1922

Source : Bulletin communiste n° 19 (troisième année), 4 mai 1922.


Les mencheviks, la révolution russe et la révolution mondiale

Albert Treint


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Les mencheviks se disent marxistes. Ils affirment n'avoir jamais pris les armes contre la Révolution, n'avoir à se reprocher aucun acte de terrorisme, n'avoir jamais préconisé l'intervention des puissances étrangères contre les bolcheviks.

Les mencheviks protestent avec âpreté contre les mesures de répression auxquelles pour défendre son existence a été contraint le gouvernement des Soviets. Dans les campagnes contre la Terreur rouge, les mencheviks sont en tête. De tous les autres contre-révolutionnaires, ils se distinguent par le raffinement de l'hypocrisie.

Avant la Révolution d'Octobre

Le parti menchevik était l'expression de la petite-bourgeoisie et de l'aristocratie ouvrière. Avant octobre, les chefs du parti, ceux qui en exprimaient le mieux l'idéologie, étaient Ttseretelli et Dan.

Aux premiers moments de la Révolution, les socialistes-révolutionnaires hésitaient à combattre les bolcheviks. Quand ils ont vu un parti se disant marxiste combattre l'idée même d'une Révolution prolétarienne, les socialistes-révolutionnaires se sont enhardis et en ont pris de plus en plus à leur aise.

Lors de la démonstration du 5 juillet, les mencheviks ont proposé de désarmer la garnison ouvrière de Pétrograd, suspecte de sympathies envers les bolcheviks.

Quand commença à être lancé le mot d'ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets », les mencheviks ont proposé toutes sortes de mesures de répression contre ceux qui voulaient faire des Soviets l'appareil gouvernemental de la classe ouvrière devenue majeure.

Avec les socialistes-révolutionnaires, les mencheviks ont organisé l'état-major clandestin de Kerensky en vue de désarmer les troupes de Pétrograd favorables aux bolcheviks. Ils ont d'accord avec Kerensky fait venir du front les détachements qui ont arrêté de nombreux matelots de Cronstadt et de nombreux communistes. Deux mois après, d'ailleurs, ces détachements passaient aux bolcheviks.

Voïtinsky et Dan ont, avec le concours de deux socialistes (Gotz et un autre) dirigé la répression antibolcheviste décidée par le gouvernement Kerensky. Ils ont donné l'ordre aux sous-marins de couler les cuirassés bolcheviks venant à Pétrograd, en juillet 1917.

Parce que Tchernov, socialiste-révolutionnaire, avait été arrêté (il fut d'ailleurs relâché quelques minutes après). Voïtinsky a dirigé les mitrailleuses contre 10.000 personnes entassées dans la cour du Palais de Tauride et a menacé de faire tirer sur la foule si Tchernov n'était pas immédiatement délivré. Les mencheviks ont quitté le Congrès des Soviets pour défendre le régime Kerensky, pour aller mourir au Palais d'Hiver — disaient-ils. Ils n'y sont pas allés, ils ne sont pas morts. De ce jour, ils ont travaillé souterrainement contre la Révolution.

Après Octobre

Le 3 novembre 1917, la Conférence mencheviste a déclaré qu'aucun arrangement avec les usurpateurs bolcheviks n'était possible. Les mencheviks ont soutenu le sabotage du nouveau régime par les fonctionnaires. Partout en province, la coalition des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires marche contre la Révolution bolchevique.

A propos de tous les mouvements contre-révolutionnaires : mouvement de Kaledine, mouvements de l'Oural, de la Rada, de Kiev, les mencheviks se solidarisent avec les socialistes-révolutionnaires et prétendent qu'il s'agit de légitimes protestations. De même lors des événements de Samara, de Saratov, de Kiev.

Révolte Tchéco-Slovaque

Dans cette affaire des prisonniers tchécoslovaques dressés contre la Révolution, les socialistes sont les principaux coupables.

Mais quand Maïskï, membre du Comité central menchevik (passé après trois ans de lutte au parti communiste), entra dans le gouvernement contre-révolutionnaire d'alors, il fut soutenu par tout son parti.

Après que 1 000 ouvriers furent tués par la contre-révolution dans les usines de Samara, la gazette mencheviste de Saratov disait que c'était une légitime répression.

A Kazan, les menchevistes marchent d'accord avec les socialistes-révolutionnaires. A l'approche de l'armée rouge, une insurrection ouvrière éclate et cherche à joindre les troupes bolchevistes. Cette insurrection, après son insuccès, fut suivie d'exécutions en masses ordonnées par menchevistes et socialistes-révolutionnaires. La proclamation du Comité mencheviste de Kazan dit :

Les ouvriers, en s'unissant aux soldats, oubliant leur devoir, ont formé une bande d'embusqués, etc... ; mais le pouvoir a assez de force pour anéantir les traîtres.

L'éditorial de la Cause Ouvrière, journal mencheviste de Kazan, dit : « Une chose maudite s'est accomplie, etc... Les fils indignes cte la classe ouvrière ont mis une tache sur le vieux drapeau prolétarien. »

Quand l'armée rouge reprit l'offensive, tous les Comités mencheviks furent mobilisés dans l'armée blanche.

La Cause Ouvrière de Kazan annonce alors que toutes les forces morales et physiques du parti sont mises au service de la Constituante et du pouvoir militaire pour être utilisées contre les ennemis du pays (les bolcheviks). L'article se termine par un appel adressé aux membres du parti et leur demandant de suggérer les formes dans lesquelles un secours efficace peut être donné aux Blancs.

Des événements analogues se produisirent à Oufa, à Perm et dans beaucoup d'autres villes.

Dans bien des localités, avant de battre en retraite, les mencheviks jetèrent des grenades dans les maisons où se trouvaient emprisonnés des communistes.

En Sibérie Orientale, le docteur Vandenberg, menchevik, fait alliance avec les socialistes-révolutionnaires. Un autre menchevik glorifie l'armée Koltchak.

Sous Dénikine

En Ukraine, les menchevistes attisent le différend entre la Rada et les Rouges ; ils disent : les coupables sont à Moscou.

Puis la Révolution étant victorieuse, les menchevistes se tiennent cois.

Quand la Rada revient dans les fourgons de l'armée allemande, les menchevistes félicitent la force qui les a délivrés des oppresseurs bolcheviques.

Dans la Rada, les mencheviks font une opposition légale bien sage et freinent la lutte contre la dictature militaire allemande.

Peu à peu, les syndicats, influencés par les mencheviks deviennent des organes de l'Etat bourgeois. Et ce sont les mêmes mencheviks qui parlent d'autonomie syndicale et critiquent les syndicats quand ils marchent en accord avec l'Etat ouvrier.

Puis vient Denikine.

A Kiev, les mencheviks acceptent d'entrer dans la municipalité nommée par le général monarchiste Bredov.

L'Union des Syndicats (mencheviste) se tient en contact permanent avec le gouvernement de Denikine. A deux reprises, les syndicats ont reçu des subsides provenant des emprunts consentis par les puissances capitalistes à Denikine.

Lorsque les ouvriers se mirent en grève, à l'arsenal de Kiev, c'est grâce aux mencheviks que le travail reprit et que la discipline fut rétablie.

Par contre, à Toula, les mencheviks sabotent par une grève industrielle fomentée par eux, la défense révolutionnaire des Soviets. C'est par les mencheviks mis en sursis comme travaillant à la défense de la Révolution que furent établis les contacts politiques avec les organisations contre-révolutionnaires comme l'Union pour la régénération de la Russie. Quand la Terreur blanche sévissait contre les ouvriers et quelques petits bourgeois, quand les maisons étaient pillées par les officiers blancs, les mencheviks se taisaient. Dans le même temps, ils lançaient des appels contre la Russie soviétiste. Semkovsky, ami de Martov, Balabanov, Romanov à Pétrograd, bien d'autres encore avaient un peu partout des attitudes analogues.

Quand Denikine institue une commission spéciale des syndicats professionnels, la majorité mencheviste se prononce pour en faire partie.

Les mencheviks prirent part aux élections de la classe ouvrière, le pouvoir de l'armée de Denikine est plus favorable que le pouvoir des Soviets. »

Les mencheviks prirent part aux élections de la Douma, où, d'ailleurs, ils furent battus.

A Kharkov, les mencheviks déclarent que contrairement au pouvoir bolchevik, le pouvoir de Denikine est démocratique.

A Odessa, le journal mencheviste glorifie l'armée volontaire « parce qu'elle soutient l'ordre bourgeois qui correspond au degré de développement économique atteint par la Russie ».

Dans le Bulletin militaire de ce journal, les gains de Denikine sont présentés comme un bien pour le prolétariat.

En Crimée, Soulkevitch, général monarchiste allemand1, n'a jamais touché aux mencheviks. Dans une conférence mencheviste de Crimée, l'organisation locale de leur parti se prononce pour la lutte armée et pour l'intervention étrangère contre les Soviets. Des protestations ouvrières s'étant produites, une conférence pain-ukrainienne fut réunie qui refusa de prononcer l'exclusion des mencheviks contre-révolutionnaires.

L'année suivante, le gouvernement de Crimée était présidé par un cadet. Leur conduite fut hésitante, parce que la lutte devenait incertaine. Quand les Soviets s'installaient dans une localité, les mencheviks entraient dans le Comité révolutionnaire local ; quand les Soviets partaient, ils entraient dans le Comité contre-révolutionnaire.

On a trouvé à ce moment des mencheviks de Crimée pour blâmer la Conférence de Lucerne d'avoir protesté contre l'intervention.

Denikine battu, la Crimée restait sous la domination du général « blanc » Slatchof. Ce dernier conclut un compromis avec les mencheviks, sous condition que ceux-ci lui garantiraient la tranquillité jusqu'au mois de mars. Les mencheviks acceptèrent ce compromis et permirent ainsi l'organisation du front Wrangel.

Alors les ouvriers indignés passèrent en masse dans le parti communiste.

A Arkhangel, les mencheviks ont soutenu l'intervention anglaise.

En Géorgie, en Azerbaïdjan, au Caucase, les gouvernements menchevistes s'appuyèrent sur le capital étranger.

En Russie centrale, opère la droite activiste du parti menchevik.

Le frère de Martov s'exprime en faveur de la lutte armée et de l'intervention contre les Soviets.

Il garde un contact étroit avec un ancien membre du Comité central menchevik — lequel fut arrêté dans l'appartement d'un espion de Ioudenitch, condamné à cinq ans de prison et libéré au bout d'un an.

L'Œuvre menchevik

Dans l'action contre-révolutionnaire, en général, les socialistes-révolutionnaires commencent et les mencheviks suivent.

En Russie, les mencheviks tentent d'opposer aux Soviets d'autres délégations aussi prolétariennes. En 1918, à Pétrograd, ils cherchent à créer des Soviets dissidents, sous le nom de « Conseils de délégués des fabriques et des usines ». Ils ont tenté d'agir de même à Moscou.

Ils cherchent à créer une organisation pan-russe pour abattre la Révolution.

Sous la monarchie, les mencheviks dans la grève disaient : « Il faut sacrifier l'intérêt de classe à l'intérêt général ». Contre les Soviets, ils tentent de préparer la grève générale.

Les mencheviks qui protestent contre la Terreur rouge n'ont jamais protesté contre la Terreur blanche.

Dans l'été 1918 : Martov publie des articles contre la peine de mort appliquée à nouveau par les bolcheviks, mais en même temps il proclame le droit à l'insurrection de toutes les classes sociales.

Il y a peu de mois, dans un journal de Berlin, le Courrier Socialiste, Martov polémiquait amicalement avec Axelrod sur le droit à l'insurrection antibolchevik, et Martov, à cette question, répond : « Oui. »

Quand on rappelle ces choses, les mencheviks disent : « Ce sont des mensonges de Steklov ».

Mais de nombreux documents menchevistes prouvent que partout : dans la région du Don, dans l'Oural, sur la Volga, les mencheviks soutiennent l'alliance avec la bourgeoisie et luttent pour la séparation d'avec la Russie soviétique.

En avril 1919 eut lieu une Conférence pan-ukrainienne mencheviste.

La résolution spéciale prise sur la situation du parti reconnaît de la part d'isolés et de groupes entiers l'accomplissement d'actes criminels. Cette résolution reconnaît les actes de séparatismes, le soutien à l'armée volontaire de Denikine, les demandes d'alliance adressées à l'Entente.

La révolution cherche à dégager la responsabilité du parti en tant que parti.

Mais en même temps que la Conférence blâme les actes mentionnés ci-dessus, elle ajoute que se sont également discrédités ceux qui ont pris part aux Comités de paysans pauvres.

En Géorgie, les mencheviks donnèrent toute leur mesure. Leur gouvernement ne tint que grâce à l'Allemagne d'abord, à l'Entente ensuite. Les mencheviks n'ont rien fait, ni pour les ouvriers ni pour les paysans pauvres.

En 1917-1918, l'armée rouge du Caucase qui voulait se joindre à Moscou fut assaillie par les « blancs », avec le concours des mencheviks.

Quand les Soviets proposèrent à la Géorgie mencheviste l'alliance contre Denikine, elle déclara vouloir rester neutre.

Des bandes se forment en territoire mencheviste et pratiquent la Terreur blanche. Des communistes et des sympathisants au communisme furent odieusement torturés à Tiflis.

Les mencheviks ont organisé la Garde populaire de Géorgie, pour lutter contre les paysans pauvres en révolte pour une meilleure répartition des terres. Un livre du chef de cette Garde dite populaire raconte les exploits de cette organisation de bandits et raconte l'anéantissement épouvantable des révoltés.

Ce que sont les mencheviks

En réalité, les mencheviks sont des démocrates luttant partout pour le maintien ou le rétablissement du pouvoir bourgeois.

Ils gardent une phraséologie marxiste et révolutionnaire, et sont passés maîtres en hypocrisie révolutionnaire. Ils ont donné la mesure de la force avec laquelle on peut essayer d'assassiner la Révolution, grâce à un marxisme habilement truqué et savamment sophistiqué.

Leurs actes, la discordance entre leurs actes et leurs paroles, l'hypocrisie dont ils voilent leurs véritables sentiments ; tout cela doit être connu des révolutionnaires du monde entier.

Que chacun de nos camarades soit armé pour répondre avec des faits à la campagne honteuse de calomnies antibolchevistes entreprise par la IIe Internationale et complaisamment accueillie par la IIe et demie.

Note

1 En fait tatar, officier de l'empire russe avant 1917. (note de la MIA)


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