1971 |
"Nous prions le lecteur de n’y point chercher ce qui ne saurait s’y trouver : ni une histoire politique de la dernière République espagnole, ni une histoire de la guerre civile. Nous avons seulement tenté de serrer au plus grès notre sujet, la révolution, c’est-à-dire la lutte des ouvriers et des paysans espagnols pour leurs droits et libertés d’abord, pour les usines et les terres, pour le pouvoir politique enfin." |
La Révolution Espagnole - 1931-1939
Problèmes et querelles d'interprétation - II. Socialistes
C’est pourtant cette identification qui fournit au moins partiellement la clef de la monté communiste des débuts de la guerre civile, et, tout particulièrement, l’évolution du secteur de la Jeunesse socialiste. Le vide des études historiques est particulièrement frappant pour cette période. Même un analyste aussi rompu à la dialectique que l’était Andrés Nín nous semble n’avoir pas saisi la signification et la portée du tournant à gauche du Parti socialiste. Bien sûr, il est clair que Prieto n’a jamais perdu la tête qu’il avait solidement républicaine et parlementaire et qu’il a fait, en 1934, la part du feu. Il le fallait sans doute pour être en mesure, comme il l’a fait, de présenter comme « le programme de l’insurrection des Asturies », à la veille des élections de 1936, dans son journal El Liberal [1], un « programme » dont aucun ouvrier asturien n’avait apparemment entendu parler - ce qui n’empêche pas qu’après Rodolfo Llopis [2], des historiens de tout bord [3] continuent sur ce point à le croire sur parole. L’explication est pourtant trop simpliste, car le phénomène de la radicalisation socialiste ne peut être réduit à une comédie, une simple manœuvre de politiciens faisant la part du feu. Nous pensons pour notre part qu’il y eut « feu » en effet, c’est-à-dire montée révolutionnaire d’une exceptionnelle puissance, provoquée précisément par la menace d’une contre-révolution qui réduisait en poussière non seulement des espoirs chèrement nourris, mais jusqu’aux médiocres, cependant précieuses, réalités. L’unanimité dans la sévérité des jugements portés sur Largo Caballero tant par 1es communistes officiels que 1es poumistes ou les anarchistes -pour ne pas parler de la quasi-totalité de ses camarades de parti -, les accusations portant sur son verbalisme révolutionnaire, sa confusion, ses hésitations, ses rodomontades de vieil homme entouré de disciples empressés et flatteurs, ne peuvent, quel que soit en elles le grain de vérité, dissimuler la forêt, à savoir ce profond mouvement qui met en branle, dans l’Espagne entière, la jeunesse et la classe ouvrière et paysanne et lui fait tendre la main vers le vieux chef réformiste à partir du moment où il emploie les mots magiques de « révolution » et de « dictature du prolétariat ».
Il faudrait aujourd’hui commencer à étudier de très près le rôle des intellectuels socialistes qui ont fait Claridad après avoir mené dans Leviatán un effort de clarification théorique, et les replacer dans le contexte qui 1es a conduits précisément à cette démarche. Il faudrait travailler sérieusement sur le mouvement de la Jeunesse socialiste, sans doute un des mouvements de jeunes politiques le plus fort numériquement dans l’Europe et l’entre-deux-guerres, analyser et expliquer dans ses rangs le goût pour le bolchevisme qui fera que des Carrillo et des Melchor « trotskyseront » de longs mois avant de se « staliniser ». Mais, là encore, il faudra auparavant analyser dans le détail, région par région, ce qu’est à cette époque le Parti socialiste espagnol, ce qu’il est en train de devenir, et pourquoi il change.
Nous pensons qu’on découvrira alors 1es mêmes nécessités qui pèsent sur l’étude de l’anarcho-syndicalisme, son contexte, sa toile de fond, l’évolution au sein du mouvement communiste qui pèsent lourd dans le Parti socialiste, malgré les apparences. Les premiers résultats des recherches de Georges Garnier [4] donnent à cet égard pour les Asturies de précieuses indications. Car le Parti socialiste aux Asturies n’est pas seulement un appareil, celui des Amador Fernández, Ramón González Peña et Belarmino Tomás, qui ne cessent pas d’être des social-démocrates et pour qui les révolutionnaires n’ont pas tous les yeux bienveillants de Manuel Grossi [5]. Il existe au sein du Parti socialiste des Asturies une gauche authentique dont les liens, dans l’histoire comme dans l’activité, le mode de pensée et l’expression, sont évidents avec le communisme. Jesús Ibañez est cet ancien dirigeant de la C.N.T., délégué à Moscou avec Maurín, Nín et Arlandis ; ce mineur a été l’un des tout premiers communistes dans cette région. José Loredo Aparicio, avocat, a été également l’un des premiers dirigeants de la fédération communiste des Asturies. Ces hommes se retrouvent en 1934 dans le Parti socialiste, sa gauche, les J.S. comme Juan Pablo Garcia, autour du journaliste Javier Bueno et du quotidien d’Oviedo, Avance. La « tribune libre » d’Avance, en 1934, est le lieu d’une confrontation permanente sur le problème de l’unité, la perspective et la construction de l’Alliance ouvrière, une tribune suffisamment prestigieuse pour que s’y expriment les dirigeants « alliancistes » de la C.N.T. et que lui répondent anarchistes purs et communistes staliniens.
En fait, cette gauche socialiste asturienne est constituée de militants communistes de la première heure qui ont rompu avec l’Internationale stalinisme et sont revenus au Parti socialiste après avoir animé des groupes oppositionnels communistes : Ibañez vient de la fédération communiste des Asturies, après avoir été collaborateur de La Batalla, et José Loredo Aparicio, fondateur du premier groupe d’opposition de gauche, « les bolcheviks du Nalon », a été un des dirigeants de la Gauche communiste, collaborateur et administrateur de Comunismo. Ces hommes, c’est évident, conservent des liens avec les groupes communistes d’opposition dont ils reflètent à bien des égards l’influence dans les rangs socialistes.
Notes
[1] Dans le numéro du 11 janvier 1936.
[2] Octubre del 34, p. 32.
[3] Par exemple le phalangiste Garcia Venero dans son Historia de las Internacionales en España.
[4] G. Garnier, « Le problème de l’unité ouvrière dans les Asturies à la veille de la Révolution d’Octobre à travers la presse régionale », TER Grenoble, 1970.
[5] Voir son opinion sur González Peña dans L’insurrection des Asturies (EDI, 1971).