1938 |
Source Léon Trotsky, Œuvres 17, mars 1938 à juin 1938. Institut Léon Trotsky, Paris 1984, pp. 97-109. |
Trotsky. – Il est très difficile de dire quelque chose de concret sur l’évolution des rapports sociaux en Union Soviétique, quelque chose de nouveau, parce que, au cours des dernières années, chiffres et statistiques sont de plus en plus faux, fictifs, plus que jamais. Il y a dans la presse les mêmes falsifications qu’au tribunal. La presse ment complètement sur l’alignement social en Union soviétique. On a donné ordre de brûler le dernier recensement : je ne sais si cette information a pénétré la presse américaine, elle a une extrême importance.
Dans La Révolution trahie, j’ai critiqué les statistiques, les chiffres, qui ont pour objet de dissimuler la stratification sociale, le salaire d’un bureaucrate et celui d’un ouvrier, le salaire d’un travailleur et celui de l’administrateur du kolkhoze, ou le nombre des domestiques. Je suppose qu’il n’y a pas moins de cinq millions de familles de bureaucrates et d’aristocrates dans les kolkhozes, qui ont du personnel domestique, et dans les villes qui en ont deux ou trois fois plus, y compris le chauffeur et la nurse pour les enfants : il existe une classe sociale de domestiques au service des couches supérieures et tout ça n’est pas compris dans le rapport du recensement.
Il y a eu un recensement en janvier, et le monde a appris alors qu’un décret spécial avait décidé de le brûler parce qu’il avait été effectué par des « trotskystes, faussaires, ennemis du peuple, etc. ». Et la chose la plus élémentaire, la plus importante mesure des conditions en U.R.S.S. – le chiffre de la population – n’a pas été publiée. Walter Krivitsky en a donné une explication complète dans la presse française, et le journal de Milioukov l’a publiée aussi. Il y a eu un net fléchissement de l’augmentation de la population. Elle augmente de trois millions par an.
Shachtman. – Quand a eu lieu le dernier recensement ?
Trotsky. – Dans les années vingt, et il montrait une augmentation du même ordre, et on estimait alors la population à 117 ou 118 millions. Mais Krivitsky dit que le dernier recensement montrait qu’il n’y avait que 130 millions. Le résultat est tout à fait catastrophique, car c’est le meilleur indicateur des conditions de vie du peuple. Ce nombre indique que la collectivisation, la déportation, l’assassinat de dizaines de milliers de paysans, la famine et les épidémies en 1931-32 se chiffraient par millions. Je crois que ce n’est qu’une partie de la vérité. Cela démontre aussi que les conditions normales sont très mauvaises, la mortalité élevée, que la population n’augmente pas maintenant de trois millions par an, mais d’un seul, et c’est le bilan de toute la période de « grand bonheur et de prospérité » proclamée par le plan quinquennal.
Dans La Révolution trahie, j’ai utilisé les chiffres donnés dans les journaux locaux que Sedov m’avait procurés – et c’est ce qui m’a permis d’établir partiellement la vérité. Depuis cette date, on ne peut trouver dans la presse aucune approximation de la réalité. Dans le journal de Milioukov à Paris, j’ai trouvé un article très intéressant, une interview avec un demi-trotskyste – il n’est pas nommé, mais je pense que c’est Walter Krivitsky qui penche vers la démocratie bourgeoise – qui dit que la situation du paysan s’améliore, mais que celle de l’ouvrier est très mauvaise ; que la répartition du revenu national, systématiquement favorable aux paysans, joue contre les ouvriers. C’est vrai si on entend par paysans l’aristocratie des kolkhozes : la situation de l’administrateur est proche de celle d’un patron, il est un commerçant puisque le kolkhoze a le droit de vendre et d’acheter au moins une partie de son matériel sur le marché. L’administrateur est à moitié fonctionnaire et à moitié patron. Il a un revenu très important, et en même temps, il représente le G.P.U. On peut imaginer le pouvoir qu’il concentre entre ses mains. La situation du travailleur kolkhozien, comme de l’ouvrier d’usine, est tout à fait différente et le rapport des forces économiques est en train de changer en faveur de la couche supérieure. Cela signifie que la stratification sociale s’accroît. En même temps, la bureaucratie concentre entre ses mains le pouvoir économique.
Les procès de Moscou sont l’une des expressions de ce processus, les contradictions politiques sont naturellement un reflet des contradictions sociales. La bureaucratie a une peur terrible de la population – une haine pire que celle qu’avait le tsar – parce que la population a la tradition de deux révolutions et n’est pas aussi illettrée. Dans la population aussi, il y a des antagonismes sociaux et des frictions politiques. Les antagonismes internes de la bureaucratie sont particulièrement importants ; les procès sont l’expression directe de ce phénomène : une partie de la bureaucratie a massacré une autre partie.
Shachtman. – Pourquoi ?
Trotsky. – Parce que le mécontentement des masses produit différents courants, même dans la bureaucratie. Une fraction dit : « Faisons-leur des concessions » et l’autre dit : « Non ». Comme partout, la pression des masses provoque la désintégration de la caste dirigeante.
Il est difficile de rendre compte des divergences politiques au sein de la bureaucratie, mais il y a de bonnes indications dans les procès de Moscou. Quelques-uns veulent rétablir le capitalisme ; d’autres non. Les accusations ont une valeur symbolique.
Un autre incident, de petite dimension, mais très instructif, donne une idée des divergences : les gens qui ont rompu avec Moscou. Il y a eu Reiss, Barmine, diplomate en Grèce, Krivitsky, qui était le chef de tout l’espionnage militaire en Allemagne – il n’y a que quatre ou cinq personnages de l’importance de Krivitsky – puis Boutenko qui s’est enfui de Roumanie en Italie. Nous savons que le corps diplomatique a été sélectionné et épuré au moins dix fois au cours des dernières années, et vous savez combien ont été rappelés et assassinés, et pourtant, après la grande purge, il y en a encore quatre qui se sont échappés. C’est un pourcentage très élevé, il montre la puissance des forces centrifuges au sein de la bureaucratie. Ce ne sont pas les premières personnes qu’on peut rencontrer dans la rue, l’un était ministre en Grèce, l’autre chef du service secret en Allemagne ; Reiss était au même niveau que Krivitsky, presque de la même importance. Et maintenant, l’orientation de ces hommes. Reiss s’est prononcé tout de suite pour la IVe Internationale, Barmine demeure amical avec nous, Krivitsky se tourne vers la démocratie bourgeoise (Il est lié aux mencheviks, aux libéraux – il a rompu toutes relations avec nous, particulièrement après la mort de mon fils – un prétexte pour lui), et Boutenko est devenu fasciste. Quatre personnes seulement, mais, c’est très significatif, un arc-en-ciel de toutes les couleurs politiques à l’intérieur de la bureaucratie elle-même. C’est ce qui explique que Staline peu à peu soit passé de l’appareil du parti au
G.P.U. Maintenant il ne s’agit plus du Politburo, mais de Staline-Ejov. Un membre du Politburo peut très bien être désigné par un accusé au cours d’un procès et jugé lui-même : nous avons eu un exemple avec Roudzoutak, qui était suppléant du Politburo, et je suis sûr que ce n’est pas ce dernier qui l’a désigné, c’est Ejov.
Et puis, il se pose une question importante qui a été très largement discutée par les gardes blancs russes : y a-t-il ou non des trotskystes en Russie? Même Victor Serge affirmait que Staline, pour ses raisons propres, exagérait terriblement le nombre des trotskystes en U.R.S.S. Les gens qui viennent d’U.R.S.S. affirment qu’il n’y a en Union Soviétique que des tendances de droite – pas de tendance de gauche – et que le trotskysme n’est qu’un fantôme. C’est à la fois vrai et faux : il est vrai qu’à l’intérieur de la bureaucratie les tendances de droite se développent et deviennent même fascistes. La base sociale est différente dans les masses. Mais si nous prenons un jeune bureaucrate individuellement, c’est un type entièrement fasciste, il n’a pas la tradition de la révolution d’Octobre. Il est seulement discipliné, pour fusiller, pour épurer, pour organiser des procès – tout ça pour la gloire de la patrie. Le personnage de Boutenko est très important dans les rangs des bureaucrates. Le pourcentage de camarades comme Reiss est infime. Au sein des masses, les tendances sont plus élémentaires, mais elles sont dirigées contre la bureaucratie, contre la nouvelle aristocratie : en ce sens, elles sont trotskystes. Elles ne sont pas véritablement trotskystes, mais leur attitude coïncide avec l’essentiel de notre critique générale. Le problème est tout simplement que le régime totalitaire empêche de nouer des liens.
On peut voir très clairement le même phénomène en Espagne. Les masses ouvrières en juillet 1936 ont développé leur activité tout à fait dans notre direction, mais nos camarades étaient très peu nombreux, et, dans la mesure où le P.O.U.M. reflétait un peu le mouvement des masses, il a été qualifié de trotskyste. C’est la raison de la terrible haine contre nous.
Je crois que le terrorisme individuel est inévitable en Russie. Avec leurs procès, ils provoquent le terrorisme comme le tsar. Il est impossible de concevoir que sur les milliers de fusillés, il n’y aura pas le frère ou la sœur de l’un d’eux qui abattra un bureaucrate. Les bureaucrates font tout pour détruire la tradition marxiste contre le bolchevisme ; les tendances individuelles au terrorisme sont propagées par les procès. Ils récolteront ce qu’ils ont semé sous la forme du terrorisme individuel. C’est tout à fait possible parce qu’il n’y a pas de parti pour le mouvement des masses. Les actes de terrorisme sont nombreux en province. On ne sait rien de Nikolaiev, qui a tué Kirov – peut-être pour une raison générale, ou une femme. Sloutsky, qui était le chef du G.P.U. à l’étranger a dit à Krivitsky, lequel lui demandait la raison de l’acte de Nikolaiev : « Ne demandez pas cela, c’est si mystérieux, mieux vaut ne pas s’interroger ». Puis il lui a raconté que Staline était venu à Leningrad conduire les débuts de l’enquête afin d’orienter convenablement celle-ci.
Shachtman. – Nous avons souvent discuté entre nous comment il se fait que Staline n’ait pas été assassiné au cours de la période écoulée.
Trotsky. – Deux raisons. 1) Les gens sérieux et honnêtes, qui ne croient pas qu’on puisse réaliser quoi que ce soit de cette façon et se disent : « Qui le remplacera? Molotov? Vaut-il mieux? », et 2) Il est bien gardé personnellement. Aucun des tsars n’était aussi bien gardé. Mais, malgré tout, la pression d’en haut et d’en bas est si forte que des explosions terroristes se produiront dans la prochaine période. On peut douter qu’elles puissent changer fondamentalement quoi que ce soit ; elles peuvent accélérer le renversement de la clique stalinienne, mais en faveur d’éléments plus consciemment bourgeois qui, en outre, ne sont pas prêts. Nous ne pouvons nous attendre à ce que des révolutionnaires emploient de telles méthodes, comme nous l’avons fait dans la lutte contre le tsar. Nous rejetions la méthode des S.R. mais, chaque fois qu’un acte terroriste se produisait, nous déclarions notre sympathie pour les S.R., nous en expliquions les raisons, et nous mobilisions les sentiments contre le tsar. Maintenant nous n’avons aucune organisation qui puisse faire une telle propagande.
Une guerre renforcerait inévitablement la position de Staline dans un premier temps, en ce que l’esprit d’auto-conservation de la bureaucratie et du peuple donnerait un nouvel élan à la bande du Kremlin. Mais, au cours de la guerre, ce sera pareil que dans les autres pays. La désintégration du régime prendra sa place, cela fait partie d’une question plus générale. Si la guerre provoque une révolution dans les pays capitalistes, la chute de la clique stalinienne ne sera qu’un épisode secondaire dans le cours de la guerre – à moins qu’elle ne soit aussitôt remplacée par les organisations des ouvriers, les soviets. Si on admet pour un instant cette hypothèse que la guerre signifierait la fin de notre civilisation, alors naturellement la Russie tombera. Mais ce n’est pas très probable. L’agonie mortelle du stalinisme, nous l’avons écrit – et ce n’est pas une exagération – signifie aussi celle de l’I.C. Il est non seulement possible, mais probable, presque certain, que l’I.C. terminera sa carrière en tant que mouvement plein de force avant la chute définitive de la clique du Kremlin en Union soviétique. Mais, dans une certaine mesure, cela dépend aussi de notre propre politique.
Qu’est-ce que l’I.C. ? Trois courants : 1) l’appareil, formé de canailles et de fanatiques bornés.
2) Les intellectuels petits-bourgeois attirés pendant cette période,
3) Les ouvriers, dont la plus grande partie a été attirée au parti avant. Il est parfaitement possible qu’une partie des deux premiers courants – l’appareil et les intellectuels – passent aux lovestonistes (Il nous est trop difficile de les aborder, et nous espérons que nous ne serons pas excessivement accueillants pour les fonctionnaires et les intellectuels – je ne peux que répéter qu’il nous faudrait établir des règles très strictes en ce qui les concerne, au moins une année de stage probatoire).
Pour le troisième courant, les ouvriers dans le parti stalinien, les ouvriers qui ne sont pas des permanents, mais des militants de base. Si des ouvriers de ce type sont restés jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’ils soutiennent les procès de Moscou, mais parce que les ouvriers ont un profond sentiment de dévouement, de gratitude, plus stable psychologiquement. Ils restent dans le parti en dépit de tout. Dans leur modestie, ils disent qu’ils ne comprennent pas. Il est possible que les intellectuels quittent le parti avant les ouvriers. Mais, quand les ouvriers rompront, ils se rueront vers nous, et pas vers les lovestonistes.
C’est pourquoi il est important d’avoir un noyau dans le parti stalinien, d’expliquer et de former quelques éléments, d’avoir des informations. Je crois que nous n’avons pas aujourd’hui d’informations de ce type, et il est absolument nécessaire de créer un état-major général pour combattre les staliniens dans leur parti, naturellement sous la direction du nôtre. Que quelques jeunes camarades recueillent d’abord des informations, étudient l’ensemble de la presse stalinienne de ce point de vue ; ce qui se passe dans le parti, les conflits, les exclusions, etc. Puis d’avoir dans ce parti des agents directs, des agents dans le bon sens du terme. Je crois que dans leurs états-majors, dans les bureaux, la différenciation doit être très nette entre le personnel technique et les grands dirigeants. Browder est une caricature de Staline, le service technique est composé de personnalités tout à fait insignifiantes. Nous pouvons trouver des éléments, à commencer par le portier. Peut-être le portier est-il un agent de la G.P.U. ; bien, alors un autre à un poste moins responsable. Puis les dactylos. Il y a des dactylos très privilégiées qui appartiennent au service de Browder et du G.P.U., mais il en existe d’autres dans des travaux tout à fait techniques qui sont complètement négligées ; il faut trouver des agents parmi elles, s’occuper systématiquement de ces gens, pénétrer, trouver, entrer en contact amical avec les ouvriers communistes et ainsi créer peu à peu un service d’informations.
Cannon. – Quel type de camarade mettriez-vous à la tête d’un tel travail ? Quelles doivent être ses caractéristiques ?
Trotsky. – Un camarade comme Abern, ce serait bien. Je ne l’ai jamais rencontré, mais c’est une impression. Un camarade qui sache faire un travail systématique ; il faut qu’il ait de jeunes collaborateurs. Vous pouvez utiliser avec fruit des femmes dévouées, mais qui soient intelligentes. Il existe d’autres méthodes d’entrer en contact avec les éléments ouvriers communistes.
Shachtman. – Voulez-vous dire qu’il faut envoyer des gens dans le P.C. ?
Trotsky. – Oui, si possible. Vous connaissez l’exemple français, Les jeunesses russes sont venues avec comme objectif de gagner la jeunesse socialiste. Ils se sont rencontrés secrètement, mais la secrétaire de Fred Zeller était chez nous. Nous avons discuté avec cette camarade et nous lui avons demandé de publier tout de suite le compte rendu sténographique. Elle avait bien quelques arrière-pensées, mais elle a accepté de le publier. Après cette publication, nous avons gagné toute la jeunesse. Zeller hésitait, mais la base a eu tout de suite la plus chaleureuse sympathie pour nous, et alors Zeller est venu avec elle.
Cannon. – Ce compte rendu a été publié sans son autorisation ?
Trotsky. – Bien sûr. Et Zeller a dit : « Ma secrétaire est plus intelligente que moi. » Dans la lutte contre les staliniens, la question de la guerre est très importante. Je crois que, là, l’amendement Ludlow est très important : c’est une pierre de touche, mais bien entendu insuffisante. Et l’amendement Ludlow a dix fois plus d’importance que si les staliniens le soutenaient. Notre première réaction a été un peu doctrinaire et sectaire, mais le mieux, c’est d’annoncer ouvertement que nous avons modifié notre ligne. Le mieux, c’est de dire ce qui est. Vous pouvez dire que vous avez modifié votre programme et donner l’exemple de Lénine dans la question de la terre. Nous ne cherchons pas des trucs avec les ouvriers. Nous proposons un combat plus révolutionnaire, mais nous sommes une petite minorité. Vous croyez à l’amendement Ludlow comme moyen de contrôler le grand capital et l’administration, nous irons avec vous. Mais la dernière résolution du C.N. est équivoque, et la déclaration de McKinney que nous n’avons changé en rien est fausse, pas franche. Vous ne pouvez pas tourner et ne pas le dire aux masses – alors il n’y a pas de tournant. Vous devez dire : « Oui, nous avons fait ce tournant parce que nous voulons être avec vous. » Vous le soulignez de telle façon que les lovestonistes n’aient plus le courage de vous le reprocher. Et les lovestonistes n’ont pas d’importance. Cela touche nos rapports avec la classe ouvrière – et c’est important. [.,.]
Shachtman. – Et vous faites une distinction entre notre soutien de l’amendement Ludlow et le désarmement?
Trotsky. – Le désarmement, c’est tout à fait différent. C’est absolument faux : la proposition de désarmer est une fiction.
Mais c’est différent pour l’amendement Ludlow, les ouvriers veulent contrôler l’administration. Cela n’a rien à voir avec les tribunaux d’arbitrage de la S.D.N., les palabres sur le désarmement. Je propose de lier l’amendement avec la revendication pour le droit de vote à dix-huit ans.
Dunne. – Les gars de dix-huit ans en auront vingt et un quand la guerre éclatera.
Trotsky. – Oui, oui, c’est un autre argument.
Cannon. – Pensez-vous que le mouvement stalinien ait des perspectives de développement ultérieur aux États-Unis – d’expansion ultérieure ? Au cours des dernières années, ils ont grandi énormément non seulement par le nombre de leurs adhérents, mais par leurs ramifications. J’ai tendance à penser qu’ils ont atteint leur apogée aux E.-U., à moins que, en rapport avec une guerre, ils ne reçoivent la bénédiction gouvernementale en tant que patriotes professionnels et influencent les agents de la police contre nous. Mais, de façon générale, le terrible accueil qui a été fait aux procès de Moscou et l’effondrement de la politique du Front populaire et de leur politique extérieure en général ont porté les coups sévères au mouvement stalinien aux E.-U. L’attaque contre le stalinisme est aujourd’hui beaucoup plus large. Et puis, dans bien des syndicats qu’ils contrôlaient, il s’est développé une puissante opposition. Maintenant nos camarades nous disent que la haine contre les staliniens, dans le syndicat des peintres, par exemple, où ils font des combinaisons avec les pires gangsters, est en train de grandir.
Shachtman. – Il existe quelques symptômes importants. Deux journaux libéraux de New York, le World Telegram, et l’Evening Post, édité par Stern qui est un homme de Roosevelt. Mais, jusqu’à hier, le Post surtout était très tolérant vis-à-vis des staliniens, très amical.
Trotsky. – J’ai lu la discussion entre Meyer et la rédaction sur la question de la Russie. C’était très intéressant.
Shachtman. – Je crois que la défaite en Espagne, qui est en train d’approcher – la désertion du gouvernement qui va se produire dans les prochaines semaines – produira la plus grosse impression et se retournera contre les staliniens. Après la défaite, les co-responsables s’accuseront mutuellement. La haine des socialistes en Espagne est terrible. Puis les volontaires reviendront et il y aura des centaines de Beattie parce que la guerre civile a été une grande école. Et puis le Front populaire en France, c’est un effondrement total. Aujourd’hui les dépêches traduisent une certaine nervosité de la bourse de New York, qui baisse. Cela signifie les dernières convulsions de la politique du New Deal avec toutes ses illusions. Ces trois facteurs – la défaite en Espagne, la défaite du Front populaire en France et, avec votre permission, la faillite du New Deal – signifient un coup mortel pour les démocrates. Naturellement, cela dépend aussi de notre activité. Après la guerre mondiale, il semblait que la IIe Internationale était tout à fait morte et au cours des premières années la IIIe Internationale grandissait et grandissait. J’espère maintenant...
Karsner. – La IIIe Internationale grandissait quand il y avait victoire. Mais aujourd’hui, partout où les ouvriers regardent, ils ne voient que des défaites. Les ouvriers sont désillusionnés non seulement du stalinisme, mais du communisme. Je me demande si ces centaines de gens qui viendront d’Espagne viendront vers nous ou abandonneront le mouvement.
Trotsky. – C’est tout à fait juste. Cela nous crée de grosses difficultés. La sélection de nos cadres est différente, s’opère dans une période différente. Alors, ils ralliaient un État victorieux, maintenant ils n’adhèrent qu’à un programme révolutionnaire, et notre développement est bien plus lent que celui de l’I.C. D’un autre côté, nous aurons une génération nouvelle. Il ne faut pas oublier la jeune génération qui n’est pas passée parle stalinisme. Toute la question pour nous consiste à trouver le lien entre nos cadres et les ouvriers. La jeune génération n’est pas épuisée, ni fatiguée, c’est pourquoi il est significatif que nous ayons gagné des jeunes du P.C. et que la J.C. commence à se tourner vers nous. C’est le premier mouvement important vers nous, et nous allons grandir.