1843-50 |
"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894. Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
Le parti de classe
Le parti dans la révolution (1848-1850)
La Société démocratique de Cologne a déposé la protestation suivante auprès de l'Assemblée nationale [1] :
Considérant
La Société démocratique de Cologne déclare dans sa séance de ce jour : qu'elle proteste solennellement contre la décision prise par l'Assemblée nationale allemande le 27 juillet en ce qui concerne le Grand-Duché de Posnanie et, face à l'Allemagne, la Pologne et toute l'Europe, lance une mise en garde énergique contre cette annexion effectuée à l'avantage du parti réactionnaire de Prusse, de Russie et d'Autriche [2].
La Société démocratique
En son nom : le Comité
Cologne.18 septembre 1848 [3].
Un grand meeting populaire s'est tenu hier près de Worringen. Cinq ou six grands chalands fluviaux avaient descendu le Rhin depuis Cologne, chacun étant chargé de quelques centaines de personnes et portant à l'avant un drapeau rouge. Des délégations plus ou moins nombreuses étaient venues de Neuss, Dusseldorf, Crefeld, Hitdorf, Frechdorf et Rheindorf. Le meeting tenu sur un pré au bord du Rhin comptait au moins six à huit mille hommes.
Karl Schapper de Cologne fut nommé président, Friedrich Engels de Cologne, secrétaire. Sur proposition du président, l'assemblée se déclara, par toutes les voix moins une en faveur de la République, et plus précisément pour la République rouge, démocratique-sociale.
Sur proposition de Ernst Dronke de Cologne, l'assemblée de Worringen, adopta à l'unanimité l'adresse qui fut déjà adoptée mercredi dernier sur la place des Francs de Cologne — à savoir que l'Assemblée nationale de Berlin était sommée de ne pas céder à la force des baïonnettes en cas de dissolution.
Sur proposition de Joseph Moll de Cologne, l'assemblée populaire reconnut le Comité de sécurité élu par l'assemblée publique de Cologne et, à la demande d'un membre du meeting, lui porta un triple vivat.
Sur proposition de Friedrich Engels de Cologne l'adresse suivante fut adoptée à l'unanimité :
Les citoyens de l'Empire allemand rassemblés ici déclarent par la présente qu'ils prendront parti pour l'Allemagne avec leurs biens et leur sang si, par les actes illégaux du gouvernement prussien contre les décisions de l'Assemblée nationale et le pouvoir central, un conflit devait surgir entre la Prusse et l'Allemagne.
Worringen, le 17 septembre 1848.
Sur proposition de Schulte de Hitdorf, il fut décidé que La Gazette de Cologne [4] ne représentait pas les intérêts de la Rhénanie.
Prirent la parole ensuite : M. Wolff de Cologne, F. Lassalle de Dusseldorf, Esser de Neuss, Weyll, Wachter, Becker et Reichhelm de Cologne, Wallraf de Frechen, Muller, membre de l'Union ouvrière de Worringen, Leven de Rheindorf, Imandt de Crefeld. Pour clore la réunion, on donna la parole à Henry Brisbane de New York, le rédacteur bien connu du journal démocrate-social New York Tribune.
Au cours de la réunion, on apprit de source sûre que les autorités avaient l'intention « de faire revenir, une fois de plus, à Cologne le 27° bataillon mardi prochain en même temps que les autres bataillons du régiment, d'inciter la troupe à créer des conflits avec la population afin de proclamer à cette occasion l'état de siège dans la ville, de désarmer la garde civile, bref de nous traiter purement et simplement comme on l'a fait à Mayence ».
Au cas où cette nouvelle se confirmerait et où on en viendrait à un conflit, les habitants présents des environs de Cologne ont garanti qu'ils se porteraient à notre aide. En fait, les habitants de Worringen attendent simplement un signal pour surgir.
Cela à l'intention de l'ex-commandant de la garde civile. M. Wittgenstein.
Notes
[1] Cf. La Nouvelle Gazette rhénane, 13 août 1848. Texte élaboré par Marx.
[2] En général, il ne faut jamais changer
ou adapter le programme lorsqu'il est mis en échec, ne
serait-ce que pour juger de la situation issue de la défaite et
se rendre compte du nouveau rapport de forces.
Étant le reflet d'un état social, le programme est une
force physique. Il peut disparaître de la scène politique,
voire s'évanouir de la conscience des membres actuels du
parti révolutionnaire, sans cesser d'exister comme tâche
dans les rapports sociaux des classes, comme l'oxygène se
trouve dans l'eau aussi bien que dans le feu, selon
l'image de Marx.
[3] Compte rendu reproduit par La
Nouvelle Gazette rhénane, 19
septembre 1848.
Marx et Engels ont clairement énoncé, en théorie, la
tactique à suivre dans les phases successives de la
révolution double en Allemagne. Mais on manque cruellement de
données sur leurs activités correspondantes, et notamment pour
ce qui nous concerne sur les mesures d'organisation et le
travail pratique accompagnant le passage de la lutte pour
l'instauration d'une « République une et
indivisible (sous la direction de la bourgeoisie ou du parti
prolétarien prenant en charge cette tâche encore progressive) à
celle pour une « République rouge » simplement
revendiquée dans le dernier numéro de La
Nouvelle. Gazette rhénane.
Devant la trahison rapide de la bourgeoisie et la
défaillance du parti démocratique en Allemagne, le parti
prolétarien — dans l'état où il était, avec les
moyens dont il disposait, et avec la conscience générale
qu'il en avait dans la réalité — tenta de prendre la
direction de la lutte politique, en mettant en avant
sa revendication de République rouge, pourvue de
l'étiquette « démocratique-sociale ». En effet,
un acte de volonté ne pouvait changer ni les conditions
arriérées de l'Allemagne avec ses innombrables classes
précapitalistes et petites-bourgeoises, ni la nécessité de
suivre les phases précédant les conditions de sa dictature
unique et entière. Selon l'expression d'Engels,
« la révolution de 1848 a fait exécuter, en somme,
les tâches de la
bourgeoisie par des
combattants prolétariens sous
l'enseigne du prolétariat »
(préface polonaise du Manifeste). Encore le
prolétariat fut-il battu.
Un exposé systématique de la tactique du parti dans la
révolution européenne de 1848-1850 a été publié dans « La
Question militaire. Phase de la constitution du prolétariat en
classe, donc en parti, en Allemagne », chap. IV,
Il Programma comunista, Milan (le
premier chapitre y fut publié dans le n° 23, de
décembre 1963). Toute cette série paraîtra en français in
Fil du temps de 1973, n°
11, consacré à la question militaire.
On notera que toute l'assemblée de Worringen est animée
et dirigée par des membres de la commune de Cologne de la Ligue
des communistes : Schapper, Dronke, Moll, Engels, etc.
[4] Ce journal, porte-parole de la
bourgeoisie libérale, s'était distingué davantage par ses
attaques contre la révolutionnaire Nouvelle
Gazette rhénane que contre le gouvernement
absolutiste de Prusse.
En ce qui concerne la défaillance du parti démocratique au
cours des événements décisifs de mars, cf. Le
Parti démocratique, 2-6-1848, trad. fr. :
Marx-Engels, La Nouvelle Gazette
rhénane, I, : Éd. sociales, p. 44-46 ; cf.
également Programme du parti radical-démocrate
et de la gauche à
Francfort, p. 65-70.