1918 |
Source : num�ro 43 du Bulletin communiste(premi�re ann�e), 18 novembre 1920. Ce texte avait �t� publi� en allemand dans les num�ros 52 et 53 (troisi�me ann�e) d'Arbeiterpolitik les 28 d�cembre 1918 et 4 janvier 1919. Corrections de la MIA d'apr�s le texte allemand. |
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Quatre ann�es de guerre mondiale ont compl�tement ruin� la structure du vieux monde. Un monde nouveau nous environne. Mais il n'est que peu de gens qui se soient rendu compte du changement.
La r�volution prol�tarienne universelle a commenc�. Chacun le voit et le sait. La bourgeoisie la voit ou le pressent avec effroi. Elle s'efforce de sauver ce qu'elle peut et, de toutes ses forces, de retenir ou de conserver son ancien pouvoir. L'avant-garde du prol�tariat et toute la masse ouvri�re, ne voyant pas encore nettement, mais sentant d'instinct que son jour s'approche, s'est mise en mouvement. La r�volution ouvri�re est en marche ; elle ira toujours plus loin. Mais les circonstances au milieu desquelles elle s'accomplit sont nouvelles et ne ressemblent en rien � celles de l'avant-guerre. La faute de beaucoup d'anciens d�mocrates consiste justement en ce qu'ils s'imaginent vivre encore dans l'ancien monde et ne voient pas, pour cette raison, que les conditions de la lutte sont aujourd'hui tout autres, ils en sont rest�s aux anciens mots d'ordres des vieux programmes et m�nent les ouvriers dans une voie erron�e. Il est donc indispensable d'�tudier avec soin le nouveau monde dans lequel s'accomplit la r�volution prol�tarienne.
La guerre mondiale a internationalis� le monde, et c'est l� sa premi�re grande œuvre.
Le capitalisme avait cr�� des Etats nationaux, les grandes unit�s politiques de la bourgeoisie, nettement diff�renci�es les unes des autres, mais tendant, dans les limites de leurs fronti�res, � an�antir les dissemblances du caract�re populaire, des mœurs, des id�es et des relations juridiques. Chaque Etat se suffisait � lui-m�me et �tait ind�pendant, aucun ne tol�rait d'immixtions �trang�res dans ses affaires int�rieures ; chacun concluait des trait�s et des alliances avec les autres � sa convenance. Ces organismes arm�s de la bourgeoisie d�fendaient leurs int�r�ts dans la guerre. Il en r�sultait que les relations entre les hommes �taient des relations entre sujets d'un m�me Etat. La l�gislation �tait une affaire priv�e de chaque Etat. La lutte des classes avait une base nationale, elle avait lieu entre la bourgeoisie d'un pays et le prol�tariat de ce m�me pays. Evidemment, les influences �trang�res traversaient la fronti�re : des congr�s internationaux si�geaient et adoptaient des r�solutions : mais c'�tait bien secondaire � c�t� du travail particulier du prol�tariat de chaque pays. Chaque parti avait une position � part ; la classe ouvri�re de chaque pays avait affaire s�par�ment � sa bourgeoisie locale.
L'imp�rialisme avait ensuite fait na�tre des Associations d'Etats, et ces associations, � la fin des fins, se cristallis�rent en deux grandes coalitions ennemies. L'une de ces coalitions est �cras�e par la guerre. Et celle qui remporte la victoire n'a plus d'adversaire.
Les vaincus se sont partiellement �miett�s en petites nations, oblig�s de s'incliner comme des pauvres devant les vainqueurs. Les pays neutres doivent aussi accepter leur h�g�monie. La coalition s'�largit et se transforme en Ligue des Nations. La Ligue des Nations de Wilson n'est pas autre chose, en fin de compte, qu'une Entente �largie, qui s'est assimil� certains Etats neutres et les restes des Etats vaincus.
Dans cette Ligue des Nations, peu de chose subsiste de la souverainet� et de l'ind�pendance des anciens Etats. M�me des Etats dirigeants, l'Angleterre et l'Am�rique, ne sont plus ind�pendants dans le domaine de leur politique int�rieure : les emprunts, les d�cisions politiques du Conseil sup�rieur de la Guerre, etc., ont laiss� des traces profondes ; et la France et l'Italie en sont encore plus d�pendants. Ces Etats ne peuvent d�j� plus diriger leur politique int�rieure � leur gr�. Mais c'est encore plus vrai pour les Etats vaincus. L'Angleterre, l'Am�rique, le Japon peuvent encore conserver une situation autonome, �tant les vainqueurs, les ma�tres du monde ; ils peuvent m�me commencer entre eux une nouvelle guerre. Mais tous les autres Etats ne sont ind�pendants qu'en apparence. Quand la Ligue des Nations sanctionnera th�oriquement ce qui est d�j� dans la pratique, ils perdront le droit de conclure entre eux des trait�s et d'entretenir des arm�es permanentes. Les puissances dirigeantes veilleront aussi attentivement � ce qu'elles agissent dans leur politique int�rieure comme elles le d�sirent.
La nette diff�renciation des Etats a disparu, mais l'ab�me entre les prol�taires et les exploiteurs s'est �largi d'autant plus. La bourgeoisie de tous les pays a form� une association internationale contre les prol�taires de tous les pays. Cela, non seulement th�oriquement, mais encore pratiquement. En 1871, Bismarck se tenait encore � l'�cart entre la Commune et Versailles, et ne pr�tait � Versailles qu'un concours indirect et moral. En 1918, les arm�es de l'Entente ont p�n�tr� en Russie pour y restaurer le pouvoir de la bourgeoisie, des g�n�raux, de la noblesse et vouer le peuple � la mis�re. Ce n'est pas la guerre de l'Angleterre et de la France contre la Russie, mais celle de la bourgeoisie contre le prol�tariat r�volutionnaire, celle du capital contre le socialisme.
Celui qui observe les �v�nements uniquement dans son propre pays peut ais�ment apercevoir l'essentiel. Les prol�taires allemands doivent se rappeler que, dans les steppes lointaines de l'Ukraine, le sort du socialisme allemand se d�cide tout autant que le sort de la R�publique des Soviets d�pend des combats de rues de Berlin et de Hambourg. Le prol�tariat r�volutionnaire de tous les pays constitue une seule masse, une seule arm�e, et si, prenant une part active � la lutte, il ne s'en souvient pas, il peut �tre an�anti � par morceau �, de m�me que les tron�ons dispers�s d'une seule grande arm�e. Le prol�tariat allemand n'obtiendra rien s'il sort de l'arm�e commune, en refusant son aide aux r�volutionnaires russes de crainte de provoquer le ressentiment de la bourgeoisie de l'Entente. S'il veut se lib�rer lui-m�me, il se trouvera dans une position isol�e, avantageuse aux assaillants. Il doit comprendre qu'il n'y a maintenant qu'un front au monde, le capital contre le prol�tariat ; le prol�tariat allemand, qu'il le veuille ou non, est plac� sur ce front, sur les m�mes lignes que le peuple russe et ses luttes soutiennent ses camarades dans le monde entier ; en Russie, o� ils se sont d�j� lib�r�s ; en Ecosse, en Am�rique, en France, o� ils commencent � se lever.
En face de l'internationale du capitalisme, en face de la Ligue des Nations de Wilson, l'internationale du travail, du communisme est debout : elle s'unifie et elle cro�t.
La guerre mondiale a d�vast� le monde, elle l'a plong� dans la plus profonde mis�re, dans le chaos, — telle est sa seconde grande œuvre.
Pendant quatre longues ann�es, toutes les forces productrices ont servi � la guerre. Cela veut dire que toutes les mati�res premi�res, toutes les machines, tous les moyens de transport et toute la force de travail humain ont �t� d�pens�s d'une fa�on improductive. Ils �taient employ�s � la destruction, employ�s, non � produire quelque chose, mais � vaincre l'ennemi. La cons�quence de ce fait devait �tre le manque de tout ce qui est n�cessaire � la soci�t� pour son existence. Tout cela ne put durer quatre ann�es enti�res que parce que pendant ces quatre ann�es, les besoins essentiels des masses furent par force r�duits au minimum ; car la militarisation de la production enlevait aux masses la possibilit� de b�n�ficier de ses fruits. Mais ce n'est qu'une partie du mal que fit la guerre ; il faut y ajouter la perte dans le monde entier des moyens de production, de transport, d�pens�s mais non renouvel�s. Et voici qu'� la fin de la guerre l'humanit� se trouve face � face avec une d�sorganisation totale de la vie �conomique : insuffisance des moyens de production, mati�res premi�res et main-d'œuvre, les hommes �tant �puis�s par suite de longues privations. On peut naturellement objecter que le capital s'est en revanche accru et concentr� dans des proportions inconnues. Mais ce capital est constitu� principalement de papier, c'est un capital improductif. Il repr�sente un droit de propri�t� sur des fabriques qui ne peuvent rapidement reconstituer leurs forces productrices ; il repr�sente les quittances de dettes de l'Etat, et requiert par cons�quent le paiement d'�normes pourcentages que doivent payer aux capitalistes le prol�tariat, la petite bourgeoisie et le paysan, sous forme d'imp�ts. L'accroissement du capital conditionne la distribution des produits (qui s'effectue de la fa�on la plus injuste) mais n'augmente pas la capacit� de production. L'enrichissement des gros veut dire que les vampires continueront d'accro�tre la mis�re g�n�rale, en accaparant � leurs propres profits la plus grande partie des produits n�cessaires. Si l'on consid�re ces faits d'un point de vue purement �conomique, il est �vident que le monde est d�j� devant une invraisemblable banqueroute, devant un d�sert improductif, devant le chaos �conomique.
C'est vrai de tous les pays, du Japon et de l'Am�rique moins que de la plupart des autres, des pays de l'Europe centrale plus que de tous les autres, comme c'�tait vrai nagu�re encore, en ce qui concerne la Russie. L'Allemagne a d�pens� de plus grandes ressources �conomiques que l'Angleterre — elle les a d�pens�es jusqu'� la derni�re goutte pour faire la guerre, ce qui ne serait pas arriv� si les ouvriers avaient fait la r�volution au mois de f�vrier dernier. Comme l'Allemagne est vaincue, on lui enl�ve maintenant les derni�re restes de ses biens. Ses adversaires veulent � tout prix emp�cher qu'elle puisse jamais redevenir de nouveau une grande puissance. Les discours des ministres anglais ne permettent pas d'en douter, : l'Allemagne sera compl�tement ruin�e et pill�e. L'or n�cessaire pour les achats �trangers et sans lequel on ne peut remettre en train la production, les vainqueurs le lui ont enlev� ; l'importation de l'�tranger en Allemagne de mati�res premi�res est rendue impossible ; les march�s �trangers sont ferm�s � l'Allemagne. Les r�gions les plus riches en fer et en charbon de l'Allemagne, la Lorraine, le bassin de la Sarre sont ou seront occup�s. On lui enl�ve une partie importante de ses machines et de ses moyens de transport, — de telle sorte que rien ne lui reste pour ressusciter sa production capitaliste. Le capital ne peut plus donner � ses travailleurs esclaves de moyens d'existence et une terrible crise de ch�mage menace le prol�tariat. Car le capital par lui-m�me n'est plus rien. Le puissant d�veloppement industriel de l'Allemagne, au cours de ces derniers 50 ans, est maintenant arr�t� d'un seul coup. La guerre mondiale, comme la guerre de 30 ans, a rejet� l'Allemagne en arri�re et l'a mise � un niveau de d�veloppement �conomique tr�s bas. Comme toute l'Europe centrale, elle est donc oblig�e de commencer par le commencement, par les �chelons primitifs de l'�conomie et des dizaines d'ann�es se passeront avant qu'elle puisse s'�lever plus haut. Telles sont ses perspectives d'avenir si la production bourgeoise continue, si la bourgeoisie conserve le pouvoir d'Etat.
Et les perspectives d'un avenir imm�diat sont encore plus sombres. Le ravitaillement et les moyens de transport n�cessaires pour sa r�partition existent en proportion tellement infimes que seule l'observation la plus s�v�re des mesures les plus dures d'un fort pouvoir gouvernemental donne les moyens de faire vivre la population. Tant que se trouve au pouvoir le gouvernement d'Ebert, d�sireux de plaire aux deux classes, aucune am�lioration �conomique n'est possible, mais, au contraire, une plus affreuse ruine se pr�pare. Seul, un gouvernement de classe peut �tre fort : ou un gouvernement ouvertement bourgeois disposant d'une force suffisante pour lui permettre de tenir le prol�tariat au bord de la mort de faim par des tarifs de salaire minimum, — ou un v�ritable gouvernement prol�tarien qui met la main sur toutes les richesses et tous les privil�ges de la bourgeoisie et partage honn�tement entre les masses toute la production du pays.
Le capitalisme ne peut d�j� plus rien donner au prol�tariat. La n�cessit� obligera le prol�tariat � passer au socialisme.
Avant la guerre, le capital pouvait donner quelque chose aux ouvriers : une existence sinon assur�e, du moins plus ou moins tranquille, quoique mis�rable ; le prol�tariat avait le choix entre cette existence et les avantages douteux de la r�volution qui devaient interrompre et briser le processus hautement d�velopp� de la production. C'est pourquoi la masse prol�tarienne ne se risquait pas � entreprendre la r�volution ; elle �tait satisfaite et se ber�ait de l'illusion que cette situation ne changerait pas. Le socialisme lui semblait un saut dans le vide, dans le chaos.
Et voil� que, maintenant, le monde est plong� dans ce chaos ; alentour c'est le vide. Le capitalisme ne peut d�j� plus assurer l'existence tranquille, donner un travail paisible. Le peuple a le choix : ou laisser le gouvernement du monde entre les mains indignes, coupables d'avoir cr�� ce chaos, entre les mains de la bourgeoisie, de la bureaucratie, des Ebert — en d'autres termes, p�rir en leur donnant les moyens de conserver leur syst�me malfaisant ; ou prendre le pouvoir entre ses mains et mettre lui-m�me la production en marche. Dans le premier cas, la production ne peut se d�velopper que difficilement, par suite de l'insuffisance du capital et du poids de ses int�r�ts, et le r�sultat ne peut qu'�tre une nouvelle accumulation du capital. Dans le second cas, la production est �nergiquement mise en train, car il s'agit des int�r�ts m�mes du peuple travailleur. Le choix doit �tre fait, la n�cessit� y oblige le prol�tariat. Mais ce n'est pas la conviction de l'excellence de l'ordre socialiste, ce n'est pas la compr�hension th�orique de sa n�cessit�, c'est un besoin imm�diat qui oblige les ouvriers � appliquer le socialisme.
Ebert ou quelqu'autre a dit qu'une �poque de mis�re g�n�rale n'est pas propice � l'application de th�ories. Pour ces gens, le socialisme a toujours �t� une th�orie abstraite, et non une n�cessit� pratique vitale pour les ouvriers. Ils r�vaient on ne sait quel capitalisme id�al, au sein duquel une raisonnable majorit� parlementaire, social-d�mocrate, pourrait effectuer de paisibles r�formes, au milieu d'une production florissante et dans un bien-�tre g�n�ral. Mais la r�alit� a un tout autre aspect ; le socialisme doit �tre le sauveur : il est le seul moyen pour, les masses d'�chapper � un naufrage d�finitif.
Et il sera ce sauveur. Sans socialisme, le peuple de la Russie ruin�e aurait �t� la proie de la faim et aurait p�ri ; les premiers pas du socialisme ont sauv� les masses populaires � l'heure la plus terrible, ont fortifi� la situation �conomique, malgr� les agressions de l'int�rieur, agressions qui mena�aient de la fa�on la plus s�rieuse le ravitaillement des populations. C'est exactement de m�me qu'en Allemagne et dans les autres pays de l'Europe Centrale : le socialisme, par une organisation fortement ordonn�e et m�thodique de la production et du ravitaillement, sauvera les masses de toutes les horreurs du temps pr�sent et posera en m�me temps les fondements d'un nouveau syst�me de production, les fondements de la nouvelle libert�.
En 1847 Marx disait aux prol�taires : vous n'avez � perdre que vos cha�nes. — Il y a dix ans, les repr�sentants ouvriers disaient contrairement au marxisme ; � Maintenant les ouvriers ont quelque chose � perdre, il ne faut donc pas de r�volution. � — Et vraiment : tant que les ouvriers, en des p�riodes de relatif bien-�tre, sentaient ou pensaient qu'ils avaient quelque chose � perdre, ils n'�coutaient pas Marx : mais ses paroles n'�taient pas mortes. Maintenant elles sont ressuscit�es. Tout ce que le capitalisme pouvait donner en fait ou en apparence, tout a p�ri. Les ouvriers n'ont plus rien � perdre. Compl�tement pill�s, nus, ils sont dans un d�sert, devant les portes de l'avenir. Ils ont un monde � gagner.
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