1935 |
" L'aversion pour les
� �tiquettes � et les � num�ros � en politique est aussi dangereuse que
l'aversion pour les d�finitions pr�cises dans le domaine scientifique. Dans un
cas comme dans l'autre, nous avons l� le sympt�me infaillible d'un manque de
clart� dans les id�es elles-m�mes. " |
�uvres - ao�t 1935
� �tiquettes � et � Num�ros �
Au sujet de la lettre de Marceau Pivert aux camarades frapp�s par la conf�rence nationale des jeunesses socialistes de Lille.
La lettre de Marceau Pivert sur les exclusions des chefs de la jeunesse r�volutionnaire de la Seine [1], malgr� son but louable, renferme un certain nombre d'id�es inexactes qui, dans leur d�veloppement, peuvent conduire � de s�rieuses erreurs. Pr�venir les jeunes camarades contre ces erreurs est le vrai devoir d'un marxiste.
Pivert lui-m�me accuse nos amis de commettre une grande � erreur psychologique � en prenant le nom de bolcheviks-l�ninistes. Puisque le � bolchevisme initial �, selon Pivert, niait la structure d�mocratique du parti, l'�galit� (?) pour toutes les tendances, etc. par leur nom m�me, les bolcheviks-l�ninistes donnent � la bureaucratie. du parti une arme contre eux-m�mes. En d'autres termes, l’ � erreur psychologique � consiste en une adaptation insuffisante � la psychologie de la bureaucratie du parti.
Ce jugement de Pivert repr�sente une � erreur politique � tr�s s�rieuse, et m�me une s�rie d'erreurs. Il n'est pas vrai que le � bolchevisme initial � niait la structure d�mocratique du parti. J'avance l'affirmation absolument contraire : il n'y a pas eu et il n'y a pas de parti plus d�mocratique que celui de L�nine. Ce parti s'�tait form� par en bas. Il d�pendait seulement des ouvriers avan�c�s. Il ne connaissait pas la dictature cach�e, masqu�e, mais d'au�tant plus n�faste, des � amis � bourgeois du prol�tariat, des parle�mentaires carri�ristes, des maires affairistes, des journalistes de� salon, de toute cette confr�rie parasitaire qui permet � la base du parti de parler � librement �, d�mocratiquement �, mais se maintient elle-m�me avec t�nacit� � l'appareil et, en fin de compte, fait ce qu'elle veut. Ce genre de � d�mocratie � dans le parti n'est rien d'autre qu'une copie de l'�tat d�mocratique-bourgeois, qui lui aussi permet au peuple de parler � librement �, puis laisse le pouvoir r�el � une poign�e de capitalistes. Pivert commet une tr�s grande erreur politique en id�alisant et en embellissant la � d�mocratie � hypo�crite et mensong�re de la S.F.I.O. qui, en fait, freine et paralyse l'�ducation r�volutionnaire des ouvriers en �touffant leur voix par le ch�ur des conseillers municipaux, des parlementaires et autres qui sont impr�gn�s jusqu'� la moelle d'int�r�ts petits-bourgeois �go�stes et de pr�jug�s r�actionnaires. La t�che du r�volutionnaire, m�me si la marche du d�veloppement le contraint � travailler dans la m�me orga�nisation que les r�formistes, ces exploiteurs politiques du prol�tariat, consiste non pas � prendre l'attitude du prot�g� et � faire sienne celle de l'amiti� mensong�re pour ces agents de la bourgeoisie, mais � s'opposer en face des masses le plus clairement, le plus �prement, le plus implacablement possible aux opportunistes, aux patriotes, aux � socialistes � absolument bourgeois. Ceux qui choisiront et qui trancheront, ce seront, en fin de compte, non les Blum et les Zyromski, mais les masses, les millions d'exploit�s. C'est. sur eux qu'il faut s'aligner, c'est pour eux qu'il faut b�tir un parti. Le malheur de Pivert, c'est que jusqu'� maintenant il n'a pas rompu le cordon ombilical qui le relie au petit monde des Blum et des Zytomski [2]. A chaque occasion nouvelle, il regarde ses � amis � et leur t�te le pouls avec inqui�tude. Et c'est cette politique fausse, illusoire, non r�aliste, qu'il r�clame des bolcheviks-l�ninistes ! Ils doivent, para�t-il, renoncer � leur propre nom. Pourquoi ? Est-ce que ce nom effraie les ouvriers ? Au contraire. Si les pr�tendus � communistes �, malgr� toutes les trahisons et tous les crimes qu'ils ont commis, retiennent sous leur drapeau une partie importante du prol�tariat, c'est uniquement parce qu'ils se pr�sentent aux masses comme les porteurs des traditions de la r�volution d'Octobre. Les ouvriers ne craignent ni le bolchevisme ni le l�ninisme. Ils demandent seulement (et ils font bien) : � Sont-ils de v�ritables bolcheviks, ou de faux ? � Le devoir des r�volutionnaires prol�tariens cons�quents est, non pas de renoncer au nom de bolcheviks, mais de montrer dans les faits aux masses leur bolchevisme, c'est-�-dire l'esprit r�volutionnaire cons�quent et le d�vouement absolu, � la cause des opprim�s.
Mais pourquoi donc, insiste Pivert, se coller sur le nombril une �tiquette (?) au lieu de � suivre les enseignements qu'elle comporte � ? Mais Pivert lui-m�me ne porte-t-il pas l' � �tiquette � de socialiste ? Dans le domaine de la politique tout comme les autres domaines de l'activit� humaine, il est impossible de proc�der sans � �tiquettes �, c'est-�-dire sans d�nominations et qualificatifs aussi pr�cis que possible. Le nom de � socialiste � est non seulement insuffisant mais absolument trompeur, car s'intitulent � socialistes � en France tous ceux qui en ont envie. Par leur nom, les bolcheviks-l�ninistes disent � tous et � chacun que leur th�orie, c'est le � marxisme �, que c'est non pas le � marxisme � d�natur� et prostitu� des r�formistes (� la Paul Faure, Jean Longuet, S�verac, etc.) mais le v�ritable marxisme restaur� par L�nine et appliqu� par lui aux questions fondamentales de l'�poque de l'imp�rialisme; qu'ils s'appuient sur l'exp�rience de la r�volution d'Octobre, d�velopp�e dans les d�cisions des quatre premiers congr�s de l'Internationale communiste; qu'ils sont solidaires du travail th�orique et politique accompli par l' � opposition de gauche � de l'Internationale communiste (1923-1932); enfin qu'ils se rangent sous le drapeau de la IV� Internationale. En politique, le � nom �, c'est le � drapeau �. Celui qui renonce aujourd'hui � un nom r�volutionnaire pour le bon plaisir de L�on Blum et consorts, celui-l� renoncera aussi facilement demain au drapeau rouge pour le drapeau tricolore [3].
Pivert proclame le droit de tout socialiste d'esp�rer en une meilleure Internationale � avec ou sans changement de num�ro �. Cette ironie un peu d�plac�e sur le � num�ro � repr�sente une erreur politique du m�me type que l'ironie sur l'� �tiquette �. Politiquement, la question se pose ainsi : le prol�tariat mondial peut-il arriver � lutter avec succ�s contre la guerre, le fascisme, le capitalisme, sous la direction des r�formistes ou des staliniens - c'est-�-dire de la diplomatie sovi�tique ? Nous r�pondons : il ne le peut pas. La II� et la III� Internationales ont �puis� leur contenu et sont devenues des obstacles sur la voie r�volutionnaire. Les � r�former � est impossible, car toute leur direction est radicalement hostile aux t�ches et aux m�thodes de la r�volution prol�tarienne. Celui qui n'a pas compris jusqu'au bout l'effondrement des deux Internationales, celui-l� ne peut pas lever le drapeau de la Nouvelle Internationale. � Avec ou sans changement de num�ro � ? Cette phrase est d�nu�e de sens. Ce n'est pas par hasard que les trois anciennes Internationales se sont trouv�es num�rot�es. Chaque � num�ro � correspond � une �poque d�termin�e, un programme et des m�thodes d'action. La Nouvelle Internationale doit �tre non pas la somme des deux cadavres, comme le r�ve le vieux social-patriote Zyromski, surpris dans sa reconnaissance inattendue de la � d�fense de l'U. R. S. S. �, mais la � n�gation � vivante de ces cadavres et, en m�me temps, la � continuation � du travail historique accompli par les Internationales pr�c�dentes. En d'autres termes, il s'agit de la IV� Internationale. Le � num�ro � signifie ici une perspective et un programme d�termin�s, c'est-�-dire un � drapeau �. Que les philistins ironisent l�-dessus. Il ne faut pas les imiter.
L'aversion pour les � �tiquettes � et les � num�ros � en politique est aussi dangereuse que l'aversion pour les d�finitions pr�cises dans le domaine scientifique. Dans un cas comme dans l'autre, nous avons l� le sympt�me infaillible d'un manque de clart� dans les id�es elles-m�mes. Invoquer les � masses � ne sert, dans de tels cas, qu'� couvrir ses propres h�sitations. L'ouvrier qui croit encore � Vandervelde ou � Staline sera sans doute adversaire de la IV� Internationale. L'ouvrier qui a compris que la II� et la III� Internationales sont mortes � la cause de la r�volution se rangera imm�diatement sous notre drapeau. C'est pr�cis�ment pourquoi il est criminel de cacher ce drapeau sous la table.
Pivert se trompe quand il pense que le bolchevisme est incompatible avec l'existence des fractions. Le principe de l'organisation bolchevique est le � centralisme d�mocratique � assur� par une compl�te libert� de critique et de groupement comme par une discipline de fer dans l'action. L'histoire du parti bolchevique est en m�me temps l'histoire de la lutte interne des id�es, des groupements et des fractions. Certes, au printemps 1921, au moment d'une terrible crise, de la famine, du froid, d'un m�contentement aigu des masses, le 10� congr�s du parti bolchevique, qui comptait en ce temps dix-sept ann�es d'existence, interdit les fractions. Mais cette mesure fut jug�e exceptionnelle, temporaire et fut appliqu�e par le comit� central avec beaucoup de prudence et de souplesse Le v�ritable �crasement des fractions ne commen�a qu'avec la victoire de la bureaucratie sur l'avant-garde prol�tarienne et aboutit rapidement � la mort virtuelle du parti. La IV� Internationale, bien entendu, ne souffrira pas dans ses rangs de � monolithisme � m�canique. Au contraire, une de ses plus importantes t�ches est de r�g�n�rer � un niveau historique plus �lev� la � d�mocratie r�volutionnaire de l'avant-garde prol�tarienne �. Les bolcheviks-l�ninistes se consid�rent comme une fraction de l'Internationale qui se b�tit [4]. Ils sont pr�ts � travailler la main dans la main avec les autres fractions vraiment r�volutionnaires. Mais ils refusent cat�goriquement d'adapter leur politique � la psychologie des cliques opportunistes et de renoncer � leur propre drapeau [5].
7 ao�t 1935
Notes
[1] Dans une lettre aux exclus, publi�e d'ailleurs dans le m�me num�ro de la V�rit� que l'article de Trotsky, Marceau Pivert s'�tait d�clar� solidaire d'eux. Sur le fond, il d�clarait : � Sous aucun pr�texte ( ... ) le parti ne doit se pr�ter � propager l'id�e de l'acceptation de la guerre. Si c'est l� le v�ritable motif de votre exclusion, qu'on le dise franchement, ouvertement. Nous en tirerons, nous, adultes, qui avons conserv� � nos discussions de tendances un caract�re de courtoisie, de fraternit� m�me que nous ne regrettons pas, nous en tirerons les cons�quences in�vitables. Nous comprendrons qu'il faudra lutter autrement qu'� fleuret mouchet� contre des adversaires de tendance qui veulent nous chasser de la communaut� socialiste avant peut-�tre d'entra�ner le prol�tariat dans une nouvelle guerre. � Il ajoutait cependant que les auteurs de l'exclusion, ce � geste de scission �, avaient � utilis� les erreurs �, saisi � l'arme tendue � par les r�volutionnaires eux-m�mes. Sur leur �tiquette de bolcheviks-�l�ninistes, il notait : � Si vous �tes fid�les au bolchevisme initial, vous n'acceptez pas la structure d�mocratique du parti, l'�galit� pour toutes les tendances et pour tous les militants. � Il d�crivait le parti � braqu� � contre la peur du � noyautage �, demandait aux B.L. d'insister sur la loyaut� de leurs intentions et sugg�rait : � Et si m�me, pour que vous puissiez obtenir satisfaction, l'�tiquette bolchevik-l�niniste ou trotskyste devait dispara�tre de la circulation, je suis certain que vous n’h�siteriez pas � la changer ( ... ). L'essentiel n'est pas de porter sur le nombril l'�tiquette d'un nom prestigieux, mais de s'appliquer � suivre les enseignements qu'il comporte. � Il affirmait le droit de ces militants � se d�clarer en faveur de la IV* Internationale, car � c'est le droit des militants et des jeunes d'appr�cier l'�tat actuel des deux Internationales et d'esp�rer mieux, avec ou sans changement de num�ro �. C'est sur l'emploi des termes � �tiquette � et � num�ro � que Trotsky devait b�tir sa d�monstration. La publication de cet article dans la V�rit�, organe d'une tendance de la S.F.I.O., devait fournir, � Paul Faure, secr�taire g�n�ral de la S.F.I.O., un argument de plus en faveur de l'exclusion des collaborateurs du journal. (Note de P. Brou�)
[2] En 1938 encore, un an apr�s la dissolution de la Gauche r�volutionnaire, apr�s l'intervention de la police, dirig�e par le S.F.I.O. Marx Dormoy, � Clichy, o� une militante de la Gauche R�volutionnaire avait �t� tu�e, Pivert �crivait encore : � Pour nous, le parti r�volutionnaire est tout construit. C'est le parti socialiste. Mais � condition qu'il demeure fid�le � ses principes de lutte de classes et de libert�. � (Note de P. Brou�)
[3] On pourrait objecter que Pivert, en 1938, refusera de suivre Blum dans la voie de l'Union sacr�e. Il n'en est pas moins vrai qu'il sera exclu apr�s avoir tent� de l'�viter jusqu'au dernier moment. Commentant cette exclusion sous le titre � Rupture �, son lieutenant Lucien H�rard explique dans le num�ro de Juin 36 du 17 juin 1938 : � Dans la limite de cette imprescriptible dignit�, nous avons tout tait pour que le congr�s de Royan ne nous contraign�t pas au d�part ( ... ). Sur la question de l'union nationale, notre texte, largement emprunt� � la Bataille socialiste, ne contenait aucune condamnation, m�me implicite, de l'initiative de Blum et du vote du 12 mars. � Au lieu de se produire, � l'initiative de Pivert, quand les circonstances �taient favorables � l'aile gauche, la rupture se produisit au moment que l'appareil de la S.F.I.O. jugea le plus opportun. Apr�s la fondation du P.S.O.P. au lendemain du congr�s de Royan, le dialogue reprendra n�anmoins, pour peu de temps, entre Pivert et Trotsky (Note de P. Brou�).
[4] Cette conception d'une Internationale form�e de fractions diverses ne fut pas r�alis�e dans les organisations se r�clamant de la IV�, ni du vivant de Trotsky, ni apr�s sa mort. Le 10 janvier 1940, il �crivait � Farrell Dobbs : � Nos propres sections ont h�rit� quelque poison du Comintem en ce sens que beaucoup de camarades sont enclins � abuser de mesures comme les exclusions, les scissions ou les menaces d'exclusion ou de scission � (In Defence of Marxism, p. 97). (Note de P. Brou�).
[5] La lettre de Trotsky et la r�ponse de Pivert en date du 20 ao�t devaient �tre publi�es par la XV� section du parti socialiste, le fief de Pivert. Dans sa r�ponse, Pivert soulignait d'abord que si � Trotsky et ses amis consid�rent que la II� Internationale est un � cadavre � dont il n'y a plus rien � tirer �, � leur rentr�e � la S.F.I.O. prend le caract�re d'un d�bauchage, apr�s tant d'autres, au sein de notre parti �. Mais il �carte cette hypoth�se et discute les appr�ciations de Trotsky. C’est, selon lui, non � � la psychologie des cliques opportunistes � que les B.L. devraient s'adapter, mais � celle des � ouvriers socialistes �. Or ceux-ci ont une connaissance exp�rimentale du bolchevisme, diff�rente �videmment du � bolchevisme des origines �, et ils le rejettent : � r�formisme et bolchevisme sont aujourd'hui d�pass�s dans la conscience ouvri�re �. � Le prol�tariat fran�ais veut maintenant l'unit�, la r�conciliation et une action r�volutionnaire largement appuy�e sur toutes les victimes de la crise. � Pivert d�fend le parti socialiste : � Rien ne prouve qu'il soit incapable de s'adapter � un niveau sup�rieur de la lutte des classes. � Et il conclut : � Rien n'est plus d�primant pour le travailleur honn�te qui cherche sa voie que les accusations de � tra�tre �, de � contre-r�volutionnaire �, � agent de la bourgeoisie au sein du prol�tariat � qui pleuvent sur la t�te de Blum, Staline, Doriot, Trotsky, etc. Qui donc est �pargn� dans la distribution ? Ce sport ne nous int�resse pas, il porte de l'eau au moulin fasciste. Ce qui compte pour nous, et ce en quoi nous sommes d'accord avec Trotsky, c'est de � montrer en fait aux masses un esprit de cons�quence r�volutionnaire et le d�vouement absolu � la cause des opprim�s �. (Note de P. Brou�).
![]() |
![]() |