1922

Source : numéro 18 du Bulletin communiste (troisième année), 29 avril 1922. La conférence de Berlin des 3 internationales s'est tenue du 2 au 6 avril 1922.


Réponse à Vandervelde

Karl Radek


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Dans notre déclaration nous n'avons pas posé de conditions à la convocation de la Conférence internationale. Nous nous sommes placés sur les bases de l'invitation de l'Internationale de Vienne : il s'agissait d'une conférence d'action, bases que l'Internationale de Vienne paraît vouloir abandonner à présent.

Nous avons renoncé aux récriminations sur le passé, non parce qu'il nous plaît de taire ce qui doit être dit, mais parce que nous envisageons la détresse actuelle et la situation générale du prolétariat mondial et parce que nous nous disons qu'il serait insensé de vouloir commencer par des récriminations.

Le représentant de la 2e Internationale, Vandervelde, a cru bon, de son côté, de dresser un certain bilan. Il l'a fait avec la voix et le geste que nous avons vus à Bâle — lorsque, leader de l'Internationale, il faisait le serment de nous conduire dans la lutte contre la guerre. Le ton passionné de Vandervelde nous a reportés pour un instant au temps où nous croyions à la chaleur de sa voix et nous avons oublié, une seconde, que cette voix avait été couverte par le tonnerre des canons. Si Vandervelde le désire, nous dresserons le bilan des huit dernières années, bilan qui fera peut-être sauter cette Conférence, mais qui ne retentira pas agréablement aux oreilles de l'ancien ministre royal de Belgique. Vandervelde a oublié la mer de sang, et les montagnes de cadavres qu'il a derrière lui, il a oublié toute la misère du monde. Ce bilan n'existe pas pour lui.

Il vient nous demander un peu de confiance, un minimum de confiance, faute de quoi, paraît-il, on ne peut discuter. Nous disons au citoyen Vandervelde : de la confiance ? pas pour un sou ! Nous avons payé cher notre confiance de jadis. Elle est cause que nous nous trouvons aujourd'hui ici en ennemis, obligés de chercher une entente. Si vous venez à nous avec de douces phrases de confiance, nous vous répondrons : Non, non ! De la confiance ? Et pourquoi faire ? Pour la guerre ? Pour le traité de Versailles que vous avez signé en qualité de ministre belge ? De la confiance pourquoi et pour qui ? Vous parlez au nom d'une organisation qui ne se compose pas seulement des socialistes de la petite Belgique. De la confiance pour l'occupation anglaise que le Labour Party n'a combattue qu'en paroles, de la confiance pour tous les crimes dont les représentants de la IIe Internationale n'ont pas parlé ici ! Le socialiste révolutionnaire russe Tchaïkine a publié des documents montrant comment la police politique anglaise a fait assassiner 26 leaders du prolétariat du Caucase. Les noms des assassins sont publiés. Le citoyen Tom Shaw a-t-il demandé à la Chambre anglaise ce que les criminels sont devenus ? Ils se nomment, le général Malleson et le général Thomson ? Et vous venez encore nous demander de la confiance ! La IIe Internationale nous en demande, la IIe Internationale à laquelle appartient aussi la social-démocratie allemande. Nous demandons : quelle cour des trois Internationales a jugé les assassins de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht ? Ces assassins ont été jugés par le conseil de guerre de la division de la garde de Berlin, et si vous avez le courage de désapprouver les tribunaux révolutionnaires russes, nous vous crions : N'y touchez pas, n'y portez pas les mains avant d'avoir lavé le sang de Rosa Luxemburg, de Liebknecht et de Leviné, — de Leviné qui ne fut pas assassiné dans la rue par des bandits mais est mort, juridiquement assassiné par une sentence de vos tribunaux, lorsque vous étiez au gouvernement, grâce à la confiance du prolétariat dont vous avez abusé...

S'il en est ainsi, demanderez-vous, que voulez-vous de cette Conférence ? Est-ce la peine de s'y livrer à des manœuvres tactiques ? Je vais donc vous dire clairement et froidement ce que nous voulons.

Vous êtes venus à cette conférence parce que vous y étiez forcés. Vous avez été l'instrument de la réaction mondiale, et vous devez devenir bon gré mal gré, un instrument de la lutte du prolétariat.

Nous délibérons en commun avec vous, nous voulons agir avec vous et l'action décidera s'il s'agit d'une manœuvre comme vous dites de l'Internationale Communiste, ou des aspirations ouvrières. Ce que vous ferez déterminera la signification de notre action. Si vous agissez en commun avec nous avec le prolétariat de tous les pays — non pour la dictature, nous ne vous en croyons pas capables — mais pour un morceau de pain, contre la désorganisation croissante du monde, le prolétariat serrera les rangs autour de nous et nous ne vous jugerons plus d'après votre terrible passé mais selon les faits nouveaux. Tant que ceux-ci n'existent pas, nous venons on ne peut plus froidement à ces négociations et à l'action commune ; nous y venons avec la plus grande méfiance, avec la conviction que nous vous verrons, dans l'action prochaine, défaillir dix fois.

Nous voulons essayer d'agir en commun, non par sympathie pour vous mais en raison de la grande misère du prolétariat qui vous oblige à traiter dans cette salle avec les communistes que vous avez qualifiés de criminels.

Parlons maintenant des autres conditions du citoyen Vandervelde. Ce que vous venez d'essayer ici, ç'a été de la part de la IIe Internationale une attaque brusquée afin de nous intimider. L'Internationale de Vienne vous a un peu soutenus malgré elle et a le cœur gros. Je parle des conditions que nous posent ces MM. de la IIe Internationale et je pense que vous ne serez pas fiers de notre réponse.

Des conditions ! Le citoyen Vandervelde, parlant de la paix de Versailles, a dit en passant, qu'il craignait que la discussion de cette question n'aidât M. Stinnes. Les travailleurs allemands ne peuvent s'acheter des chemises et le citoyen Vandervelde ne se soucie pas que le capital international engraisse par la misère du peuple allemand ; il appréhende que ne s'enrichisse M. Stinnes, qui pactise, comme vous l'insinuez, avec la Russie des Soviets et qui subventionnerait peut-être l'Internationale Communiste ! M. Vandervelde n'a pas dit clairement s'il entend parler de la reconstitution du monde sans toucher au traité de Versailles, à la manière de M. Poincaré. Que peut autrement signifier son allusion à Stinnes ? Je ne suis pas bon diplomate pour le comprendre et je demande : la IIe Internationale accepte-t-elle que le traité de Versailles soit mis à l'ordre du jour de la conférence ? Il sera intéressant de voir la social-démocratie allemande adhérente à la IIe Internationale s'opposer à ce que la conférence internationale s'occupe de la question de Versailles, s'y opposer probablement en dirigeant tous ses espoirs vers M. Lloyd George !

Avec le grand amour qu'il témoigne toujours pour les petits peuples opprimés, même si ce sont ceux du Congo, M. Vanderyelde nous demande : Comment voulez-vous assister à la conférence socialiste si les revenants de la Géorgie et de l'Ukraine assassinée y paraissent ? Ma réponse au citoyen Vandervelde sera nette. L'Ukraine n'est pas assassinée, elle vit, elle est forte, elle lutte et nous n'y connaissons que les fantômes du gouvernement de Petlioura qui, puisant une vie factice dans les injections d'or que leur fait l'Etat-Major polonais, sollicitent à la fois Paris et l'Internationale, et causent des nuits blanches au citoyen Vandervelde. Qu'il se rassure. L'Ukraine vit, elle est saine bien qu'elle ait faim et elle agira avec nous pour la restauration des peuples russe et ukrainien, non en qualité d'Etat limitrophe, mais en qualité de membre de la fédération soviétique. Rappelons-le, les ouvriers et paysans ukrainiens ont chassé le gouvernement de Petlioura malgré l'appui que le gouvernement allemand accordait à celui-ci.

Parlons de Géorgie. Je ne sais ce qui inquiète tant le citoyen Vandervelde ; que Tchkheidzé, Tseretelli et Jordania y soient remplacés par Mdivani, ou que la porte de Bakou ne soit plus ouverte aux Anglais ?

Je dis aux délégués de la 2e Internationale, et surtout aux délégués anglais : « Ne touchez pas à la Géorgie ! Vous n'avez pas protesté lorsque le gouvernement géorgien a massacré les paysans et les ouvriers de son pays sous la protection des canons anglais ! »

Une voix. — Et la Tchéka !

Nos tchékistes ne sont pas des littérateurs de talent, mais les mencheviks géorgiens ont été assez imprudents pour produire un livre sur ces sujets : celui de M. Djougueli, chef de leurs gardes nationales. La démocratie géorgienne est dans ce livre si bien dépeinte, que nous aurons soin de mettre ce document à la disposition de la Conférence pour que vous sachiez que l'Etat géorgien, lui aussi, a été construit par le fer, dans le sang. Si vous nous demandez pourquoi nous avons aidé à renverser le gouvernement géorgien — car nous en convenons — les documents que le gouvernement géorgien a eu l'imprudence de faire publier serviront à vous répondre. Un ministre des Affaires étrangères de la Géorgie disait au général Alexeief : « Nous avons aidé les blancs ; nous n'ayons pas seulement traqué les bolcheviks chez nous, nous avons nourri vos officiers... » Si la Conférence veut constituer une commission pour examiner l'authenticité de ces documents, nous ne manquerons pas de les lui soumettre.

Le passage le plus pathétique du discours de Vandervelde vint à la fin : « Comment viendrez-vous sans les socialistes-révolutionnaires, sans ces bons internationalistes qui n'appartiennent à aucune des Internationales représentées à cette conférence, mais qui se trouvent sous le protectorat de la deuxième ? Nous avons l'honneur de voir ici M. Tchernov, ancien président de la Constituante russe, et je pense que si l'envie vous tient de discuter avec nous la question des socialistes-révolutionnaires, ils sont assez représentés : car il n'est pas nécessaire que viennent à cette conférence justement ceux qui cherchent à assassiner les leaders de la Révolution russe, le revolver à la main ».

Permettez-moi de quitter le terrain de la polémique et de poser la question telle qu'elle est : d'accord avec l'Internationale de Vienne, nous avons proposé de convoquer une conférence en vue de préparer une action commune. Nous avons pensé que les débats sur nos différends et sur nos différentes méthodes ne seraient pas favorables à l'action. Si les antagonismes peuvent s'atténuer, ce ne peut être que dans la lutte commune qui contribuerait à rapprocher les divers partis du prolétariat. Si vous voulez saboter la Conférence de l'action et avoir une Conférence de discussion, vous donnez au prolétariat des pierres au lieu de pain.

Mais nous n'avons pas l'habitude de nous dérober à la discussion. Nous ferions table rase du reste, nous vous présenterions le bilan des huit dernières années et nous en exigerions la discussion. Nous rappellerions aux social-démocrates allemands qui défendent les socialistes-révolutionnaires qu'il y a depuis trois ans, dans les prisons bavaroises, des combattants de la République des Soviets et que les bagnes allemands regorgent de travailleurs depuis mars 1921. Nous leur demanderions ce qu'ils ont fait des prétendus justiciers de Dato, que le gouvernement allemand, où siègent les social-démocrates, a livrés aux bourreaux espagnols pour un demi-million de pesetas payé à la police de Berlin, à la tête de laquelle se trouve un social-démocrate. Nous leur demanderions quels sont, en Allemagne, les assassins de quinze mille prolétaires. Que répondraient-ils ? Tout le monde sait que Noske est responsable de ces massacres.

Pour résumer, nous proposons une conférence d'action qui se poserait les questions suivantes : qu'allons-nous faire au moment où le capital se rallie, non pour reconstruire le monde, mais pour le piller, afin de permettre aux exploiteurs de restaurer leur pouvoir ? Que ferons-nous contre le chômage, contre les lock-outs réactionnaires ? Voilà notre programme. Si vous voulez discuter là-dessus, nous sommes prêts. Cependant, pour calmer la sentimentalité du citoyen Vandervelde, qui a si bien réprimé l'activisme en Belgique, et pour calmer l'âme délicate du citoyen Wells en ce qui concerne le sort des socialistes-révolutionnaires inculpés à Moscou, nous leur disons : « Montrez-vous meilleurs que nous ; proposez-nous l'échange des terroristes contre-révolutionnaires russes que vous avez sanctifiés, contre les militants de la République des Soviets de Bavière et contre les militants de l'action de mars ! »

Si vous faites échouer la Conférence, vous en porterez la responsabilité. Si vous voulez une conférence qui délibère sur l'action, nous sommes prêts ; si vous voulez une conférence qui discute aussi les méthodes de la lutte prolétarienne, nous sommes également prêts. Nous sommes prêts à vous rencontrer de toute façon, mais nous ne tolérerons pas que des conditions nous soient posées par des hommes auxquels nous n'en avons pas posées, bien que la majorité du prolétariat nourrisse la plus grande méfiance à leur égard. Si vous nous posez des conditions préalables, nous les repousserons. Si nous nous rapprochions les uns des autres dans l'action commune, certaines conséquences, qu'il n'est pas besoin de promettre, en résulteraient. Mais comme elles ne peuvent surgir que de l'action commune, nous nous prononçons pour l'action commune.

Je le répète : nous avons accepté l'initiative de l'Internationale de Vienne et nous vous demandons : « Maintenez-vous la proposition qui nous a été adressée dans l'appel de janvier, ou la retirez-vous en nous posant de nouvelles conditions ? » Si c'est ainsi, une situation nouvelle sera créée et nous l'examinerons. Car nous sommes venus ici discuter sur les bases de votre appel.

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