1930 |
5 La campagne et la ville
J'ai pass� au village, sans en sortir, les neuf premi�res ann�es de ma vie. Au cours des sept ann�es qui suivirent, j'y revenais chaque �t�, parfois aussi � la No�l et aux f�tes de P�ques. Jusqu'� mes dix-huit ans ou presque, je fus �troitement li� avec Ianovka et ce qui l'entourait. En ma premi�re enfance, l'influence du village fut sur moi toute-puissante. Dans la p�riode cons�cutive, cette influence fut combattue par celle de la ville et dut lui c�der sur toute la ligne.
La vie � la campagne me donna la connaissance de l'agriculture, de la meunerie, de la botteleuse am�ricaine. Elle me familiarisa avec les moujiks, ceux du pays et ceux qui venaient au moulin des environs, ou de loin, ceux qui, des provinces de l'Ukraine, arrivaient avec une faux et une besace � l'�paule, en qu�te. de gain.
Bien des choses de mon exp�rience villageoise furent ensuite comme oubli�es, effac�es dans ma m�moire, mais � chaque nouveau tournant de la vie, ceci ou cela remontait � la surface, et j'en faisais mon profit.
La campagne me montra dans la r�alit� des types de la noblesse d�cadente et du capitalisme en progression. Elle me d�couvrit bien des aspects des rapports entre hommes, dans leur grossi�ret� naturelle et, par l�, me fit sentir plus vivement un autre genre de culture, celui de la ville, d'une cat�gorie plus �lev�e mais plus p�n�tr�e de contradictions.
D�s les premi�res vacances, il y eut, dans ma conscience, comme une confrontation de la ville et du village. Sur le chemin de chez nous, j'�prouvais la plus grande impatience. Mon coeur sautait de joie. J'avais h�te de revoir tous les miens et de me montrer � tous. A Novyi Boug, mon p�re �tait venu me chercher. J'�talai sous ses yeux tous les "5" que j'avais re�us et lui expliquai qu'�tant maintenant �l�ve de premi�re, j'avais absolument besoin d'un uniforme de c�r�monie [Les �l�ves et les �tudiants devaient avoir deux uniformes (de m�me que les professeurs) un de tous les jours (dit : toujourka) et un dit "de parade". Plus tard, on n'exigea plus l'uniforme de parade. -N.d.T.].
Nous f�mes route la nuit, en fourgon; un jeune commis remplissait la fonction de cocher. Dans la steppe, surtout dans les d�pressions, un petit froid humide passait sur nous et on m'enveloppa dans une grande bourka [Grand manteau caucasien, sans capuchon, presque toujours noir et en poil de ch�vre ou de chameau. -N.d.T.]. Gris� par le changement, par le voyage, par les souvenirs et les impressions, je racontais inlassablement ; je parlais de l'�cole, des bains, de mon ami Kostia R***, du th��tre. Incapable de me taire une minute, je narrai d'abord l'histoire de Nazar Stodolia, puis celle du Locataire au trombone. Mon p�re �coutait, s'assoupissait de temps � autre, se secouait ensuite et riait assez. Le jeune commis tournait parfois la t�te et regardait le patron d'un air de dire �a, c'est une bonne histoire...
Au petit matin, je m'endormis et ne me r�veillai qu'� Ianovka. La maison me parut terriblement petite; le pain de froment du village �tait gris; toutes les coutumes de la campagne �taient en m�me temps miennes et �trang�res. Je racontais � ma m�re et � mes soeurs mes histoires de th��tre, mais je n'y mettais plus tant de feu que durant la nuit pass�e avec mon p�re.
Dans l'atelier, je trouvai Vitia et David presque m�connaissables: ils avaient beaucoup grandi et �taient devenus plus costauds.
Moi aussi, je leur parus diff�rent. Du coup, ils me vouvoy�rent. Je protestai.
-Eh bien, quoi? r�pliqua David, gar�on basan�, maigre et calme. Vous �tes savant, maintenant...
Ivan Vassili�vitch, pendant mon absence, s'�tait mari�. La cuisine des domestiques avait �t� transform�e en logement pour lui, juste � c�t� de l'atelier; derri�re ce local, on avait �tabli la m�me cuisine dans une nouvelle maison en terre bousill�e.
Cependant, il ne s'agissait pas de tout cela. Entre moi et ce qui avait marqu� mon enfance, quelque chose de nouveau s'�tait dress� comme un mur. C'�tait cela et ce n'�tait plus cela. Choses et gens semblaient substitu�s. Bien entendu, il y avait eu des changements dans l'ann�e. Mais ma fa�on de voir avait beaucoup plus chang�. D�s ce premier retour, une sorte d'�loignement. se manifesta entre ma famille et moi, d'abord dans des d�tails insignifiants, puis, avec les ann�es, en plus s�rieux et en plus profond.
La dualit� des influences exerc�es sur moi, par la ville et la campagne, teinta toute la p�riode de mes �tudes. En ville je me sentais en rapports incomparablement plus r�guliers avec les gens: exception faite de certains conflits, mais alors violents, comme ceux que j'avais eus avec le "Fran�ais" de l'�cole ou avec le professeur de lettres, je marchais d'une allure assez �gale, ob�issant aux r�nes de la discipline familiale et scolaire. La cause n'en �tait pas seulement dans les habitudes de la famille Spenzer o� les exigences �taient raisonnables et le crit�rium des rapports entre personnes relativement �lev�; elle �tait dans tout le r�gime de la vie urbaine. A vrai dire, dans celle-ci, les antagonismes n'�taient pas du tout moindres que ceux qui existaient dans la vie rurale, bien au contraire, mais en ville, les oppositions d'int�r�ts �taient beaucoup mieux dissimul�es, ordonn�es et r�glement�es. Les gens de classes diff�rentes n'avaient de contact que dans leurs affaires communes; ensuite, ils se perdaient de vue.
Mais, � la campagne, chacun vivait forc�ment sous les yeux de tous. Chacun �tait asservi aux autres, et cela se sentait comme on sent percer le ressort d'un vieux canap�. Au village, mon caract�re �tait bien moins �gal, beaucoup plus tracassier. M�me � l'�gard de Fanny Solomonovna, lorsqu'elle venait passer quelque temps chez nous, si parfois elle prenait contre moi le parti de ma m�re ou de ma soeur, je me montrais querelleur et, dans certains cas, je lui disais des insolences; pourtant, � la ville, mes rapports avec elle �taient non seulement bons mais marqu�s de tendresse. Nos conflits avaient quelquefois des motifs insignifiants. Mais, souvent, ils �taient caus�s par des choses plus graves.
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V�tu d'un complet de toile claire fra�chement lav�e, portant un ceinturon de cuir � boucle de cuivre, la casquette blanche orn�e d'un �cusson jaune qui �tincelle au soleil, je suis toute splendeur. Il faut montrer cela � tout le monde. Mon p�re et moi, nous nous rendons aux champs, en voiture, au plus fort de la moisson du froment d'hiver. Arkhip, premier faucheur, de caract�re morose et pourtant doux, s'avance en t�te sur un mamelon, suivi par onze moissonneurs et par douze javeleuses. Les douze faux coupent le bl�; l'air est embras�. Arkhip ne porte que des braies munies d'un seul bouton de corne. Les javeleuses ont sur elles des jupons d�chir�s ou bien des chemises de toile �crue. De loin, le son que donnent les faux semble un bruissement de chaleur.
-Passe-moi �a un peu, dit mon p�re; que je voie comment il est, le chaume d'hiver...
Il prend la faux des mains d'Arkhip et marche � sa place. Je regarde avec �motion.
Mon p�re fait des mouvements simples, coutumiers; on ne dirait pas qu'il travaille, on dirait plut�t qu'il se pr�pare � travailler; ses pas sont l�gers, des pas d'essai, comme s'il cherchait l'endroit o� il pourra prendre sa vol�e. Sa faux chemine simplement, sans aucune affectation de gaillardise; on penserait m�me qu'elle n'est pas tr�s s�re; pourtant elle coupe bien � ras, tr�s bas, et d'une secousse rejette sur la gauche, en ruban r�gulier, ce qu'elle a abattu.
Arkhip guigne cela d'un oeil et il n'est pas besoin qu'il parle pour savoir qu'il approuve. Les autres ont, chacun, leur mani�re de voir. Certains semblent sympathiser: le patron, �a se voit, conna�t son affaire. D'autres restent froids il n'a pas de mal � moissonner ce qui lui appartient, et puis c'est seulement pour la montre.
Peut-�tre n'ai-je pas traduit ici en toute pr�cision ce qui se passait; mais je sentais alors le m�canisme complexe des relations humaines.
Mon p�re ayant gagn� une coupe voisine, j'essayai aussi d'instrumenter avec la faux.
-Prenez le chaume sous le talon, sous le talon; l�chez en avant la semelle; ne serrez pas...
D'�motion, je ne discerne m�me pas o� elle est, la semelle, et la pointe de mon soulier, au troisi�me coup de faux, se plante dans la terre.
-H�! h�! dit Arkhip, de cette fa�on-l�, la faux sera bient�t d�molie... Apprenez avec votre p�re...
Je sens sur moi les regards moqueurs d'une javeleuse h�l�e et empoussi�r�e; je me h�te de me tirer des rangs avec cet �cusson de casquette sous lequel ruisselle la sueur.
-Va plut�t manger chez ta m�re du pain d'�pices...
C'est une voix moqueuse que j'entends derri�re moi. C'est celle de Moutouzok. Je connais ce faucheur, noir comme une botte. Voici bient�t trois ans qu'il travaille � Ianovka: c'est un immigr�, un type adroit, qui a la langue mauvaise; l'ann�e pr�c�dente, il lui arrivait de dire, et tout expr�s en ma pr�sence, des mots m�chants, mais qui tombaient juste, sur les patrons. Moutouzok me pla�t par son adresse et sa hardiesse; en m�me temps il suscite en moi une aversion impuissante par ses railleries grossi�res. J'aurais bien envie de dire quelque chose qui puisse le conqu�rir, ou bien, au contraire, de lui couper autoritairement la parole, mais je ne sais comment...
Revenu des champs, je vois sur le seuil de notre maison une femme aux pieds nus. Appuy�e au mur, assise pr�s d'une pierre, elle n'ose pas prendre place sur cette pierre: c'est la m�re d'Ignatka, petit pastour � moiti� idiot. Elle a fait sept verstes pour venir demander un rouble, mais il n'y a personne � la maison et nul n'est en mesure de lui donner ce rouble. Elle attendra jusqu'au soir. J'ai le coeur comme pinc� � la vue de cet �tre qui incarne en lui la mis�re et la r�signation.
Un an plus tard, cela n'allait pas mieux. Bien au contraire. Revenant de jouer au croquet, je rencontrai dans la cour mon p�re qui arrivait des champs, fatigu� et agac�, tout couvert de poussi�re. Derri�re lui, un moujik bigarr� remuait ses pieds nus, piqu�s de taches noires:
-Pour Dieu, disait-il, rendez la vache, et il jurait qu'il ne laisserait plus la b�te aller dans les bl�s.
Mon p�re r�pondait:
-Ta vache en a mang� pour dix kopecks, mais elle m'a fait du d�g�t pour dix roubles.
Le moujik reprenait son histoire, et il y avait une note de haine dans sa supplication.
Cette sc�ne me secoua tout entier, jusqu'au plus profond de moi-m�me, jusqu'� la derni�re fibre. L'�tat d'esprit dans lequel je me trouvais apr�s une partie de croquet jou�e sous les poiriers, et o� j'avais battu mes soeurs � plate couture, fit place, du coup � un violent d�sespoir.
Je passai � pas feutr�s devant mon p�re, gagnai ma chambre, tombai � plat ventre sur mon lit et pleurai �perdument, bien que je fusse en possession d'un livret d'�l�ve de deuxi�me.
Mon p�re passa par l'entr�e � la salle � manger; le moujik qui le suivait, battant le sol de ses pieds nus, s'arr�ta au seuil. J'entendis le bruit des voix. Puis le moujik s'en alla.
Ma m�re rentra du moulin, je distinguai sa voix, j'entendis pr�parer les assiettes pour le d�ner, j'entendis ma m�re m'appeler... Je ne r�pondis pas, je pleurais. Les larmes finissaient par avoir un go�t de bonheur supr�me.
La porte s'ouvrit et ma m�re se pencha sur moi :
-Qu'est-ce que tu as, Liovotchka ?
Je ne r�pondis pas. Ma m�re chuchota avec mon p�re.
-C'est au sujet de ce moujik ?... On lui a rendu sa vache et on n'a pris aucune amende...
Ce n'est pas du tout pour �a, r�pondis-je, le visage enfoui dans l'oreiller, tortur� de honte � l'id�e de ce qui causait mes larmes.
Ma m�re insista :
-On ne lui a pris aucune amende...
C'�tait mon p�re qui avait devin� le motif de mon chagrin et qui en avait averti ma m�re. En passant, d'un rapide coup d'oeil, il savait observer bien des choses.
Un jour, en l'absence du ma�tre de maison, arriva un brigadier de gendarmerie, grossier, avide, insolent: il r�clama les passeports des ouvriers [Tous les habitants de la Russie �taient soumis au r�gime du passeport (il faut entendre par ce mot, adopt� dans un sens impropre, l'�quivalent d'une carte d'identit�) g�n�ralement renouvelable tous les ans. -N.d.T.]. Il en trouva deux qui �taient p�rim�s. Il fit imm�diatement appeler les int�ress�s, qui se trouvaient aux champs, et les d�clara en �tat d'arrestation, aux fins d'exp�dition par �tapes dans leur pays natal.
L'un des d�linquants �tait un vieillard dont le cou brun�tre �tait profond�ment ravin�; l'autre �tait un jeune homme, son neveu. Tous deux, dans l'entr�e, tomb�rent de leurs genoux secs sur le sol de terre battue, le vieux d'abord, le jeune ensuite, se prosternant et r�p�tant:
-Faites-nous cette gr�ce du bon Dieu, ne nous perdez pas!... R�bl� et suant, le brigadier, jouant du sabre et buvant � petits coups du lait froid qu'on lui avait mont� de la cave, r�pliquait:
-Je ne fais gr�ce que les jours de f�te; aujourd'hui, c'est un jour ordinaire...
J'�tais l� comme sur de la braise et je fis entendre une sorte de protestation d'une voix qui se brisait.
-Jeune homme, dit s�v�rement le brigadier, en d�tachant les syllabes, �a ne vous regarde pas...
Et ma soeur a�n�e me fit du doigt un rappel � la prudence.
Le gendarme emmena les ouvriers.
Pendant les vacances, je m'occupais de la comptabilit�, c'est-�-dire qu'� tour de r�le, mon fr�re et ma soeur, mes a�n�s, et moi, inscrivions dans un registre l'�tat des ouvriers embauch�s, les conditions de l'embauche, les paiements faits en nature ou en argent.
Dans le r�glement des comptes des salari�s, j'assistais souvent mon p�re et, alors, de br�ves altercations �clataient entre nous, �touff�es par la pr�sence du personnel. On ne se trompait jamais dans les comptes, mais les clauses des contrats �taient toujours interpr�t�es trop strictement. Les ouvriers, surtout les plus �g�s, remarquaient qu'un jeune gar�on �tait l� pour leur pr�ter main-forte, et cela aga�ait mon p�re.
Apr�s certaines disputes violentes, je sortais, emportant un livre, et parfois ne rentrais pas pour le d�ner. Une fois, apr�s une de ces querelles, je fus surpris dans les champs par un orage: le tonnerre grondait sans interruption; la steppe perdait le souffle sous l'averse �norme; les �clairs, semblait-il, cherchaient � m'atteindre de c�t� et d'autre. J'allais et venais, tout mouill�, mes souliers clapotaient et ma casquette ruisselait comme une goutti�re. Lorsque je rentrai � la maison, tous me regard�rent en silence, de travers. Ma soeur m'apporta de quoi me changer et manger.
Les vacances finies, c'�tait d'habitude mon p�re qui me reconduisait. Aux changements de train, nous ne prenions pas de porteur; nous nous chargions nous-m�mes du bagage. Mon p�re empoignait le plus lourd et je voyais, � la forme de son dos, � ses bras tendus, qu'il avait du mal. Il me faisait piti� et je t�chais de porter tout ce que je pouvais.
Mais quand nous avions une grande caisse, contenant des produits du village, destin�s � la parent� d'Odessa, on prenait un porteur. Mon p�re payait l'homme chichement; le porteur �tait souvent m�content et hochait la t�te d'un air f�ch�. Cela me faisait toujours mal � voir.
Lorsque je voyageais seul et que j'avais � prendre un porteur, j'avais vite fait de d�penser mon argent de poche, craignant toujours de n'avoir pas donn� assez et interrogeant du regard, avec inqui�tude, le commissionnaire. C'est ainsi que je r�agissais contre la parcimonie de la maison natale, et cela m'est rest� toute ma vie.
A la ville comme � la campagne, j'ai v�cu dans un milieu petit bourgeois, o� tous les efforts tendaient � l'enrichissement. C'est ce qui m'a �loign� du village de ma premi�re enfance et de la ville de mes ann�es scolaires. Les instincts d'acquisition, le r�gime de vie et les vis�es de la petite bourgeoisie, voil� ce que j'ai l�ch� d'une violente secousse, et je m'en suis d�tach� pour toute ma vie.
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En ce qui concerne les questions de religion et de nationalit�, la ville et le village ne s'opposaient pas l'une � l'autre: ils se compl�taient, de diverses fa�ons.
Il n'y avait pas de religiosit� dans ma famille. Il en resta d'abord quelque apparence par la force d'inertie: aux grandes f�tes, mes parents se rendaient � la synagogue de la colonie; le samedi, ma m�re renon�ait � coudre, du moins ne cousait-elle pas ouvertement. Mais m�me ces pratiques rituelles perdirent avec les ann�es de leur importance, � mesure que grandissaient les enfants et qu'augmentait le bien-�tre. Mon p�re ne croyait pas en Dieu depuis ses jeunes ann�es et, plus tard, il en parlait franchement devant sa femme et ses enfants. Ma m�re pr�f�rait laisser de c�t� cette question et, quand cela lui paraissait convenable, elle levait les yeux vers le ciel.
Lorsque j'avais sept ou huit ans, la croyance en Dieu �tait pourtant encore admise chez nous comme officielle.
Une fois, un visiteur devant lequel mes parents se vantaient, comme d'habitude, du fils qu'ils avaient, me demanda de lui montrer mes dessins et de lui dire de mes vers.
Il m'interrogea ensuite :
-Et qu'est-ce que Dieu ?
-Dieu, r�pondis-je sans h�sitation, c'est un homme qui... Mais notre h�te secoua la t�te
-Non, Dieu n'est pas un homme...
-Alors, qu'est-ce que Dieu? demandai-je � mon tour, car, � part l'homme, je ne connaissais que les animaux et les plantes. Notre h�te, mon p�re et ma m�re �chang�rent de ces regards et de ces sourires de confusion qui sont coutumiers entre adultes lorsque les enfants commencent � attaquer les lieux communs les plus in�branlables.
-Dieu est un pur esprit, dit notre h�te.
Je consid�rais maintenant avec un sourire d�contenanc� les anciens, pour voir, � leurs visages, s'ils ne se moquaient pas de moi.
Mais il n'y avait aucune plaisanterie. Il fallait accepter. Je m'habituai bient�t � cette id�e que Dieu �tait un pur esprit. Comme doit le faire un jeune sauvage, je rattachais l'id�e de Dieu � celle de mon propre "esprit" que j'appelais �me, sachant d�j� que l'esprit, c'est-�-dire le souffle, cesse au moment de la mort. Mais je ne savais pas encore que c'est l� une doctrine qui se nomme animisme.
Pendant mes premi�res vacances, m'�tendant pour dormir sur une couchette dans la salle � manger, j'engageai un entretien avec l'�tudiant Z*** qui �tait venu en invit� � Ianovka et qui allait faire sa sieste sur le divan. On parla de Dieu. A cette �poque, je ne croyais gu�re ou ne croyais pas � l'existence de Dieu; je ne m'int�ressais pas particuli�rement � cette question, mais je n'aurais pas �t� f�ch� de conna�tre une bonne solution.
-Et o� va se fourrer l'�me apr�s la mort? demandai-je, m'inclinant sur mon oreiller.
R�ponse:
-Et o� va-t-elle se fourrer quand on s'endort ?...
-Ah! mais, pourtant, alors... r�pliquai-je, luttant contre le sommeil.
Z*** reprit l'offensive :
-Et o� va se fourrer l'�me d'un cheval qui cr�ve ?
Cette r�plique me contenta tout � fait et je m'endormis sans trouble.
Dans la famille de Spenzer, il n'y avait absolument aucune religiosit�, exception faite pour une vieille tante dont on ne tenait pas compte.
Mon p�re a voulu pourtant que je connusse la Bible dans l'original; c'�tait un des articles de son amour-propre de parent. Et je pris � Odessa des le�ons particuli�res de lecture de la Bible chez un vieillard tr�s savant.
Nos travaux communs ne dur�rent que quelques mois et ne me fortifi�rent pas du tout dans la foi de mes p�res. Ayant saisi, dans les propos de mon ma�tre, une nuance d'�quivoque � l'�gard du texte que nous �tions en train d'�tudier, je l'interrogeai avec prudence, en diplomate:
-Si l'on pense, comme le croient certains, qu'il n'y a pas de Dieu, comment donc a �t� produit le monde?
-Hum! r�pondit mon ma�tre, mais vous pouvez lui adresser cette question � lui-m�me.
Ainsi s'exprima, en termes �nigmatiques, le vieillard. Je compris que celui qui m'enseignait la loi divine ne croyait pas en Dieu et j'en fis mon deuil d�finitif.
Les �l�ves de l'�cole r�ale �taient de diverses nationalit�s et de diverses confessions. La loi "divine" �tait enseign�e par un pr�tre orthodoxe, par un pasteur protestant, par un pater catholique, par un rabbin.
Le pope, neveu de l'archev�que et, � ce qu'on disait, favori des dames, �tait un jeune blondin beau comme en peinture, dans le genre du Christ, mais tout � fait un homme de salon, aux lunettes d'or, � l'opulente chevelure dor�e, et, en somme, d'une intol�rable magnificence.
Avant la le�on de cat�chisme, les �l�ves se divisent; ceux dont la religion d�clar�e n'�tait pas l'orthodoxie devaient quitter la classe, passant parfois sous le nez du pr�tre. Il faisait toujours la mine, regardant ceux qui sortaient avec l'expression d'un m�pris � peine att�nu� par une indulgence toute chr�tienne.
-O� allez-vous? demandait-il � un de ceux qui sortaient.
-Nous sommes catholiques, r�pondait l'autre.
-Ah! catholiques..., r�pondait le pope, dodelinant de la t�te. Bon, bon, bon... Et vous autres?
-Nous sommes juifs...
-Petits juifs, des petits juifs, bon..., bon, bon...
L'ombre noire du ksendz [Mot polonais: pr�tre catholique. -N.d.T.] se glissait vers les catholiques, toujours effac�e contre le mur, disparaissant subitement, de sorte que, de toutes les ann�es pass�es � l'�cole, je ne parvins jamais � d�visager sa face ras�e.
Un brave homme nomm� Ziegelmann enseignait aux juifs, mais en russe, la Bible et l'histoire des H�breux. Personne ne prenait ces occupations au s�rieux.
La question de nationalit� n'avait pas de place particuli�re dans mes pens�es parce qu'elle ne se posait pas d'une fa�on tr�s sensible dans la vie quotidienne. Lorsque furent �dict�es les lois d'exception de 1881, mon p�re, � vrai dire, perdit la facult� d'acheter des terres -ce qui avait �t� sa grande ambition- et ne pouvait plus qu'en louer, et discr�tement. Mais tout cela ne m'atteignait que fort peu. Fils d'un agriculteur ais�, j'appartenais plut�t � la classe privil�gi�e qu'� celle des opprim�s. La langue parl�e dans la famille et chez les domestiques �tait un russe m�l� d'ukrainien. Sans doute, les juifs qui voulaient entrer dans une �cole se heurtaient au numerus clausus, et je dus perdre ainsi une ann�e. Mais, dans la suite, je fus toujours le premier de ma classe et je ne me ressentais pas directement de la loi �tablie. Les minorit�s nationales, dans l'�tablissement, n'�taient pas franchement pers�cut�es. Jusqu'� un certain point, la diversit� des nationalit�s repr�sent�es non seulement par les �l�ves, mais par le personnel enseignant, s'y opposait. Un certain chauvinisme dissimul� se sentait pourtant, et il �clatait parfois. Le professeur d'histoire Lioubimov interrogeait avec une partialit� flagrante tel �l�ve polonais sur les pers�cutions autrefois exerc�es par ses compatriotes � l'�gard des orthodoxes de Russie Blanche et de Lituanie. Mickiewicz, gar�onnet basan� et maigrelet, les joues marbr�es de teintes verd�tres, les dents serr�es, se tenait devant lui sans dire un mot.
-Eh bien, qu'est-ce que vous attendez ? disait Lioubimov, poussant l'�colier avec une nuance visible de sadisme. Pourquoi vous taisez-vous ?
Un des �l�ves ne put y tenir :
-Mickiewicz lui-m�me est Polonais et catholique !
-Ah! ah!... repartit Lioubimov, d'une voix tra�nante, feignant un v�ritable �tonnement. Ici, nous ne faisons pas de ces distinctions-l�...
Les hypocrites canailleries du professeur d'histoire � l'�gard des Polonais, la m�chancet� chicani�re de Burnand � l'�gard des Allemands, et les hochements de t�te du petit pope parlant des "petits juifs" m'�taient �galement sensibles. L'in�galit� des droits nationaux fut, probablement, une des causes cach�es qui m'amen�rent � d�tester le r�gime; mais ce motif se perdait enti�rement parmi d'autres faits d'injustice sociale et, loin de me servir de base, n'eut pas m�me un r�le ind�pendant.
Le sentiment de la pr�dominance du g�n�ral sur le particulier, de la loi sur le fait, de la th�orie sur l'exp�rience individuelle, naquit de bonne heure en moi et se fortifia avec les ann�es. Pour la r�alisation formelle de ce sentiment, qui devint le fond de ma conception du monde l'influence de la ville fut d�cisive.
Lorsque des gar�ons qui �tudiaient la physique et les sciences naturelles parlaient superstitieusement du lundi, disant que c'�tait un mauvais jour, ou d'un pope qui avait travers� la route devant eux, j'�tais pris d'une violente indignation, je sentais en cela une offense � la pens�e. J'aurais fait je ne sais quoi pour d�tacher mes camarades de ces honteuses croyances.
Parfois, � Ianovka, on se donnait un mal infini � mesurer la superficie d'un champ qui avait, par exemple, une forme de trap�ze. Euclide en main, je faisais le calcul en deux minutes. Mais ma solution ne correspondait pas � celle qu'on avait obtenue en pratique, et l'on ne me croyait pas. J'apportais et montrais mon cours de g�om�trie, j'en jurais par la science, je me montais, je disais des insolences, mais je voyais bien que je ne persuadais personne et je tombais dans le d�sespoir.
Je discutais furieusement avec notre m�canicien de village, Ivan Vassili�vitch, qui ne voulait pas renoncer � l'espoir de construire une machine au mouvement perp�tuel. La loi de la conservation de l'�nergie lui paraissait une invention ayant peu de rapport avec son objet.
-�a, c'est le livre; mais il y a la pratique, disait-il.
Il me semblait incompr�hensible, intol�rable, que les gens s'�cartassent de v�rit�s in�branlables, invoquant des erreurs coutumi�res ou des fantaisies absurdes.
Dans la suite, le sentiment de la sup�riorit� du g�n�ral sur le. particulier entra comme partie indissoluble dans mes �crits et dans ma politique. L'empirisme born�, une attitude simplement rampante devant le fait, parfois devant un fait seulement imaginaire, souvent devant un fait mal compris, me furent odieux. Au-dessus des faits, je cherchai des lois. Cela me conduisit, bien entendu, plus d'une fois, � des g�n�ralisations h�tives, surtout en mes jeunes ann�es, lorsque me manquaient une suffisante connaissance des livres et l'exp�rience de la vie. Mais, dans tous les domaines sans exception, je ne me sentais capable de me mouvoir et d'agir qu'� condition de poss�der un acc�s aux g�n�ralisations. Le radicalisme social et r�volutionnaire qui devint la ligne m�diane de ma vie spirituelle, et pour toujours, vint pr�cis�ment de cette aversion intellectuelle pour tout ce qui est lutte mesquine, empirisme, pour tout ce qui, d'une fa�on g�n�rale, n'est pas id�ologiquement form�, n'est pas largement �tabli par la th�orie.
Je tente de jeter sur moi un coup d'oeil en arri�re. Je fus un gar�on sans aucun doute plein d'amour-propre, bouillant, mettons peut-�tre peu accommodant. Il est douteux qu'en entrant � l'�cole ce gar�on ait eu un sentiment de sup�riorit� sur ceux de son �ge. Il est vrai qu'au village, on faisait montre de lui devant les visiteurs, mais l� il n'y avait pas de comparaison possible; quant aux gar�ons de la ville qui venaient parfois � Ianovka, ils avaient toujours le prestige inaccessible de gymnasistes, sans compter celui de l'�ge, de telle sorte qu'on ne pouvait les consid�rer que de bas en haut.
Par contre, l'�cole est une ar�ne de dure rivalit�. D�s le moment o� le gar�on dont nous parlons fut d�clar� le premier �l�ve, laissant loin derri�re lui le deuxi�me; le petit natif d'Ianovka sentit qu'il pouvait plus que d'autres. Les gamins qui se liaient avec lui reconnaissaient sa supr�matie. Cela ne pouvait pas ne pas influer sur le caract�re. Les ma�tres l'approuvaient aussi; quelques-uns, comme Kryjanovsky, le donnaient m�me tr�s souvent en exemple. Pourtant, ces professeurs, s'ils le traitaient bien en g�n�ral, s'y prenaient d'une mani�re assez s�che. Les �l�ves �taient divis�s : notre gar�on avait d'ardents amis, mais aussi des ennemis.
Il n'�tait pas incapable de se critiquer lui-m�me. Il �tait m�me plut�t v�tilleux � son propre �gard. Les connaissances qu'il pouvait avoir et les traits de son caract�re ne le contentaient pas; et, avec le temps, ce sentiment devint de plus en plus vif. Il s'acharnait � se surprendre � n'avoir pas dit la v�rit�; il se reprochait � tout instant de n'avoir pas lu des livres que d'autres citaient en toute assurance. Bien entendu, cela tenait encore �troitement � son amour-propre. L'id�e qu'il avait de devenir meilleur, plus �lev�, plus instruit, le poignait de plus en plus, en pleine poitrine. Il m�ditait sur la destin�e de l'homme en g�n�ral et sur la sienne en particulier.
Un soir, passant devant moi, Mo�sse� Filippovitch me questionna d'un ton solennel:
-Dis donc, fr�re, r�fl�chis-tu � ce que c'est la vie ?
Mon �ducateur recourait souvent � cette plaisante rh�torique et prenait par ironie un ton th��tral. Mais, cette fois-ci, ce fut pour moi comme une br�lure sur tout le corps.
Oui, je r�fl�chissais pr�cis�ment � la vie; seulement, je n'�tais pas capable de mettre ce mot sur mon anxi�t� de gar�onnet devant l'avenir. Il me sembla que mon �ducateur, �coutant � la porte, avait surpris ma pens�e.
-Je vois, dit-il, que j'ai mis dans le mille...
Il avait parl� d'un tout autre ton, il me frappa doucement sur le dos et rentra dans sa chambre.
Y avait-il, dans la famille Spenzer, des opinions politiques? D'un lib�ralisme mod�r�, � base humanitaire, telles �taient celles de Mo�sse� Filippovitch: de vagues sympathies pour le socialisme, nuanc�es de populisme et de tolsto�sme. On ne parlait presque jamais de politique, surtout en ma pr�sence: peut-�tre craignait-on tout bonnement que je n'allasse dire quelques mots de trop devant mes camarades; on ne voulait pas provoquer un malheur. Lorsque, dans les conversations, l'on �voquait par hasard des faits du mouvement r�volutionnaire, quand on disait par exemple: "c'�tait l'ann�e du meurtre d'Alexandre II", cela sonnait pour moi comme d'un lointain pass�, comme si l'on avait dit: "l'ann�e de la d�couverte de l'Am�rique par Christophe Colomb"... Le milieu o� je vivais �tait �tranger � la politique. Moi-m�me, en ces ann�es d'�tude, je n'eus ni opinions de cette sorte, ni m�me besoin d'en avoir. Mais mes tendances inconscientes �taient d'opposition. J'�prouvais une r�pugnance profonde pour le r�gime existant, pour l'injustice, pour l'arbitraire. D'o� cela me venait-il? De la situation g�n�rale � l'�poque d'Alexandre III, de la tyrannie polici�re, de l'exploitation � laquelle se livraient les propri�taires, des exactions dont se rendaient coupables les fonctionnaires, des d�nis de droits qui frappaient les minorit�s nationales, des injustices commises � l'�cole et dans la rue, de mes rapports �troits avec les petits paysans, les domestiques, les ouvriers, des conversations entendues dans l'atelier, de l'esprit d'humanit� qui r�gnait dans la famille Spenzer, de la lecture des po�mes de Nekrassov et de bien d'autres livres, en un mot de toute l'atmosph�re sociale de ce temps-l�. Je d�couvris en moi, brusquement, cette mentalit� d'opposition en prenant contact avec deux camarades de classe: Rodz�vitch et Kologrivov.
Vladimir Rodz�vitch �tait le fils d'un colonel; pendant un certain temps il fut class� comme deuxi�me �l�ve. Il insista aupr�s de ses parents pour obtenir l'autorisation de m'inviter un dimanche. Je fus re�u assez s�chement, mais convenablement. Le colonel et sa femme caus�rent peu avec moi et semblaient m'�prouver. Au cours des trois ou quatre heures que je passai dans cette famille, je me heurtai � deux reprises � je ne sais quoi d'�trange qui m'inqui�ta, qui m'�tait m�me d�testable: on avait effleur� les questions de religion et de pouvoir. Le ton de cette maison �tait celui de la d�votion conservatrice, et j'en fus frapp� comme d'un coup en pleine poitrine. Les parents ne me laiss�rent pas approcher par Vladimir et notre liaison fut rompue. Apr�s la premi�re r�volution, le nom d'un certain Rodz�vitch, probablement membre de cette famille, devint tr�s connu, comme celui d'un Cent-Noir, � Odessa.
L'impression qui devait me rester de Kologrivov fut encore plus frappante. Il �tait entr� d'embl�e en deuxi�me, second semestre. On le distingua en classe comme un �tre bizarre, de haute taille et mal form�. Son assiduit� �tait extraordinaire. Toutes les fois qu'il le pouvait, il apprenait sa le�on par coeur. Au cours du premier mois qu'il passa � l'�cole, il perdit la t�te � force d'�nonner. Le professeur de g�ographie l'ayant appel� � r�pondre devant la carte, Kologrivov n'attendit pas d'�tre questionn�, il se mit � r�citer :
-"J�sus-Christ a laiss� comme testament au monde..."
Il se croyait au cat�chisme qui devait avoir lieu apr�s la le�on de g�ographie.
Dans une causerie avec ce Kologrivov qui ne me traitait pas sans d�f�rence, car j'�tais le premier �l�ve, je critiquai je ne sais plus qui, le directeur ou un autre de nos ma�tres.
-Peut-on parler ainsi du directeur? demanda Kologrivov, sinc�rement indign�.
-Pourquoi pas? r�pliquai-je, plus sinc�rement encore �tonn�.
-Mais c'est un chef, dit-il. Si ton chef te commande de marcher sur la t�te, tu dois ob�ir sans critiquer...
Ce furent ses propres termes. Cette formule achev�e me frappa. Je ne devinais pas alors que le gamin avait simplement r�p�t� ce qu'il avait entendu dire plus d'une fois chez les siens, dans une famille o� l'on entendait maintenir l'esclavage. Je n'avais pas encore d'opinion � moi; mais je sentis qu'il y avait des opinions que je ne pouvais m'assimiler, pas plus que je n'aurais accept� des aliments contenant de la vermine.
En m�me temps que naissait en moi de l'hostilit� � l'�gard du r�gime politique de la Russie, je commen�ais, sans m'en apercevoir, � id�aliser les pays �trangers, l'Europe occidentale et l'Am�rique. D'apr�s des observations partielles, fragmentaires, que compl�tait l'imagination, je me repr�sentais une haute culture, toute �gale, s'�tendant � tous les hommes sans exception. Plus tard, je devais y rattacher la conception d'une d�mocratie id�ale. Mon jeune rationalisme me disait que si quelque chose avait �t� compris, c'�tait chose r�alis�e. Il me semblait donc invraisemblable qu'il p�t exister des superstitions en Europe et qu'en Am�rique on p�t pers�cuter les Noirs.
Cette fa�on d'id�aliser, imperceptiblement acquise dans le milieu petit
bourgeois et lib�ral o� je v�cus, subsistait encore plus tard, lorsque je commen�ai �
me p�n�trer d'id�es r�volutionnaires. J'aurais probablement �t� fort surpris, en ces
ann�es l�, si j'avais su, si j'avais pu savoir, qu'une r�publique allemande, gouvern�e
par des social-d�mocrates, accorderait le droit d'asile � des monarchistes, mais le
refuserait � des r�volutionnaires. Depuis lors, heureusement, j'ai cess� de m'�tonner
de bien des choses. La vie expulsa de moi le rationalisme et m'enseigna la dialectique.
Hermann M�ller en personne n'est pas capable de m'�tonner.