1922 |
Source : Bulletin communiste n° 19 (troisième
année), 4 mai 1922. |
Le Socialisme Révolutionnaire contre-révolutionnaire
Sous Kerensky, après la chute du tsarisme, le parti socialiste-révolutionnaire fut le centre de la résistance bourgeoise. Après la révolution bolchevique, il fut le centre actif de la contre-révolution.
Autrefois uni, le parti socialiste-révolutionnaire, au fur et à mesure que se développaient les événements révolutionnaires se décomposa rapidement.
La droite avec Savinkov ne tarda pas à s'allier ouvertement avec les monarchistes.
La gauche n'a eu qu'une existence éphémère et la plus grande partie de ses adhérents s'est dispersée par la suite dans les autres organisations.
Le centre, avec Kérensky et Tchernov, fut la fraction la plus nombreuse et la plus agissante, la plus redoutable dans les entreprises dirigées contre la Révolution.
Elle eut pour chef Savinkov. Aidé de Mme Brichkoskaia et avec de l'argent américain, ce dernier fonda le journal La Volonté du Peuple qui soutint la monarchie et s'appuya sur certains groupes cosaques.
Tchernov a déclaré par la suite que c'est Savinkov qui a trahi son parti. C'est vrai : Savinkov a trahi. Il a soutenu Krasnov et Kornilov au moment de leurs entreprises sur Petrograd. Il est devenu l'agent secret de Noulens et d'autres diplomates contre-révolutionnaires étrangers. Il a organisé divers soulèvements, notamment à Yaroslav pendant l'été 1919. Il a aussi organisé un grand nombre de conspirations terroristes et ce fut lui qui, vraisemblablement, inspira la malheureuse qui tira sur Lénine.
Il fut successivement l'allié de Denikine, de Wrangel et de la Pologne. Il fut en relations avec Balakovitch, traître passé à la Pologne.
Savinkov, chef de la droite, fut réactionnaire, monarchiste, antisémite et agent de l'étranger.
La gauche internationaliste, s'est séparée du parti socialiste-révolutionnaire pour marcher avec les bolcheviks en 1917. Elle a, par les attaches qu'elle possédait dans les campagnes russes, aidé puissamment la révolution à conquérir la sympathie des paysans. D'ailleurs les bolcheviks adoptèrent dans ses grandes lignes le programme agraire des socialistes-révolutionnaires. Après la révolution de novembre, ceux-ci eurent quatre commissaires dans le gouvernement. Mais, bientôt, leurs sympathies reprirent le dessus et ils se séparèrent des bolcheviks.
C'est la gauche socialiste-révolutionnaire qui a organisé l'assassinat du comte Mirbach, ambassadeur d'Allemagne en Russie après la paix de Brest-Litovsk.
Par la suite, la gauche ne s'est pas désolidarisée de Mouraviev. Ce dernier qui commandait comme colonel contre l'insurrection des prisonniers tchécoslovaques armés par la contre-révolution européenne passa à l'ennemi.
Cette gauche devint ensuite une fraction souterraine, conspirative, activiste, qui sans s'unir ouvertement aux réactionnaires comme le centre, organisa la décomposition des forces révolutionnaires et en liaison avec les anarchistes pratiqua le terrorisme.
Tous les jours, avec l'affermissement du pouvoir des soviets et du parti bolchevik, la gauche se décompose un peu plus. Actuellement la plupart de ses membres se sont retirés de l'action militante ou sont entrés dans le Parti Communiste. La gauche socialiste-révolutionnaire n'est plus maintenant représentée que par quelques isolés.
Étant donnée la trahison rapidement caractérisée de la droite on peut dire que le centre fut, en réalité, la vraie droite du parti socialiste-révolutionnaire. C'est en mars 1917 qu'il fut le plus fort — Kerensky était alors le chef du gouvernement provisoire. Le centre eut alors plusieurs ministres parmi lesquels, en raison du rôle qu'il cherche à jouer maintenant a l'étranger, il faut citer Tchernov.
C'est le centre qui, en Russie, a pris l'initiative de la terreur blanche, en envoyant des détachements contre les paysans qui partageaient les terres.
Après la révolution de novembre, ce sont les socialistes-révolutionnaires du centre qui ont donné le signal du soulèvement à main armée contre le gouvernement révolutionnaire. Et c'est alors que la bourgeoisie a tenté de redresser la tête.
Quand les troupes de Krasnov étaient près de Petrograd, l'ensemble de l'opération politique était dirigé par Kerensky, Savinkov et un menchevik. Avec le concours du colonel Pokoniekov, ils ont à eux trois organisé les émeutes des écoles militaires qui devaient opérer leur jonction avec Krasnov.
A Moscou, les socialistes-révolutionnaires du centre organisent la résistance contre les ouvriers qui prennent le pouvoir.
Au 3e Congrès de leur parti, ils se déclarent prêts à la guerre civile contre les bolcheviks et décident le rassemblement de toutes les forces décidées à mener la lutte avec eux. Ils appellent le secours de l'aide étrangère pour reconstituer le front oriental de la guerre européenne. C'est à ce moment qu'ils sont devenus les pionniers de l'intervention étrangère armée contre les soviets.
Dans la fameuse organisation : l'Union pour la régénération de la Russie, le centre a pris une part active. Par un de ses membres, Avksentiev, il a été en relations avec les ambassadeurs de l'Entente et a avec tous ces concours diplomatiques organisé l'armement et le soulèvement des prisonniers tchécoslovaques.
Les socialistes-révolutionnaires ont organisé la chasse contre toutes les organisations même non bolcheviks qui refusaient de combattre pour eux. Ils se sont livrés à de terribles massacres dans le gouvernement de Samara. Ils ont eu recours aux mitraillades des ouvriers dans les usines. Un officier socialiste-révolutionnaire, Sodolonlikov, a publié, à Prague, une brochure intitulée : Les aventures du général Haïda ; dans cette brochure, Sodolonlikov raconte comment, à ce moment-là, les Socialistes-révolutionnaires pendaient des centaines d'ouvriers aux lanternes et aux arbres.
Les socialistes-révolutionnaires du Centre ont aussi pratiqué le système des otages au profit de Koltchak. Et les mencheviks qui protestent si véhémentement contre la terreur bolchevik n'ont jamais élevé la moindre protestation contre ces actes-là.
Partout où ils ont pu le faire, les socialistes-révolutionnaires ont mis la main sur l'or russe.
Sur la Volga, en Sibérie, à Oufa, là où ils étaient en majorité, ils ont cédé aux réactionnaires. Avec eux ils ont constitué un Directoire dans lequel ils étaient deux contre trois et c'est de ce Directoire que Koltchak a tiré son pouvoir.
Partout où les socialistes-révolutionnaires du centre sont au pouvoir, ils restaurent l'ancien régime économique. Sur la Volga, ils rendirent les usines aux anciens propriétaires.
Une telle conduite inspira tout de même du dégoût a un grand nombre de membres du parti du centre qui, sous Koltchak, ne tarda pas à entrer en décomposition.
Une minorité avec Volevsky en tête a entamé à ce moment des pourparlers avec le gouvernement des soviets. De nombreux socialistes-révolutionnaires purent alors rentrer.
Une opposition légale au gouvernement bolchevik se constitua. Elle fut d'ailleurs sans aucune influence. Elle repoussait la lutte armée pour renverser le gouvernement, parce que, disait-elle, la lutte armée constitue en réalité une aide aux bolcheviks en faisant se serrer tout le monde autour d'eux.
Les socialistes-révolutionnaires qui, sous le couvert des autres, rentrèrent en Russie bolchevik, n'admirent pas ces principes. S'ils renoncent à la lutte armée en juin 1919, c'est parce qu'ils sont sans force. Mais leur conférence, en termes voilés, annonce que cette lutte va bientôt recommencer. Elle proclame la nécessité de la lutte sur deux fronts : contre la réaction et contre les bolcheviks. Pour mener cette lutte, les socialistes-révolutionnaires s'appuient sur les paysans qu'ils ont organisés et dont ils utilisent les instincts petits-propriétaires choqués par les réquisitions.
En septembre 1920, une nouvelle Conférence socialiste révolutionnaire jette le masque : elle prévoit la lutte armée comme inévitable et pose, comme tâche immédiate, le travail d'organisation de cette lutte. Les socialistes-révolutionnaires disent alors : « Il n'y a plus de danger monarchiste, combattons le danger bolchevik ».
La réalisation de ces décisions se poursuit systématiquement.
Dans les villages, une campagne d'agitation est menée, où l'on propose aux paysans un projet de révolution démocratique. Les agitateurs socialistes-révolutionnaires remarquent ceux qui prêtent une oreille favorable à leurs discours. Ce sont, d'ailleurs, généralement les éléments les plus réactionnaires. Peu importe, on les réunit ensuite à part, on les organise clandestinement. Puis, parmi eux, on réunit ceux qui paraissent avoir le plus d'influence, et l'on forme un noyau du parti en désignant d'avance les chefs éventuels de l'insurrection.
Malgré tous ces efforts, les socialistes-révolutionnaires n'ont pas réussi à créer une organisation sur le plan national. Mais, un peu partout, ils ont réussi à susciter des bandits locaux. En Sibérie occidentale, par exemple, plusieurs de ces bandits ont réussi à interrompre pendant trois semaines, le trafic par voie ferrée, privant ainsi de blé pendant ce temps-là les centres de cette région.
A Saratov et à Samara, Antonov, un ancien socialiste-révolutionnaire (qui se dit encore socialiste-révolutionnaire), a provoqué de terribles émeutes. En un an, plus de deux cents communistes ont été tués. Une armée importante a été constituée, contre laquelle il a été nécessaire d'envoyer de forts détachements.
Pendant tout le cours de la Révolution, les socialistes-révolutionnaires se sont rendu coupables d'actes terroristes dirigés contre le pouvoir des Soviets.
Dans leur journal : la Cause du Peuple, ils ont menacé les bolcheviks de la terreur, à propos de la dissolution de la Constituante.
A diverses reprises, ils ont fait de semblables menaces dans leur journal : la Volonté du Peuple, édité à Prague.
Malgré cela, le Comité Central de ce parti a osé dire que l'accusation de terreur portée contre les socialistes-révolutionnaires est un mensonge bolcheviste. En septembre et en novembre 1920, il a osé, dans deux manifestes, nier avoir jamais eu recours à la terreur.
Cependant, Zenzinov, socialiste-révolutionnaire, membre du Directoire d'Oufa, raconte, dans la brochure qu'il a fait éditer à Prague, que la femme qui a tiré sur Lénine est venue auparavant le trouver pour lui proposer d'entrer dans le complot. Il est vrai que les confidences s'arrêtent là, et que Zenzinov oublie de nous faire connaître quelle fut sa réponse à cette proposition.
Mais la vérité ne nous échappe pas pour cela. Mme Kusnin Karabaïev a déclaré, lors de son jugement par le tribunal militaire de Denikine, qu'elle a pris une part importante à l'attentat contre Lénine en procurant les passeports à Mme Rujtkaplan.
Mme Kusnin Karabaïev appartenait au Parti socialiste-révolutionnaire. Il est curieux de constater qu'à chaque phase de la préparation et de l'exécution de cet attentat on trouve ainsi, dans la pénombre, une silhouette de socialiste-révolutionnaire!
Il est de notoriété publique que nos camarades Ouritsky, de Moscou, et Volodarsky, de Pétrograd, ont été assassinés par des socialistes-révolutionnaires.
D'ailleurs, le gouvernement des Soviets a en sa possession des documents non encore publiés, qui font apparaître de façon irréfutable que l'accusation de terrorisme portée contre les socialistes-révolutionnaires est presque toujours probablement sinon certainement vraie pour les attentats dirigés contre les communistes : et que cette accusation est certainement établie pour tous les complots destinés à intimider les paysans et les ouvriers n'appartenant pas au Parti Communiste, mais qui voulaient agir en révolutionnaires.
Sur la Volga, au moment du soulèvement des prisonniers tchécoslovaques, les socialistes-révolutionnaires eurent comme alliés les réactionnaires et les monarchistes et ils partagent avec ces derniers la responsabilité de la Terreur blanche.
Après l'aventure Koltchak, les socialistes-révolutionnaires disaient que plus jamais ils ne suivraient les monarchistes. Cependant, peu après, les Comités locaux socialistes-révolutionnaires s'unissaient à Denikine. Les trois principaux leaders socialistes-révolutionnaires de Kiev furent désignés par le général réactionnaire pour administrer la municipalité. Ils sont restés au poste où les avait placés Denikine. Quand l'aventure Denikine fut enfin liquidée, et quand l'autorité des Soviets parut solidement restaurée, ces trois leaders furent traduits devant un tribunal du Parti socialiste-révolutionnaire. La peine infligée fut légère : le tribunal décida de les suspendre temporairement de leurs droits de membres du Parti dans les limites territoriales de l'Ukraine. En même temps, le même tribunal prononçait des condamnations contre les socialistes-révolutionnaires qui avaient prêté aide aux bolcheviks dans la lutte contre Denikine.
A Tomsk, il a été possible de vérifier que les socialistes-révolutionnaires avaient entretenu des rapports politiques avec les débris de l'armée Koltchak. Ils s'entremirent souvent pour faire obtenir leurs passeports à d'anciens officiers blancs. Un vieux et influent militant socialiste-révolutionnaire de là-bas entrait dans les organisations monarchistes et donnait aux officiers blancs, avant leur départ, des adresses conspiratives. Un officier monarchiste arrêté, et qui portait le faux nom de Mouraview, portait sur son passeport des cachets socialistes-révolutionnaires et était porteur d'adresses de nombreux socialistes-révolutionnaires habitant la région où il se rendait.
Des faits analogues ont été constatés un peu partout. Dans la plupart des détachements de bandits que les Soviets ont eu à combattre, on retrouve immanquablement des monarchistes unis à des socialistes-révolutionnaires.
Les représentants des socialistes-révolutionnaires à l'étranger, comme Soukomlinov, ont été de fervents interventionnistes. Dans ce qui reste de l'organisation de la 2e Internationale, ils n'ont jamais cessé de défendre la thèse de l'intervention.
Aujourd'hui, les socialistes-révolutionnaires vont sans cesse aggravant leur attitude.
En 1920, lors de leur Conférence de Moscou, c'est seulement grâce à l'intervention de leur Comité Central que fut repoussée une motion se prononçant en faveur de la terreur contre les bolcheviks. Et il est évident que le Comité Central n'intervint que pour des raisons de prudence et d'opportunité.
En 1921, au cours de l'été, une nouvelle conférence mit à l'ordre du jour la question de la Révolution anti-communiste par la violence. Et les instructions les plus précises furent données à tous les groupements pour assurer le succès de l'entreprise.
A l'instigation du gouvernement français (c'est M. Leygues qui, à cette époque, était président du Conseil), une Conférence contre-révolutionnaire russe fut tenue à Paris, en janvier 1921. A cette conférence assistaient : 17 socialistes-révolutionnaires et 13 cadets. Cette conférence élut un Comité Exécutif, formé de trois cadets contre deux socialistes-révolutionnaires.
Ce Parti socialiste-révolutionnaire, qui fut terroriste sous le tsar, a toujours été pour la coalition avec les bourgeois. Et aujourd'hui qu'il a besoin d'argent, il est prêt a toutes les compromissions pour continuer à jouer un rôle politique.
Dans leur journal de Reval : la Russie révolutionnaire, les socialistes-révolutionnaires peuvent protester contre l'accusation de coalition avec la bourgeoisie. Cela ne les empêche pas de la pratiquer chaque fois qu'ils en ont l'occasion.
Leur chef Tchernov est un petit-bourgeois à droite de Zenzinov et d'Avksentiev. Eh bien ! Il y a une lettre d'Avksentiev au Comité Central du Parti socialiste-révolutionnaire qui est tombée enter les mains du gouvernement des Soviets. Dans cette lettre, Avksentiev proteste contre la décision prise par le Parti de lutter sur deux fronts : contre la réaction et contre les bolcheviks, Avksentief se prononce pour Koltchak et pour Denikine, contre les Soviets et contre les bolcheviks. Il trouve que la dictature des généraux n'est pas si nuisible que la dictature des communistes.
Il est nécessaire qu'à la lumière de ces faits et de tous ceux qui ne sont pas encore révélés et sur lesquels le Gouvernement des Soviets ne manquera pas de faire la lumière, le prolétariat du monde entier apprenne que socialiste-révolutionnaire et contre-révolutionnaire masqué sont deux expressions qui ont exactement le même sens.
Au moment où les mencheviks du monde entier essaient d'apitoyer l'opinion ouvrière sur les socialistes-révolutionnaires qui vont avoir à répondre de leurs trahisons devant les tribunaux réguliers de la Russie révolutionnaire, il n'était pas mauvais de mettre quelques faits particulièrement probants sous les yeux de nos militants, afin qu'ils puissent partout rétablir la vérité.