1944 |
LA LUTTE de CLASSES – n° 27
|
LA LUTTE de CLASSES – n° 27
"Le socialisme patriote et le socialisme impérialiste... est un ennemi plus dangereux pour le prolétariat que les propagateurs bourgeois de l'impérialisme, car en abusant du drapeau socialiste ils pourraient induire en erreur la partie inconsciente des travailleurs". (Lénine) |
La "nouvelle" politique du PC italien et l'entrée de deux chefs staliniens au CFLN d'Alger, viennent couronner l'ensemble des actes par lesquels les débris de la IIIème Internationale, sous l'ordre de Staline, mènent la collaboration avec la bourgeoisie. Après toute une série de reniements (buts de guerre versaillais, dissolution de la IIIème Internationale, rejet des symboles internationalistes), les chefs staliniens ont fini en 1944 au point où débutèrent les sociaux-patriotes en 1914 : dans les ministères d'union sacrée.
Tout travailleur conscient peut maintenant se convaincre que critiquer ouvertement et vigoureusement les chefs staliniens ce n'est pas diviser les ouvriers, mais pourchasser au sein du prolétariat les agents de la bourgeoisie. Ce rôle d'agents de la bourgeoisie des chefs staliniens n'a pu apparaître dès le début de cette guerre parce que l'URSS resta hors du conflit jusqu'en 1941 ; depuis, la collaboration avec la bourgeoisie se couvrait du masque de la "libération nationale et antifasciste par le peuple pour le peuple".
Mais dans les derniers événements politiques, les chefs des PC italien et français apparaissent ouvertement comme les collaborateurs de la bourgeoisie sans le peuple et contre le peuple.
En Italie, la chute du régime fasciste avait appelé à la vie les partis politiques qui auparavant vivotaient dans l'illégalité. La principale revendication politique de ces partis (PC, PS et plusieurs partis bourgeois démocratiques) était la démission du roi Victor-Emmanuel et de Badoglio, responsables, avec Mussolini, du régime qui a étouffé l'Italie pendant 22 ans. La haine des masses travailleuses pour le roi et Badoglio est telle que ceux-ci avaient échoué dans tous leurs essais pour négocier l'appui d'un des partis italiens. Et c'est Staline qui entreprend de sauver Badoglio et la royauté !
Beaucoup de travailleurs continuent à croire que la politique extérieure stalinienne d'union avec la& bourgeoisie n'a rien à voir avec la politique intérieure des partis "communistes" des différents pays bourgeois. Cependant, sur un signe de Staline, grand-prêtre du "communisme", Ercoli, porte-parole du PC en Italie, a donné son absolution à Badoglio, et voilà celui-ci, de diable fasciste, mué en saint "démocrate". Cette transformation opportune est inaugurée par un changement complet dans la politique du PC. En effet, Ercoli a déclaré qu'étant donné que le gouvernement n'a pas l'appui des masses et que les partis anti-fascistes qui bénéficient de la confiance des masses n'ont pas le pouvoir... il fallait ajourner l'exigence de la démission du roi et collaborer... avec le pouvoir.
En même temps Ercoli exhorte les travailleurs à renoncer à la "vendetta" (c'est ainsi qu'il appelle opportunément la punition des coupables) : tous les hommes de "bonne volonté" quelles que soient leurs idées politiques doivent pouvoir lutter contre l'envahisseur.
L'antifascisme des staliniens n'est plus que fumée ! Car il est évident que la famille royale, Badoglio et tous les officiers fascistes et réactionnaires qui ont participé aux crimes de Mussolini, ne manquent pas de bonne volonté pour lutter contre "l'envahisseur" (venu en Italie pour collaborer avec eux) : c'est pour eux le meilleur moyen non seulement de se faire pardonner leurs crimes, mais surtout, en continuant comme par le passé leur travail de privilégiés en tant que chefs des masses dans la guerre, de sauver leurs privilèges et d'assurer la domination de la bourgeoisie dans la paix.
L'entrée des deux chefs staliniens Grenier et Billoux au CFLN d'Alger revêt le même caractère anti-prolétarien. Cependant, du fait que les staliniens collaborent depuis de longs mois avec De Gaulle et le soi-disant "front" national en France, cette entrée ne revêt pas le même caractère brutal qu'en Italie ; mais là aussi les chefs staliniens sont entrés dans une équipe bourgeoise truffée de réactionnaires que les staliniens appellent maintenant des "libérateurs" du peuple français Ils ont vite fait d'oublier qu'avant Pucheu c'est Daladier et Reynaud soutenus par les De Gaulle, les d'Astier de la Vigerie, les Mendès-France, qui ont emprisonné, traqué, torturé, puni de mort les militants communistes et dissous le PC et les organisations prolétariennes qui en 1939 refusaient de défendre la "patrie" pour le compte des 200 familles...
Serait-ce par hasard que De Gaulle veut instaurer le socialisme ? Même pas la démocratie ! "Un régime stable, dans lequel le jeu des partis ne trouble pas la continuité gouvernementale", le respect de la propriété (des trusts) tout en promettant d'en empêcher les abus (des trusts !), etc..., nous savons déjà ce que tout cela signifie. D'ailleurs pour commencer, le principe républicain dont il s'est tant prévalu dans sa lutte contre Giraud, la séparation des fonctions civiles et militaires, est abandonné, puisque De Gaulle devient le commandant en chef de l'armée de "libération" en même temps que le président du CFLN.
Ce n'est ni pour défendre l'URSS, ni pour sauver la démocratie que les staliniens mènent leur politique : ils la mènent parce qu'ils se sont séparés des masses et se sont rapprochés de la bourgeoisie par leur façon de vivre, leur mentalité et leur pratique politique.
L'entrée des staliniens au CFLN et le ministérialisme subit du PC italien sont une victoire de la bourgeoisie. La bourgeoisie de tous les pays, après avoir écrasé les travailleurs à l'aide de régimes ouvertement dictatoriaux, se sent en danger devant l'effondrement des systèmes totalitaires.
En Italie, la royauté et la bourgeoisie, qui appelèrent en 1922 Mussolini comme sauveur, doivent maintenant cacher leur domination derrière un langage "démocratique" pour tromper les masses et les maintenir dans l'asservissement économique et culturel. Et c'est de cette tromperie que, sur l'ordre de Staline, les chefs staliniens se sont faits les instruments principaux.
En France, la bourgeoisie sait qu'il lui sera difficile de conserver sa domination après avoir montré au peuple français son véritable visage en se servant du régime de Vichy et de la Gestapo pour prendre sa revanche sur juin 1936. Et même l'arrivée en France du gouvernement soi-disant démocratique de De Gaulle ne serait pas suffisante pour empêcher les masses d'entrer en lutte contre la bourgeoisie. Pour que De Gaulle puisse remplir avec succès sa mission de sauveur "républicain" de la bourgeoisie (comme Pétain fut son sauveur en 1940), il faut qu'il soit lié aux masses travailleuses : seule la présence de "communistes" dans son gouvernement peut lui assurer, au moment le plus critique (effondrement du régime de Vichy et installation du nouveau gouvernement), la confiance ou la neutralité des masses.
Les chefs staliniens sont devenus nécessaires à la bourgeoisie tout comme les sociaux-patriotes le furent de 1914 à 1918 et après. Nous savons maintenant comment la bourgeoisie a payé les services des sociaux-réformistes une fois leur "mission" remplie : ils ont été jetés dans les prisons, tués et persécutés. Les communistes-réformistes n'auront pas un meilleur sort s'ils réussissent à tromper le prolétariat.
Ainsi, comme les sociaux-démocrates en 14-18, voilà les staliniens devenus ministres et même, sous peu, des ministres de sa majesté le roi Victor-Emmanuel ou Umberto, le fils de son père. De même que leurs prédécesseurs en trahison, ils doivent, avec le portefeuille ministériel sous le bras, "correctement" habillés, collaborer avec leurs bourreaux et persécuteurs de la veille et leur serrer la main.
Quand en 1924 staliniens et trotskystes se séparèrent doctrinalement entre partisans du "socialisme dans un seul pays" (professé par Staline) et partisans de la révolution permanente (soutenue par Trotsky), les travailleurs ne pouvaient pas réaliser l'importance décisive de cette question.
Aujourd'hui nous voyons les partisans du "socialisme dans un seul pays" collaborer ouvertement avec la bourgeoisie, tandis que les partisans de la révolution permanente luttent pour défendre les véritables intérêts des travailleurs de tous les pays.
Il faut que les travailleurs empêchent les chefs staliniens de mener à bien leur travail de sabotage et de trahison. Il faut exiger la rupture avec le soi-disant front national, dans lequel, de l'aveu même des staliniens, les éléments bourgeois se préparent beaucoup plus à des combinaisons contre les travailleurs qu'ils ne "luttent" contre l'occupation.
A LA POLITIQUE D'UNION SACREE AU PROFIT DE LA BOURGEOISIE, OPPOSONS L'UNION DES TRAVAILLEURS POUR LA PAIX, LE PAIN ET LA LIBERTE !
Si les chefs staliniens remplissent aujourd'hui le rôle de traîtres, autrefois tenu par les sociaux-démocrates de la IIème Internationale, les communistes groupés dans la IVème Internationale occupent les mêmes postes de combat qu'autrefois la IIIème du temps de Lénine et Trotsky. LA CLASSE OUVRIERE VAINCRA SOUS LE DRAPEAU DE LA IVÈME INTERNATIONALE !
Tandis qu'en Europe l'ébranlement de la machine de guerre de l'impérialisme allemand se fait sentir non seulement sur les champs de bataille de l'Est, mais jusque dans l'appareil de production (manque de matières premières et d'énergie électrique, désorganisation et anarchie, travail excessif dans certaines branches, mises à pied dans d'autres, etc...), la crise continue à se développer en Angleterre. Les conflits entre ouvriers et patrons se développent parallèlement à l'épuisement provoqué par la guerre aussi bien dans un camp impérialiste que dans l'autre.
Dans ce pays où le prolétariat constitue environ trois-quarts de la population, les grèves qui ébranlent les assises de l'impérialisme anglais ont une importance décisive pour le sort du pays ; et le sort de l'Angleterre influe directement sur le sort d'un quart de la population du globe (colonies).
Ces grèves ont pris de telles proportions et une telle acuité qu'elles menacent l'équilibre politique traditionnel anglais, basé sur la collaboration des classes à l'aide des syndicats "réformistes" agents de la bourgeoisie anglaise. Les syndicats réformistes s'opposent en effet aux réformes exigées par les travailleurs concernant les salaires, les conditions et la durée du travail.
Le conflit est tellement grave que le ministre du travail Bevin a prévenu LES OUVRIERS que les grèves pourraient provoquer de "graves décisions" de la part du gouvernement touchant "les relations entre patrons et ouvriers". Des militants ouvriers ont été arrêtés.
Ces faits montrent qu'en Angleterre "conservatrice" les travailleurs renouent avec les traditions de lutte gréviste de 1917, de 1919 (quand ils créèrent des Soviets) et de la grève générale de 1926 qui faillit renverser la bourgeoisie.
En attendant, la bourgeoisie a commencé son attaque contre les travailleurs en faisant occuper par la police le siège de l'organisation de la IVème internationale à Londres, laquelle, d'après Radio-Londres, "aurait contribué à étendre les grèves".
Dans tous les pays en guerre la IVème Internationale s'oppose donc effectivement à la bourgeoisie en défendant les intérêts des travailleurs.
Quand sur les ruines du régime de terreur actuel en Europe les masses travailleuses de France, d'Allemagne, d'Italie, des Balkans, renverseront la bourgeoisie pour empêcher définitivement les guerres et la ruine économique des peuples du Continent, les travailleurs anglais seront les premiers à s'unir fraternellement à elles !
"La base matérielle du communisme doit être dans un si haut développement de la puissance économique de l'homme, que le travail productif cessant d'être une charge et une peine n'ait besoin d'aucun aiguillon, et que la répartition des biens donnés en constante abondance, n'exige, comme aujourd'hui dans une famille aisée ou dans une pension "convenable", d'autre contrôle que ceux de l'éducation, de l'habitude et de l'opinion publique".
C'est en partant du point de vue que le capitalisme a porté les forces productives à un développement suffisamment élevé que les marxistes affirment que la société est mûre pour le socialisme, c'est-à-dire "le régime de la production planifiée pour la satisfaction la meilleure des besoins de l'homme". En ce sens, Marx pensait que la Révolution serait commencée en Occident.
Mais la Russie, où pour la première fois dans l'histoire le prolétariat a pris le pouvoir et l'a gardé, "n'est pas entrée dans la voie de la Révolution parce que son économie était la plus mûre pour la transformation socialiste, mais parce que cette économie ne pouvait plus se développer sur des bases capitalistes".
Le renversement de la bourgeoisie et la prise du pouvoir par le prolétariat permettaient la transformation rapide de la société, mais la transformation socialiste ne consistait pas simplement dans la prise du pouvoir : ELLE RESTAIT TOUT ENTIERE A ACCOMPLIR APRES CELLE-CI ET C'EST LA LA TACHE DE LA DICTATURE DU PROLETARIAT.
Dans le pays très arriéré qu'était l'ancien Empire des Tsars, ruiné par la guerre impérialiste, la guerre civile et le blocus, les soviets ne pouvaient songer à aborder le système de répartition socialiste ("à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités") avant d'avoir rattrapé et dépassé l'économie des pays capitalistes avancés d'Occident. Dans cette voie elle devait rencontrer des difficultés non seulement en raison du fort handicap avec lequel elle partait, mais aussi en raison de SON ISOLEMENT DANS LE CERCLE DES NATIONS CAPITALISTES.
Par suite du retard, puis de l'échec (en 1923) de la Révolution allemande, les efforts du pouvoir des soviets pendant le communisme de guerre pour "substituer au commerce une répartition des produits organisée à l'échelle nationale sur un plan d'ensemble" se heurtèrent... au manque de produits à répartir, les paysans préférant travailler seulement pour leurs besoins individuels ou détruire les récoltes s'ils ne pouvaient les vendre à des prix de spéculation, plutôt que de les livrer à la ville qui ne pouvait rien leur donner en échange à cause du délabrement de l'industrie. La NEP (nouvelle politique économique) rétablit partiellement le commerce privé, afin de stimuler les petits producteurs agricoles ; devant le manque d'ouvriers qualifiés, de techniciens et de spécialistes, il fallut toujours faire de plus en plus appel à des éléments étrangers au prolétariat révolutionnaire ; les nécessités de la reconstruction et de la construction (plans quinquennaux) exigeaient des efforts surhumains : on établit une différenciation des salaires de plus en plus grande, qui devait stimuler l'émulation (c'est-à-dire la concurrence) entre les ouvriers dont le niveau de vie était déjà très bas.
Ainsi se forma peu à peu une couche privilégiée, composée de paysans moyens et riches, d'ingénieurs, techniciens, ouvriers qualifiés, stakhanovistes, et de fonctionnaires-bureaucrates du parti, qui pour garantir leur situation privilégiée durent usurper le pouvoir du prolétariat et éliminer la vieille garde du bolchévisme (déportation, assassinat, procès de Moscou).
Plus le prolétariat international subissait de défaites (Chine, Allemagne, Espagne, France), plus l'Etat ouvrier restait isolé et plus cette différenciation des privilégiés se poursuivait à l'intérieur sous le poids des difficultés économiques terribles. Staline et la bureaucratie étaient d'autant plus obligés d'étouffer toutes les protestations par de terribles mesures policières et de cacher leurs privilèges aux yeux du prolétariat international par une publicité tapageuse sur "le socialisme réalisé aux 9/10".
Mais de tels mensonges ne peuvent être utiles qu'à la propagande bourgeoise à laquelle elle fournit des sujets comme celui-ci, maintes fois rebattu et repris ces temps derniers dans la presse parisienne : "En URSS une paire de chaussures, un manteau ou du saucisson atteignent des prix inaccessibles pour l'ouvrier ; plusieurs familles doivent vivre dans un seul logement ; il règne un régime de terreur policière avec passeports et livrets de travail, etc... et c'est cela le socialisme !"
Il est vrai que cette propagande bourgeoise ne vaut pas plus que celle de Staline. Les ouvriers qui – surtout depuis quelques années – savent très bien à quoi s'en tenir sur les félicités du régime capitaliste, se rendent bien compte que non seulement la bourgeoisie ne peut pas accorder aux travailleurs un niveau de vie convenable, mais que pour subsister elle entraîne la société tout entière dans des catastrophes terribles qui ramènent brusquement les conditions de vie des masses à un niveau insupportable.
Certes, la condition matérielle des masses était avant la guerre, en URSS, au-dessous du niveau du capitalisme, mais celui-ci "glissait de très haut, tandis que l'URSS montait de très bas". Les ouvriers savent bien, qu'isolée dans un monde capitaliste hostile, l'URSS ne pouvait pas "construire le socialisme dans un seul pays". Elle devait d'abord rattraper un retard historique énorme et pour cela traverser "une phase préparatoire dans laquelle elle importa, assimila, emprunta les conquêtes techniques et culturelles de l'Occident". Dans sa lutte pour le rééquipement de l'industrie, pour l'augmentation du rendement, pour la modernisation de l'agriculture, et contre l'analphabétisme, l'Union soviétique, grâce à la nationalisation du sol, des moyens de production, des transports et des échanges et grâce au monopole du commerce extérieur, vient de parcourir en vingt ans une évolution que le capitalisme occidental a mis deux siècles à accomplir. Les éclatantes victoires de l'Armée Rouge en sont aujourd'hui la preuve irréfutable. "Le mérite impérissable du règne des Soviets est dans sa lutte si âpre et généralement efficace contre une barbarie séculaire".
Les défaites successives du mouvement ouvrier mondial ont permis à la caste bureaucratique privilégiée de Staline d'accéder au pouvoir et de s'y maintenir. Mais "la répartition des biens de la terre est en URSS beaucoup plus démocratique qu'elle ne l'était sous l'ancien régime russe et même dans les pays les plus démocratiques d'occident ; pourtant elle n'a encore rien de commun avec le socialisme".
Car il est impossible, au stade historique où nous sommes arrivés, d'obtenir dans le cadre d'une économie nationale isolée – si riche soit-elle – une production suffisamment abondante pour satisfaire les besoins nombreux et variés qu'a créés l'évolution de la technique et de la culture.
Seule l'union des différentes économies européennes avec celle de l'URSS sur la base de la planification et de la propriété collective et dans le cadre des Etats-Unis socialistes d'Europe, assurera, par la révolution socialiste, la solution de tous les maux qui accablent les masses, et l'édification du socialisme.