1930 |
29 Au pouvoir
Ce furent des journ�es extraordinaires dans la vie du pays comme dans mon existence
personnelle. La tension des passions sociales ainsi que des forces individuelles �tait
arriv�e au supr�me degr�. Les masses cr�aient une nouvelle �poque, les dirigeants
sentaient qu'ils marchaient, les pas dans les pas, avec l'histoire. En ces jours-l�, des
d�cisions furent prises, des ordres furent donn�s d'o� d�pendait le sort du peuple
pour une longue p�riode. Cependant, ces r�solutions n'�taient presque pas d�battues:
J'�prouverais quelque g�ne � dire qu'elles �taient pes�es et m�dit�es comme il
sied. On improvisait. Cela n'en allait pas plus mal. La pression des �v�nements �tait
si puissante, les t�ches �taient si claires que les d�cisions les plus lourdes de
responsabilit� �taient donn�es sans aucune peine, comme en passant, comme quelque chose
qui va de soi, et �taient accept�es de m�me. La voie � suivre �tait d�termin�e �
l'avance. Il fallait seulement d�signer chaque t�che par son nom; il �tait inutile de
d�montrer; il n'�tait presque plus n�cessaire de lancer des appels. Sans h�sitations,
sans incertitudes, la masse s'emparait de ce qui lui �tait impos� par la situation. Sous
le poids des �v�nements, les �leaders� formulaient simplement ce qui devait r�pondre
aux besoins de la masse et aux exigences de l'histoire.
Le marxisme est � consid�rer comme l'expression consciente d'un processus historique
inconscient. Mais le processus �inconscient� au sens historico-philosophique, et non
psychologique, ne co�ncide avec son expression consciente qu'en ses plus hauts sommets,
lorsque la masse, par la pouss�e de ses forces �l�mentaires, force les portes de la
routine sociale et donne une expression victorieuse aux plus profonds besoins de
l'�volution historique. La conscience th�orique la plus �lev�e que l'on a de l'�poque
fusionne, en de tels moments, avec l'action directe des couches les plus profondes, des
masses opprim�es les plus �loign�es de toute th�orie. La fusion cr�atrice du
conscient avec l'inconscient est ce que l'on appelle, d'ordinaire, l'inspiration. La
r�volution est un moment d'inspiration exalt�e dans l'histoire.
Tout v�ritable �crivain conna�t des moments de cr�ation o� quelqu'un de plus fort que
lui guide sa main. Tout v�ritable orateur a connu des minutes o� quelque chose de plus
fort que lui ne l'�tait � ses heures ordinaires s'exprimait par ses l�vres. C'est cela,
�l'inspiration�. Elle na�t d'une supr�me tension cr�atrice de toutes les forces.
L'inconscient remonte de sa profonde tani�re et se subordonne le travail conscient de la
pens�e, se l'assimile dans une sorte d'unit� sup�rieure.
Les heures o� la tension des forces spirituelles est pouss�e � son plus haut degr�
s'emparent quelquefois de l'activit� individuelle sous tous ses aspects, car elle est
li�e au mouvement des masses. Telles furent les journ�es d'Octobre pour les �leaders�.
Les forces latentes de l'organisme, ses instincts profonds, tout le flair h�rit� de
fauves anc�tres, tout cela se souleva, rompit les guichets de la routine psychique et,
--� c�t� des g�n�ralisations historico-philosophiques les plus �lev�es,-- se mit au
service de la r�volution.
Ces deux processus, celui des individus et celui des masses, �taient bas�s sur une
combinaison du conscient avec l'inconscient, de l'instinct, qui donne du ressort � la
volont�, avec les plus hautes g�n�ralisations de l'esprit.
Ext�rieurement, cela n'avait pas du tout l'air path�tique: des hommes circulaient, las,
affam�s, non lav�s, les yeux enflamm�s, les joues h�riss�es de poils parce qu'ils ne
s'�taient pas ras�s. Et chacun d'eux ne fut en mesure, plus tard, de raconter que tr�s
peu de chose sur les jours et les heures les plus critiques.
Voici un extrait des notes prises par ma femme, prises d'ailleurs bien plus tard :
�Nous v�c�mes les derniers jours de la pr�paration d'Octobre rue de Tauride. L. D.
[Lev Davidovitch Trotsky. --N.d.T.] passait des journ�es enti�res � l'Institut Smolny
[Immense b�timent qui, apr�s avoir �t�, pendant de longues ann�es, un Institut
d'�ducation pour les jeunes filles de la noblesse � P�trograd, devint, en 1917, le
quartier g�n�ral des bolcheviks. --N.d.T.] Je continuais mon travail au syndicat des
menuisiers-�b�nistes dont les dirigeants �taient des bolcheviks, et l'atmosph�re
�tait chaude. Toutes les heures de travail se passaient en discussions sur
l'insurrection. Le pr�sident du syndicat �tait �du point de vue de L�nine-Trotsky�
(c'est ainsi que cela s'appelait alors), et nous faisions de l'agitation avec lui. On
parlait de soul�vement en tous lieux dans la rue, au r�fectoire, quand on se rencontrait
dans les escaliers de l'Institut Smolny.
�On se nourrissait mal, on dormait peu. On travaillait � peu pr�s vingt-quatre heures
par jour. Nous �tions s�par�s de nos gar�ons et les journ�es d'Octobre furent aussi
pour moi des journ�es d'angoisse pour leur sort. Sur tout l'effectif de l'�cole o� ils
�taient plac�s, il y avait juste deux �bolcheviks�, notre Liova et notre S�rioja, et
un troisi�me, un �sympathisant� comme ils disaient. Contre ces trois enfants se
dressait le groupe compact des rejetons de la d�mocratie dirigeante, cadets et
socialistes r�volutionnaires. Comme toujours, quand les dissensions s'affirmaient
s�rieuses, la critique s'accompagnait d'arguments frappants. Le directeur eut plus d'une
fois � tirer mes fils des mains d'une bande de jeunes �d�mocrates� qui leur �taient
tomb�s dessus. En somme, les enfants faisaient seulement ce que faisaient leurs p�res.
Le directeur �tait un cadet. C'est pourquoi il ne manquait jamais de punir mon fils :
�--Prenez votre chapeau et rentrez chez vous...
�Apr�s le coup d'Etat, il e�t �t� tout � fait d�raisonnable de laisser nos enfants
dans cet �tablissement. Nous les envoy�mes dans une �cole populaire. Le milieu �tait
plus simple et plus rude, mais on pouvait y respirer.
�L. D. et moi n'�tions jamais � la maison. Nos gar�ons, quand ils rentraient de
l'�cole et ne nous trouvaient pas, ne jugeaient pas utile non plus de rester enferm�s
entre quatre murs. Les manifestations, les bagarres, les coups de feu fr�quents nous
donnaient, en ces jours-l�, de grandes inqui�tudes � leur �gard: leur �tat d'esprit
�tait archi-r�volutionnaire... Dans les entrevues h�tives que nous avions, ils nous
racontaient leurs joies: tel jour, en tramway, ils s'�taient trouv�s avec des Cosaques
qui lisaient l'appel de papa : Fr�res Cosaques !...
�--Bon ! Et alors ?...
�--Ils lisaient �a, et se le passaient. C'�tait bien !
�--C'�tait bien ?
�--Oh ! oui !
�Une connaissance de L. D., l'ing�nieur K***, qui avait une nombreuse famille et des
enfants de tous �ges, ainsi qu'une bonne et d'autres serviteurs, nous offrit de prendre
pour un certain temps chez lui nos gar�ons afin de leur assurer quelque surveillance.
Nous d�mes nous raccrocher � cette invitation qui nous sauvait. Charg�e de diverses
commissions par L. D., je passais � l'Institut Smolny jusqu'� cinq fois par jour. Tard
dans la nuit, nous revenions rue de Tauride, et, d�s le matin, nous nous s�parions. L.
D. se rendait � Smolny; moi; j'allais au syndicat. A mesure que les �v�nements
prenaient plus d'importance, on ne pouvait plus gu�re quitter Smolny. L. D., durant
plusieurs journ�es, ne vint pas rue de Tauride, m�me pour y dormir. Souvent, je restais
moi-m�me � Smolny. Sans se d�shabiller, on passait la nuit sur des divans, dans des
fauteuils. La temp�rature �tait assez fra�che, mais s�che, un temps d'automne,
couvert, travers� par des bouff�es de vent froid. Dans les rues du centre, tout �tait
silencieux et d�sert. Il y avait dans ce calme quelque chose de terriblement vigilant.
Smolny bouillonnait. L'immense salle des f�tes �tincelait des milliers de feux de ses
lustres magnifiques et �tait, chaque jour, tous les soirs, plus que pleine de monde. La
vie �tait intense dans les usines et les fabriques. Mais les rues s'�taient tapies,
avaient fait silence, comme si la ville, �pouvant�e, avait rentr� sa t�te dans ses
�paules...
�Je me rappelle que, le lendemain ou le surlendemain du coup d'Etat, un matin, j'entrai
dans une chambre de Smolny o� j'aper�us Vladimir Ilitch, Lev Davidovitch et, je crois,
Dzerjinsky, Joff� et beaucoup d'autres. Tous avaient le teint d'un gris verd�tre, le
teint d'hommes qui n'ont pas dormi, des yeux enfonc�s, des cols sales; la chambre �tait
empest�e de tabac... Quelqu'un �tait assis a une table; pr�s de lui se tenait debout
une foule qui attendait des ordres. L�nine, Trotsky �taient entour�s. Il me semblait
que les instructions �taient donn�es comme en r�ve. Il y avait dans les mouvements,
dans les paroles, quelque chose de somnambulique; il me sembla, une minute, que j'�tais
moi-m�me en sommeil quand je voyais tout cela et que la r�volution pouvait �tre perdue
si �eux� ne dormaient pas un bon coup et ne mettaient pas des faux cols propres: cette
vision de songe se rattachait �troitement � une affaire de faux cols... Je me rappelle
que, le lendemain, je rencontrai Marie Iliinichna, soeur de L�nine, et lui signalai, en
toute h�te, que Vladimir Ilitch aurait besoin de changer de col...
�--Oui, oui, me r�pondit-elle en riant.
�Mais, � mes yeux aussi, la question des cols propres avait d�j� perdu sa
signification de cauchemar.�
Le pouvoir est conquis, du moins � P�trograd. L�nine n'a pas encore eu le temps de
changer de col. Sur un visage las, ce sont bien les yeux de L�nine qui veillent toujours.
Il me regarde amicalement, d'un bon regard, exprimant avec un certain embarras, d'un air
anguleux, ce qui le fait int�rieurement proche de moi.
--Vous savez, me dit-il, d'un ton h�sitant, apr�s les poursuites et cette vie du
sous-sol... arriver au pouvoir...
L�, il chercha son expression et, passant tout � coup � l'allemand, avec un geste de la
main autour de sa t�te:
--Es schwindelt !... [J'ai le vertige. --N.d.T.]
Nous nous entre-regardons, riant presque imperceptiblement: cela dure une minute ou deux,
pas davantage... Ensuite, tout simplement, on passe � l'exp�dition des affaires
courantes.
Il faut former le gouvernement. Nous sommes l� quelques membres du comit� central.
Courte d�lib�ration dans un coin de la chambre.
--Comment l'appeler ? pense tout haut L�nine. Surtout, pas de ministres ! Le titre est
abject, il a tra�n� partout.
--On pourrait dire �commissaires�, proposai-je; mais il y a beaucoup trop de
commissaires � pr�sent... Peut-�tre �hauts commissaires�... Non, �haut commissaire�
sonne mal... Et si l'on mettait : �commissaires du peuple� ?...
--�Commissaire du peuple ?� Ma foi, il me semble que �a pourrait aller... reprend
L�nine. Et le gouvernement, dans son ensemble ?
--Un soviet, bien entendu, un soviet... [Soviet signifie conseil. --N.d.T.] Le soviet des
commissaires du peuple, hein ?
--Le soviet des commissaires du peuple ? s'�crie L�nine. C'est parfait. �a sent
terriblement la r�volution !...
--L�nine �tait peu enclin � s'occuper de l'esth�tique de la r�volution ou � en
d�guster le �romantisme�. Il n'en sentait que plus profond�ment la r�volution dans
son ensemble et il en d�finissait �l'odeur� d'autant plus infailliblement.
--Dites donc, me fit une fois, soudainement, Vladimir Ilitch, au cours de ces journ�es,
--dites donc, si les gardes blancs nous tuent, croyez-vous que Sverdlov et Boukharine
pourront se tirer d'affaire ?
--Bah ! peut-�tre qu'ils ne nous tueront pas, r�pondis-je en riant.
--Ah ! le diable les conna�t ! [Expression famili�re qui correspond �: �sait-on
jamais!� --N.d.T.] r�pliqua L�nine, en riant � son tour.
J'ai relat� cet �pisode pour la premi�re fois dans mes souvenirs sur L�nine en 1924
[L�on Trotsky : L�nine (traduction fran�aise, p. 121; � la Librairie du
Travail, 1925). --N.d.T.]. Comme je l'ai appris plus tard, les membres du �triumvirat�
d'alors, Staline, Zinoviev et Kam�nev prirent comme un sanglant affront cette r�f�rence
donn�e par moi et dont, cependant, ils n'os�rent contester l'authenticit�. Les faits
sont les faits : L�nine n'avait nomm� que Sverdlov et Boukharine. Aucun autre nom ne lui
vint � l'esprit.
L�nine qui, � deux reprises, avait v�cu dans l'�migration, o� il avait pass� quinze
ans, sauf un court intervalle, connaissait les principaux cadres non �migr�s du parti,
par correspondance ou par les rares entrevues qu'il avait eues avec eux � l'�tranger.
C'est seulement apr�s la r�volution qu'il eut la possibilit� de les observer de pr�s,
au travail. Il lui fallut alors r�viser ses jugements ou modifier ceux qu'il s'�tait
faits d'apr�s les paroles d'autrui. Comme homme passionn�ment �pris de morale, L�nine
ne pouvait consid�rer personne avec indiff�rence. Il �tait dans la nature de ce
penseur, observateur et strat�ge de s'int�resser vivement aux hommes. Kroupska�a [La
femme de L�nine. --N.d.T.] le dit dans ses M�moires. Jamais L�nine ne se formait
d'embl�e un jugement moyennement pond�r� sur quelqu'un. Son oeil �tait comme un
microscope. Il grossissait �norm�ment le trait qui, en telle circonstance, tombait dans
le champ de sa vision. Il n'�tait pas rare que L�nine devint v�ritablement amoureux de
certaines personnes. Dans ces cas-l�, je le taquinais :
--Je sais, je sais... Vous avez un nouveau roman...
L�nine lui-m�me se connaissait ce trait de caract�re, et il riait en mani�re de
r�ponse, un peu confus, un peu vex�.
L'attitude de L�nine � mon �gard, dans le courant de, 1917, passa par plusieurs phases.
Il m'accueillit d'abord avec r�serve, restant dans l'expectative. Les Journ�es de
juillet nous rapproch�rent brusquement. Lorsque, contre la majorit� des bolcheviks
dirigeants, je lan�ai le mot d'ordre du boycottage du pr�-parlement, L�nine �crivit,
de l'asile o� il �tait cach�: �Bravo, camarade Trotsky!�
A certaines apparences fortuites et trompeuses, il lui sembla ensuite que, sur la question
de l'insurrection arm�e, je me conduisais par trop en temporisateur. Cette crainte se fit
jour dans plusieurs lettres �crites par L�nine au cours d'octobre. Son attitude � mon
�gard n'en fut que plus manifeste, plus chaleureuse, plus intimement affectueuse lors du
coup d'Etat, quand, allong�s sur le plancher, dans la p�nombre d'une chambre vide, nous
nous reposions ensemble.
Le lendemain, � la s�ance du comit� central du parti, L�nine proposa de me nommer
pr�sident du soviet des commissaires du peuple. Je bondis pour protester, tant cette
proposition me parut impr�vue et d�plac�e.
L�nine insista :
--Pourquoi donc ? Vous �tiez � la t�te du soviet de P�trograd qui a pris le pouvoir...
Je demandai qu'on rejet�t la proposition sans d�bat. il en fut fait ainsi.
Le 1er novembre, au cours d'une ardente discussion au comit� du parti, de P�trograd,
L�nine s'�cria :
--Il n'y a pas de meilleur bolchevik que Trotsky !
Venant de L�nine, cette parole voulait dire beaucoup. Et ce n'est pas par hasard que le
proc�s-verbal de la s�ance o� elle a �t� prononc�e n'a pas �t� jusqu'� pr�sent
rendu public.
Apr�s la conqu�te du pouvoir se posa la question de mes fonctions dans le gouvernement.
Chose �trange: je n'y avais jamais pens�. Pas une fois il ne m'�tait arriv�, malgr�
l'exp�rience de 1905, de rattacher la question de mon avenir au probl�me du pouvoir.
D�s mes jeunes ann�es, je puis dire d�s mon enfance, je r�vais de devenir �crivain.
Dans les ann�es qui suivirent, je subordonnai ce m�tier comme tout le reste aux fins
r�volutionnaires. J'eus toujours en vue la conqu�te du pouvoir par le parti. J'avais
�crit et parl� des dizaines et des centaines de fois sur un programme de gouvernement
r�volutionnaire. Mais je ne m'�tais jamais demand� quel serait mon travail personnel
quand le pouvoir serait conquis. J'y fus pris � l'improviste. Apr�s le coup d'Etat, je
tentai de rester en dehors du gouvernement, demandant � prendre la direction de la presse
du parti. Il se peut qu'en agissant ainsi j'aie �t� sous l'influence d'une certaine
r�action nerveuse cons�cutive � la victoire. Les mois pr�c�dents avaient �t� trop
profond�ment absorb�s par la pr�paration du coup d'Etat. Chaque fibre en moi �tait
tendue � l'exc�s. Lounatcharsky a racont� quelque part dans la presse que Trotsky
circulait pareil � une bouteille de Leyde, et que le moindre contact avec lui provoquait
une d�charge. Le 7 novembre amena le d�nouement. J'�tais dans l'�tat d'un chirurgien
qui vient de terminer une difficile et dangereuse op�ration: on se lave les mains, on se
d�fait de sa blouse et on va se reposer.
L�nine, par contre, venait seulement de rentrer de son refuge, o� il avait pass� trois
mois et demi, tourment� de vivre � l'�cart de la direction imm�diate et pratique. Son
retour co�ncidait avec ma fatigue et je n'en �tais que plus dispos� � rentrer, au
moins pour quelque temps, dans la coulisse. Mais L�nine ne voulait m�me pas en entendre
parler. Il exigeait que je prisse la direction de l'Int�rieur; la principale t�che
�tait alors de combattre la contre-r�volution. Je lui fis des objections et, entre
autres arguments, je fis valoir la question des nationalit�s: �tait-il, disais-je, bien
utile de donner � nos ennemis cette arme suppl�mentaire, mon origine juive ?
L�nine �tait presque indign�.
--Nous faisons une grande r�volution internationale. Quelle importance peuvent avoir de
telles v�tilles ?...
Sur ce th�me s'engagea entre nous une dispute � demi comique.
--La r�volution est grande, r�pliquais-je, mais il reste un fameux nombre
d'imb�ciles...
--Est-ce que nous marchons sur les pas des. imb�ciles ?
--Marcher sur leurs pas, non certes! Mais, parfois, il faut faire de petites concessions
� la sottise... Pourquoi chercherions-nous, d�s les premiers jours, des complications
superflues ?...
J'ai d�j� mentionn� que la question de nationalit�, si importante dans la vie de la
Russie, n'a jou� dans ma vie personnelle presque aucun r�le. D�s ma premi�re jeunesse,
les pr�ventions ou pr�jug�s nationaux provoquaient en moi la g�ne que doit �prouver
un rationaliste, laquelle parfois devenait un d�go�t, et m�me un �coeurement moral.
Mon �ducation marxiste donna de la profondeur � cet �tat d'esprit, d'o� sortit un
internationalisme actif. La vie v�cue en diff�rents pays, dont j'appris les langues, la
politique et la culture, m'aida � m'assimiler, en chair et en os, l'internationalisme.
Si, en 1917 et plus tard, j'ai pris parfois argument de mon origine juive contre telle ou
telle nomination, ce fut exclusivement par calcul politique.
Je m'�tais acquis Sverdlov et quelques autres membres du comit� central. L�nine resta
en minorit�. Il haussait les �paules, soupirait, dodelinait de la t�te d'un air de
reproche et ne se r�signa qu'� l'id�e que nous combattrions quand m�me la
contre-r�volution, sans distinctions administratives.
Cependant Sverdlov s'opposa r�solument � ma d�signation au service de la presse :
--Nous y mettrons, dit-il, Boukharine. Il faut opposer Lev Davidovitch � l'Europe. Qu'il
prenne les Affaires �trang�res...
--Que seront maintenant nos Affaires �trang�res ? r�pliqua L�nine.
Mais, � contrecoeur, il consentit. A contrecoeur; je consentis aussi. C'est ainsi que
pour un trimestre, sur l'initiative de Sverdlov, je me trouvai � la t�te de la
diplomatie sovi�tique.
Le commissariat des Affaires �trang�res signifiait qu'en somme j'�tais exempt� d'un
travail minist�riel. Aux camarades qui m'offrirent leur concours, je proposai presque
invariablement de chercher une carri�re moins ingrate pour leurs capacit�s. L'un d'eux,
dans la suite, rapporta assez savoureusement dans ses M�moires l'entretien qu'il avait eu
avec moi bient�t apr�s la formation du gouvernement sovi�tique.
�--Que peut �tre, lui dis-je, comme il le raconte, notre travail diplomatique ? Je vais
publier quelques proclamations r�volutionnaires et je n'aurai plus qu'� fermer
boutique.�
Mon interlocuteur �tait sinc�rement chagrin� de cette insuffisance du sens diplomatique
en moi. Bien entendu, j'avais fait expr�s d'exag�rer l'expression de mon point de vue,
d�sirant souligner que le centre de gravit� ne portait pas alors sur la diplomatie.
L'essentiel du travail �tait, en effet, de d�velopper la r�volution d'Octobre, de
l'�tendre � tout le pays, de repousser l'incursion de K�rensky et du g�n�ral Krasnov
marchant sur P�trograd, de combattre la contre-r�volution. Nous rempl�mes ces t�ches
en dehors des attributions. minist�rielles et ma collaboration avec L�nine fut tout le
temps la plus �troite et incessante.
Le cabinet de L�nine et le mien, � l'institut Smolny, �taient reli�s, ou plut�t
s�par�s, aux deux extr�mit�s du b�timent, par un corridor si long que L�nine,
plaisantant, proposait d'�tablir la communication par bicyclette. Nous avions entre nous
le t�l�phone. Plusieurs fois par jour, je parcourais l'interminable couloir, une vraie
fourmili�re, pour rejoindre L�nine dans son cabinet et m'entendre avec lui. Un jeune
matelot, qu'on appelait le secr�taire de L�nine, courait constamment pour m'apporter les
notes du chef, lesquelles consistaient en deux ou trois phrases solidement b�ties, o�
les mots les plus importants �taient soulign�s deux ou. trois fois; et chaque note se
terminait par une question pos�e carr�ment. Souvent, les petits papiers �taient
accompagn�s de projets de d�crets qui exigeaient, d'urgence, une appr�ciation. Dans les
archives du soviet des commissaires du peuple subsiste une importante quantit� de
documents de ce temps, �crits en partie par L�nine, en partie par moi, les textes de
L�nine o� j'ai fait des corrections, mes propositions compl�t�es par L�nine.
Durant la premi�re p�riode, � peu pr�s jusqu'en ao�t 1918, je participai activement
aux travaux du conseil des commissaires du peuple. Pendant le temps que nous pass�mes �
Smolny, L�nine, avec une avidit� impatiente, s'effor�ait de r�pliquer par des d�crets
� toutes les questions pos�es sur les plans �conomiques, politiques, administratifs et
culturels. Ce qui le guidait, ce n'�tait pas la passion d'une r�glementation
bureaucratique; c'�tait le dessein de donner au programme du parti l'extension qu'il
devait prendre dans le langage du pouvoir. Il savait que les d�crets r�volutionnaires ne
sont appliqu�s que dans une tr�s petite mesure. Mais pour garantir l'ex�cution et la
v�rification, il aurait fallu compter sur un appareil fonctionnant exactement, sur
l'exp�rience et sur le temps. Or, personne n'aurait pu dire de combien de temps nous
disposions. Les d�crets, dans les premiers temps, avaient plus d'importance comme
articles de propagande que comme textes administratifs. L�nine se h�tait de dire au
peuple ce que c'�tait que le nouveau pouvoir, ce qu'il voulait et comment il se disposait
� accomplir ses desseins. Il passait d'une question � une autre, merveilleusement
infatigable, convoquait de petites conf�rences, demandait des r�f�rences aux
sp�cialistes et fouillait les livres lui-m�me. Je l'aidais.
En L�nine existait un sentiment tr�s puissant de l'h�r�dit� dans la t�che
entreprise. En grand r�volutionnaire, il comprenait ce que c'est qu'une tradition
historique. Il �tait impossible de pr�voir si nous resterions au pouvoir ou si nous en
serions rejet�s. Il fallait, en tout cas, mettre le plus de clart� possible dans
l'exp�rience r�volutionnaire de l'humanit�. D'autres viendront et, profitant de ce que
nous avons indiqu� et commenc� ; feront un nouveau pas en avant. Tel fut le sens du
travail l�gislatif de la premi�re p�riode.
Dans les m�mes id�es, L�nine r�clamait, avec impatience, l'�dition en russe des
classiques du socialisme et du mat�rialisme. Il t�chait d'obtenir que le plus grand
nombre possible de monuments r�volutionnaires fussent pos�s, m�me les plus simples, des
bustes, des plaques comm�moratives, dans toutes les villes et m�me dans les bourgs; il
fallait fixer dans l'imagination des masses ce qui s'�tait pass� et laisser un sillon
aussi creus� que possible dans la m�moire du peuple.
Chaque s�ance du conseil des commissaires du peuple, dont la composition se modifia assez
souvent les premiers temps, partiellement, donnait le tableau de la plus grande
improvisation l�gislative. Tout �tait � reprendre par le commencement. Il n'y avait pas
� chercher de �pr�c�dents� car l'histoire n'en avait aucune provision. Infatigable,
L�nine pr�sidait ce conseil cinq ou six heures de suite, et le conseil se tenait chaque
jour. En r�gle g�n�rale, les questions �taient pos�es sans aucune pr�paration,
presque toujours d'urgence. Tr�s souvent, le fond de l'affaire �tait inconnu pour les
membres du conseil comme pour leur pr�sident, jusqu'au d�but de la s�ance. Le temps
accord� pour les d�bats �tait toujours restreint, on donnait tout juste une dizaine de
minutes pour le premier rapport. N�anmoins, L�nine, cherchant � t�tons, trouvait
toujours la ligne � suivre. Pour �conomiser le temps, il faisait passer aux commissaires
en s�ance des billets, bri�vement r�dig�s, r�clamant tels ou tels renseignements. Ces
�crits constitu�rent une documentation �pistolaire tr�s large et tr�s int�ressante
dans la technique l�gislative du conseil de commissaires pr�sid� par L�nine. La
plupart de ces papiers, par malheur, n'ont pas �t� conserv�s: presque toujours, on
�crivait sa r�ponse au verso de la question pos�e et, le plus souvent, la note �tait
d�truite imm�diatement par le pr�sident. Le moment venu, L�nine donnait lecture de ses
r�solutions, toujours con�ues avec une rigidit� intentionnelle; apr�s quoi, les
d�bats cessaient ou bien prenaient forme de propositions pratiques. Les �points�
indiqu�s par L�nine constituaient, d'ordinaire, l'essentiel du texte du d�cret.
Pour diriger ce travail, il fallait, entre autres capacit�s, une formidable imagination
cr�atrice. Une des plus pr�cieuses qualit�s d'une telle imagination est qu'elle puisse
se repr�senter les gens, les choses et les ph�nom�nes tels qu'ils sont en r�alit�,
m�me quand on ne les a jamais vus. Utilisant l'exp�rience que l'on a de la vie, ainsi
que les bases th�oriques, joindre entre eux de petits traits distincts, saisis au vol,
les compl�ter d'apr�s les lois non encore formul�es de correspondance et de
vraisemblance et recr�er de telle mani�re, d'une fa�on tr�s concr�te, un domaine
d�termin� de la vie humaine, --telle est l'imagination qu'il faut au l�gislateur, �
l'administrateur, au leader, surtout en temps de r�volution. La force de L�nine �tait,
pour une �norme part, celle d'une imagination r�aliste.
Inutile de dire que, dans la h�te fi�vreuse de la cr�ation l�gislative, un bon nombre
de fautes furent commises, des mesures contradictoires furent prises. Mais, dans
l'ensemble, les d�crets rendus par L�nine � l'�poque de Smolny, c'est-�-dire dans la
p�riode la plus agit�e et la plus chaotique de la r�volution, seront pour toujours
ent�rin�s par l'histoire comme la proclamation d'un monde nouveau. Non seulement les
sociologues et les historiens, mais les l�gislateurs de l'avenir s'adresseront plus d'une
fois � cette source.
En ce temps-l�, c'�taient des t�ches pratiques qui s'imposaient avant tout, et surtout
les probl�mes de la guerre civile, des approvisionnements et des transports. Face � de
telles n�cessit�s furent cr��es des commissions extraordinaires qui devaient envisager
de pr�s les nouvelles t�ches et mettre en mouvement telle ou telle administration qui
pi�tinait inutilement, au seuil m�me de l'entreprise. Je dus, en ces mois, me mettre �
la t�te de plusieurs de ces commissions: celle des approvisionnements dont faisait partie
Tsiouroupa, appel� pour la premi�re fois au travail, celle des transports, celle des
�ditions et bien d'autres.
En ce qui concerne la diplomatie, exception faite pour les pourparlers de Brest-Litovsk,
elle ne me prit que peu de temps. N�anmoins, l'affaire fut un peu plus compliqu�e que je
ne l'avais pr�vu. D�s les premiers jours, je dus engager des conversations
diplomatiques, fort inattendues, avec... la tour Eiffel...
Au cours de l'insurrection, nous avions autre chose � faire que de nous int�resser aux
�radios� de l'�tranger. Mais lorsque je fus commissaire du peuple aux Affaires
�trang�res, je dus m'occuper de savoir ce que pensait le monde capitaliste de notre coup
d'Etat. Inutile de dire que les f�licitations ne se faisaient entendre de nulle part. Si
dispos� que f�t le gouvernement de Berlin � user de coquetterie � l'�gard des
bolcheviks, il envoya de la station de Nauen une onde hostile lorsque la station de
Tsarsko��-S�lo transmit mon communiqu� relatant notre victoire sur les troupes de
K�rensky. Mais si Berlin et Vienne h�sitaient tout de m�me entre leur haine de la
r�volution et l'espoir d'une paix avantageuse, tous les autres pays, non seulement les
bellig�rants, mais m�me les neutres, exprimaient en diverses langues les sentiments et
les r�flexions des classes dirigeantes que nous venions de renverser dans la vieille
Russie.
Dans ce choeur, la tour Eiffel se distinguait par ses fureurs; elle se mit m�me � parler
russe, esp�rant �videmment atteindre ainsi directement les consciences du peuple russe.
Quand je lisais les �radios� de Paris, il me semblait parfois que Clemenceau en personne
�tait juch� au sommet de la tour. Je le connaissais assez, en sa qualit� de
journaliste, pour reconna�tre, sinon son style, du moins son inspiration. La haine
montait � s'�touffer elle-m�me dans ces �radios�, la fureur arrivait au plus haut
degr�. Il semblait parfois qu'au haut de la tour un scorpion allait, de lui-m�me, se
planter son dard dans la t�te.
Nous avions � notre disposition la station de Tsarsko��-S�lo, et nous n'avions aucune
raison de nous taire. Plusieurs jours durant, je dictai des r�pliques aux insultes de
Clemenceau. J'avais de l'histoire politique de la France des connaissances assez �tendues
pour donner sur les principaux personnages des renseignements peu flatteurs et rappeler
certains traits de leur biographie que l'on avait oubli�s depuis l'affaire de Panama.
Pendant quelques journ�es, ce fut un duel serr� entre les tours de Paris et de
Tsarsko��-S�lo: l'�ther, fluide neutre entre tous, transmettait consciencieusement les
arguments des deux parties. Et qu'arriva-t-il? Je ne m'attendais pas moi-m�me � de si
rapides r�sultats. Paris changea brusquement de ton: il s'expliqua dans la suite avec
hostilit�, mais poliment. Plus tard, je me suis rappel� bien des fois avec plaisir que
j'avais d�but� dans la carri�re diplomatique en apprenant � la tour Eiffel les bonnes
mani�res.
Le 18 novembre, le g�n�ral Judson, chef de la mission am�ricaine, vint me voir,
subitement, � Smolny. Il commen�a par me dire qu'il n'avait pas encore la possibilit�
de parler au nom des Etats-Unis, mais qu'il esp�rait que tout marcherait all right.
Le gouvernement sovi�tique avait-il l'intention d'essayer de liquider la guerre en accord
avec les Alli�s? Je r�pondis que les pourparlers qui auraient lieu devaient �tre
enti�rement rendus publics et que, par suite, les Alli�s pourraient en suivre le
d�veloppement et s'y joindre � une �tape de leur choix. En conclusion, le g�n�ral
pacifiste me dit :
--Le temps des protestations et des menaces � l'adresse du gouvernement sovi�tique est
pass�, si, toutefois, ce temps est jamais venu.
Mais on sait qu'une hirondelle, m�me avec les galons de g�n�ral, ne fait pas le
printemps.
Au d�but de d�cembre, eut lieu ma premi�re et derni�re entrevue avec l'ambassadeur de
France, Noulens, ancien d�put� radical, envoy� pour un rapprochement avec la
r�volution de F�vrier, en remplacement de Pal�ologue, qui �tait ouvertement
monarchiste, byzantin non seulement par son nom de famille, et que la, r�publique avait
utilis� pour ses amiti�s avec le tsar. Pour quelle raison Noulens fut-il choisi, et non
pas un autre, je l'ignore. Mais il ne rehaussa pas l'opinion que j'avais de ceux qui
r�glent les destin�es de l'humanit�. L'entretien avait eu lieu sur l'initiative de
Noulens et ne donna rien. Apr�s avoir quelque peu tergivers�, Clemenceau opta
d�finitivement pour le r�gime du fil barbel�.
Avec le g�n�ral Niessel, chef de la mission fran�aise, j'eus, dans les murs de Smolny,
une explication qui fut loin d'�tre amicale. Cet officier sup�rieur s'exer�ait �
satisfaire son go�t de l'offensive par des op�rations d'arri�re-front. Du temps de
K�rensky, il s'�tait accoutum� � commander et ne voulait pas renoncer � ses mauvaises
habitudes. Pour le d�but de nos relations, je dus l'inviter � sortir de l'Institut
Smolny. Bient�t nos rapports avec la mission militaire fran�aise devinrent encore plus
compliqu�s. Cette mission avait un bureau d'information qui se transforma en fabrique
d'insinuations inf�mes contre la r�volution. Tous les journaux hostiles publiaient
quotidiennement des t�l�grammes �de Stockholm�, tous plus fantaisistes, plus haineux,
plus b�tes les uns que les autres. Les r�dacteurs des journaux, interrog�s sur la
provenance des t�l�grammes �de Stockholm�, indiqu�rent la mission militaire
fran�aise. Je posai officiellement la question au g�n�ral Niessel. Il me r�pondit, le
22 d�cembre, par un document vraiment remarquable :
Il �crivait :
�De nombreux journalistes de diff�rentes tendances viennent demander des renseignements � la mission. J'ai pleins pouvoirs pour les informer sur les op�rations de guerre sur le front occidental, � Salonique, en Asie et sur la situation en France. Lors d'une (?) de ces visites, un (?) jeune officier s'est permis de faire part d'un bruit qui court maintenant la ville (?) et dont l'origine est attribu�e � Stockholm...� [Le texte fran�ais, du g�n�ral n'�tant pas en notre possession, nous ne pouvons en donner ici qu'une traduction d'apr�s le russe. --N.d.T.]
En conclusion, le g�n�ral promettait de �prendre des mesures pour qu'� l'avenir de
pareilles b�vues (?) ne pussent se renouveler�.
C'en �tait trop. Ce n'�tait pas pour rien que nous avions rappel� les convenances � la
tour Eiffel. Nous n'allions pas permettre au g�n�ral Niessel de b�tir sa tour � lui,
une tour auxiliaire de falsification, � Moscou.
J'�crivis � Niessel le jour m�me :
�1. Consid�rant que le bureau de propagande de la mission militaire fran�aise,
appel� bureau d'information, a servi de source � des bruits sciemment mensongers,
dans le but de jeter le trouble et le chaos dans l'opinion publique, ce bureau doit �tre
ferm� imm�diatement. -- 2. Le �jeune officier� qui a fabriqu� de fausses informations
est invit� � quitter imm�diatement la Russie. Je vous prie de me donner le nom de cet
officier sans aucun retard. -- 3. Le receveur des d�p�ches par radio attach� � la
mission en est d�tach�. -- 4. Les officiers fran�ais qui se trouvent sur le th��tre
d'op�rations de la guerre civile doivent �tre imm�diatement rappel�s � Moscou par un
ordre sp�cial qui sera publi� dans la presse. -- 5. Pri�re de me tenir au courant de
toutes les d�marches qui seront faites par la mission � l'occasion de cette lettre. Le
commissaire du peuple aux Affaires �trang�res, L. Trotsky.�
Le �jeune officier� dut sortir de son anonymat ; il dut, bouc �missaire, quitter la
Russie. L'employ� de la radio changea de poste. Le bureau d'information fut ferm�. Les
officiers fran�ais furent rappel�s de la p�riph�rie au centre. Mais tout cela n'�tait
qu'escarmouches d'avant-postes.
Peu apr�s, lorsque je pris le commissariat de la Guerre, ce fut suivi d'une tr�ve
instable. Niessel, le g�n�ral trop cat�gorique, fut remplac� par le g�n�ral
Lavergne, insinuant. La tr�ve ne dura pas longtemps. La mission militaire fran�aise,
comme toute la diplomatie, se trouva bient�t au centre de tous les complots et actions
arm�es contre le pouvoir des soviets. Mais cela ne se manifesta qu'apr�s Brest, dans la
p�riode moscovite [Sur cette p�riode, consulter le livre de Trotsky : L�nine, pages
91 et sq. (Librairie du Travail). --N.d.T.], au printemps et durant l'�t� de 1918.