1988 |
" Pendant 43 ans, de ma vie consciente, je suis rest� un r�volutionnaire; pendant 42 de ces ann�es, j'ai lutt� sous la banni�re du marxisme. Si j'avais � recommencer tout, j'essaierai certes d'�viter telle ou telle erreur, mais le cours g�n�ral de ma vie resterait inchang� " - L. Trotsky. |
Le d�part pour le Mexique, dont Trotsky apprend la possibilit� le 16 d�cembre 1936, est pour lui un saut dans l'inconnu.
Il a certes eu dans le pass� de brefs contacts �pistolaires avec ce pays, �changeant notamment des lettres avec le Nord-Am�ricain Russell Blackwell, dit Rosalio Negrete, puis ce jeune homme inconnu qui sera, beaucoup plus tard, le grand romancier Jos� Revueltas2, en 1934 enfin avec le peintre mexicain mondialement connu Diego Rivera.
C'est aux �tats-Unis qu'on a pens� � l'�ventualit� de l'asile au Mexique, apr�s une consultation des animateurs de l'A.C.D.L.T. avec la journaliste et ethnologue Anita Brenner, dont la famille vit au Mexique et qui conna�t personnellement le pr�sident C�rdenas : elle juge possible une r�ponse positive.
Nous poss�dons aujourd'hui l'indiscutable t�moignage d'Octavio Fern�ndez sur la fa�on dont a �t� demand� et obtenu le visa mexicain de Trotsky3. Le 21 novembre, Anita Brenner t�l�graphie, avec l'accord des amis am�ricains de Trotsky, qu'il s'agit d'une � question de vie ou de mort � que de savoir si � le vieux Barbiches �, comme dit le t�l�gramme, peut venir � se soigner au Mexique4 �. C'est incontestablement pour Trotsky la d�marche de la derni�re chance. Une r�union urgente du bureau politique de la section mexicaine de la IVe Internationale, tenue aussit�t, remet l'affaire aux mains de Diego Rivera et de l'enseignant Octavio Fern�ndez, dirigeant de l'organisation. L'apr�s-midi m�me, les deux dirigeants de la petite organisation sont re�us dans le bureau du ministre secr�taire d'Etat des Communications, le g�n�ral Francisco J. M�gica.
Vieux r�volutionnaire clandestin, devenu g�n�ral pendant la r�volution et la guerre civile, l'un des orateurs les plus �cout�s � la Constituante d'Aguascalientes en 1917, membre du P.C. mexicain � ses d�buts, M�gica, qui s'est heurt� pendant plusieurs ann�es, au temps o� il �tait gouverneur du Michoac�n, aux int�r�ts p�troliers nord-am�ricains, a �t�, pendant nombre d'ann�es, exil� comme gouverneur du p�nitencier des �les Marias. Il est revenu au premier plan avec l'�lection de son ami le g�n�ral C�rdenas, qui est aussi, d'une certaine fa�on, son disciple. Secr�taire d'Etat aux Communications, il est, en 1936 l'un des conseillers les plus �cout�s du pr�sident. Comme bien des Mexicains de sa g�n�ration, il se reconna�t dans la r�volution russe en tant que r�volutionnaire mexicain, et voit en Trotsky un g�n�ral r�volutionnaire, donc l'un des siens5.
Il ne saurait h�siter devant la d�marche de Fern�ndez et M�gica et �crit aussit�t au pr�sident une lettre dans laquelle il indique que les deux hommes vont lui pr�senter une demande qu’il fait sienne et dont il souhaite qu'il l'accueille favorablement. Rivera et Fern�ndez se mettent en route imm�diatement, dans la voiture du peintre, afin de rencontrer le pr�sident, alors en train de proc�der � des mesures de r�forme agraire dans la r�gion de la Laguna. Arriv�s a Torreon, ils apprennent que le train Olive, dans lequel le pr�sident a pris place, va bient�t arriver. Ils n'ont plus qu'� attendre que la lettre de M�gica fasse son effet. Ils sont re�us tr�s vite. Octavio Fern�ndez raconte :
� D�s qu'ils furent introduits dans le bureau pr�sidentiel, le g�n�ral C�rdenas, sans pr�ambule et laconiquement, leur dit a peu pr�s ce qui suit : " M. Trotsky peut venir au Mexique. Le gouvernement que je repr�sente lui accordera l’asile de r�fugi� politique [...] en raison des circonstances qui mettent sa vie en danger, comme vous l’assurez. On lui donnera toutes les garanties n�cessaires […] Il ne sera pas prisonnier6 " � .
Et le pr�sident d'ajouter qu'il ne pose aucune condition � Trotsky, et demande seulement � ses partisans de s'abstenir, lors de son arriv�e, d'organiser des manifestations qui pourraient provoquer des contre-manifestations.
La d�cision de C�rdenas est incontestablement prise pour des raisons de principe et r�sulte de son attachement r�el au droit, d’asile en tant que droit d�mocratique universel. Il le manifeste avec �clat, dans les jours qui suivent, en r�sistant aux objections de son ministre des Affaires �trang�res, le g�n�ral Hay, et de nombre de ses conseillers7, et en maintenant fermement sa d�cision face aux montagnes de t�l�grammes qui lui parviennent de tout le pays de la part du Parti communiste, des syndicats de la C.T.M. et des organisations contr�l�es par ces deux organisations.
La nouvelle est accueillie par Trotsky et Natalia Ivanovna avec autant de soulagement que d'appr�hension : le risque d'une expulsion sans visa et par cons�quent d'une extradition de fait ou de droit en U.R.S.S. dispara�t, mais l'avenir mexicain n'est pas pour autant clair. De Paris, Sedov adresse de vifs reproches a ses camarades am�ricains8 parce qu'ils sont en train, dit-il, d'envoyer son p�re dans un pays o� Shachtman reconna�t que, pour quelques dollars, on peut se procurer un assassin9. Van Heijenoort, lui, revenu � Paris, se pr�cipite vers la biblioth�que Sainte-Genevi�ve pour y acqu�rir des rudiments de connaissances sur ce pays lointain dont il se doute qu’il va �tre amen� � le visiter prochainement10.
L'un des principaux sujets d'inqui�tude de Trotsky et de Natalia Ivanovna porte sur les conditions de la travers�e de l'Atlantique en bateau, dont ils ignorent totalement dans quelles conditions elle va se faire et dont ils pensent, non sans raison, qu'elle se pr�te facilement � l'organisation criminelle d'un � accident � puisqu'ils vont, pendant des jours, �chapper totalement au contr�le de l'opinion publique, de la presse, m�me hostile, et, en tout cas, � la protection de leurs camarades11. Cyniques, les autorit�s norv�giennes pr�viennent Held que, s'il embarque avec eux, il n'aura pas de visa de retour - un sacrifice que les Trotsky refusent12.
Or toutes ces craintes sont vaines. La travers�e, sur le p�trolier Ruth, se fait de bout en bout sur une mer calme, o� Trotsky peut m�me travailler � des articles consacr�s � diff�rents aspects du proc�s de Moscou et qui constitueront d'importantes fractions de son livre Les Crimes de Staline. Son capitaine, Hagbart Wagge, a laiss� aux voyageurs sa cabine personnelle. L'officier de police norv�gien Jonas Lie - futur chef de la police et des S.S. sous l'occupation - qui les accompagne, leur a fait remettre entre ses mains le revolver de Trotsky et leur interdit l'usage de la radio pour communiquer13 : � bord, ils sont encore sur le territoire norv�gien et il le leur fait sentir.
Du coup, l'arriv�e � Tampico apporte aux voyageurs inquiets de bonnes surprises. Un groupe monte les accueillir sur le bateau : au premier rang, le visage bien connu de Shachtman. On leur pr�sente Frida Kahlo, qui repr�sente Diego Rivera, hospitalis�, George Novack, secr�taire de l'A.C.D.L.T. Mais il y a aussi le repr�sentant du pr�sident de la R�publique, le g�n�ral Beltr�n, une meute de journalistes avides. A la gare les attend le train pr�sidentiel Hidalgo, qui va les conduire vers Coyoac�n, faubourg de la capitale, et cette � maison bleue � que Frida met � leur disposition. Ebloui par le soleil et les couleurs apr�s cette sortie brutale du froid norv�gien et des brumes atlantiques, Trotsky note :
� Ce n'est pas sans �moi que nous d�barqu�mes sur la terre du Nouveau Monde, chaude en janvier. [...] Le contraste entre la Norv�ge septentrionale et le Mexique tropical ne se faisait pas sentir uniquement dans ce climat. Sortis d'une atmosph�re �cœurante et de lassante incertitude, nous rencontrions partout l'attention et l'hospitalit�14. �
Natalia Ivanovna confiera � Victor Serge qu'elle a vu sa nouvelle maison comme une � nouvelle plan�te � :
� Une basse maison bleue, un patio rempli de plantes, des salles fra�ches, des collections d'art pr�colombien, des tableaux � profusion15… �
En fait, pour les nouveaux h�tes du Mexique, apr�s de longs mois d'angoisse et d'enfermement, c'est la d�couverte soudaine d'un monde �clatant de vie, une v�ritable r�surrection.
* * *
La r�surrection d'un �tre humain, c'est presque toujours un nouvel amour. Pour Trotsky, dans ce Mexique des couleurs, il eut pour nom Frida Kahlo, la jeune �pouse du peintre Diego Rivera.
Cette jeune femme de vingt-neuf ans, elle-m�me tr�s grand peintre �galement, victime d'une infirmit� accidentelle qui lui fait souffrir mille morts, est une femme aussi belle qu'intelligente, au regard de feu, � d'apparence si fragile par sa silhouette menue �, �crit Olivia Gall, � mais en m�me temps si directe et si puissante dans son langage et son regard, d'allure si �l�gante et si orgueilleuse, si belle et si mexicaine dans sa tenue et sa coiffure, tellement unique16 �. Rien d'�tonnant qu'elle ait charm� Trotsky : au milieu � de la gaiet� de ses toiles, de ses rubans, de ses bijoux �, elle fut le symbole de l'accueil de ce pays si beau et si chaleureux. Van, qui fut le confident de Frida, raconte la naissance de cette idylle. Trotsky et elle parlent anglais, et Frida brandit � l'am�ricaine le mot � love �.
� Trotsky, apparemment, fut pris au jeu. Il se mit � lui �crire des lettres. Il glissait la lettre dans un livre et remettait le livre � Frida, souvent en pr�sence d'autres personnes, y compris Natalia ou Diego, en lui recommandant de le lire17. �
Ce flirt devient au mois de juin une liaison qui provoque bien des temp�tes : m�me si personne n'est au courant de leurs rencontres secr�tes dans l'appartement de Cristina, la sœur de Frida, rue Aguayo18, on le soup�onne dans leur entourage. Jan Frankel, qui se permet de remontrer au � Vieux � que sa conduite pourrait provoquer des catastrophes et qu'elle est dangereuse aussi bien pour sa s�curit� que pour la cause, est fermement pri� de quitter la maison et les fonctions qu'il a commenc� � remplir en 193019. De son c�t�, Natalia souffre �norm�ment : la tension entre elle et L.D. provoque crises et �clats, aboutit m�me � une s�paration temporaire, Trotsky allant, le 7 juillet, s'installer dans une hacienda de San Miguel Regla. Van pense que c'est au cours de la visite que lui rend Frida, le 11 juillet, qu'ils ont d�cid� d'un commun accord de mettre fin � leur romance20. Ella G. Wolfe n'a jamais oubli� la lettre envoy�e par Trotsky � Frida apr�s leur rupture, un des textes, m'a-t-elle dit, les plus beaux et les plus �mouvants qu'elle ait jamais lus, des mots d'amour aussi d'un coll�gien de dix-sept ans21. L'affaire est pourtant bien termin�e, et l'on peut suivre dans la correspondance entre Trotsky et Natalia, publi�e par Van, le renouveau explosif de tendresse de L.D. pour Natalia, apr�s cette rupture consciemment consentie avec Frida22.
Van pr�cise � ce sujet - et ce n'est pas inutile - que Diego Rivera ne se doute de rien, et il s'en r�jouit, car, �crit-il, � le moindre soup�on de sa part aurait provoqu� une explosion23 � aux cons�quences incalculables. On peut estimer que les amants surent freiner � temps sur une voie dangereuse. Hayden Herrera, biographe de Frida, pense qu'elle retira beaucoup de satisfaction de cette aventure avec un personnage historique de la stature de Trotsky, mais qu'elle ne l'aima pas24. Quant � Trotsky, ses sentiments ne nous sont attest�s par aucun document, et l'on peut seulement tenir pour certain qu'il ne joua pas.
Diego Rivera, lui, a un peu plus de cinquante ans quand Trotsky arrive au Mexique. Il est non seulement un peintre mondialement connu, l'un des plus grands artistes r�volutionnaires de sa g�n�ration de peintres mexicains, mais aussi un homme hors du commun. Immense et tr�s corpulent, il couronne son corps �l�phantesque d'une t�te souriante de crapaud tr�s lippu : il est si laid qu'il fascine les femmes les plus belles, celles qui r�vent d'�treintes avec la b�te. Sa vitalit�, son humour, sa vivacit� surprenante en font un compagnon extraordinaire malgr� ses sautes d'humeur. Avec un entrain in�puisable, il est aussi un intarissable conteur et raconteur. Il abreuve d'histoires et de fables le cercle de ses admirateurs, capable aussi bien de faire le r�cit de ses imaginaires exploits de la guerre civile que de narrer par le menu sa r�cente conversion � un r�gime cannibale, tranches de chair f�minine fra�che envelopp�e dans des tortillas, plus tendre, assure-t-il, que celle du plus tendre des porcelets25. Il a �t� jusqu'� pr�sent l'homme des grandes pol�miques et des grands scandales.
Il a v�cu dix ans � Paris, apr�s un s�jour en Espagne, et a visit� l'Union sovi�tique, ayant beaucoup appris avant de revenir dans son pays et d'y appara�tre comme le plus grand des peintres typiquement mexicains de ce qu'on appelle les murales, les fresques murales. Il a d�cor� des chefs-d'œuvre de son art puissant les murs du Palais national � Mexico, avant de devenir le peintre d'un continent � San Francisco, � New York, dans l'immeuble de Radio-City � Detroit, o� il d�core le centre Rockefeller - et o� ses fresques sont d�truites par leur � propri�taire � sous le pr�texte que l'artiste y a repr�sent� L�nine26.
Cet immense artiste, qui a longtemps �t� pay� au tarif des peintres en b�timent, est devenu tr�s riche : il a �t� �galement un des pionniers du Parti communiste, et m�me un de ses dirigeants avant d'en �tre exclu en 1929. Il reste, � travers les vicissitudes du mouvement syndical, un militant syndicaliste ardent dans le b�timent. Il a �t� un moment l'amant de la belle Italienne Tina Modotti et l'a d�fendue quand elle a �t� soup�onn�e, dans l'affaire de l'assassinat � Mexico du communiste cubain Julio Antonio Mella27…
D’abord li� � l'opposition communiste de droite de Jay Lovestone aux Etats-Unis, il a �volu� ensuite vers l'Opposition de gauche et y a financi�rement contribu� d�s 1934, ce qui lui a valu une br�ve correspondance avec Trotsky28. Son temp�rament volcanique d'artiste le rend capable des plus grands �lans et d'un dynamisme qui force tous les obstacles, mais lui vaut aussi de brutales p�riodes de d�couragement et de d�pression. Militant d�vou�, mais irr�gulier, inconstant et fantasque autant que fonceur, il est convaincu d'avoir de grandes capacit�s de dirigeant politique, brigue des responsabilit�s qu'il risque pourtant d'oublier pour un croquis, tente ensuite d�sesp�r�ment de se faire pardonner en finan�ant g�n�reusement des activit�s politiques, avec �videmment une pr�f�rence pour celles qu'il a lui-m�me pr�conis�es. Il est depuis quelque temps membre de la petite L.C.I., la section mexicaine de la IVe Internationale.
Natalia Ivanovna est, de toute �vidence, r�serv�e quand elle l'�voque dans ses Souvenirs : elle a n�anmoins vu en lui un h�te pr�venant, un ami chaleureux, d�vou� et enthousiaste. Pour elle, L.D., � parfois s�duit, parfois amus� par l'imagination effervescente � du peintre, aime en lui � l'artiste p�n�tr�, dans ses meilleures fresques en tout cas, d'un sentiment passionn�, quoique assez �l�mentaire, de la lutte sociale29 �. Mais elle est, pour une fois, au-dessous de la r�alit�.
Diego semble avoir exerc� sur Trotsky une sorte de fascination, sans doute du fait de sa ma�trise de son art, de la fa�on dont le Mexicain le plus humble se retrouve dans ses œuvres, de la passion qu'il apporte � son travail, de son engagement total dans son m�tier et sa folie de peindre, au moins autant que du go�t que l'exil� peut avoir pour son œuvre. Celui-ci, normalement, ne se r�p�te gu�re : il revient pourtant sans cesse sur la comparaison qu'il fait entre le r�le de Diego Rivera aupr�s de lui, pour la IVe Internationale, et celui du po�te Freiligrath aupr�s de Marx, ou de Gorky aupr�s de L�nine. Allant plus loin, dans une lettre du 12 juin 1938, il qualifie Diego de � plus grand artiste de l'�poque contemporaine � et de � r�volutionnaire implacable � :
� Nous devons montrer envers Diego Rivera au moins la m�me attention que Marx eut pour Freiligrath et L�nine pour Gorky. Diego Rivera d�passe Freiligrath et Gorky de beaucoup par son importance dans le domaine de l'art et, ce qui est un cas absolument unique dans l'histoire, ce grand peintre est un vrai r�volutionnaire, tandis que Freiligrath n'�tait qu'un petit-bourgeois " sympathisant " et Gorky un compagnon de route un peu �quivoque30. �
Van, qui a bien connu Rivera, souligne sa versatilit� et se dit quelque peu sceptique sur ses convictions � trotskystes �. Avec des compagnons comme lui, le peintre se montrait volontiers anarchisant, mais, semble-t-il, jouait devant Trotsky un personnage plus orthodoxement marxiste31.
Trotsky n'a jamais rencontr� le g�n�ral C�rdenas, bien que celui-ci ait eu � son adresse des gestes d'une d�f�rence assez exceptionnelle, comme l'invitation � assister dans une tribune au d�fil� militaire pour la f�te nationale mexicaine32 : toute rencontre m�me priv�e entre eux e�t nourri des rumeurs qui n'avaient pas besoin d'aliments pour �tre malfaisantes sur la collusion entre le pr�sident et l'illustre � bolchevik � devenu son h�te � la grande fureur des milieux conservateurs.
Son lien avec les milieux du pouvoir au Mexique est, d�s les pr�misses de son arriv�e, le g�n�ral M�gica, dont le r�le a d�j� �t� d�terminant dans l'obtention du visa et qui veille, pendant tout son s�jour, � sa s�curit�, � la stabilit� de son refuge, et assure le contact discret, mais n�cessaire, entre le palais pr�sidentiel et celui qu'il appelle, avec une vraie d�f�rence, � d�n Le�n33 �. De proches collaborateurs de M�gica, l'ancien d�put�, gouverneur et secr�taire d'Etat � l'Int�rieur, charg� � l'�poque du contr�le de la presse, Agust�n Arroyo, ou Juan de D�os Bojorquez, font partie des relations personnelles de Trotsky, lui rendent visite, le re�oivent, l'informent34. M�gica a fait mieux encore en d�l�guant, en quelque sorte, aupr�s de Trotsky, l'un de ses proches : ancien combattant de la r�volution mexicaine, au cours de laquelle il a combattu sous Emiliano Zapata, lui aussi haut fonctionnaire au minist�re des Communications, Antonio Hidalgo va devenir, pendant le s�jour de Trotsky, non seulement un authentique ami personnel - c'est un homme un peu plus jeune tout de m�me - mais probablement un proche compagnon d'id�es35.
Les circonstances politiques ont emp�ch� le d�veloppement de relations tr�s �troites entre Trotsky et ses camarades de la section mexicaine. Il a d�, d�s son arriv�e, les prier de respecter son engagement de � non-ing�rence �. Les risques d'�tre impliqu�, malgr� tout, dans la vie politique mexicaine, l'ont conduit � les mettre � l'�cart. Reste une exception : Octavio Fern�ndez, jeune ma�tre d'�cole, animateur infatigable de la L.C.I. et de la � deuxi�me g�n�ration � des trotskystes mexicains, qu'il a rejoints en 1933, entrant au P.C.M. comme oppositionnel pour en �tre exclu peu apr�s comme � trotskyste �, en 193436. C'est lui qui, avec Diego Rivera, est all� chercher le visa. C'est lui, qui, avec les militants du P.O.U.M., dont le v�t�ran David Rey (Daniel Rebull Cabr�), a organis� militairement la s�curit� du � Vieux � dans les premiers jours, mont� devant sa porte la premi�re garde de nuit37. Leurs relations politiques et personnelles n'ont jamais cess�. Trotsky aime � se retrouver dans les f�tes de famille Fern�ndez, avec les fr�res et les sœurs d'Octavio, sa m�re et son vieux p�re qui raconte � l'ancien chef de l'Arm�e rouge ses souvenirs de la r�volution et de la guerre civile38.
Eloign�, par la force des choses politiques, des militants de la L.C.I. mexicaine, � l'exception de Diego Rivera et de Octavio Fern�ndez, Trotsky se trouve pourtant au centre d'un cercle amical d'intellectuels sympathisants. La pr�paration de la lutte contre les proc�s de Moscou l'am�ne ainsi � se lier avec l'un des intellectuels mexicains les plus distingu�s de sa g�n�ration, l'ex-Nicaraguayen Francisco Zamora. Journaliste, chroniqueur de la r�volution mexicaine, fondateur de la presse moderne au Mexique avec l'Exc�lsior, il a �t� professeur d'�conomie et a introduit l'œuvre et la pens�e de Marx dans le pays : � l'arriv�e de Trotsky, il est secr�taire, charg� des � �tudes techniques �, dans le premier comit� ex�cutif de la C.T.M. et se rapproche de l'exil� quand Lombardo Toledano lance la centrale syndicale contre lui39. Francisco Zamora a introduit dans la maison de Coyoac�n et pr�sent� � Trotsky son jeune fr�re Adolfo, avocat, et sa femme, une Fran�aise : les hommes peuvent parler fran�ais, et il na�t entre eux, malgr� la diff�rence d'�ge, une v�ritable amiti�40.
D'autres hommes, sans �tre des amis, sont des camarades pr�cieux. Olivia Gall mentionne Jos� Ferrel, qui n'a pas trente ans, mais d�j� une solide r�putation de traducteur litt�raire du fran�ais41. Rodrigo Garc�a Trevi�o, ancien capitaine pendant la guerre civile, libraire, militant du P.C., exclu, professeur � l'�cole d'�conomie de l'Universit� nationale autonome, a lui aussi abandonn� la direction de la C.T.M. et un r�le important dans sa presse, avec le d�but de la campagne contre Trotsky : sa connaissance profonde de ce milieu lui permet de beaucoup contribuer � la s�curit� de l'exil�42.
Pour en terminer avec cette rapide description de l'entourage de Trotsky au Mexique, de son � environnement humain �, il faut �videmment mentionner ceux de ses anciens secr�taires qui ont repris du service aupr�s de lui dans ces circonstances o� leur exp�rience donnait confiance. Jan Frankel est parti apr�s l’incident que l’on sait, a propos de l'aventure de Trotsky avec Frida, mais son prochain mariage avec la romanci�re am�ricaine Eleonore Clark, qu'il a connue � Coyoac�n, rendait de toute fa�on la s�paration in�vitable. Van, de plus en plus homme-orchestre, de plus en plus irrempla�able, reste jusqu'en novembre 1939 : apr�s avoir perdu Gaby, repartie en France apr�s un incident avec Natalia il a trouv� une compagne am�ricaine, Bunny, et l'accompagne aux Etats-Unis. Quelques mois plus t�t est arriv� Otto Sch�ssler - avec sa compagne Gertrude Schr�ter, la cuisini�re de Barbizon - qui restera jusqu'� la fin. En ao�t 1939, avec le jeune Si�va - le fils de Zina, toute la famille qui reste d�sormais � Trotsky -, arrivent Marguerite et Alfred Rosmer. Ils partiront, eux, avant la fin, conduits au bateau, sans s'en douter, par l'homme qui assassinera Trotsky et qui les comble d'attentions.
Dans la premi�re p�riode, ce sont les militants mexicains, enseignants, �lectriciens, peintres en b�timent, forgerons, ma�ons, qui assurent garde et maintenance. On trouve dans les archives de M�gica une autorisation de port d'armes pour deux bonnes dizaines d'entre eux43. Il faudra ult�rieurement les remplacer par des Nord-Am�ricains dont la majorit� ont �t� envoy�s par la section am�ricaine, fraction dans le Parti socialiste en 1937, Socialist Workers Party ensuite, et dont quelques-uns - Alex Buchman, Christy Moustakis sont venus en visiteurs la premi�re fois. Ces hommes sont de qualit� in�gale. Bernard Wolfe, qui fut le premier, ancien �tudiant de Yale, ne semble pas avoir accept� l'in�vitable rigueur de la discipline de la maison. Mais d'autres vont tenir et d�velopper avec Trotsky des relations personnelles. C'est le cas de l'enseignant Charles O. Cornell, de Rae Spiegel - la future Raya Dunayevskaya, qui conna�tra la notori�t� pour ses livres -, et c'est surtout le cas du dernier des secr�taires de Trotsky qui devint son ami, Joseph Hansen, dit famili�rement Joe. N� dans une famille de Mormons, gagn� � la C.L.A. alors qu'il �tait �tudiant � l'universit� de l'Utah, il a travaill� pour le compte de l'organisation dans la presse, syndicale et politique, de San Francisco, jusqu'en 1937. Il est arriv� � Coyoac�n en septembre de cette m�me ann�e et a rapidement gagn� la confiance de Trotsky.
D'autres, comme Harry Robins, auteur, des d�cennies plus tard, de t�moignages douteux et caution des calomnies contre Joe Hansen �taient sans doute d'un bois diff�rent. Mais on aimera beaucoup, � la maison de Coyoac�n, l'officier de la Garde nationale Henry Malter, qui est venu faire les plans de fortification et de d�fense de la nouvelle maison, le tapissier Sol Lankin, Walter Ketley et bien d'autres. On s'interrogera sans doute encore longtemps sur la personnalit� de Robert Sheldon Harte, un jeune homme de vingt-trois ans en qui plusieurs auteurs ont vu, sans argument d�cisif, un � agent � plut�t qu'un gamin, qui paya de sa vie son inexp�rience, comme Trotsky le pensa.
Un couple d'Am�ricains entre � cette �poque dans l'intimit� de la famille Trotsky : Charlie et Lillian Curtiss. Charlie - de son vrai nom Sam Kurz -, originaire de Chicago, a appris dans l'organisation le m�tier de linotypiste et a d�j� milit� au Mexique dans les ann�es trente, quand il revient en 1938 comme repr�sentant du secr�tariat international, pour r�gler la � question mexicaine �. C'est Charlie - � Mexico, Carlos Cortes - qui assure presque seul la fabrication de la revue Clave, dont Trotsky, avec l'aide de Jos� Ferrel, des fr�res Zamora notamment, r�ussit � faire la premi�re revue marxiste latino-am�ricaine. Pendant ce temps, Lillian sert de dactylo anglaise � Trotsky44. Apr�s leur d�part, ils resteront au nombre des correspondants fid�les, sinon des visiteurs �pisodiques, comme Sara Weber ou Rae Spiegel. Certains jeunes Am�ricains entrent � en trotskysme � par le tourisme : ainsi Christy Moustakis, dipl�m� d'histoire et ch�meur qui parcourt le Mexique, rencontre dans la capitale un groupe de collaborateurs de Trotsky, visite la maison et s'engage... Il vient aussi des latino-am�ricains : le Chilo-Argentin Espinoza. Le P�ruvien Vel�squez, po�te et diplomate, et l'ouvrier argentin Mateo Fossa un ancien ministre bolivien, des Cubains...
Les visiteurs d'origine europ�enne sont peu nombreux dans cette p�riode et � une �poque o� l'Atlantique constitue encore un obstacle. On rel�vera l'universitaire fran�ais Etiemble, la journaliste Henriette C�lari�, une jeune enseignante, militante du P.O.I., Sophie Gallienne.
La colonie des r�fugi�s d'Europe apporte � Trotsky visiteurs et camarades. Il collabore avec joie � la pr�paration de recueils de textes de Marx avec le marxologue Otto R�hle et entretient avec lui et sa femme Alice45 des relations amicales ; il fr�quente aussi leur gendre, Sulzbachner, dit Fritz Bach, qui a cr�� le service des statistiques apr�s avoir �t� un dirigeant des Jeunesses communistes en Suisse.
Nombre de visiteurs viennent des Etats-Unis. Ce sont d'abord les dirigeants de la section am�ricaine, Cannon, Shachtman, Vincent R. Dunne, mais aussi les dirigeants des Jeunesses, le tribun et �crivain noir C.L.R. James, la vieille militante de Boston, le docteur Antoinette Konikow, des militants ouvriers de Minneapolis, y compris Farrell Dobbs, l'avocat Francis Heisler et son fils des intellectuels de simples touristes aussi. Beaucoup sont munis d’une recommandation du S.W.P. Les pratiques de certains journalistes ont d�sagr�ablement surpris Trotsky, et les conditions d'interview sont d�sormais tr�s strictes.
Pour beaucoup, le passage � Coyoac�n devient une sorte de rite. On y voit le grand reporter Henry Knickerbocker, comme le d�butant sans vergogne Alvin M. Josephy Jr, le grand acteur de Hollywood Edward. G. Robinson et sa Jeune femme Gladys, le syndicaliste A. Plotkin, des anciens du P.C. comme Melech Epstein. Editeurs de revue, �diteurs tout court, comme Alan C. Collins et No�l F. Busch, viennent prendre contact directement avec un auteur illustre mais peu commode. M�me des hommes aussi peu recommandables aux yeux d'un bolchevik qu'Henry Allen, s�nateur, ancien responsable de la campagne pr�sidentielle de Hoover, et une femme aussi suspecte d'�tre li�e aux services sovi�tiques qu'Alice Harris, arrivent � se frayer un chemin jusqu'� Trotsky et � l'affronter verbalement dans sa propre maison.
* * *
Dans ce pays o� tant d'hommes et de femmes ont pour lui des visages d'amis, Trotsky a aussi des ennemis.
La droite mexicaine, anticommuniste et antis�mite, est remarquable par la bassesse et la virulence de ses attaques46. Mais elle est loin d'avoir autant d'�cho que ses adversaires qui sont au Mexique les porte-parole de Staline, le Parti communiste mexicain et surtout la centrale syndicale Confederacion de Trabajadores de Mexico (C.T.M.), dirig�e par Vicente Lombardo Toledano.
Le Parti communiste mexicain est �videmment au premier rang de ceux qui ont protest� avec une bruyante indignation contre l'asile accord� � Trotsky par un pr�sident dont ils soutiennent pourtant la politique, apr�s l'avoir vilipend� et couvert d'injures, depuis que le VIIe congr�s de l'Internationale communiste s'est vu orienter dans le sens d'un soutien sans faiblesse aux gouvernements nationalistes des pays semi-coloniaux dont on peut esp�rer qu'ils se rangeront, dans le cours de la prochaine guerre mondiale, dans le camp des adversaires du � fascisme �. Mais il est num�riquement tr�s faible, affaibli par les palinodies auxquelles il s'est livr�, pendant des ann�es, sur les instructions de Moscou.
De ce point de vue, l'alli� le plus s�rieux de Moscou, dans la campagne men�e au Mexique contre Trotsky, n'est pas le Parti communiste mexicain, mais le principal dirigeant du mouvement syndical li� � C�rdenas et � son parti, la C.T.M., son � lider � Vicente Lombardo Toledano. L'homme, issu d'une grande famille bourgeoise, pieux et �lev� dans la perspective de la r�ussite personnelle, a commenc� par d'�clatants succ�s sur le plan universitaire et un d�but de carri�re d'enseignant. Entr� comme avocat et technicien dans le mouvement syndical, il a r�ussi rapidement � devenir un � chef �, passant de l'aile gauche de la C.R.O.M. (Confederaci�n Regional Obrera Mexicana) � gouvernementale � � la direction de la C.T.M. Un temps engag� dans un flirt avec les disciples de Trotsky, qu'il a m�me envisag� de rencontrer en Norv�ge en 1935, il est revenu, cette ann�e-l�, de Moscou profond�ment marqu� par le congr�s de l'Internationale communiste, dont il c�l�bre les r�sultats avec une foi et un enthousiasme surprenants chez un homme jusque-l� plus r�serv� et sceptique. Le r�quisitoire qu'il dresse contre Trotsky, d�s l'arriv�e de ce dernier, n'est pas celui d'un partisan du communisme ou m�me d'un proche du P. C., mais celui d'un homme gagn�, quoi qu'il arrive, � la politique ext�rieure de l'Union sovi�tique47.
Dans la personne de Trotsky, le � collaborationniste � qu'est Lombardo Toledano, furieusement attach� au Front populaire, combat la th�orie selon laquelle � le prol�tariat se suffirait � lui-m�me pour r�aliser ses propres desseins �. et selon laquelle � il faut combattre syst�matiquement le gouvernement en tant que repr�sentant de la bourgeoisie �, � th�orie � dont il assure qu'elle est � rigide, antidialectique, aux r�sultats funestes �48. Il accuse Trotsky d'�tre l'ennemi du peuple chinois, du gouvernement espagnol et du prol�tariat mexicain, et, du seul fait qu'il � attaque la th�orie du Front populaire �, de co�ncider avec � les id�es et les actes du fascisme �, ce qui en fait au Mexique un � ennemi du peuple49 �!
R�pondant, dans un autre travail, � la question: � Lombardo Toledano �tait-il un agent du G.P.U.? �, nous avons donn� une r�ponse � laquelle nous n'avons aujourd'hui rien � changer: � Force est, faute d'autres �l�ments, d'admettre qu'en tout cas il ne se serait pas comport� autrement s'il l'avait �t�50. �
* * *
Il reste � savoir ce que fut, en d�pit et peut-�tre � cause de son engagement de non-ing�rence dans la politique du Mexique, ce qu'on peut appeler la � politique mexicaine � de Trotsky. Olivia Gall a reconstitu� avec beaucoup de soin les grandes lignes de cette politique, � travers une analyse serr�e des textes qu'il a consacr�s � la r�volution mexicaine51 et des �tudes d'Octavio Fern�ndez, qu'il a longuement discut�es avec ce dernier52.
La cl� de la nature de la r�volution mexicaine est �videmment pour lui l'arri�ration historique du Mexique. La r�volution mexicaine, comme la r�volution russe de f�vrier 1917, a �t� une r�volution � avort�e �, mais, � la diff�rence de cette derni�re, elle ne s'est pas transform�e en r�volution socialiste. Trotsky rel�ve ici ce qu'il consid�re comme la contradiction fondamentale au Mexique : la r�volution a triomph� en ce sens que la bourgeoisie a pris partout la place de l'aristocratie f�odale cl�ricale et que la production capitaliste s'est �tendue � tous les secteurs. Mais elle a �t� incapable de mener � bien aucune de ses t�ches en liaison avec les int�r�ts des masses populaires.
Selon lui, les millions de paysans mis�rables � n'ont pas vu leur situation se r�soudre �, et la bourgeoisie nationale, malgr� ses aspirations nationalistes continue d'�tre et ne peut pas cesser d'�tre � un simple appendice de l'imp�rialisme53 �.
Pour autant, il n'est pas possible de se contenter pour d�finir le r�gime card�niste d'une d�finition sommaire. Celui-ci n'est ni d�mocratique ni dictatorial, et il n'est pas non plus � bonapartiste � ou � c�sariste �, selon la d�finition donn�e par Marx ou Gramsci. Pour sa part, Trotsky expose et d�veloppe ce qu'il consid�re comme une nouvelle cat�gorie de r�gime dans les pays domin�s par l'imp�rialisme, � le bonapartisme sui generis �.
� �tant donn� que, dans les pays arri�r�s, le r�le principal n'est pas jou� par le capitalisme national, mais par le capitalisme �tranger, la bourgeoisie du pays occupe du fait de sa position sociale, une position insignifiante et en disproportion avec le d�veloppement de l'industrie. Tenant compte que le capital �tranger n'importe pas d'ouvriers mais qu'il prol�tarise la population indig�ne, le prol�tariat du pays commence bient�t � jouer le r�le le plus important dans la vie du pays. Dans ces conditions, dans la mesure o� le gouvernement national essaie de r�sister au capital �tranger, il est oblig� de s'appuyer plus ou moins sur le prol�tariat54. �
Il explique par ailleurs :
� Le gouvernement louvoie entre le capital �tranger et le capital indig�ne, entre la faible bourgeoisie nationale et le prol�tariat relativement puissant. Cela conf�re au gouvernement un caract�re bonapartiste sui generis particulier. Il s'�l�ve pour ainsi dire au-dessus des classes. En r�alit�, il peut gouverner soit en se faisant l'instrument du capital �tranger et en maintenant le prol�tariat dans les cha�nes d'une dictature polici�re, soit en manœuvrant avec le prol�tariat, en allant m�me jusqu'� lui faire des concessions et conqu�rir ainsi la possibilit� de jouir d'une certaine libert� � l'�gard des capitalistes �trangers55. �
Les grandes conqu�tes du gouvernement mexicain de L�zaro C�rdenas appartiennent � la deuxi�me cat�gorie : les expropriations des chemins de fer et de l'industrie p�troli�re ne sont pas des mesures � socialistes �, mais seulement, selon Trotsky, des mesures � hautement progressistes de d�fense nationale � dans la lutte pour � l'ind�pendance nationale, politique et �conomique �. Il compare C�rdenas � Abraham Lincoln et � Washington, qui ont accompli, avant lui, pour leur propre pays, un travail comparable.
Il �crit que le gouvernement C�rdenas est � le seul gouvernement courageux et honn�te � de son �poque. Il ne s'identifie pas pour autant � lui, bien qu'il souligne :
� Bien que Staline porte le nom de communiste, il fait en r�alit� une politique r�actionnaire ; le gouvernement du Mexique, qui n'est pas communiste, m�me dans la plus petite mesure, fait une politique progressiste56. �
Les arguments qu'il emploie pour d�fendre la nationalisation par C�rdenas du p�trole mexicain contre les int�r�ts de l'imp�rialisme, le refus du chantage exerc� sur le Mexique par les p�troliers qui l'accusent de vouloir vendre son p�trole � Hitler m�ritent de prendre place parmi les plus belles pages de la lutte anti-imp�rialiste dans l'entre-deux-guerres, avec celles dans lesquelles il analyse, en Am�rique latine, ce qu'il appelle � la politique du poing d'acier � recouverte d'un � gant de velours et de proclamations d'amiti� et de d�mocratie57 �.
Pour lui, la lutte entre � fascisme � et � d�mocratie � rev�t au Mexique un caract�re bien pr�cis :
� La d�mocratie pour le Mexique, par exemple, signifie l'effort d'un pays semi-colonial pour s'arracher d'une d�pendance servile, donner la terre aux paysans, �lever les Indiens � un niveau plus pouss� de civilisation, etc. Les taches d�mocratiques du Mexique ont un caract�re progressiste et r�volutionnaire58. �
Le � fascisme �, lui, dans les pays latino-am�ricains, est � l'expression de la d�pendance la plus servile de l'imp�rialisme �tranger59 �.
L’int�r�t de Trotsky, pendant son s�jour au Mexique, s'est port� aussi vers les syndicats dont il est l’un des premiers � relever leur tendance � s'int�grer � l'Etat, et ainsi � d�g�n�rer et � perdre leur caract�re d’organisation repr�sentative des travailleurs - une d�g�n�rescence que l'on ne peut combattre, selon Trotsky, qu'en luttant pour restaurer la d�mocratie syndicale. Au cours d'une passionnante discussion avec Garc�a Trevi�o, il se rallie au point de vue de ce dernier sur le caract�re progressiste d'une � gestion ouvri�re des entreprises nationalis�es �, dont il per�oit cependant les dangers. Sous la signature de Diego, il fait aussi l'analyse de la politique de Staline au Mexique, faisant des gens du P.C.M. des � card�nistes ou anticard�nistes, selon les objectifs de Moscou60 �.
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Trotsky est-il, intervenu dans la vie politique du Mexique au sens o� il s’�tait engag� � ne pas le faire ? Certainement pas.
Il aimait le Mexique, ses ciels, ses volcans, ses ravins et surtout ses couleurs. Il aimait son peuple, les femmes aux fichus, les paysans silencieux et vigilants, les combattants de la r�volution qui le prenaient pour un des leurs, l'univers des Fern�ndez. Il aimait ses arbres et ses fleurs, �tait passionn� par ses cactus, par son histoire, par cette civilisation indienne qui ne ressemble � aucune autre. Il estimait ses dirigeants et particuli�rement son pr�sident, car il appr�ciait leur attachement aux principes, leur fid�lit� � l'id�al d�mocratique r�volutionnaire pour lequel ils avaient combattu dans leur jeunesse.
Sa seule intervention fut sans doute de les aider quand ils le lui demand�rent, c’est-�-dire de leur donner son opinion sur la nationalisation des p�troles, puis sur le � plan sexennal � quand il fut �labor�.
Il a �t� loyal avec un gouvernement et des dirigeants qui l'�taient avec lui. Et il a aim� un pays qui lui a permis de rena�tre et lui a donn� trois ann�es de vie et de lutte.
R�f�rences
1 Le travail essentiel est la th�se d'Olivia Gall, Trotsky et la vie politique dans le Mexique de C�rdenas, 2 vol., Grenoble, 1986, qui para�tra prochainement. On peut esp�rer aussi la publication des travaux du colloque de mai 1987 � Mexico sur Trotsky comme � r�v�lateur �.
2 Abern � Trotsky, 30 mars 1930, A.H., 60.
3 La Prensa, 20 avril 1956, trad. fr. Cahier L�on Trotsky n� 11, septembre 1982, pp. 63-73.
4 Ibidem, p. 64.
5 O. Gall, t. I, op. cit., pp. 144-146.
6 O. Fern�ndez, op. cit., p. 68.
7 O. Gall, op. cit., I, pp. 23-25.
8 Sedov � S.W.P., 27 novembre 1936, A.H.E.N.
9 Shachtman � Sedov, 23 novembre 1936, A.H.E.N.
10 Van, op. cit., p. 155.
11 Trotsky � Meyer, 17 d�cembre 1936, Riksarchiv, Oslo.
12 Trotsky � S. Rosendahl, 17 d�cembre 1936, Riksarchiv.
13 Trotsky, pages de journal, 28 d�cembre 1936, Œuvres, 12, p. 25.
14 � Au Mexique �, pages de journal, ibidem, Œuvres, 12, p. 76.
15 V. Serge, V.M., II, p. 69.
16 O. Gall, Trotsky et la vie politique dans le Mexique de C�rdenas, 2 vol., th�se, Grenoble, 1975. Ici, p. 135.
17 Van, op. cit., p. 165.
18 T�moignage de van Heijenoort.
19 Ibidem.
20 Van, op. cit., p. 166.
21 T�moignage de Mrs Ella G. Wolfe.
22 L�on et Natalia Trotsky, Correspondance 1933-1938, Paris, 1980, pp. 118 sq.
23 Van, op. cit., p. 165.
24 H. Herrera, Frida, p. 212.
25 Ibidem, p. 81.
26 B. D. Wolfe, pp. 257-274.
27 Ibidem, p. 191.
28 Trotsky � Rivera, 9 juin 1933, A.H., 9790.
29 V. Serge, V.M., II, p. 116.
30 Trotsky au S.I., 12 juin 1938, A.H., 8059 ; Œuvres, 18, p. 70.
31 Van, op. cit .. p. 197.
32 T�moignage de J. van Heijenoort � la soutenance de la th�se d'Olivia Gall.
33 O. Gall, op. cit., I, p. 146.
34 Ibidem, I, p. 269.
35 Ibidem, I, pp. 146-147.
36 � Octavio Fern�ndez se souvient �, Cahiers L�on Trotsky, n� 26, juin 1986, pp. 61-80.
37 O. Gall, op. cit., I, p. 121.
38 T�moignage de Van et Octavio Fern�ndez.
39 O. Gall, op. cit., I, p. 147 & II, pp. 462-477.
40 Ibidem, pp. 147-148.
41 Ibidem, p. 148.
42 Ibidem, p. 148.
43 Correspondance avec C�rdenas 1935-1938, Archives M�gica.
44 T�moignage de Charlie Curtiss.
45 On a son t�moignage d'observatrice attentive dans Alice Gerstel-R�hle, Kein Gedicht f�r Trotzki : Tagebuchaufzeichnungen aus Mexico, Francfort/M, 1979 .
46 O. Gall, op. cit., II, pp. 353-357.
47 Ibidem, I, 208-243, fait la synth�se des nombreux travaux historiques r�cents consacr�s � Lombardo Toledano.
48 V. Lombardo Toledano, � L'Asile du Mexique �, Futuro, janvier 1937.
49 V. Lombardo Toledano, � Trotsky au Mexique �, Futuro. septembre 1938.
50 P. Brou�, L'Assassinat de Trotsky, p. 71.
51 Voir le chapitre 14 (� Trotsky analyse le Mexique �) de la th�se d'Olivia Gall, pp. 426-451.
52 O. Fern�ndez, � Ce qu'est et o� va la R�volution mexicaine �, Clave, n� 3/4, novembre/d�cembre 1939.
53 Cit� par O. Gall, op. cit., II, p. 428.
54 � Les syndicats � l'�poque imp�rialiste �, f�vrier 1941.
55 � Le Mexique et l'imp�rialisme britannique �, 5 juin 1938, A.H., T 4539 ; ici, p. 57. 56.
56 Trotsky, � Lettre ouverte au s�nateur Allen �, 2 d�cembre 1938, A.H.,. T 4477 ; Œuvres, 19, p. 212.
57 Cit� par O. Gall, op. cit.. II, p. 437.
58 Ibidem, cit� p. 438.
59 Ibidem.
60 � Staline et le Mexique �, Œuvres. 17, pp. 269-270.