1938

Article (T4387) traduit du russe, avec la permission de la Houghton Library.


�uvres - juillet 1938

L�on Trotsky

[Mes complots]

19 juillet 1938


Pendant les dix‑huit mois de mon s�jour dans ce pays hospitalier, j'ai �t� accus� de toute une s�rie de terribles complots.

Il y a quelques mois, M. Toledano a d�clar� dans un meeting que j'�tais en train de pr�parer la gr�ve g�n�rale contre le gouvernement du g�n�ral C�rdenas. Ni plus ni moins.

Le chef du parti communiste (je crois qu'il s'appelle Laborde [1]) a d�clar� dans une manifestation publique, en pr�sence du Pr�sident de la R�publique, que j'�tais engag� dans un complot fasciste avec les g�n�raux Cedillo et... Villareal [2].

Le lendemain, chacun de ces messieurs les accusateurs balan�ait sa propre accusation comme on jette un m�got, l'oubliait lui‑m�me et passait � de nouvelles inventions.

Aujourd'hui, est � l'ordre du jour mon voyage de vacances � Patzcuaro, Jiquilipan, Guadalajara et Morelia. On m'accuse maintenant non pas de pr�parer la gr�ve g�n�rale ou l'insurrection fasciste, mais de... voyager au Mexique, de me loger dans des h�tels et rencontrer des citoyens mexicains et de m'entretenir avec eux. Oui, j'ai effectivement commis tous ces crimes (!), j'ajoute que je l'ai fait avec une grande satisfaction.

De la part des diff�rentes couches de la population, ouvriers, enseignants, militaires, artistes, des autorit�s de l'Etat et des municipalit�s, je n'ai rencontr� que la pr�venance et l'hospitalit� qui de fa�on g�n�rale caract�risent si vivement les Mexicains. A Patzcuaro, quelques instituteurs, qui �taient venus nous voir, Diego Rivera et moi, de leur propre initiative, se sont entretenus avec moi de la situation en U.R.S.S. et plus particuli�rement de l'�ducation populaire. Je leur ai expos� les m�mes conceptions que j'ai d�j� expos�es souvent dans mes livres et articles. Pour leur assurer la pr�cision n�cessaire, je leur ai donn� la d�claration �crite ci‑jointe [3]. Autant que je sache, aucun de ces instituteurs ne se consid�re ni ne se dit � trotskyste �.

A Jiquilpan, Guadalajara et Morelia, je n'ai malheureusement pas fait de telles rencontres, car je ne suis rest� que quelques heures dans chacune de ces localit�s.

A Guadalajara, le centre d'op�rations de mon � complot � fut le Palais Municipal, l'Universit� et l'orphelinat, o� j'ai vu les fresques d'Orozco [4]. Beaucoup de gens m'ont abord� pour me demander des autographes ou simplement pour me serrer la main. A quelques‑uns, comme je l'avais fait � Patzcuaro, j'ai demand� en plaisantant : � N'avez‑vous pas peur d'approcher un contre‑r�volutionnaire et fasciste ? �. A cette question, j'ai re�u presque invariablement la m�me r�ponse : � Personne de sens� ne le croit. � Il est inutile de dire que cette r�ponse m'a apport� une grande satisfaction morale.

En ce qui concerne ma � conspiration � avec le Dr Atl [5], je ne puis que dire que j'ai entendu pour la premi�re fois son nom par les derni�res � r�v�lations �. Je n'ai jamais rencontr� le Dr Atl et n'ai pas l'honneur de le conna�tre.

Je ne doute pas que cette d�claration qui contient la r�futation d'une nouvelle d�nonciation fausse, sera interpr�t�e par les d�nonciateurs comme � une intervention dans la vie int�rieure du Mexique [6] �. Mais le proc�d� n'abusera personne. J'ai fait une promesse pr�cise au gouvernement de ce pays, c'est‑�-dire au gouvernement du g�n�ral C�rdenas, et pas au gouvernement de Lombardo Toledano. Personne ne m'a dit que M. Toledano �tait charg� de surveiller ma conduite. Je n'ai jamais promis de me taire sur les calomnies ou les calomniateurs. Je me suis r�serv� le droit, dans ma maison, comme pendant mes voyages, de respirer l'air du Mexique, de rencontrer des citoyens de ce pays, de m'entretenir avec eux, de visiter les monuments artistiques et, quand je le juge n�cessaire, de fustiger publiquement et en les appelant par leur nom les � d�mocrates �, � socialistes � et � r�volutionnaires � qui ‑ oh, ignominie ! ‑ se sont charg�s de faire en sorte, par le mensonge et la calomnie, que je sois livr� aux mains du G.P.U.


Notes

[1] Trotsky fait seulement semblant d'ignorer le nom du secr�taire g�n�ral du P.C.M. Hern�n Laborde (1896‑1955), cheminot, avait �t� port� au secr�tariat g�n�ral en 1929 � la suite d'une purge s�v�re. Il �tait �videmment pr�t � toutes les campagnes contre Trotsky, mais se montra moins z�l� pour � l'action directe �.

[2] Ces accusations avaient �t� lanc�es dans un meeting le 18 novembre 1937. Le g�n�ral Cedillo �tait un conspirateur d'extr�me‑droite. L'amalgame est grossier. Antonio I. Villareal (1879‑1944) enseignant, journaliste, dirigeant du parti lib�ral mexicain (le parti de la r�volution d�mocratique), collaborateur de Regeneracion avant 1910, avait fond� en 1912 la premi�re conf�d�ration syndicale mexicaine et fait rouvrir en 1914 dans la capitale la Casa del Obrero Mundial. Il avait �t� pr�sident de la Convention nationale d'Aguascalientes en 1917. Il n'avait pu, pour des raisons personnelles, participer aux travaux de la commission Dewey, mais l'avait soutenue. Trotsky �tait � ses yeux un r�volutionnaire de sa g�n�ration, qu'il admirait et respectait. D'o� les attaques du P.C. et des hommes de Moscou.

[3] Trotsky avait r�dig� la d�claration en russe et Jean van Heijenoort, qui l'accompagnait dans ce voyage, l'avait traduite sur‑le‑champ.

[4] Jos� Clemente Orozco (1883‑1949) �tait l'un des grands peintres � muralistes � de la r�volution et du Mexique contemporain.

[5] Dr Atl �tait le pseudonyme de Gerardo Murillo (1875‑1964) peintre et po�te, lui aussi v�t�ran de la r�volution mexicaine, collaborateur de Carranza, avait �t� le ma�tre de Diego Rivera. Il avait ensuite �volu� vers le fascisme et �tait li� au g�n�ral Cedillo. On a �mis l'hypoth�se qu'il se soit trouv� des � t�moins �pour le � voir � � cause d'une certaine ressemblance avec Andr� Breton qui accompagnait Trotsky dans ce voyage.

[6] Chaque fois que Trotsky se d�fendait contre une attaque calomnieuse de gens comme Lombardo Toledano, ceux‑ci clamaient qu'en les attaquant, Trotsky � intervenait � dans la vie politique mexicaine et violait ainsi ses engagements...


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