de ses vieux �lans r�volutionnaires, se soit laiss� griser, et que la majeure partie des ouvriers de Londres, pour la plupart des r�fugi�s, les aient suivis dans le camp des faiseurs de r�volution de la d�mocratie bourgeoise ? En un mot, la circonspection que nous pr�conisions n'�tait pas du go�t de ces gens-l� : il fallait se mettre � faire des r�volutions. Nous nous y refus�mes cat�goriquement. Il s'ensuivit une scission, et la suite est � lire dans les R�v�lations[31].
Puis ce fut l'arrestation de Nothjung d'abord, de Haupt � Hambourg ensuite. Ce dernier trahit, en donnant les noms du Comit� central de Cologne et en servant de t�moin principal dans le proc�s. Cependant, les membres de sa famille ne voulurent pas subir pareille honte et l'exp�di�rent � Rio de Janeiro, o� il trouva � s'�tablir dans le commerce et finit par �tre nomm� consul g�n�ral de la Prusse, puis de l'Allemagne, en r�compense de ses hauts faits. Il est actuellement de retour en Europe.
Pour faciliter l'intelligence de ce qui va suivre, voici la liste des accus�s de Cologne : 1. P. G. R�ser, ouvrier cigarier ; 2. Heinrich B�rgers, mort en 1878 comme d�put� progressiste au Landtag ; 3. Peter Nothjung, tailleur, mort il y a quelques ann�es � Breslau, comme photographe ; 4. W. J. Reiff ; 5. Dr Hermann Becker, aujourd'hui mayeur de Cologne et membre de la Chambre haute ; 6. Dr Roland Daniels, m�decin, mort, quelques ann�es apr�s le proc�s, de phtisie contract�e en prison ; 7. Karl Otto, chimiste ; 8. Dr Abraham Jacoby, actuellement m�decin � New York ; 9. Dr J. J. Klein, actuellement m�decin et �chevin � Cologne ; 10. Ferdinand Freiligrath, qui r�sidait autrefois d�j� � Londres ; 11. J. L. Ehrhard, commis ; 12. Friedrich Lessner, tailleur, actuellement � Londres.
Les d�bats publics devant les jur�s dur�rent du 4 octobre au 12 novembre 1852, et s'achev�rent par les condamnations suivantes pour tentative de haute trahison : R�ser, B�rgers et Nothjung � 6 ans de forteresse, Reiff, Otto, Becker � 5 ans, et Lessner � 3 ans de la m�me peine. Daniels, Klein, Jacoby et Ehrhard furent acquitt�s.
Le proc�s de Cologne cl�t cette premi�re p�riode du mouvement ouvrier communiste allemand. � peine les condamnations �taient-elles prononc�es que nous d�cid�mes de dissoudre notre Ligue ; quelques mois plus tard, la Ligue s�paratiste [32] de Willich-Schapper sombra dans le repos �ternel.
Entre cette premi�re p�riode et l'actuelle s'est �coul�e une g�n�ration. Dans l'intervalle, d'un pays d'artisanat et d'industrie domestique � base de travail manuel, l'Allemagne est devenue un grand pays industriel en transformation �conomique et technique ininterrompue. En ce temps-l�, il fallait recruter un par un les ouvriers susceptibles de saisir leur condition d'ouvriers et l'antagonisme historique et �conomique qui les oppose au capital, parce que cet antagonisme lui-m�me n'�tait encore qu'en voie de formation. Aujourd'hui, il faut soumettre tout le prol�tariat allemand aux lois d'exception pour retarder d'un rien le processus par lequel il prendra une conscience compl�te de sa condition de classe opprim�e.
En ce temps-l�, les rares hommes qui, � force de t�nacit�, s'�taient hauss� � l'intelligence du r�le historique du prol�tariat devaient s'organiser en secret dans de petites communes de trois � vingt hommes et se r�unir en catimini. Aujourd'hui, le prol�tariat allemand n'a pas besoin d'organisation constitu�e, ni publique ni secr�te [33] : la simple association, qui va de soi, de membres de la m�me classe professant les m�mes id�es suffit � �branler tout l'Empire allemand, m�me sans statuts, ni comit� directeur, ni r�solutions, ni autres formalit�s. Bismarck est devenu l'arbitre de l'Europe, hors des fronti�res de l'Allemagne ; � l'int�rieur, en revanche, il se voit menac� chaque jour davantage par la figure athl�tique du prol�tariat allemand, dont Marx avait pr�vu les proportions gigantesques d�s 1844. D'ores et d�j�, il se trouve � l'�troit dans le cadre de l'Empire trac� � la mesure du philistin bourgeois. Dans un proche avenir, lorsque sa stature puissante et ses larges �paules se seront encore d�velopp�es, il n'aura qu'� se soulever de son si�ge pour faire sauter tout l'�difice constitutionnel de l'Empire.
Qui plus est, le mouvement international du prol�tariat europ�en et am�ricain est devenu maintenant si puissant que non seulement sa forme premi�re, forme �triqu�e ‑ la Ligue secr�te ‑ mais encore sa forme seconde, infiniment plus large ‑ l'Association internationale des travailleurs de caract�re public ‑, lui seraient une entrave. De fait, le simple sentiment de solidarit�, fond� sur la reconnaissance de l'identit� de la condition de classe parmi les ouvriers de tous les pays et de toutes les langues, suffit � cr�er et � souder un seul et m�me grand parti du prol�tariat [34].
Les le�ons que la Ligue a retenues et d�fendues de 1847 � 1852, et que les philistins, dans leur sagesse, pouvaient, avec des haussements d'�paules, d�crier comme des chim�res �closes dans les folles t�tes extr�mistes, ou comme la doctrine �sot�rique de quelques sectaires diss�min�s aux quatre coins du pays, ces th�ories ont aujourd'hui d'innombrables partisans dans tous les pays civilis�s du monde, parmi les parias des mines de Sib�rie aussi bien que les chercheurs d’or de Californie [35]. Et le fondateur de cette doctrine, l'homme le plus ha� et le plus calomni� de son temps ‑ Karl Marx ‑, �tait, au moment de sa mort, le conseiller toujours recherch� et toujours disponible du prol�tariat des deux mondes.
Notes
[1] Cf. Engels, introduction � la
troisi�me �dition allemande de l'ouvrage de Marx,
R�v�lations sur le proc�s des communistes de Cologne, Londres,
le 8 octobre 1885.
Ce texte et celui de Marx de La Nouvelle Gazette
ont �t� �crits par Engels bien apr�s l'�v�nement comme
contribution � l'histoire du mouvement ouvrier allemand
afin que l'exp�rience des ann�es h�ro�ques ne soit pas
perdue pour les g�n�rations ult�rieures. N'�tant pas �crits
dans le feu de l'action, ils forment une sorte de synth�se
et de conclusion des luttes r�volutionnaires de la premi�re
avant-garde communiste du mouvement ouvrier moderne.
[2] Le premier tome renferme l' � histoire � du mouvement ouvrier � l'intention des policiers ; les annexes reproduisent les documents de la Ligue des communistes tomb�s entre les mains de la police. Le second tome reproduit une � liste noire � avec des indications biographiques sur les personnes qui �taient en relation avec le mouvement ouvrier et le mouvement d�mocratique.
[3] Cf. traduction fran�aise : Karl Marx devant les jur�s de Cologne (9 f�vrier 1849) suivi de R�v�lations sur le proc�s des communistes (4 octobre 1852), par J. Molitor, Paris, �d. Costes, 1939. Ce volume contient en annexe les deux � Adresses du Conseil central � la Ligue � (mars et juin 1850), le tout est pr�c�d� de la pr�face d'Engels de 1885.
[4] Engels fait allusion � un �pisode caract�ristique de la lutte des d�mocrates allemands contre la r�action qui avait relev� la t�te apr�s le Congr�s de Vienne. Le 3 avril 1833, un groupe d'�l�ments radicaux, essentiellement �tudiants, tenta, en attaquant la Garde du Constable et la Grande-Garde de Francfort, de donner le signal � un assaut contre le si�ge de la Di�te et, par l�, � un soul�vement r�volutionnaire dans toute l'Allemagne. L'entreprise, insuffisamment pr�par�e, voire trahie au pr�alable, ne donna aucun r�sultat r�volutionnaire.
[5] En f�vrier 1834, le d�mocrate bourgeois Mazzini, en liaison avec des membres de la ligue secr�te Jeune Italie (qu'il avait fond�e en 1831) et un groupe d'�migr�s r�volutionnaires, r�fugi�s en Suisse, tenta de p�n�trer en Savoie qui faisait alors partie du royaume de Sardaigne (Pi�mont). Il voulait y organiser un soul�vement populaire afin d'unifier l'Italie et d'y instaurer une r�publique d�mocratique bourgeoise. Les troupes pi�montaises mirent en pi�ces le groupe r�volutionnaire.
[6] Nom donn� par les autorit�s prussiennes, apr�s la d�faite de Napol�on Ier et la victoire de la monarchie constitutionnelle de Prusse, aux patriotes allemands qui voulaient poursuivre la lutte pour l'ind�pendance et l'unit� de l'Allemagne. En 1819, les autorit�s instaur�rent une commission sp�ciale afin d'enqu�ter sur les � m�faits des d�magogues � dans tous les �tats allemands. La r�pression fut extr�mement dure contre les �l�ments lib�raux et d�mocratiques.
[7] Comme je l'ai d�j� dit, j'entends par communisme �galitaire celui qui s'appuie exclusivement ou essentiellement sur la revendication de l'�galit�. (Note d'Engels.)
[8] Cette association fut fond�e � Londres le 7 f�vrier 1840 par Karl Schapper, Joseph Moll, Heinrich Bauer et d'autres membres de la Ligue des justes. Marx et Engels prirent une part active au travail de cette association en 1847 et 1849-1850. Le 17 septembre, Marx, Engels et quelques-uns de leurs amis quitt�rent l'Association, parce que la majorit� avait pris parti pour la fraction Willich-Schapper qui s'opposait au Conseil central de Marx-Engels dans la Ligue des communistes. Marx-Engels reprirent leur activit� dans l'Association vers 1860. Le gouvernement anglais interdit l'Association en 1918 ; de nombreux r�fugi�s russes animaient alors les activit�s de cette association.
[9] Engels cite un extrait des � Notes
critiques relatives � l'article Le roi de Prusse
et la R�forme sociale. Par un Prussien �
�crites par Marx et publi�es le 7 ao�t 1844 dans le
Vorw�rts (trad. fr. : �crits militaires, p.
156‑176).
Vorw�rts !, journal allemand bihebdomadaire qui
parut � Paris de janvier � d�cembre 1844 et auquel Marx-Engels
collabor�rent. Sous l'influence de Marx qui fit partie de
la r�daction � partir de l'�t� 1844, le journal prit un
tour communiste. � la demande du gouvernement prussien, le
minist�re Guizot d�cr�ta l'expulsion de Marx et de quelques
autres collaborateurs du Vorw�rts en janvier 1845, date �
laquelle le journal cessa de para�tre.
[10] Les Annales franco-allemandes, publi�es en langue allemande � Paris sous la direction de Marx et de Ruge. Le premier num�ro sortit en double livraison en f�vrier 1844, et renfermait � La Question juive �� et la � Contribution � la critique de la philosophie du droit de Hegel, introduction � de Marx, ainsi que l'�tude d'Engels, � Esquisse d'une critique de l’�conomie politique � et � La Situation de l'Angleterre. Pass� et Pr�sent par Thomas Carlyle �, Londres, 1843. La revue cessa de para�tre � la suite des divergences th�oriques survenues entre Marx et le radical bourgeois Ruge.
[11] Il s'agit d'un journal bihebdomadaire, fond� par des r�fugi�s politiques allemands � Bruxelles. Il parut du 3 janvier 1847 � f�vrier 1848. Son orientation �tait d'abord d�termin�e par le d�mocrate petit-bourgeois Adalbert von Bornstedt qui s'effor�ait de concilier entre elles les diverses tendances du camp radical et d�mocratique. Cependant, sous l'influence de Marx-Engels, � partir de 1’�t� 1847, ce journal devint de plus en plus le porte-parole des �l�ments d�mocratiques-r�volutionnaires et communistes. En septembre 1847, Marx-Engels collabor�rent en permanence au journal et eurent une influence d�terminante sur son orientation. Ils prirent pratiquement la t�te du journal au cours des derniers mois de 1817. Sous leur influence, le journal devint l'organe du parti r�volutionnaire en formation : la Ligue des communistes.
[12] Hebdomadaire anglais, organe central des chartistes, de 1837 � 1852, paraissant d'abord � Leeds, puis � Londres � partir de novembre 1844. Le fondateur et le directeur en fut Feargus O'Connor ; au cours des ann�es 1840, ce fut George Julian Harney qui se chargea de la r�daction. Engels collabora � ce journal de septembre 1845 � mars 1848.
[13] Quotidien fran�ais, porte-parole des d�mocrates petits-bourgeois, des r�publicains ainsi que des socialistes petits-bourgeois. Il parut de 1843 � 1830 � Paris ; d'octobre 1847 � janvier 1848, Engels y publia plusieurs articles.
[14] Il s'agit de l'hebdomadaire Der Volks-Tribun, fond� par les � vrais socialistes � � New York et publi� du 5 janvier au 31 d�cembre 1846.
[15] Cf. la circulaire r�dig�e par Marx-Engels expliquant la r�solution d'exclusion de Hermann Kriege, Bruxelles le 11-5-1846. Traduction fran�aise : Cahiers de l'I. S. E. A., S�rie S, �tudes de marxologie, no 4.
[16] Pf�nder est mort en 1876 � Londres. C'�tait un homme d'une profonde finesse d'esprit plein d'humour et d'ironie, � la dialectique subtile. Comme on le sait, Eccarius fut plus tard secr�taire g�n�ral de l’Association internationale des travailleurs, dont le Conseil g�n�ral comprenait, entre autres, les membres suivants de l'ancienne Ligue : Eccarius Pf�nder, Lessner, Lochner, Marx et moi-m�me. Par la suite, Eccarius se consacra exclusivement au mouvement syndical anglais. (Note d'Engels.)
[17] L'ancien article 1 exprimait une vague aspiration au communisme, sans aucune liaison avec la r�alit� �conomique et sociale, bref, de mani�re toute utopique et sentimentale, sans aucun caract�re de classe : � La Ligue a pour but la suppression de l'esclavage des hommes par la diffusion de la th�orie de la communaut� des biens et, d�s que possible, par son introduction dans la pratique. �
[18] Marx et Engels �labor�rent le texte de ces revendications entre le 21 et 29 mars 1848. Ce fut le programme politique de la Ligue des communistes dans la phase bourgeoise de la r�volution en Allemagne. On peut comparer ces revendications � celles �tablies en avril 1917 par L�nine, cf. � Les T�ches du prol�tariat dans notre r�volution � Œuvres, t. XXIV, p. 47-84 Nous avons plac� entre crochets les passages omis par Engels dans son texte de 1885.
[19] En fran�ais dans le texte.
[20] Une fois une orientation politique prise, la praxis cons�cutive donne du poids au choix r�alis� et fait suivre aux protagonistes une dialectique propre qui les entra�ne dans le courant o� ils se sont engag�s. C'est de la sorte aussi que la th�orie, dans un sens comme dans l'autre, devient une force mat�rielle, ayant ses lois propres qui s'imposent ensuite aux hommes. En fonction de cette exp�rience, le marxisme juge � l'avance ‑ d�s le premier principe �nonc� ‑ le sort ult�rieur de tel ou tel organisme politique ou �conomique. D'o� l'importance de la critique de toutes les positions tant soit peu erron�es dans l'activit� du parti. Cette vision mat�rialiste du devenir des principes s'int�gre dans la pr�vision g�n�rale du cours historique mat�riel des diverses forces en pr�sence.
[21] Engels fait allusion au Club des ouvriers allemands, fond� d�but mars 1848 par des repr�sentants de la Ligue des communistes. Marx, qui dirigeait ce club, s'effor�a d’y regrouper les ouvriers allemands �migr�s � Paris, et leur exposa la tactique � suivre par le prol�tariat dans la r�volution bourgeoise d�mocrate qui �clatait en Allemagne.
[22] L'article d'Engels sur le r�le de Marx � la t�te de La Nouvelle Gazette rh�nane compl�te tout naturellement le pr�sent texte.
[23] Le soul�vement arm� de Dresde se produisit du 3 au 8 mai 1849. La cause en �tait le refus du roi de Saxe de reconna�tre la Constitution imp�riale et la nomination de l'archi-r�actionnaire Zschinsky comme Premier ministre. La bourgeoisie et la petite bourgeoisie ne prirent pratiquement aucune part � la lutte, de sorte que les ouvriers et artisans lutt�rent seuls sur les barricades. L'insurrection fut r�prim�e par la troupe saxonne et prussienne. Ce soul�vement fut le d�but des luttes arm�es pour la d�fense de la Constitution imp�riale qui se d�roul�rent de mai � juillet 1849 en Allemagne m�ridionale et occidentale, et s'achev�rent par la d�faite des forces d�mocratiques.
[24] Le 13 juin 1849, le parti petit-bourgeois de la Montagne appela � une d�monstration pacifique � Paris pour protester contre l'envoi de troupes fran�aises en Italie pour mater la r�volution. L'article 4 de la Constitution fran�aise interdisait en effet l'envoi de troupes dans un pays �tranger pour y r�primer la libert�. Ayant �t� purement et simplement dispers�e par la troupe, cette manifestation rendit patent l'�chec de la d�mocratie petite-bourgeoise. Apr�s le 13 juin, de nombreux dirigeants du parti de la Montagne, ainsi que des d�mocrates petits-bourgeois �trangers, furent arr�t�s ou expuls�s.
[25] Cf. l'ouvrage d'Engels sur � La Campagne pour la constitution du Reich �, La R�volution d�mocratique-bourgeoise en Allemagne, �d sociales, Paris, 1952, p 115-200, ainsi que, dans le m�me volume, � R�volution et contre-r�volution en Allemagne � p. 203-307.
[26] Cf. Marx-Engels, �crits militaires, p. 221-268.
[27] � l'�poque d'Engels, la cavalerie �tait une arme dans laquelle la troupe �tait essentiellement r�actionnaire, donc peu favorable au travail de noyautage r�volutionnaire. En revanche, le g�nie ou l'artillerie �taient des armes modernes, dans lesquelles le travail s'alliait aux connaissances techniques et � l’esprit d'initiative. La troupe y avait donc un esprit plus ouvert aux choses et id�es nouvelles, non-conformistes. Ce qui est plus important encore et justifie les efforts des r�volutionnaires de la Ligue en vue de gagner la sympathie des artilleurs et leur neutralit�, c'est qu'� on ne peut pas employer utilement la cavalerie dans les combats de barricades : or, c'est la lutte sur les barricades des grandes villes, et surtout l'attitude qu'y adoptent l'infanterie et l'artillerie, qui, de nos jours, d�cident du sort de tous les coups d'�tat � (Engels, � La Question militaire prussienne et le parti ouvrier allemand � , in Marx-Engels, �crits militaires, p. 462-463).
[28] Nous n'avons pas reproduit les deux � Adresses du Conseil central � la Ligue � r�dig�es par Marx en mars et juin 1850, en d�pit de leur importance. Le lecteur les trouvera, en traduction fran�aise, dans Marx-Engels, Karl Marx devant les jur�s de Cologne, �d. Costes, en annexe, p. 237-261.
[29] Ibid., p. 253.
[30] De d�cembre 1849 � novembre 1850, Marx
et Engels publi�rent La Nouvelle Gazette rh�nane ‑
Revue politique et �conomique. Ce fut l’organe
politique et �conomique de la Ligue des communistes la
continuation, sous forme de revue, du grand journal dirig� par
Marx-Engels au cours de la r�volution de 1848-1849, La
Nouvelle Gazette rh�nane. Ils y tir�rent les le�ons de la
grande r�volution europ�enne, y analys�rent le nouveau rapport
de forces et d�finirent la nouvelle tactique � suivre
au cours de la phase historique nouvelle (1850 � 1871),
d'o� l'importance des �tudes publi�es dans les six
cahiers de la revue, par exemple � Les Luttes de classe en
France �, � La Guerre des paysans � � R�volution et
contre-r�volution en Allemagne �. � la suite des chicanes
polici�res en Allemagne et d'ennuis financiers, la revue
cessa de para�tre, en m�me temps que s'�teignait la
derni�re vague r�volutionnaire de cette p�riode tourment�e.
La partie politique de la revue de mai � octobre 1850 a �t�
ins�r�e par Engels dans la r��dition des Luttes de classe
en France, chap. 4 (1895), � l'exception de quelques
passages. La partie �conomique a �t� traduite en fran�ais et
publi�e dans �tudes de marxologie, 7, p.
135-158.
[31] Schapper mourut � Londres vers 1870.
Willich se distingua au cours de la guerre civile am�ricaine.
Il participa � la bataille de Murfresboro (Tennessee) avec le
grade de g�n�ral de brigade, et y fut touch� d'une balle en
pleine poitrine. Il en r�chappa n�anmoins et mourut il y a,
quelque dix ans en Am�rique. Quant aux autres que j'ai
cit�s plus haut, remarquons que Heinrich Bauer a disparu en
Australie et que Weitling et Ewerbeck sont morts en Am�rique.
(Note d'Engels.)
En ce qui concerne la participation � la guerre de S�cession
des anciens amis de Marx et d'Engels ou des militants
allemands en g�n�ral, cf. Marx-Engels, La Guerre civile aux
�tats-Unis, 1861-1865, 10/18, note 58, p. 267-268.
[32] Engels qualifie de � Ligue s�paratiste � la fraction de Willich-Schapper de caract�re sectaire qui se forma en organisation particuli�re apr�s la scission intervenue dans la Ligue des communistes le 15 septembre 1850. L'expression fait allusion � l'analogie de son mode d'organisation avec celui des conf�d�rations s�paratistes des cantons catholiques r�actionnaires de Suisse des ann�es 1840.
[33] Comme il ressort de toute son activit� et de toute sa conception, Engels n'entend nullement par l� que l'organisation de parti est superflue � ce stade historique. Il ironise bien plut�t � l'intention de la politique anti-ouvri�re de Bismarck qui, comme on le verra pour la p�riode de la loi antisocialiste, a contribu� � aguerrir l'avant-garde de la classe ouvri�re allemande, plut�t qu'� l'affaiblir.
[34] Engels fait allusion � la solidarit� toute mat�rielle de la classe ouvri�re de tous les pays, du simple fait de son existence objective, vivante. C'est sur cette r�alit� gigantesque que doit se fonder le parti, ou mieux l'Internationale, s'il ne veut pas �tre une secte, mais un mouvement r�el.
[35] La Ligue des communistes a essaim�
jusqu'aux �tats-Unis, et la contribution des anciens
membres de la Ligue �migr�s en Am�rique � la formation du parti
ouvrier am�ricain a �t� consid�rable. Nous ne pouvons
reproduire dans ce recueil les textes de Marx-Engels relatifs �
la formation du mouvement ouvrier des �tats-Unis. Ils
repr�senteraient, � eux tout seuls, tout un volume.
En ce qui concerne la contribution des anciens de la
Ligue des communistes � la formation des organisations
ouvri�res am�ricaines, cf. Karl Obermann, � The Communist
League : A Forerunner of the American Labor Movement �, in
Science & Society, vol. XXX, n� 4, p.
433-446.
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