"Si les trotskystes avaient été des « sectaires » impénitents ou des « rêveurs » utopistes, coupés de la réalité, croit-on vraiment qu'il aurait été nécessaire, pour venir à bout de leur existence - qui était en elle-même déjà une forme de résistance - de les massacrer jusqu'au dernier à Vorkouta ? Sur les millions de détenus libérés des camps de concentration après la mort de Staline, (...) les trotskystes survivants peuvent se compter sur les doigts d'une seule main ? Est-ce vraiment par hasard ?" Source : Cahiers Léon trotsky n°6, 1980. |
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Les trotskystes en Union Soviétique (1929-1938)
Provocation policière généralisée
Le G.P.U. doit être un instrument d'une docilité totale parce que c'est sur lui que Staline compte pour briser définitivement et détruire l'Opposition. L'un des principaux moyens utilisés, dès cette époque, est la provocation, l'utilisation d'agents du G.P.U. infiltrés dans les rangs de l'Opposition, voire « retournés » après une interpellation ou une arrestation.
Nous n'avons évidemment que peu de documents concernant ce genre d'affaires dont la preuve définitive ne se trouve jamais que dans les archives de la police au service du pouvoir. Mais nous avons tout de même un certain nombre d'indications qui constituent autant de présomptions. Et d'abord parce qu'à cette période, Staline, qui escompte sans doute des résultats plus rapides et surestime sans doute aussi ses propres procédés, travaille dans le court terme et brûle des agents ou des hommes dont il aurait pu faire des agents à long terme dans le vain espoir de porter à l'Opposition un coup décisif ‑ comme il le fera d'ailleurs dans l'Internationale au moins jusqu'en 1933. C'est ainsi qu'il joue en 1929 plusieurs atouts. A Moscou, si l'on en croit Victor Serge, l'un des principaux collaborateurs de Boris M. Eltsine dans le « centre » était un dénommé Mikhail Tverskoy dont les tracts incendiaires et les dénonciations permirent d'arrêter des centaines de cadres et de militants [1]. Il semble que, toujours selon Serge, il ait joué un jeu identique à Leningrad en 1930 [2]. En 1929, à Paris, Solomon Kharine, « Joseph », gagné par les arguments de Radek en faveur de la capitulation, accepte de jouer les informateurs au compte du G.P.U. à qui il remet adresses et documents, notamment le manuscrit intégral du premier numéro du Biulleten Oppositsii. Sa trahison n'empêche pas la parution du bulletin, mais brûle définitivement un homme que Staline aurait voulu conserver dans l'entourage de Trotsky pour son information.
Les correspondants du Biulleten insistent dans leurs lettres sur le fait que les transports de déportés sont désormais truffés d'agents, délibérément envoyés, ou déportés authentiques qui ont accepté en cours d'interrogatoire de jouer le rôle de provocateurs ou d'indicateurs pour se « racheter ». Les plus dangereux sont évidemment les vieux‑bolcheviks que personne n'est porté à soupçonner. Plusieurs témoins mentionnent le rôle joué à Verkhnéouralsk par l'un d'entre eux, Surnov, ancien commissaire du peuple à la santé de la république de Crimée, placé pendant quelque temps dans la cellule de Solntsev qui parvient à le démasquer [3]. Ciliga raconte également que, peu avant sa libération, il fut l'objet de sollicitations de la part d'un autre agent provocateur, lui aussi vieux‑bolchevik, Artouk Solovian, qui insistait pour lui remettre un message destiné à Sedov et surtout pour que ce dernier lui envoie des « directives [4] ».
Notes
[1] Ibidem, p. 265.
[2] Ibidem.
[3] A. Ciliga, Au Pays du Grand Mensonge, p. 182‑183. Ante Ciliga (né en 1896), croate, devenu italien après les traités, dirigeant du P.C. yougoslave, établi en U. R. S.S. en 1926, avait été arrêté en 1930 ; il fut libéré en 1935 sans doute du fait de sa nationalité italienne. Il publia des souvenirs dans diverses revues puis, en 1938 dans son livre, Au Pays du Grand Mensonge.
[4] Ibidem, vol. II, p. 294‑298.