1971 |
"L'histoire du K.P.D. (...) n'est pas l'épopée en noir et blanc du combat mené par les justes contre les méchants, opportunistes de droite ou sectaires de gauche. (...) Elle représente un moment dans la lutte du mouvement ouvrier allemand pour sa conscience et son existence et ne peut être comprise en dehors de la crise de la social-démocratie, longtemps larvée et sous-jacente, manifeste et publique à partir de 1914." |
Révolution en Allemagne
Pierre Broué
Essai de définition du rôle d'un parti communiste
Les dirigeants du parti allemand n'envisagent pas d'aller à Moscou en chemise et la corde au cou. Forts du soutien de l'exécutif, les gauchistes berlinois vont de l'avant, parlent haut et fort, cherchent à être les théoriciens et l'aile marchante de la majorité hétérogène qui a remplacé Levi. C'est Maslow qui déclare au lendemain de l'action:
« Sur les principes qui ont inspiré l'action, il n'y a pas grand-chose à dire. En gros, la situation était la suivante : notre parti était sur la défensive et perdait ainsi son sens de parti communiste. Un parti sur la défensive est un parti social-démocrate. S'il veut être un parti communiste, il lui faut être offensif. Ou bien il doit dire : « Je suis opposé à toute offensive ! ». Mais dire : « Je suis contre telle ou telle action », c'est du bluff! » [1].
Le même, quelques jours plus tard, écrit dans Die Internationale :
« On demande ce qu'il y avait de spécifiquement nouveau dans l'action de mars ; il faut répondre : précisément, ce que nos adversaires nous reprochent, à savoir que le parti s'est lancé en effet au combat sans chercher à savoir quelles en seraient les conséquences » [2].
Dans la même veine, Ruth Fischer affirme :
« Un parti de 500 000 membres qui ne combat pas ne peut que devenir un bourbier, et c'est ce qu'il était déjà devenu » [3].
Quant à Arthur Rosenberg, il philosophe dans l'assemblée des militants de Berlin :
« C'est une insurrection quand on gagne, et un putsch quand on perd ! » [4].
En quelques jours, toute la philosophie de la gauche va être apparemment reprise par une centrale débordée par les événements et avide d'autojustification, cherchant a posteriori à expliquer sa politique.
Le 8 avril, voulant tirer les leçons de l'action de mars, la centrale adopte des thèses préparées par Thalheimer [5]. Elles affirment que la bourgeoisie allemande s'est trouvée dans une crise profonde qui l'a conduite à agir sur deux fronts : renforcement de la contre-révolution « blanche » et resserrement des liens avec la social-démocratie, afin d'avoir les mains libres pour un compromis avec l'Entente au détriment du prolétariat. Dans une telle situation, le prolétariat, pour ne pas être paralysé dans la passivité, se devait de prendre l'offensive.
Au cours des crises qui avaient, les années précédentes, secoué la bourgeoisie allemande, le parti communiste n'avait pas suffisamment de forces, selon les thèses de la centrale, pour dépasser le stade de la propagande. Devenu un parti de masses, il se devait de le faire, d'appeler le prolétariat à l'action, même au risque de n'être suivi que par une partie des travailleurs. L'action a commencé après l'attaque de Hörsing contre les travailleurs d'Allemagne moyenne : le choix était clair entre Hörsing, la contre-révolution et les ouvriers. Le parti communiste a choisi de se placer dans le camp des travailleurs, et les autres partis ouvriers dans le camp de la contre-révolution. Il n'a certes pas réussi à entraîner dans la lutte l'ensemble des travailleurs allemands, dont certaines couches s'entêtent dans la passivité et le refus de l'action et vont sans doute l'accuser de putschisme et d'aventurisme. La centrale affirme cependant :
« Dans les époques de profonde tension politique, de telles actions, même si elles aboutissent à une défaite provisoire, constituent les conditions préalables de victoires à venir et, pour un parti révolutionnaire, l'unique façon de conquérir les masses pour lui et pour les luttes révolutionnaires victorieuses est de faire pénétrer dans la conscience des masses la situation politique objective » [6].
L'action de mars constitue un pas en avant considérable dans la mesure où elle a, dans les faits, pratiqué l'offensive qui peut seule créer les conditions de la prise du pouvoir. La centrale considère comme positives ses conséquences : renforcement de la lutte de classes, rupture du front de la passivité et de la paix civile ; elle a démasqué « l'U.S.P.D. et le S.P.D. et leur bureaucratie syndicale comme forces contre-révolutionnaires » ; elle a éveillé les travailleurs de leur prostration, eu des résonances sur le plan international en contribuant à « démasquer les mencheviks de tous les pays » ; elle a montré aux travailleurs de tous les pays qu'il n'y aurait pas de « front unique entre bourgeoisie et prolétariat » et que « la révolution allemande est une réalité vivante ». Après avoir analysé les insuffisances du parti sur le plan de l'organisation, les thèses affirment :
« Le V.K.P.D. doit se débarrasser des défauts d'organisation et de tactique de cette première tentative. S'il veut remplir sa tâche historique, il doit demeurer fermement sur la ligne de l'offensive révolutionnaire qui était à la base de l'action de mars et avancer avec détermination et assurance dans cette voie » [7].
Publiée quelques jours plus tard, la brochure Tactique et organisation de l'offensive révolutionnaire [8] — recueil des principaux articles sur ce thème — va constituer le manifeste de la nouvelle « philosophie ». Les délégués de la centrale préparent avec confiance leur séjour à Moscou pour le 3° congrès mondial, convaincus que les Russes vont les recevoir avec tous les égards dus à des révolutionnaires courageux et clairvoyants.
Cependant, Radek est loin d'être satisfait de la conduite de l'action de mars. Dès le 1° avril, en effet, il a écrit aux dirigeants allemands :
« Je crains que vous n'ayez agi quelques semaines trop tôt. Je crains que cela ne constitue une faute tactique que de n'avoir pas attendu qu'éclate le conflit entre l'Allemagne et la Pologne. (...) Levi, qui a trouvé la formule « secte ou parti de masses », va maintenant sans doute lancer l'accusation de putsch » [9].
Le 7 avril, il indique dans une nouvelle lettre que « le Vieux espère encore que les gens vont se ressaisir », et que « l'exécutif en tant que tel désire retarder sa prise de position contre la droite jusqu'à ce qu'elle se démasque elle-même » [10], ajoutant qu'en ce qui le concerne il est décidé à lutter au grand jour. De son côté, Thalheimer s'efforce de combattre les hésitations et les doutes de l'exécutif par un tableau optimiste :
« L'action de mars a agi sur le parti comme un bain d'acier. On a effrayé ou effarouché tous les pourris. Les autres ne sont qu'isolés. Peu sans doute passeront de l'autre côté avec Paul Levi. (...) Le parti se remet merveilleusement vite » [11].
Il est clair en tout cas que le geste de Levi, ressenti comme une agression par beaucoup de militants — Lénine dira à Clara Zetkin : « Il s'est jeté sur le parti comme une bête féroce et il l'a déchiré » [12] —, est utilisé par tous ceux qui auraient des comptes à rendre et préfèrent invectiver contre lui. Sur ce point au moins, la position de l'exécutif est nette : le 26 avril, il publie une déclaration solennelle, signée des noms les plus prestigieux, Zinoviev, bien sûr, mais aussi Lénine et Trotsky, Boukharine, Radek, Rosmer ... et Béla Kun. Elle affirme notamment :
« Sur le célèbre pamphlet de Paul Lévi, il y a eu unanimité absolue. L'avis général a été que Levi est un traître. Au nom du parti bolchevique et du comité exécutif de l'Internationale communiste tout entier, le camarade Zinoviev a dit : « C'est un abominable mensonge que de prétendre que le comité exécutif ou ses représentants ont provoqué le soulèvement de mars. Cette fable a été nécessaire pour les besoins de la contre-révolution allemande au côté de laquelle Levi s'est rangé » [13].
Il n'est pourtant plus question dans cette proclamation de qualifier l'action de mars de « page glorieuse» : l'exécutif se contente de déclarer qu'étant donné l'importance des divergences qui se sont manifestées sur cette question, il lui semble nécessaire de mener la discussion du 3° congrès de l'Internationale [14]. Quant à la résolution de l'exécutif sur le « cas Levi », elle rend un son quelque peu différent de celui de la proclamation elle-même :
« Ayant lu le pamphlet de Paul Levi, Notre voie — Contre le putschisme, le comité exécutif de l'Internationale communiste ratifie la décision d'exclure Levi du V.K.P.D. et par conséquent de l'Internationale communiste. Même si Paul Levi avait raison à 90 % dans ce qu'il affirme concernant l'offensive de mars, il serait encore passible d'exclusion du parti parce que, par son action dans les circonstances données, il a frappé le parti dans le dos » [15].
Si Levi est exclu pour indiscipline, le problème politique reste posé, et sera tranché par le 3° congrès mondial. En attendant, il va se trouver au centre des préoccupations de tous les dirigeants communistes. Déjà, un texte de Radek, écrit à Moscou le 10 mai et publiée dans la presse communiste internationale [16], montre qu'un tournant est en train de se dessiner et que l'exécutif n'est pas près d'endosser la théorie de l'offensive.
Radek dénonce en effet l'accusation lancée par Levi contre la centrale d'avoir organisé un putsch. Attaqués, les ouvriers d'Allemagne centrale ont spontanément engagé la lutte contre les détachements Hörsing. Le comité central du 17 mars n'avait pas autre chose en vue qu'une « réaction contre l'offensive gouvernementale » :
« Parler de putschisme, c'est seulement couvrir de phrases sonores un pur et simple reniement de la tactique offensive du communisme et même de la défense active » [17].
Partant de là, il développe un certain nombre de critiques contre la centrale allemande, qu'il accuse d'être passée, sans transition, de l'attitude propagandiste du temps de Levi-Däumig à celle de la lutte active, de n'avoir pas « tenu en main les ouvriers », et de leur avoir « permis d'agir alors que le caractère du mouvement n'était pas encore déterminé et que l'on ne voyait pas clairement s'il ne valait pas mieux se borner à une grève, d'avoir enfin parlé d'« offensive » alors que l'action qu'elle menait n'était qu'une « défensive offensive » [18].
Les variations de Radek et l'évolution esquissée depuis le début de mars dans sa correspondance s'expliquent par les incertitudes de Moscou. L'action de mars s'est produite au moment où la Russie soviétique traversait la plus grave crise de son histoire. Et, dans cette mesure, elle est passée un peu inaperçue, même aux yeux des dirigeants comme Lénine, absorbés dans la lutte quotidienne et les difficultés économiques et politiques de tous ordres. C'est vraisemblablement par la lettre adressée par Levi le 27 mars que Lénine a été alerté pour la première fois. L'action de mars sera l'occasion d'une de ses plus importantes interventions dans la vie du parti communiste allemand, et de la plus grande bataille politique qu'il ait conduite au sein de l'Internationale.
Lénine avait certes été au cours du 2° congrès parmi les plus optimistes quant aux perspectives révolutionnaires immédiates en Europe, et l'on se souvient du différend qui l'avait opposé en commission à Paul Levi concernant la formulation des tâches du parti dans la période. Bientôt, cependant, la guerre russo-polonaise s'est terminée sans que se soit produit en Pologne le soulèvement révolutionnaire sur lequel il avait compté contre l'avis de Radek, de Trotsky et d'une partie des dirigeants polonais. Le reflux commence, en Italie, en France, en Grande-Bretagne. Dès le mois de décembre, Lénine laisse apparaître dans ses discours une appréciation plus nuancée, admet que le rythme de la révolution européenne est finalement plus lent que ne l'avait été celui de la révolution russe, et surtout qu'il serait déraisonnable de compter sur son accélération. II intervient peu dans les questions de l'Internationale, mais on sait qu'il insiste auprès de Zinoviev pour que l'exécutif élargi ne suive pas le « petit bureau » de l'Internationale qui, le 21 février, avait condamné comme opportuniste l'initiative allemande de la lettre ouverte, et pour que la question soit mise en discussion.
Toute son activité politique est alors centrée sur les problèmes internes de la Russie soviétique : en mars 1921 se produit l'insurrection de Cronstadt, en mars 1921 se tient le 10° congrès et l'adoption de la Nep, et l'on peut tenir pour certain qu'il accorda à ces événements plus d'attention qu'à l'aventure allemande, qui les suivait de quelques jours. Les deux questions ont été pourtant sans doute liées, au moins dans l'esprit de dirigeants du parti russe et de l'Internationale comme Boukharine et Zinoviev, et l'on peut tenir pour plausible que les partisans de la « ligne offensive» dans l'Internationale avaient le sincère désir, en forçant au besoin le développement et en accélérant artificiellement le rythme de la révolution, de rompre coûte que coûte l'isolement qui condamnait les bolcheviks au coûteux repli stratégique de la Nep. Malheureusement nous savons peu de choses sur la lutte politique qui a dû se dérouler au sein de la direction du P.C. russe avant le mois de mars, en dehors du fait que Boukharine défendait la nécessité d' « électriser » les masses afin de provoquer des explosions révolutionnaires en Europe [19]. Pour les mois suivants, nous disposons d'un témoignage de Trotsky, document extrait d'une déclaration au bureau politique en 1926 :
« Le danger d'alors était que la politique de l'Internationale prenne la ligne des événements de mars en Allemagne, c'est-à-dire cherche à créer artificiellement une atmosphère révolutionnaire et une « électrisation » du prolétariat, selon l'expression d'un camarade allemand. (...) Avant le congrès, j'écrivis à Radek une lettre dont Vladimir Illitch ignora l'existence, pour l'informer de l'impression que j'avais des événements de mars. En raison d'une situation assez délicate, ne connaissant pas l'opinion de Vladimir Illitch et sachant que Zinoviev, Boukharine et Radek appuyaient en général la gauche allemande, je me gardai, bien entendu, de me prononcer ouvertement, et j'écrivis une lettre sous forme de thèse au camarade Radek pour qu'il me fît connaître son avis. Radek et moi ne pûmes tomber d'accord. L'ayant appris, Vladimir Illitch me fit venir et me définit la situation dans l'Internationale comme porteuse d'immenses dangers. Dans l'analyse de la situation et des tâches qui en découlaient, nous fûmes pleinement solidaires. Après cet entretien, Vladimir Illitch fit appeler Kamenev pour disposer au bureau politique d'une majorité assurée. Le bureau politique se composait alors de cinq personnes. Avec Kamenev, nous avions par conséquent la majorité. Dans notre délégation, il y avait d'un côté Zinoviev, Boukharine et Radek, de l'autre Vladimir Illitch, Kamenev et moi. Chaque groupe tenait de véritables séances. (...) Dans les conversations qui suivirent, je représentais la fraction de Vladimir Illitch et Radek la fraction de Zinoviev. (...) Zinoviev accusa avec une certaine vivacité Radek d'avoir « trahi » sa fraction dans ces conversations, c'est-à-dire consenti de trop grandes concessions. (...) Vladimir Illitch se concertait avec moi sur ce qu'il y aurait lieu de faire au cas où le congrès se prononcerait contre nous : nous inclinerions-nous devant le congrès dont les décisions pouvaient être désastreuses, ou résisterions nous? » [20].
Les dirigeants russes se mirent finalement d'accord entre eux sur un compromis que la délégation du parti russe aurait à défendre au congrès tant contre les gauchistes, allemands ou autres, que contre les représentants de l'opposition « lévite » allemande, Clara Zetkin, Neumann, Malzahn et Franken, invités à la demande expresse de Lénine [21].
Tout n'alla pas, cependant, comme prévu. Thalheimer était arrivé le premier à Moscou, muni des thèses qu'il avait personnellement rédigées et que le comité central allemand avait adoptées par 26 voix contre 14. Elles affirmaient notamment :
« Le parti communiste a, pour la première fois, et seul, conduit les masses au combat, non pas localement, mais dans l'ensemble de l'Allemagne » [22].
L'unique erreur que le parti allemand avait à se reprocher était d'avoir trop attendu. Pour les « thèses », la grande leçon de l'action de mars consistait en ce que :
« si le parti veut remplir sa mission historique, il doit rester fidèle à la théorie de l'offensive révolutionnaire qui était à la base de l'action de mars, et marcher résolument dans cette voie » [23].
En fait, les responsables de l'action de mars commençaient déjà à se diviser face aux conséquences de leur politique. Comme l'a souligné Arnold Reisberg, Brandler, dès le lendemain de l'action de mars dont il avait, en tant que président de la centrale, endossé la responsabilité, commençait à se poser des problèmes et à tenter de renouer avec la politique de la lettre ouverte brutalement interrompue par l'entrée en scène de Bela Kun. Emprisonné à la suite de l'action de mars, il méditait les leçons de l'histoire des derniers événements qu'il venait lui-même de retracer [24] et, le 17 juin, il écrivait à la centrale [25] en demandant à ses camarades de réfléchir à ce que Lénine, à la veille de la prise du pouvoir, avait proposé en 1917 dans sa célèbre brochure La Catastrophe imminente et les moyens de la conjurer. Il suggérait l'adoption de mots d'ordre concrets, susceptibles de mobiliser immédiatement les travailleurs non communistes, mentionnait : « syndicalisation obligatoire de l'industrie, centralisation de toutes les banques, contrôle de l'industrie, du commerce et de l'agriculture par l'Etat actuel et les comités d'usine », et concluait :
« Nous devons en finir avec l'agitation pure. Nous ne devons avoir aucune crainte d'être moins radicaux » [26].
A son arrivée à Moscou, Thalheimer se rend compte que Brandler n'est vraisemblablement pas le seul à avoir fait marche arrière et comprend sans doute que les thèses du K.P.D. n'ont pas la moindre chance d'obtenir l'approbation des Russes [27]. Il abandonne donc la tactique mise au point à Berlin et décide, d'accord avec Béla Kun, de proposer des amendements au texte de la délégation russe que Radek a été chargé de rédiger. Cette nouvelle tactique réussit dans un premier temps : Radek introduit dans le projet des analyses et des remarques marquées du sceau de la théorie de l'offensive — et même de l'état d'esprit caractéristique de ses tenants—, avec la dénonciation virulente des droitiers et opportunistes [28]. Lénine le relève vertement, le 10 juin, dans une lettre adressée à Zinoviev [29] :
« Levi, politiquement, avait raison sur beaucoup de points. (...) Les thèses de Thalheimer et de Béla Kun sont sur le plan politique radicalement fausses » [30].
Lénine considère que les amendements acceptés par Radek constituent « des exemples classiques de la médiocrité d'esprit de Thalheimer et de Béla Kun, ainsi que de la complaisance empressée de Radek ». Comme les dégâts sont importants, il laisse échapper une réflexion désabusée :
« Que faire ? Je n'en sais rien. C'est terrible, tout ce qu'on a laissé passer. Le temps. Le travail » [31].
Sur le fond, en revanche, il n'a pas la moindre hésitation et l'écrit à Zinoviev :
« Il est insensé et malfaisant d'écrire et d'admettre que la période de propagande est révolue et que celle de l'action a commencé. (...) Il faut sans cesse et de façon systématique lutter pour gagner la majorité de la classe ouvrière, d'abord à l'intérieur des vieux syndicats. (...) Tous ceux qui n'ont pas compris que la tactique de la lettre ouverte est obligatoire doivent être exclus de l'Internationale dans un délai maximum d'un mois après le congrès. Je vois clairement que ce fut une erreur de ma part que d'avoir accepté l'admission du K.A.P.D., et il faut corriger cela le plus vite et le plus radicalement possible » [32].
En ce qui concerne l'action de mars elle-même, Lénine, sur la base de la lecture des brochures de Brandler et de Levi, est parvenu à quelques conclusions : tous les cris tendant à la présenter comme une « action offensive » relèvent de la démence, et la faute très grave des dirigeants allemands a été d'appeler à la grève générale alors que le gouvernement avait, à l'évidence, organisé une provocation. Mais cette action purement défensive ne saurait selon lui être considérée comme un putsch : en la qualifiant de putsch, Levi a commis une faute plus grave encore. Il est donc nécessaire de le sanctionner, par exemple en l'excluant pour six mois avec la perspective de le réintégrer s'il se comporte loyalement. Mais il faut, en même temps et pour toujours, enterrer les folies de la théorie de l'offensive [33].
Le tournant va être pris au plus court. A la conférence du parti communiste russe, Radek, qui présente le rapport sur « les tâches du 3° congrès de l'Internationale », est loin de la ligne que Lénine défend au même moment : ses analyses semblent sorties tout droit des perspectives telles qu'elles avaient été tracées à l'été 1920. Pour lui, en effet, la crise qui vient d'éclater simultanément dans plusieurs partis communistes a sa racine dans « le sentiment que l'on a du recul de la révolution mondiale », sentiment sous-jacent à son avis tant aux analyses de Serrati qu'à celles de Paul Levi. Or Radek considère qu'il n'y en a pas, en réalité, de recul :
« Si nous en arrivions à conclure que la révolution est en recul, nous devrions immédiatement rayer de l'ordre du jour la lutte pour la conquête immédiate du pouvoir » [34].
Contrairement à la thèse développée par Levi, Radek soutient devant la conférence du parti russe que l'année 1920 n'a pas vu se produire un reflux du mouvement révolutionnaire, mais, au contraire, une importante accélération :
« Après notre échec sur Varsovie, nombre de capitalistes étrangers ont cru pouvoir mettre une croix sur la révolution. Mais c'est à ce moment précis qu'a commencé la crise si longtemps attendue » [35].
Pour lui, donc, les années de 1918 à 1920 n'auront en définitive constitué que les années de préparation. L'action de mars a été purement défensive, mais elle a été positive parce qu'elle était une action : « Même une défaite, ici, constitue un progrès » [36]. Son résultat le plus positif a été en effet de démontrer que la « droite» — Levi et ses camarades — sabotait l'action du parti :
« C'est seulement aujourd'hui que notre foi dans le parti allemand s'est raffermie. (...) Cela prouve que ce parti est meilleur que nous ne l'avions cru » [37].
La conclusion surprend, dans la bouche d'un orateur qui dénonce au même moment la « terreur blanche» qui s'abat sur l'Allemagne et qui impute à crime à Levi son initiative publique dans un tel contexte :
« La situation en Europe s'est modifiée en notre faveur (...) grâce à la croissance et au développement du mouvement communiste » [38].
Le contraste est frappant avec les thèses qui vont être présentées au congrès mondial sur la situation internationale par Trotsky et Varga, mandatés par l'exécutif sur la position que Lénine a réussi à faire accepter par le comité central bolchevique. Elles partent en effet de la constatation que la crise économique — qui a éclaté en 1920 — reflète la crise profonde du système capitaliste et traduit une réaction à la prospérité fictive du temps de guerre. Mais le fait capital est que l'éparpillement des réactions ouvrières a empêché que la crise débouche sur la révolution. Les thèses rappellent les étapes de la grande vague révolutionnaire déclenchée par la guerre mondiale : révolution de 1917 en Russie, révolution en Allemagne et en Autriche-Hongrie en 1918-1919, grèves de cheminots français en 1919, puis 1920, et, la même année, la grève générale allemande contre le putsch de Kapp, le mouvement d'occupation des usines en Italie du Nord, la grève générale en Tchécoslovaquie. Et elles font cette constatation :
« Cette puissante vague n'a pourtant pas réussi à renverser le capitalisme mondial ni même le capitalisme européen. (...) Pendant l'année qui s'est écoulée entre le 2° et le 3° congrès de l'Internationale communiste, une série de soulèvements et de luttes de la classe ouvrière se sont terminées au moins partiellement par des défaites » [39].
L'Internationale communiste doit donc se poser la question de savoir si une stabilisation est intervenue dans la situation du capitalisme mondial et s'il est par conséquent nécessaire d'adopter une tactique nouvelle en fonction de cette situation nouvelle. La conclusion des rapporteurs est nette :
« Il est absolument incontestable que la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le pouvoir manifeste, à l'heure actuelle, un certain fléchissement » [40].
Trotsky l'affirme devant le congrès :
« Aujourd'hui, pour la première fois, nous voyons et nous sentons que nous ne sommes pas si immédiatement près du but, la conquête du pouvoir, la révolution mondiale. En 1919, nous disions : « C'est une question de mois. » Aujourd'hui nous disons ; « C'est peut-être une question d'années » [41].
Venant après les interventions de Lénine dans ses entretiens préliminaires, le rapport de Trotsky revêt une signification précise. Dès le début du congrès, les deux plus prestigieux dirigeants du parti bolchevique ont jeté dans la balance le poids de leur autorité : il n'en fallait sans doute pas moins pour venir à bout du bloc des gauchistes et des néo-gauchistes.
L'objectif de Lénine et Trotsky était simple : il importait de préserver l'unité du parti allemand et de l'Internationale tout en leur faisant prendre un tournant politique radical. Concrètement, ils étaient prêts, d'une part, à confirmer l'exclusion de Paul Levi, mais seulement pour « indiscipline », et afin d'éviter d'étaler au grand jour la responsabilité de l'exécutif dans l'action de mars, et, d'autre part, à saluer cette action comme un « pas en avant », tout en condamnant sans appel la théorie de l'offensive, et à prévenir toute rechute.
La réalisation d'un tel plan n'était pas chose aisée, et rendait nécessaire bien des précautions et manœuvres. Il n'était pas en effet évident, quelques jours avant l'ouverture du congrès, que Lénine et Trotsky seraient capables de rallier à leurs vues la majorité des congressistes. Dès son retour à Moscou, Béla Kun s'était démené afin de gagner à la théorie de l'offensive les délégués étrangers qui arrivaient les uns après les autres. Rosmer, dans ses souvenirs [42], l'a décrit, multipliant démarches, visites, entretiens, demandes de renseignements, gagnant les Belges et les Luxembourgeois, passant un accord avec les Italiens acquis d'avance. Lénine, de son côté, attend de pied ferme la délégation allemande, qui arrive en force avec trente-trois délégués [43]. Seuls manquent Ernst Meyer et Stoecker, qui assurent à Berlin la direction du parti, et Brandler, emprisonné. Clara Zetkin, déléguée au congrès par la Ligue des femmes communistes, est en fait le porte parole officieux de l'opposition allemande. Sur l'insistance de Lénine, trois autres têtes de l'opposition, Paul Neumann, Malzahn et Franken, ont fait le voyage et prendront part au congrès avec voix consultative. Les amis de Levi ont soigneusement préparé les discussions de Moscou, réuni une documentation considérable, journaux, tracts, procès-verbaux de réunions, témoignages de militants. Mais ils arrivent les mains vides, car les dossiers, enfermés dans les bagages de Clara Zetkin, ont été saisis à la frontière par la police prussienne agissant sur l'ordre de Severing [44].
Malgré cet incident qui lui facilite la tâche, la délégation allemande, porte-parole de la majorité du K.P.D., doit rapidement déchanter. Heckert, reçu par Lénine en même temps que Rákosi, sort « anéanti» de l'entrevue: les deux hommes se sont entendus accuser de proférer « des inepties » [45]. Une première discussion improvisée a lieu dans le bureau de Lénine. Sarcastique, véhément, il demande aux partisans de la théorie de l'offensive comment, selon eux, les ouvriers « s'instruisent » sous les coups de la répression et du chômage. Koenen, péremptoire, répond que « leur estomac communique à leur cerveau l'énergie révolutionnaire ». Lénine désormais ponctuera toutes ses critiques contre les Allemands de cette remarque ironique :
« Bien sûr, tout cela provient chez vous de l'énergie que l'estomac communique au cerveau » [46].
Dans une réunion ultérieure, il secoue plus durement encore les délégués de la majorité allemande :
« La provocation était claire comme le jour. Et, au lieu de mobiliser dans un but défensif les masses ouvrières afin de repousser les attaques de la bourgeoisie et de prouver ainsi que vous aviez le droit pour vous, vous avez inventé votre « théorie de l'offensive », théorie absurde qui offre à toutes les autorités policières et réactionnaires la possibilité de vous présenter comme ceux qui ont pris l'initiative de l'agression contre laquelle il s'agissait de défendre le peuple ! » [47].
Il attaque durement Béla Kun, qu'il crible de brocards pour ce qu'il appelle ses « kuneries », tourne en ridicule ce qu'il nomme les « maquillages théoriques, historiques ou littéraires » des partisans de l'offensive, à qui il jette ce verdict sommaire : « A laver la tête d'un nègre ! » [48]
Heckert a témoigné du désarroi et de la hargne des majoritaires allemands, cueillis à froid par l'offensive de Lénine, publiquement tancés devant les autres délégations, ridiculisés et impuissants. Frölich, selon lui, se serait plaint de l'effrayante « mesquinerie » de Lénine : sans doute n'était-il pas le seul [49]. Lénine, en fait, mesurait parfaitement la nécessité dans laquelle il se trouvait de briser net les tentatives des partisans de l'offensive, tout en s'efforçant de ne pas provoquer chez eux une rancœur excessive. Au cours des conversations qu'il a avec Clara Zetkin, Trotsky présent, il explique que, « si le congrès tordra le cou à cette fameuse théorie de l'offensive », il devra tout de même consoler ses tenants « en leur donnant quelques miettes » [50] — ce qui signifie que Clara Zetkin et ses amis devront se contenter d'un compromis.
Un tel compromis suppose évidemment le maintien de sanctions contre Levi. Lénine explique à son interlocutrice pourquoi, à son avis, elles sont inévitables :
« Non seulement sa critique était tout à fait exagérée, unilatérale et même méchante, mais elle ne fournit aucune indication permettant au parti de s'orienter. Tout esprit de solidarité avec le parti en est absent. C'est ce qui a révolté si fort les camarades du rang et les a rendus sourds et aveugles aux nombreuses choses justes qu'il y a dans la critique de Paul Levi, et notamment à la façon très pertinente dont il a envisagé le problème politique fondamental » [51].
Levi a compromis lui-même les chances qu'il avait de convaincre son parti :
« C'est ainsi qu'est né un état d'esprit qui a d'ailleurs gagné les camarades en dehors de l'Allemagne ; pour ceux qui sont dans cet état d'esprit, l'unique objet de la discussion, c'est maintenant la brochure et spécialement la personne de Levi, et non plus la question de savoir si la théorie de l'offensive est fausse, et si l'application qu'en a faite la gauche est mauvaise. C'est à Paul Levi que la gauche doit de s'en être si bien tirée jusqu'ici. Paul Levi est à lui-même son pire ennemi. » [52].
Quoique l'essentiel du débat se déroule ainsi à huis clos, dans le bureau de Lénine ou au cours de longues séances de commission, il doit être inévitablement abordé au cours des séances plénières, et du déroulement de celles-ci risquent de sortir des incidents. La procédure adoptée cherche le plus possible à les éviter. C'est ainsi que Zinoviev, chargé en sa qualité de président de l'Internationale de présenter le rapport d'activité, n'a pas à traiter de l'action de mars proprement dite. Jugé sans doute trop compromis par ses liaisons avec Béla Kun et la protection accordée aux partisans de l'offensive, il doit se contenter d'expliquer au congrès de quelle façon l'exécutif a formulé un jugement sur elle :
« Nous sommes tous d'accord avec ce qu'a écrit Brandler : ce n'était pas une offensive, mais simplement un combat défensif. L'ennemi nous a attaqués par surprise. (...) Bien des fautes ont été commises, bien des faiblesses d'organisation révélées. Nos camarades de la centrale allemande ne se sont pas dissimulés ces fautes : ils veulent les corriger. La question est de savoir si nous pouvons considérer ces combats comme un pas en avant, comme un épisode sur le chemin tourmenté de la classe ouvrière allemande, ou bien s'il nous faut les considérer comme un putsch. L'exécutif est d'avis que l'action de mars n'était pas un putsch. Il est ridicule de parler de putsch quand un demi-million de travailleurs ont combattu. (...) Nous devons exprimer clairement les fautes et en tirer les leçons. Nous ne cachons rien, nous ne faisons ni politique de cénacle, ni diplomatie secrète. Nous sommes d'avis que le parti allemand n'a pas dans l'ensemble à avoir honte de cette lutte, bien au contraire » [53].
A part cette réplique assez sommaire aux arguments de Levi — dont il possède pourtant un long texte d'appel contre son exclusion, qu'il ne lira pas, dont il ne mentionnera même pas l'existence au cours du congrès [54] —, le président de l'Internationale ne dira rien sur l'action de mars. En revanche, c'est à la fin de la discussion sur son rapport qu'est présentée au vote une résolution générale dont un paragraphe approuve les sanctions prises au cours de l'année par l'exécutif. Cette façon de régler le cas Levi sans l'avoir discuté au fond provoque les protestations indignées des minoritaires allemands et Clara Zetkin, à la tribune, fait le procès de cette procédure :
« A mon avis, le cas Levi n'est pas seulement un problème de discipline, il est au premier chef et essentiellement un problème politique. Il ne peut être correctement jugé, il ne peut être correctement apprécié que dans l'ensemble de la situation politique, et c'est pourquoi j'estime qu'il ne peut être vraiment traité que dans le cadre de nos discussions sur la tactique du parti communiste et en particulier dans celui des discussions sur l'action de mars. (...) Si Paul Levi doit être durement puni pour sa critique de l'action de mars et pour la faute incontestable qu'il a commise à cette occasion, quelle punition méritent donc ceux qui ont commis ces fautes elles-mêmes ? Le putschisme que nous avons mis en accusation n'a pas consisté dans l'action des masses en lutte. (...) Il était dans les cerveaux de la centrale qui conduisait de cette façon les masses dans la lutte » [55].
Radek abordera la question de l'action de mars en elle-même au cours du débat sur la tactique [56] : ainsi se traduit la volonté de l'exécutif de ne pas revenir sur le passé, mais de préserver à tout prix la clarté pour l'avenir. Il est sévère pour la centrale allemande, dont il affirme qu'elle a été surprise par l'offensive de Hörsing, et que, par-dessus le marché, elle n'a pas compris qu'elle devait effectivement organiser une action de solidarité avec les mineurs de Mansfeld, mais sans dissimuler à ces derniers qu'ils n'étaient pas en position de vaincre. Elle a aggravé la situation en lançant inconsidérément, le 24 mars, le mot d'ordre de grève générale, qui ne réparait aucune des fautes antérieures, mais a, en revanche, révélé la faiblesse du parti. Plus grave enfin, au lieu de reconnaître franchement qu'elle s'était trompée, la centrale a préféré forger pour se justifier à tout prix la théorie de l'offensive. Déchaînant contre les dirigeants allemands toute sa causticité, Radek conclut, comme Zinoviev, qu'en dépit de tout, il serait inadmissible de qualifier de putsch l'action de mars qui a représenté sans aucun doute possible « un pas en avant » [57].
Quelque désir qu'en aient sûrement eu les dirigeants de l'Internationale, il était impossible que la discussion ne revînt pas sur des aspects déplaisants et indésirables. La discussion entre Allemands qui suit le rapport de Radek est un véritable déballage de linge sale au cours duquel Friesland, Heckert, Thaelmann se montrent les plus violents. Radek et Zetkin s'accusent réciproquement d'avoir par leurs écrits apporté leur pierre à la théorie de l'offensive qu'ils condamnent si vertement l'un et l'autre aujourd'hui [58]. Aucun des problèmes de fond touchant au fonctionnement de l'exécutif et à ses rapports avec la centrale n'est abordé. Béla Kun se tait, n'intervenant — seulement à propos de l'ordre du jour — que pour rappeler avec hargne qu'il fait partie de la « soi-disant gauche » [59]. Une fois encore, c'est la vieille Clara qui met les pieds dans le plat. Tournée vers Radek, elle l'apostrophe :
« Il y en a plusieurs, ici, dont la conduite a été indécise, hésitante, et souvent versatile » [60].
Elle pose également le problème — dont elle dit qu'il « faudra reparler » — des représentants de l'exécutif, et fait une allusion transparente à Béla Kun, sans le nommer :
« Il reste un fait que nous avons démontré dans nos analyses sur l'action de mars : de toute façon, le représentant de l'exécutif porte une large part de responsabilité dans la manière dont l'action de mars a été menée, le représentant de l'exécutif porte une large part de responsabilités dans les mots d'ordre erronés, dans les prises de position erronées du parti ou plutôt de sa centrale. Et personne ne le sait mieux que le camarade Radek lui-même » [61].
Ainsi mis en cause, Radek proteste aussitôt, s'écriant de sa place qu'il n'était pas en Allemagne à l'époque. Mal lui en prend, car son interlocutrice lui rétorque :
« Il y a quelques jours, vous avez déclaré devant témoins que, dès que vous aviez été informé, vous avez dit au représentant de l'exécutif que son mot d'ordre était — je ne vais pas employer le mot peu parlementaire que vous avez employé, mais un mot plus faible était idiot » [62].
Clara Zetkin plaide également pour Levi, dont elle admet qu'il a commis un acte d'indiscipline : elle demande simplement pour lui le traitement qui a été, en 1917, pour une faute analogue, infligé à Zinoviev et Kamenev [63], allusion, déplaisante pour les intéressés, mais sans aucun doute salutaire pour le congrès, à l'attitude adoptée au moment de l'insurrection d'Octobre par celui qui, devenu président de l'Internationale, se fait contre Levi le champion de la discipline !
La bataille politique se déclenche seulement lorsque les délégués de la majorité allemande déclarent que, tout en approuvant les thèses présentées, ils désirent lui apporter des amendements que soutiennent les délégués autrichiens et italiens. C'est, bien évidemment, la remise en question du compromis initial : ils justifient leur attitude en disant que le rapport de Trotsky donne des thèses une « interprétation droitière » qu'ils veulent rectifier [64]. Le Polonais Michalak entrouvre une fenêtre sur les discussions de couloirs en avouant à la tribune :
« Beaucoup de camarades ont dit que Lénine avait viré à droite, et Trotsky aussi » [65].
Heckert s'en prend à Lénine et prononce une apologie enflammée de l'action de mars [66]. Thaelmann, dans la même veine, s'en prend à Trotsky [67]. Quant à l'Italien Terracini, il affirme péremptoirement que ce ne sont pas les faibles effectifs d'un parti qui le rendent inapte à mener à bien la révolution, comme le montre, selon lui, l'exemple du parti bolchevique en 1917 [68].
C'est alors que Lénine lance sa contre-attaque, dirigée autant contre les gauchistes de l'Internationale que contre les délégués du K.A.P.D. Ces derniers, venus en délégation importante avec l'objectif évident de constituer une tendance internationale, sont intervenus systématiquement au cours des débats sur toutes les questions à l'ordre du jour, déposant leurs propres textes sur chaque point soumis au vote, multipliant les contacts avec les délégués, auxquels ils distribuent notamment un abrégé de l'histoire de leur parti [69]. Ils reprennent en toute occasion leurs thèmes de l'antiparlementarisme, de la condamnation du travail militant au sein des syndicats, leur critique de l'«ultracentralisation » de l'Internationale et des partis communistes. Immédiatement avant Terracini, Appel, dans une intervention contre le rapport de Radek, s'en est pris avec beaucoup de violence à la lettre ouverte du V.K.P.D dont il a affirmé qu'elle était opportuniste et ne pouvait que l'être [70]. Lénine riposte à Terracini en déclarant que les amendements « sont dénués de marxisme, d'expérience politique et d'argumentation ». Au sujet des attaques du représentant du K.A.P.D., il dit :
« A mon grand regret et à ma grande honte, j'avais déjà entendu exprimer en privé de semblables opinions. Mais, que la lettre ouverte soit qualifiée d'opportuniste devant le congrès après d'aussi longs débats, quelle honte, quelle infamie ! (...) La lettre ouverte est une initiative politique exemplaire. C'est ce que disent nos thèses. Et il faut absolument la soutenir. Exemplaire, parce que c'est le premier acte d'une méthode pratique visant à conquérir la majorité de la classe ouvrière. Celui qui ne comprend pas qu'en Europe, où presque tous les prolétaires sont organisés, nous devons conquérir la majorité de la classe ouvrière, celui-là est perdu pour le mouvement communiste, et il n'apprendra jamais rien s'il ne l'a pas encore appris en trois ans de grande révolution » [71].
Il interpelle ensuite Terracini, et, à travers lui, tous les gauchistes qui invoquent l'exemple bolchevique à l'appui de leurs analyses :
« Le camarade Terracini n'a pas compris grand-chose à la révolution russe. Nous étions en Russie un petit parti, mais nous avions la majorité dans les soviets d'ouvriers et de paysans dans le pays tout entier. Où l'avez-vous ? Nous avions au moins la moitié de l'armée, qui comptait dix millions de membres ! (...) Si les points de vue du camarade Terracini étaient partagés par trois délégations, alors il y aurait quelque chose de pourri dans l'Internationale. Alors, nous devrions dire : Halte ! Lutte sans merci ! Bientôt l'Internationale communiste sera perdue ! » [72].
Trotsky oppose également aux amendements une fin de non-recevoir catégorique :
« Les membres de la délégation allemande abordent le problème comme s'il devait faire l'objet d'une plaidoirie, non d'une étude et d'une analyse. (...) C'est notre devoir de dire clairement aux ouvriers allemands que nous considérons cette philosophie de l'offensive comme le danger suprême, et que, dans son application pratique, elle constitue le pire crime politique. (...) Vous avez rompu avec les opportunistes, et vous êtes en train de faire des progrès, mais regardez donc autour de vous : il existe dans ce monde non seulement des opportunistes, mais aussi des classes ! » [73].
Conformément à l'accord conclu avant le congrès avec Lénine, il déclare qu'il n'ira pas plus loin dans les concessions « à gauche », les thèses elles-mêmes représentant la limite extrême du compromis au-delà de laquelle il ne se laissera pas entraîner :
« Nous maintenons que, pour nous, les thèses constituent un compromis, une concession à la tendance gauchiste (...), la concession maximale à une tendance représentée ici par de nombreux camarades, Thaelmann compris » [74].
Sa menace de se battre jusqu'au bout si Lénine et lui-même étaient mis en minorité achève la déroute des assaillants. Toutes les motions touchant à l'action de mars sont votées à l'unanimité. Lénine et Trotsky peuvent penser qu'ils ont sauvé l'Internationale et, du même coup, contribué à réparer dans une certaine mesure les dommages infligés au parti allemand par l'exécutif. C'est à Trotsky qu'il appartiendra de montrer l'ampleur du problème historique traité en en rendant compte devant le congrès de l'Internationale des jeunesses communistes :
« En tant que combattants de la révolution, nous sommes convaincus — et les faits objectifs nous le démontrent — que nous, en tant que classe ouvrière, nous, en tant qu'Internationale communiste, non seulement nous sauverons notre civilisation, le produit séculaire de générations, mais que nous l'élèverons à des niveaux infiniment supérieurs de développement. Cependant, d'un point de vue théorique, la possibilité n'est pas exclue que la bourgeoisie, armée de son appareil d'Etat et de son expérience accumulée, puisse continuer à combattre la révolution jusqu'à ce qu'elle ait privé la civilisation moderne de tout atome de vitalité, jusqu'à ce qu'elle ait plongé l'humanité dans une catastrophe et un déclin durable » [75].
Le 3° congrès appelle tous les partis communistes à se tourner vers les masses, à gagner les masses au communisme, afin d'assurer, dans un avenir plus ou moins proche, lors de la prochaine crise, la possibilité de victoire de la révolution et d'instauration de la dictature du prolétariat. Telle est, aux yeux de Lénine et de Trotsky, la condition préalable de la victoire du socialisme sur la barbarie.
On peut cependant se demander dans quelle mesure la fondation de l'Internationale syndicale rouge, dont le premier congrès commence le 3 juillet, est bien conforme à la nouvelle analyse de la situation. Résultat d'initiatives prises pendant le 2° congrès de l'Internationale, elle a pour objectif, si l'on en croit Rosmer qui fut l'un de ses fondateurs, d' « unir dans une seule Internationale les organisations syndicales déjà en mesure d'adhérer en bloc, et les minorités des syndicats réformistes groupées sur le principe de l'adhésion » [76]. La volonté de détruire de l'intérieur l'hégémonie réformiste des dirigeants de l'Internationale syndicale d'Amsterdam se double de celle de construire un autre pôle de regroupement syndical, d'inspiration révolutionnaire. En réalité, la tactique délicate qu'impose une telle orientation est peut-être trop complexe pour être bien comprise et assimilée de tous les partisans de l'Internationale communiste. Mal préparé, selon Rosmer, le congrès se prolonge en pénibles débats presque entièrement axés sur la question des rapports entre l'Internationale syndicale rouge et l'Internationale communiste. La résolution finale, qui déclare « hautement désirable » l'établissement d'une « liaison organique » entre parti et syndicat, sera aux mains des dirigeants réformistes des syndicats une arme contre les minorités révolutionnaires qu'ils accuseront d'être « aux ordres du parti ». Le fait qu'elle soit conforme à deux des vingt et une conditions, dans des circonstances, il est vrai, différentes, permettra aux réformistes de présenter le « léninisme » comme adversaire résolu de l' « indépendance syndicale », principe auquel, dans de nombreux pays avancés, les travailleurs, révolutionnaires compris, sont restés fermement attachés.
Le 3° congrès mondial consacre à la situation dans le parti allemand une résolution particulière. Dans les réunions hors séances, l'exécutif et les délégués des deux tendances ont signé un « traité de paix » : la résolution exprime le souhait qu'il soit de part et d'autre respecté afin d'éviter « désintégration » et « fractionnalisme », qui sont « les pires dangers pour le mouvement ».
Les dissensions entre Allemands dans le déroulement du congrès ont à vrai dire révélé la gravité des fissures que l'action de mars a transformées en lézardes, les animosités sinon les haines personnelles, les manœuvres fractionnelles qui sont le pain quotidien du parti. Paul Neumann vient lire à la tribune du congrès un télégramme expédié de Moscou par Thalheimer aux membres de la centrale demeurés à Berlin : il s'agit d'empêcher « à tout prix » la venue à Moscou des minoritaires Otto Brass et Anna Geyer, afin d' « éviter de laisser croire qu'ils ont des forces derrière eux » [77]. Les explications données par Thalheimer sont embarrassées et personne, apparemment, ne cherche à savoir par quels moyens Paul Neumann a pu se procurer le texte d'un télégramme qui ne lui était pas destiné [78]. Le même Neumann accuse d'ailleurs Koenen — qui nie avec la dernière énergie — d'avoir connu la teneur de ce télégramme, et d'avoir pourtant, au même moment, accepté, à la demande de Zinoviev, d'en envoyer un autre réclamant la venue des deux mêmes minoritaires [79].
Mais d'autres oppositions se manifestent, plus graves encore : Paul Neumann déclare à la tribune :
« Je suis un vrai prolétaire, moi aussi, et pas un de ces tripoteurs de thèses comme nous en avons à Berlin et dont l'un des plus éminents, le camarade Maslow, est ici » [80].
Quand Malzahn déclare que Neumann et lui sont membres de la commission générale des syndicats où ils représentent la minorité révolutionnaire du syndicat des métallos, il est interrompu par un sarcastique : « C'est significatif ! » [81]. Radek l'interpelle pour lui demander où il se trouvait en janvier 1919. Il répond: « Dans le comité d'action, puis en prison » [82], d'où il s'est ensuite évadé. Le même Radek accuse Levi de s'être « planqué » aux moments du danger. Heckert accuse Clara Zetkin d'avoir « déserté » Spartakus au début de 1919 [83]. Dans les couloirs, on raconte que Malzahn et Neumann ont saboté la grève à Berlin [84], que Bernhard Düwell l'a publiquement combattue, ainsi que Richard Muller [85]. Sur ces accusations, Malzahn fait une mise au point que Friesland, pourtant son adversaire, vient confirmer pour ce qui est de Neumann et de lui [86]. Clara Zetkin répond à Heckert par un historique de ses rapports avec le jeune parti communiste, dont elle ne s'est tenue à l'écart que par décision de la centrale dirigée par Jogiches [87]. Elle rappelle à Radek, décidément spécialiste des coups bas, que les corps francs avaient mis à prix la tête de Levi [88]. Richard Müller publie dans le journal du congrès un démenti indigné des rumeurs sur son rôle pendant la grève [89]. Malzahn s'en prend aux intellectuels qu'il qualifie de « renards de la plume» [90], et cite Thalheimer, Frölich, Friesland, ces « coupeurs de cheveux en quatre » aux « obsessions maladives » [91]. Radek fait de l'esprit aux dépens de Pannekoek, parlant des hommes qui, à force d'observer les astres, ne voient plus les ouvriers vivants [92]. Heckert et Rakosi parlent de « Herr Doktor Levi ». Dans ces propos outranciers des uns et des autres s'exprime la haine qui sépare désormais les deux groupes.
L'unité du parti reste pourtant l'un des objectifs de Lénine. A travers tout le congrès, il s'efforce d'apaiser les esprits, d'esquisser des rapprochements, de calmer les susceptibilités exacerbées. Il le dit à sa façon ronde à Clara Zetkin :
« Vous m'avez écrit une fois que nous devrions, nous les Russes, essayer de comprendre un peu la psychologie occidentale et ne pas passer tout de suite notre rude balai de brindilles sur la figure des gens. Je me le suis tenu pour dit ! » [93].
Le lendemain du jour où Heckert a porté contre Clara Zetkin ses violentes attaques, il réussit à le persuader que, pour cette raison même, c'est à lui, Heckert, à présenter à Clara Zetkin les vœux de l'Internationale à l'occasion de son soixante-quatrième anniversaire [94]. Sur le cas Levi, il s'est montré très réservé au congrès, évitant de se prononcer de façon trop catégorique. Mais il a son plan. A Clara Zetkin, il déclare :
« Vous savez combien j'estime Paul Levi et combien j'apprécie ses capacités. (...) Il a fait ses preuves au temps des pires persécutions, il s'est montré courageux, intelligent, capable des plus grands dévouements. Je croyais qu'il était fermement attaché au prolétariat, bien que j'aie eu l'impression d'une certaine froideur dans ses rapports avec les ouvriers, quelque chose comme le désir de garder ses distances. Mais, quand sa brochure a été publiée, j'ai eu des doutes sur lui. Je crains qu'il n'y ait chez lui un besoin d'originalité, une tendance à l'arrivisme et même quelque chose de la vanité de l'homme de lettres » [95].
Comme Clara Zetkin plaide en faveur de Levi en invoquant ses « bonnes intentions », il répond [96] :
« Ne savez-vous pas qu'en politique, ce ne sont pas les intentions, mais les résultats qui comptent ? (...) Le congrès condamnera Paul Levi, il usera de rigueur à son égard. C'est inévitable, mais Levi ne sera condamné que pour manquement à la discipline, et pas du tout pour la position qu'il a prise sur les principes politiques. Au reste, comment pourrait-il en être autrement, du moment que cette position est reconnue comme étant en réalité la bonne ? De cette façon, nous laissons libre la voie qui le ramène à nous. (...) Son sort politique est entre ses mains. Qu'il se soumette en communiste discipliné à la décision du congrès, et qu'il disparaisse quelque temps de la vie politique. (...) Quand il nous reviendra, sa formation sera approfondie, ses principes plus fermes et il sera un chef de parti plus sage. Il ne faut pas que nous perdions Levi. A la fois pour lui et pour la cause. Nous n'avons pas d'hommes de talent à revendre, il faut que nous fassions notre possible pour garder ceux que nous avons. ( ... ) Si Levi se soumet à la discipline, s'il se conduit bien (il pourrait, par exemple, collaborer à la presse du parti sous un pseudonyme, rédiger quelques bonnes brochures, etc.), je n'attendrai pas plus de trois ou quatre mois pour demander dans une lettre ouverte sa réhabilitation » [97].
A ses yeux, le problème principal est celui de « savoir appliquer la conquête des masses ». Il répète à Clara Zetkin :
« Nous ne sommes pas Xerxès qui fouettait la mer avec des chaînes » [98].
Il n'est plus possible selon lui de continuer à croire, après l'expérience des années de 1917 à 1921, que :
« la révolution mondiale déchaînée poursuit sa route à l'allure emportée qui fut celle de ses débuts, que nous sommes portés par une deuxième vague révolutionnaire et qu'il dépend uniquement de la volonté et de l'action du parti d'enchaîner la victoire à nos drapeaux. (...) Naturellement, sur le papier et dans une salle de congrès, dans un espace où l'on fait le vide, que l'on a soustrait aux contingences, il est facile de « faire » la révolution sans les masses, d'en faire « le glorieux exploit d'un seul parti ». En définitive ce n'est pas là une conception révolutionnaire » [99].
Il donne à Clara Zetkin des conseils pour la construction du parti communiste allemand, qui doit tenir compte de la nécessité d'associer des hommes d'âge et d'expérience différente :
« Il faudra être sévère avec les jeunes camarades qui n'ont pas encore une forte formation doctrinale et une grande expérience pratique, et il faudra, en même temps, avoir beaucoup de patience avec eux. (...) Il importe aussi que vous gardiez sous notre drapeau des hommes de valeur qui ont déjà gagné autrefois leurs éperons dans le mouvement ouvrier, qui apportent au parti leur expérience et bien des connaissances pratiques ( ... ) : avec ceux-là aussi, il faut avoir de la patience et ne pas croire tout de suite la « pureté du communisme » en danger s'il leur arrive parfois de ne pas réussir encore à trouver l'expression claire, précise, d'une pensée communiste. (...) Ne pensez jamais qu'aux masses, Clara, et vous irez à la révolution, comme nous y sommes allés nous-mêmes, avec les masses, par les masses » [100].
En la quittant, il résume :
« Apprendre, apprendre, apprendre ! Agir, agir, agir ! Etre prêts, archiprêts de façon à pouvoir utiliser de toute notre énergie consciente la prochaine vague révolutionnaire. Voilà ce qu'il faut. Faisons, sans nous lasser, de la propagande de parti pour arriver à l'action de parti, mais gardons-nous de croire que cette action de parti puisse remplacer l'action de masse. Combien n'avons-nous pas, nous autres, bolcheviks, travaillé parmi les masses, jusqu'au moment où nous avons pu nous dire : maintenant, nous y sommes, en avant ! Donc, se rapprocher des masses ! Conquérir les masses ! C'est la condition préalable de la conquête du pouvoir ! » [101].
On ne peut pas, en lisant ces lignes, ne pas mesurer l'abîme qui séparait Lénine non seulement des hommes qui dirigent à cette époque le parti allemand, mais même de ses collaborateurs les plus proches, un Zinoviev ou un Radek. Sans doute possédons nous là l'une des clés de son comportement au 3° congrès, la conscience qu'il a, en ces années, de la nécessité vitale de tenir compte du matériel humain qui l'entoure, du gouffre aussi qui sépare l'expérience et la compréhension politiques des cadres russes qu'il a formés, vaille que vaille, dans une lutte incessante pendant des décennies, de celles des hommes qui, dans les pays avancés d'Europe occidentale, font leurs premières armes dans l'apprentissage du bolchevisme à la tête de jeunes partis communistes. C'est au cours du même 3° congrès qu'est adoptée, sur rapport de l'Allemand Wilhelm Koenen, une résolution détaillée sur la structure des partis communistes, les méthodes et le contenu de leur action. Lénine au 4° congrès en dira :
« Cette résolution est excellente. Mais elle est presque entièrement russe. C'est son bon côté. C'en est aussi le mauvais ; c'en est le mauvais parce que presque pas un étranger — c'est ma conviction, je viens de la relire — ne peut la lire : 1° elle est trop longue, cinquante paragraphes, ou plus habituellement, les étrangers ne peuvent pas lire des morceaux de pareille étendue. 2° Si même ils la lisent, ils ne peuvent pas la comprendre, précisément parce qu'elle est trop russe, non pas qu'elle soit écrite en russe, car elle est excellemment traduite en toutes les langues, mais elle est pénétrée, imbue d'esprit russe. 3° Si, par exception, il se trouve un étranger qui la comprenne, il ne peut pas l'appliquer. (...) Mon impression est que nous avons commis une grosse erreur en votant cette résolution, notamment en nous fermant la voie vers un nouveau progrès. Comme je l'ai dit, la résolution est excellente. Je souscris à ses cinquante paragraphes. Mais je dois dire que nous n'avons pas trouvé la forme sous laquelle nous devons présenter nos expériences russes aux étrangers et, pour cela, la résolution est restée lettre morte. Si nous ne la trouvons pas, nous n'avancerons pas » [102].
C'était là la dernière intervention de Lénine dans une Internationale qui n'avait pas avancé et qui ne devait plus avancer. Aucun historien, aucun soviétologue n'a pu donner de cet échec une autre explication que celle qu'en donnait Lénine lui-même en 1922. Elle présage les difficultés à venir du parti communiste allemand après la disparition de celui qui l'avait, en 1921, protégé de ses propres erreurs autant que de celles des émissaires de l'exécutif.
Notes
[1] Archives Levi, P 83/9, 2° partie, . 17.
[2] Maslow,« Probleme des III. Weltkongresses », Die Internationale, n° 7, 1921, p. 142.
[3] R. Fischer, « War die Märzaktion eine Bettelheimerei ? » , Ibidem, n° 6, 1921, p. 470.
[4] Archives Levi, P 83/9, p. 27.
[5] Die Rote Fahne, 10 avril 1921.
[6] Ibidem, « Leitsätze über die Märzaktion », Die Internationale, n° 4, avril 1921, p. 126.
[7] Ibidem
[8] Taktik und Organisation der revolutionären Offensive. Die Lehren der März-Aktion, 1921, 146 p.
[9] Lettre du 1° avril 1921, de Radek à la centrale. Archives Levi, P 56/2; Sowjet (Unser Weg), n° 8/9, 3 août 1921, pp. 249-252.
[10] Lettre du 7 avril 1921, Archives Levi, P 55/2 ; Ibidem, pp. 252.255.
[11] Lettre de Thalheimer à Radek, Archives Levi, P 55/1; Ibidem, pp. 255-257.
[12] C. Zetkin, Souvenirs sur Lénine, p. 42.
[13] Degras, op. cit., t. I, pp. 219-220.
[14] Ibidem, p. 219.
[15] Die Rote Fahne, 4 mai 1921.
[16] Bulletin communiste, n° 24, 9 juin 1921, p. 398.
[17] Ibidem.
[18] Ibidem, p. 400.
[19] Trotsky, L'Internationale communiste après Lénine, t. 1, p. 187.
[20] Sténographie de la séance du bureau politique du P.C. de l'U.R.S.S. du 18 mars 1926, pp. 12-13, dans Trotsky, « La Révolution défigurée », De la révolution, pp. 137-138.
[21] Brandt et Lowenthal, op. cit., p. 167.
[22] Die Rote Fahne, 10 avril 1921.
[23] Ibidem.
[24] H. Brandler, War die Märzaktion ein Bakunisten-Putsch ? (1921). A. Reisberg (« Zur Genesis der Losung Arbeiterregierungs in Deutschland, Das Jahr 1921 », BzG, n° 6, 1965, p. 1027) fait remarquer que Brandler écrit à propos du mot d'ordre d'alliance avec la Russie lancé en 1921 : « Nous voulions le renversement du gouvernement et la constitution au moins d'un gouvernement ouvrier » (p. 12).
[25] La lettre de Brandler fut publiée par Levi dans Sowjet, n° 6, 1921, pp. 172-174.
[26] Ibidem, p. 174, A. Reisberg (op. cit., p. 1028) fait remarquer que le programme mis en avant par Brandler était « le programme économique d'un gouvernement ouvrier » .
[27] A. Reisberg, « Ein neuer Brief V. 1. Lenins über die Taktik der K.I. », BzG, 1965, n° 4, p. 687.
[28] Ibidem.
[29] « Bemerkungen zu den Entwürfen der Thesen über die Taktik fur den III. Kongress der K.I. Brief and G. J. Sinowjew », Ibidem, pp. 687-691.
[30] Ibidem, pp. 687-688.
[31] Ibidem, p. 688.
[32] Ibidem, p. 688.
[33] Ibidem, p. 689-690.
[34] Bulletin communiste, n° 28, 7 juillet 1921, p. 464.
[35] Ibidem, p. 465.
[36] Ibidem, p. 466.
[37] Ibidem, p. 466.
[38] Ibidem, p. 468.
[39] Bulletin communiste, n° 29, 14 juillet 1921, p. 480.
[40] Ibidem, p. 487.
[41] Protokoll des III ... , p. 90.
[42] Rosmer, Moscou sous Lénine, p. 178.
[43] Du fait de la tenue à Moscou du congrès de l'Internationale syndicale rouge, les Allemands étaient en réalité beaucoup plus nombreux encore. Véra Mujbegović, op. cit., p. 284, n. 54, estime à une soixantaine le nombre de délégués allemands présents à cette époque à Moscou.
[44] R. Fischer, op. cit., p. 178, affirme que cette saisie fut opérée « évidemment » avec l' « accord tacite » de Clara Zetkin : accusation grave, mais sans fondement. En fait, Clara Zetkin avait tout de même commis une faute en prenant le risque de transporter elle-même de tels documents, normalement confiés à l'appareil. Elle se justifia à la centrale du 30 novembre 1921 en expliquant qu'elle n'était pas certaine que ce matériel aurait été réellement transmis à Moscou si elle ne s'en chargeait elle-même, ajoutant que plusieurs lettres et télégrammes envoyés par elle à l'exécutif n'étaient jamais arrivés, ou avec un retard énorme. Véra Mujbegović (op. cit., p. 315), qui cite ce procès-verbal (I.M.L.-Z.P.A. 3/1, p. 170), ne mentionne aucune réponse faite à cette argumentation, vraisemblablement irréfutable.
[45] Heckert, « Mes rencontres avec Lénine », Lénine tel qu'il fut, t. II, p.804.
[46] Ibidem.
[47] Ibidem.
[48] Zetkin, Souvenirs sur Lénine, p. 35.
[49] Heckert, op. cit., p. 805. Kolarov a fait allusion à un heurt assez vif lors de l'exécutif du 17 juin entre Lénine et Béla Kun, dans «V.I. Lenin na III Kongresse Kommunistitcheskogo Internationala », Voprosy Istorii, 1960, n° 2, pp. 189-191.
[50] Zetkin, Souvenirs, p. 36. Les « souvenirs » de Clara Zetkin, publiés après la défaite de Trotsky et de l'opposition en 1924, ne font pas mention de la présence de Trotsky à ces entretiens. Mais les lettres adressées par Clara Zetkin à Levi à l'époque l'attestent (Archives Levi, P 113/18). Pour le reste, les « souvenirs » sont fidèles au récit fait sur le coup.
[51] C. Zetkin, op. cit., p. 42.
[52] Ibidem, pp. 42-43.
[53] Protokoll des III..., pp. 184-185. Souligné dans le texte.
[54] Archives Levi, P 7/1.
[55] Protokoll des III..., pp. 295-298.
[56] Ibidem, pp. 455-484.
[57] Ibidem, p. 472.
[58] Ibidem, pp. 466 et 599-600.
[59] Ibidem, p. 651.
[60] Ibidem, p. 279.
[61] Ibidem, p. 297.
[62] Ibidem, p. 297.
[63] Ibidem, pp. 292 et 298.
[64] Ibidem, p. 671.
[65] Ibidem, p. 522.
[66] Ibidem, pp. 528-543.
[67] Ibidem, pp. 633-638.
[68] Ibidem, p. 505.
[69] Bock, op. cit., pp. 259-260.
[70] Protokoll des III ..., pp. 485·497 (Appel figure sous son pseudonyme de Hempel). Ici, p. 492.
[71] Ibidem, p. 511.
[72] Ibidem, p. 512.
[73] Ibidem, pp. 643, 646, 650.
[74] Ibidem, p. 638.
[75] Discours reproduit dans The First Fives Years of the I.C., p. 299.
[76] Rosmer, op. cit., p. 188.
[77] Ibidem, p. 582.
[78] Ibidem, pp. 594-595.
[79] Ibidem, p. 582.
[80] Ibidem, p. 584.
[81] Ibidem, p. 551
[82] Ibidem, p. 555
[83] Ibidem, p. 541.
[84] Vingt-cinq ans plus tard, Ruth Fischer (op. cit., p. 176) écrit à nouveau : « Quelques amis de Levi — organisateurs du syndicat des métaux de Berlin, Paul (sic) Malzahn et Paul Neumann — avait fait le tour des usines de la ville et appelé les ouvriers à ne pas faire grève pour soutenir les grévistes de Mansfeld. Dans une explosion d'indignation, le parti exigea l'exclusion immédiate de Levi et de ces briseurs de grève. » Or, à l'assemblée du 7 avril (Archives Levi, P 83/9, p. 19), Brandler, président du parti, avait, dans une déclaration au C.C., déjà démenti ces rumeurs qu'il jugeait injurieuses pour Malzahn, Neumann et Eckert, lesquels s'étaient conduits en militants disciplinés.
[85] Dans la même intervention, Brandler laissait ouverte la question de l'attitude de Fritz Wolff, qui allait être exclu, et de Richard Müller.
[86] Protokoll des III ... , p. 556.
[87] Ibidem, p. 668.
[88] Ibidem, p. 296.
[89] Moscou, 30 juin 1921.
[90] Protokoll des III…, p. 555.
[91] Ibidem, p. 556.
[92] Ibidem, p. 444.
[93] C. Zetkin, Souvenirs, p. 37.
[94] Protokoll des III..., pp. 741-746.
[95] C. Zetkin, Souvenirs, pp. 41-42.
[96] Voir plus haut sa lettre à Zinoviev du 10 juin 1921.
[97] Zetkin, op. cit., pp. 44-45.
[98] Ibidem, p. 40.
[99] Ibidem, pp. 54-55.
[100] Ibidem, pp. 56-57.
[101] Ibidem, pp. 40-41.
[102]Œuvres, t. XXXIII, pp. 442-443.