1946

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE de CLASSES Organe de l'Union Communiste (IVème Internationale) n°57 - 4ème année


LA LUTTE DE CLASSES nº 57

Barta

14 janvier 1946


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Nous voulons frapper à la tête

Les réactions populaires lors du rétablissement de la carte de pain ont soudainement révélé que le pays n'allait pas vers le mieux-être, comme l'avait prétendu De Gaulle dans son discours du Nouvel An.

Au contraire, la situation alimentaire qui a empiré en dépit de toutes les promesses, a confirmé l'anarchie irrémédiable du système de production et de répartition et l'impuissance du Gouvernement. La constatation de cette incapacité du gouvernement à régler la vie économique, dont s'ensuit un gaspillage criminel des richesses et du travail, a soulevé l'indignation des travailleurs.

En province et dans de nombreuses usines de la Région parisienne (Renault, Citroën, etc...) dès les premiers jours de janvier les ouvriers ont manifesté par des débrayages, dont le sens était : "Pas de pain, pas de travail". Si ces mouvements sont restés limités et sans la portée qu'ils auraient pu avoir, c'est parce que les ouvriers s'étant d'abord adressés à leurs directions syndicales, ont été désavoués par elles et ont reçu la consigne de l'inaction, sous le prétexte que : "il n'y a pas de blé, il n'y a donc rien à faire".

Rien d'étonnant de la part de ces dirigeants qui ont pris sur eux de faire le jeu de la bourgeoisie en endossant sa politique, rien d'étonnant de la part de renégats dont la seule devise est "produire", même si c'est des tanks qu'on produit à la place de tracteurs et que c'est des canons qu'on achète à la place du blé.

Dans une usine cependant, chez Alsthom (Lecourbe), les ouvriers décidèrent de ne pas en rester là. Passant outre la direction syndicale à l'échelon de la locale, le 2-1 une délégation de 43 d'entre eux (y compris les délégués mandatés) se rendit directement au Bureau Confédéral de la C.G.T. A Henri Raynaud qui voulait, tout simplement, les renvoyer, ils déclarèrent que "les ouvriers voulaient frapper à la tête". Devant Frachon qui leur parlait de la "situation difficile", ils insistèrent pour avoir une réponse concrète et positive ; alors Benoît Frachon traita cette attitude de provocation et s'indigna que les ouvriers osent venir "engueuler" les responsables syndicaux "dans leur propre maison" (la maison syndicale est donc d'après Frachon la maison des bureaucrates et non des ouvriers). A l'Union des Métaux, la délégation reçut le même accueil et Hénaff justifia la carte de pain de famine par "les difficultés du temps". La délégation obtint cependant la promesse d'une demande d'augmentation des travailleurs.

Mécontent et irrité de cette démarche ouvrière, Frachon dès le lendemain déforma les faits, en écrivant dans L'Humanité que CE SONT LES DIRIGEANTS DES SYNDICATS CHRETIENS QUI SONT LES PROMOTEURS DES GREVES DE PROTESTATION et que CE SONT EUX QUI RECLAMENT LA MAJORATION DE LA RATION DE PAIN A 400 GRAMMES. D'après lui, la délégation de chez Alsthom, qu'il ne nommait pas, n'a cherché qu'à "satisfaire le patron". Aux efforts des travailleurs, à leur combativité, Frachon répond par la calomnie et la rage.

Mais la démarche de la délégation ouvrière de chez Alsthom ne correspondait que trop bien à la pensée et aux désirs de tous les travailleurs. Le mécontentement croissant à Paris et en Province allait le confirmer et obliger les organisations ouvrières officielles à changer sinon d'attitude, du moins de langage.

Dès le surlendemain de l'article de Frachon, Hénaff, dans L'Humanité, demanda "qu'avec l'aide et la participation des paysans travailleurs, groupés dans la C.G.A., et des représentants élus des consommateurs", soit "engagée, sans délai, l'action pour découvrir le blé stocké par les gros hobereaux"... et "que la ration de pain soit portée à une quantité suffisante pour chacun". Le 8 janvier les organisations ouvrières officielles et leurs journaux réclamaient l'ouverture d'une enquête, tandis que LE SECRETAIRE DE LA C.G.A. DEMANDAIT QUE LA RATION DE PAIN SOIT PORTEE A 400 GR.

Le mouvement des travailleurs a ainsi obligé les dirigeants sinon à passer à l'action, du moins à revenir sur leur attitude de la veille et à dénoncer les responsabilités de l'Etat, des capitalistes, des gros minotiers, etc... dans la diminution de la ration de pain, à réclamer l'augmentation de cette ration à 400 grammes, ce que la veille encore Frachon disait être une manœuvre M.R.P. ! Jusqu'où auraient été obligés d'aller les bureaucrates, si ce n'avait pas été seulement la délégation ouvrière de chez Alsthom qui avait déclaré "vouloir frapper à la tête", si ce n'avait pas été seulement elle qui avait entrepris cette action POUR OBLIGER LES BUREAUCRATES QUI SE RECLAMENT DE LA CLASSE OUVRIERE A LA SERVIR AU LIEU DE S'EN SERVIR ?

Mais pourquoi est-ce justement dans cette usine que les ouvriers ont pris cette initiative ? Leurs conditions ne sont pas plus particulièrement mauvaises, ils ne sont pas plus mécontents que d'autres. MAIS IL N'Y A PAS DANS L'USINE L'EMPRISE MALFAISANTE DES REPRESENTANTS DE LA POLITIQUE DU "PRODUIRE" ET DE LA COLLABORATION DE CLASSES.

Si la tendance révolutionnaire conséquente est en minorité, à la tête de la section syndicale se trouvent des ouvriers qui, quoique appartenant dans leur majorité à une tendance plutôt modérée, SONT FIDELES A LEUR CLASSE. C'est cela qui a permis aux ouvriers de chez Alsthom de se manifester conformément aux aspirations de toutes les masses travailleuses.

La façon dont la délégation ouvrière de chez Alsthom a été reçue par les dirigeants syndicaux éclaire le fossé grandissant qui existe entre ces dirigeants et les masses travailleuses du pays. Si les ouvriers ne veulent pas subir de nouvelles trahisons, ils doivent suivre l'exemple de leurs camarades de chez Alsthom :

– il faut "frapper à la tête", c'est-à-dire obliger les dirigeants actuels à se détacher de leur collaboration avec nos ennemis, les capitalistes et leur Etat ;

– il faut rompre avec les renégats de la classe ouvrière, rompre avec le stalinisme et la social-démocratie gangrenée et se tourner vers les tendances révolutionnaires qui agissent conformément aux intérêts ouvriers.

LA LUTTE DE CLASSES.


MALRAUX NOUS MONTRE LA VOIE !

Pour justifier la mesure policière de l'autorisation préalable et la distribution du papier par l'Etat, qui s'assure ainsi un contrôle indiscuté sur toute la presse, M. Malraux a déclaré, lors de la discussion du budget de l'Information, que la presse actuelle "n'est pas une presse de justice, mais une presse de combat, et que la liberté de presse existe pour et par ceux qui l'ont conquise"... (Le Monde, 1-1-46).

Pour qui combat cette presse ?

Pour la liberté des peuples ?

Du Monde au Pays, on calomnie les mouvements d'émancipation coloniale au nom des intérêts des colo-nialistes, tandis que L'Humanité, au nom de la liberté des peuples, rétablit quelques-unes des inexactitudes, démasque quelques mensonges de la bourgeoisie et adjure le gouvernement (bourgeois) au nom des sentiments de justice, etc..., et en reste là.

Contre le capitalisme ?

Du Monde au Pays on respecte les trusts tandis que L'Humanité les dénonce ; mais avec un ensemble touchant du Monde à L'Humanité ils demandent à la classe ouvrière de "produire" et s'élèvent avec indignation contre les grèves revendicatives.

En lisant cette presse, on voit combien M. Malraux a raison ; toute la presse autorisée, directement et surtout indirectement, combat... pour soutenir les intérêts du grand capital, pour maintenir la domination de la bourgeoisie. Sur toutes les questions importantes, quelle que soit l'argumentation (patronale ou social-traître), quelles que soient les divergences d'expression, en fait, toute la presse actuelle, soit par son attitude servile, soit en endormant l'instinct combatif ouvrier, aboutit à un résultat unique : le maintien de l'ordre existant. M. Malraux a raison, c'est bien une presse de combat, mais contre la classe ouvrière.

Et les ouvriers voient bien que, dans toute cette presse d'ennemis et de capitulards, il n'y a pas un journal qui soit le leur. Parce que pas un seul ne défend les objectifs de la classe ouvrière : l'échelle mobile, le contrôle ouvrier, etc... Parce que tous moralisent la classe ouvrière avec des phrases sur la patience et le travail, alors que la bourgeoisie gaspille les fruits de ce travail.

La classe ouvrière sait que sans une presse à elle, exprimant ses revendications et ses buts, son niveau de vie restera misérable et sa liberté illusoire. Elle qui avait confiance dans ses vieux représentants, qui l'ont abandonnée, trahie, se voit aujourd'hui sans défenseurs devant l'exploitation patronale.

C'est pourquoi, tous les jours sa volonté d'avoir une presse à elle s'exprime dans le soutien qu'elle accorde à la presse révolutionnaire qui lutte contre le contrôle policier de l'Etat bourgeois et son monopole du papier, pour la répartition du papier par groupe d'habitants ou par usine.

Et c'est M. Malraux qui indique la voie à suivre à la classe ouvrière : "La liberté de presse existe pour et par ceux qui l'ont conquise". La liberté de presse se gagne. A la presse bourgeoise de combat, opposons le combat pour la liberté de presse ouvrière !


Petites Nations et Grands rapaces

Si l'on veut trouver l'apologie des "petites nations" et une hostilité marquée à la "dictature des 3 Grands", il faut lire un journal comme Combat, champion de "l'égalité" qui doit présider aux rapports entre les Etats et d'une "organisation des Nations Unies (O.N.U.) démocratique".

Si l'on veut au contraire trouver l'apologie de "l'entente entre les 3 Grands" et une hostilité mar-quée aux "petites nations réactionnaires", il faut alors surmonter son dégoût et lire L'Humanité, champion de la "protection des petits Etats par les grands" et d'une O.N.U. recevant des instructions de ces derniers !

Cependant, Combat n'est pas un journal démocratique, mais impérialiste. Il ne défend pas l'égalité entre l'Algérie, l'Indochine ou la Syrie et la France, mais la création d'un bloc des petites puissances occidentales européennes autour des bourgeoisies "spoliées", d'Angleterre et de France, pour tenir tête d'un côté à la pression économique des Etats-Unis et de l'autre côté constituer un puissant barrage militaire contre l'U.R.S.S. Ce "bloc occidental" impérialiste, Combat le présente comme un facteur de paix, qui ferait naître un équilibre plus stable entre les grandes puissances. [*]

Cependant, L'Humanité n'est pas au service de l'impérialisme mondial. Ainsi, de septembre 1939 à juin 1941, quand l'U.R.S.S. se trouva menacée d'une coalition capitaliste contre elle, nous avons vu L'Humanité soutenir le mouvement d'émancipation totale des colonies et des petites nations, dénoncer l'impérialisme anglo-français et appeler De Gaulle un "réactionnaire-colonialiste". Si aujourd'hui on trouve dans L'Humanité la critique haineuse de tous ceux qui regimbent à la dictature des "Grands" sur le monde en ruines, c'est que la clique bonapartiste de Moscou trouve dans "l'entente" avec les Etats-Unis et l'Angleterre un terrain de compromis qui lui permet de renforcer sa position en U.R.S.S. et profiter ainsi des victoires de celle-ci.

La "défense des petites nations" est devenue un cheval de bataille impérialiste parce que la propagande "soviétique" a abandonné cet objectif n°1 de la lutte anti-impérialiste ; dans Combat l'on s'apitoye sur les "petites nations" et l'on fait de la démagogie "démocratique" sur l'union des petites... rapaces parce que dans L'Humanité l'on exalte les Grands et l'on fait du réalisme bismarkien en faveur d'une "paix" contre les "petits" peuples !

L'un et l'autre chantent un hymne à la paix, mais l'un et l'autre travaillent pour la guerre.


La création d'un "bloc occidental" patronné par l'Angleterre augmenterait seulement l'arrogance et les appétits de celle-ci, car elle serait alors en mesure de mener une guerre qui exige actuellement des ressources immenses et qui manqueront à l'Angleterre tant qu'elle n'aura pas la "collaboration" entière de la France et l'hégémonie sur les petites puissances occidentales.

Quant à "l'entente" des Grands... peut-on appeler "paix" le silence de mort des peuples affamés occupés militairement et le bruit des canons des expéditions coloniales ?

Cependant, cette entente esclavagiste n'est même pas le pivot stable d'une "paix" mondiale, mais seulement un aspect passager du regroupement des forces, qui oscillent entre la politique des "blocs" impérialistes rivaux et "l'entente des 3" contre les colonies et la Révolution prolétarienne.

Après chaque conférence réussie, les "3 Grands" se sont périodiquement retrouvés scindés en blocs antagonistes. "Que font les troupes anglaises et américaines aux quatre coins du globe, en Chine, au Moyen-Orient, en Grèce, en Egypte, en Yougoslavie, en Italie, en France, en Belgique, en Hollande, en Norvège ?", demandait le journal soviétique La Pravda encore quelques jours avant la dernière réunion des 3 à Moscou.

Les disputes et arrangements au sein de l'O.N.U. à Londres ne reflètent-ils pas d'une façon aiguë cette instabilité des rapports impérialistes internationaux qui menace à chaque instant de faire renaître la guerre ?


Les seuls obstacles que les grands et les petits rapaces impérialistes rencontrent dans leurs combinaisons de guerre, c'est la lutte acharnée que mènent l'Indochine et l'Indonésie. C'est le réveil des peuples arabes. Ce sont les mouvements d'indépendance qui soulèvent les peuples de l'Afrique et de l'Asie et dont aucune bombe atomique ne viendra à bout, a déclaré un dirigeant hindou ; c'est la "crise sociale", c'est-à-dire la lutte de classe acharnée que les travailleurs de France, d'Angleterre et des Etats-Unis mènent contre leur bourgeoisie. C'est cette lutte qui essouffle, paralyse les capitalistes des métropoles exploiteuses et, sans elle, tout affaiblissement, tout assoupissement poseraient infailliblement à l'ordre du jour une nouvelle guerre mondiale qui anéantirait l'humanité entière.

Or, par sa politique de trustee-ship (participation, comme copartenaire, à l'exploitation coloniale), l'U.R.S.S. renforce l'impérialisme mondial, dont l'âme et le tête se trouvent à New-York. Mais, c'est en parlant de cet impérialisme, l'impérialisme américain, chef de la réaction mondiale que notre camarade Cannon a dit : "Nous croyons qu'avant que l'impérialisme américain, nouveau maître du monde, ait le temps de consolider ses victoires, il sera attaqué des deux côtés et battu. D'un côté, les peuples du monde transformés en esclaves coloniaux de Wall-Street se révolteront contre le maître impérialiste comme les provinces soumises se levèrent contre la Rome impériale. Simultanément avec ce soulèvement et coordonnant notre lutte avec lui, nous, le parti trotskiste, conduirons les ouvriers et le peuple d'Amérique dans un assaut révolutionnaire contre notre ennemi principal, ennemi principal de l'humanité : l'impérialisme".

Oui, sous la conduite de la IVème Internationale, l'impérialisme sera abattu et c'est seulement ainsi que les peuples du monde entier pourront vivre !

[*] Quant à la possibilité d'un tel "bloc" et son résultat au point de vue du niveau de vie des populations occidentales, consulter La Lutte de Classes n° 52


CRISE DU SYNDICALISME ?

Le Congrès du S.N. des Instituteurs a pris position contre la politique suivie par la C.G.T. Ainsi se sont manifestés publiquement le manque d'unité et la crise profonde que traverse le syndicalisme en France.

Le Congrès du S.N. "revendique hautement pour le mouvement syndical le droit de déterminer démocratiquement sa position". Mais il se garde par ailleurs de préciser concrètement quelle est sa position. La C.G.T. n'a pas fait ce qu'elle aurait dû faire. Mais qu'aurait-elle dû faire ? Le S.N. s'est contenté de reproches formels à l'égard de la C.G.T. qui à son tour critique formellement les partis politiques. (Editorial du Peuple, 22-12-45).

Le fond de l'affaire est soigneusement évité. Toute cette discussion de principe ne vise, en définitive, dans la tête des dirigeants qu'à masquer les responsabilités, et la peur de la lutte qu'ils ont manifestée dans les faits.

Au nom du S.N., Bonissel  qualifie de "malheureuses" (!) les paroles prononcées par H. Raynaud au Vel' d'Hiv' le 12-12, se déclarant opposé au principe d'une grève générale qui désorganiserait le pays (pourtant, pour ce qui est du désordre, le gouvernement des capitalistes ne craint pas de concurrence...)

Mais que dit Neumeyer, secrétaire de la Fédération des Fonctionnaires et syndicaliste "pur" ?

"... Nous aurions dû avoir recours à la grève générale... Dès à présent, nous pouvons dire qu'une seule considération a arrêté les responsables de l'ordre à donner : la crainte d'engager le pays dans un chaos économique sans précédent qui aurait pu conduire à une véritable révolution, dont l'issue pouvait être très dangereuse à bien des points de vue, surtout après les manifestations de dictature gouvernementales dont nous avions été témoins.

N'ayant pas été jusqu'à ce stade, nous étions forcément amenés à subir la position du gouvernement, comme nous avions subi jusqu'à présent l'augmentation du coût de la vie qu'il avait été incapable d'arrêter. Nous en sommes à peu près là aujourd'hui." (Tribune des Fonctionnaires, 25-12-45).

En réalité, nous étions bien loin de la révolution. Mais les travailleurs révolutionnaires doivent se rappeler qu'un de leurs propres "chefs" a déclaré de lui-même que c'est la crainte de la révolution qui a seule empêché de pousser la lutte jusqu'au bout, et que, à défaut de la pousser jusqu'au bout, il ne reste qu'à subir la volonté du gouvernement.

Mais alors, toutes les rodomontades de Neumeyer, etc..., sur la reprise de la lutte revendicative ne sont que de la poudre aux yeux des travailleurs.

Du stalinien Raynaud au "syndicaliste" Neumeyer, les préoccupations sont les mêmes.

S'ils font montre d'une pareille incapacité et d'une pareille peur de la lutte, c'est qu'ils agissent en défenseurs et provocateurs de la politique bourgeoise au sein du mouvement ouvrier. Voilà pourquoi ils sont obligés de mentir, et pourquoi il y a un tel écart entre leurs paroles et leurs actes. Car si cette politique bourgeoise se montrait sous son vrai visage, pas un ouvrier, pas un travailleur ne la supporterait. Cependant, la lutte de classes fait sauter le masque, et sous la pression des circonstances, il arrive même qu'un Neumeyer dise la vérité !

En même temps que producteur, le travailleur est "citoyen". Aussi la lutte anti-capitaliste se mène-t-elle sur tout les fronts à la fois, sur le plan politique et sur le plan économique. La lutte syndicale – la résistance des masses à l'exploitation économique – n'est qu'un des aspects de la lutte immense qui oppose les exploités et les exploiteurs, et elle reste soumise à sa stratégie générale : la lutte de classe. Il n'existe pas de politique de syndicalisme. L'impuissance et la servilité de la C.G.T. ne viennent pas de la pénétration politique dans ses rangs mais de la pénétration de la politique bourgeoise par l'intermédiaire des partis ouvriers dégénérés. Merrheim  écrivait déjà en 1909 que "si les Briand et les Viviani (les Thorez et Tillon de l'époque) n'avaient pas trouvé de domestiques au sein de la C.G.T. pour y faire leur besogne, tout comme ceux de Millerand en 1900, leurs efforts n'eussent pas abouti à cette défiance naturelle qui règne dans les milieux syndicaux... Celle-ci (la crise) n'est pas une crise domestique, mais une crise de domestication". L'"indépendance syndicale" n'est qu'un mot d'ordre réactionnaire si on ne lui donne pas un contenu de classe – et si on lui donne un contenu de classe, comment les travailleurs pourraient-ils mener leur action syndicale "indépendamment" de leur action politique ?

Pourraient-ils dire noir et blanc du même coup, défendre leurs conditions de vie et "gagner la bataille de la production" ?

Au nom de l'"indépendance" du mouvement syndical, les "syndicalistes purs" brisent l'unité du mouvement ouvrier, et par là font la besogne des capitalistes. C'est pourquoi, devant la crise du syndicalisme, nous voyons des bonzes invétérés, qui craignent l'éveil de conscience des masses, se raccrocher si vite à la branche pourrie du "syndicalisme pur".

La question en fait est la suivante : qui impulse les syndicats, qui exerce son hégémonie sur eux ? Si c'est la bourgeoisie, nous aurons toute la gamme des syndicats larbins actuels jusqu'aux "syndicats" fascistes. Si c'est le prolétariat, nous aurons des syndicats de combat, non pas "indépendants", mais intimement liés à l'ensemble de la lutte ouvrière. De quoi celle-ci a-t-elle besoin ?

Le mouvement communiste est la forme la plus évoluée, la plus consciente de la lutte de classe. Il est la théorie pratique du mouvement ouvrier qu'il représente, dit Marx, en totalité. Comment alors pourrait-il entrer en contradiction avec un des aspects principaux (le syndicalisme) du mouvement ouvrier ? En fait, au nom de l'indépendance syndicale, nous assistons à un règlement de comptes entre ex-unitaires et ex-confédérés. Les cliques embourgeoisées et leurs idéologies divisent et empoisonnent les syndicats. Le rôle des ouvriers révolutionnaires, communistes, c'est d'unifier les syndicats sur la base de la lutte.

La complète indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie, l'hégémonie prolétarienne réalisée grâce au parti révolutionnaire : voilà comment résoudre la crise syndicale.


SOUS LE DRAPEAU DU COMMUNISME

Reproduction d'un article extrait de La Lutte de Classes  n° 23 du 21-1-1944 consacré à la commémoration de la mort de Karl Liebknecht, de Rosa Luxembourg (janvier 1919) et de Lénine (janvier 1924).


MEME LA BOMBE ATOMIQUE N'EN VIENDRA PAS A BOUT !

Udaipur, 1er janvier. – Prenant la parole, hier, à Udaipur, le pandit Jawaharlal Nehru a comparé l'intervention britannique en Indonésie à l'intervention germano-italienne dans la guerre civile espagnole, ajoutant que l'Asie se révolterait, et que "de cette révolte sortirait quelque chose de trouble : une troisième guerre mondiale". Critiquant notamment l'utilisation de troupes indiennes contre les insurgés, le pandit Nehru a déclaré que l'Inde avait suivi l'intervention britannique avec "une indignation croissante, faite de honte et d'impuissance, en constatant que les troupes indiennes étaient affectées à la vile besogne de la Grande-Bretagne contre nos amis, qui combattent comme nous pour leur liberté."

Selon le pandit, les Etats-Unis et la Russie se disputent la domination du monde. "Les Etats-Unis pour se recruter des alliés semblent vouloir appuyer l'Empire britannique, moyennant, peut-être, quelques changements de second ordre. S'il est une chose certaine dans ce monde incertain, a conclu le pandit Nehru, c'est que les pays de l'Asie ne se soumettront pas volontiers à la domination d'un empire, quel qu'il soit, et se révolteront. Ce sera une révolte continue et fanatique de millions d'hommes, dont la bombe atomique elle-même ne viendra pas à bout." – (A.P.).   (Le Monde, 2-1-46).


Batavia. – La petite ville de Bekasi, située à 24 kilomètres au sud-est de Batavia, n'existe plus. Les Anglais l'ont rayée de la carte ce matin, en représailles du meurtre de vingt-deux soldats britanniques, survenu le 25 novembre dernier. La moindre maison, la moindre hutte a été rasée.

La prison et plusieurs autres édifices publics ont été arrosés de pétrole et incendiés.

Des avions britanniques qui participaient à l'opération découvrirent plusieurs convois de camions et de voitures de réfugiés qui fuyaient la ville. Ils les pourchassèrent au canon et à la mitrailleuse : une vingtaine de personnes seulement ont réussi à s'échapper.

Le communiqué officiel britannique déclare : "Il faut espérer que la destruction de cette ville sera salutaire." (United Press)


On signale la constitution à Hanoï d'un comité international disposant de fonds importants pour venir en aide au Viet-Minh. Il est présidé par des Japonais communistes et comprendrait des Chinois, des Français, des Russes et des Américains.

(Le Monde, 4-1-1946).


Le correspondant à Saïgon du Sun a déclaré avoir lui-même assisté, à Duchoa, à la scène suivante : une patrouille avait ramené trois prisonniers annamites. Interrogés par un officier français, assisté d'un Annamite chargé d'identifier les insurgés, un des prisonniers aurait refusé de parler. On lui aurait brisé les deux jambes à coups de bâton, puis on l'aurait traîné dans une rizière et fusillé. Seize Annamites blessés, trouvés dans une ambulance, auraient été tués par une patrouille française dont le chef aurait déclaré que "de toute manière, ils étaient à demi-morts".

Dans le quartier chinois de Saïgon, des forces françaises de police auraient récemment fusillé onze insurgés annamites et contraint quarante autres à assister à l'exécution.

Un officier français aurait déclaré au correspondant du Sun : "Les indigènes craignent les insurgés plus qu'ils ne redoutent les Français. C'est seulement lorsque nous serons redoutés davantage que les insurgés que l'ordre pourra être rétabli."


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