1934 |
Pierre Naville. 10 février 1934, La Vérité n°191 |
Le vrai complot.
Le gouvernement Doumergue prépare l'élimination du parlement et l'offensive contre les ouvriers.
Le complot a vaincu. Avant-hier nous avons assisté au sursaut dernier du radicalisme bourgeois. Mais la réaction était décidée à en finir. Après l’émeute du 6 février, elle utilisa la répression de Daladier pour multiplier l’agitation. Les violences, la guerilla menée contre la police toute la nuit de mercredi, est son oeuvre. Mais aujourd’hui que Daladier-Frot ont capitulé, que la gauche bourgeoise a manifesté son impuissance, alors toutes les bandes réactionnaires, toute la grande presse vénale, crient aux « apaches », à la « tourbe », qui prend possession de la rue après « les bons patriotes ».
La comédie infâme se développe. Hypocritement les réacteurs et les fascistes, la Liberté, l’Echo de Paris et l’Ami du Peuple s’attendrissent sur le bon peuple de Paris, l’union nationale, et la fièvre sacrée du chauvinisme. Derrière cette mascarade s’échafaude le grand complot contre la classe ouvrière. Voilà la menace directe.
La vague réactionnaire monte. Nous entrons dans le régime de « l’Etat Fort », flanqué des formations fascistes des Croix de Feu et autres, qui essaient dans leurs affiches de retourner l’accusation en parlant du « fascisme Daladier ».
Tout cela s’élabore dans le dos de Doumergue. Doumergue joue en cette affaire exactement le rôle du paravent, ni plus ni moins, à la manière d’Hindenburg en Allemagne. On amuse les badauds avec son sourire et son accent languedocien, alors que les Tardieu, Reynaud et Cie tirent les ficelles et s’agitent. Qu’on lise le livre de Tardieu qui vient de paraître : L’heure de la décision ; c’est tout le programme du nouveau ministère : mater les partis ouvriers, liquider les syndicats de fonctionnaires, ramener la Chambre au rang de Parlement-croupion, centraliser le pouvoir exécutif de l’Etat et élargir le rôle de la Police. Et tout cela a un objectif direct : préparer la guerre !
Voilà ce qui s’agite derrière les grandes phrases sur « la liberté et la paix ».
Mais les ouvriers ne sont pas et ne seront pas dupes ! Le P.C., la C.G.T., les socialistes, tous les représentants des courants démocratiques et révolutionnaires le constatent : ce qui, en fin de compte, menace le prolétariat en France, c’est le régime d’Hitler, la militarisation permanente de l’Etat, sa centralisation poussée à outrance, le prolétariat réduit à l’esclavage total, transformé à nouveau pour demain en chair à canon.
L’expérience allemande servira-t-elle ? Social-démocratie et stalinisme on fait faillite là-bas. Ici, ils recommencent les mêmes erreurs. Et pourtant, n’est-ce pas Cachin qui écrit dans l’Huma d’aujourd’hui : Si la classe ouvrière n’agissait pas d’urgence , la bourgeoisie glisserait rapidement au fascisme intégral ! « Au moins ne sera-ce pas ICI sans que le parti des ouvriers, notre Parti Communiste, se défende énergiquement ».
N’est-ce pas un aveu que là-bas, le PC ne s’est pas défendu énergiquement ? Mais le PC continue à observer ici la même tactique qui a mené à la défaite en Allemagne.
Quant au Parti socialiste on voit clairement comment ses cadres dirigeants hésitent et sont tiraillés, entre les combinaisons avec le radicalisme bourgeois et les exigences des militants de ses sections.
Les masses ouvrières attendent qu’un nouveau courant grandisse, qui soit réellement son guide politique. Toute notre action est dirigée dans ce sens. Les luttes actuelles montrent mieux que tout l’inéluctabilité de la croissance d’un nouveau P.C. du prolétariat. Les militants les plus avertis ont déjà pu vérifier dans la semaine qui vient de s’écouler combien nos avertissements étaient justifiés. L’accueil reçu par nos tracts, nos journaux, a d’un coup montré la sympathie montante envers nos idées.
Aujourd’hui la situation politique est claire : la réaction a remporté une victoire en brisant la résistance de la gauche bourgeoise, en menaçant directement la classe ouvrière. Une défensive combattive, acharnée, s’impose.
A la classe ouvrière il faut dire la vérité, sans équivoques. La bourgeoisie va tenter de jeter la confusion en se faisant bénisseuse et en faisant donner sa presse à gage. Pas de sang ! Pas de violence ! Union de tous les Français ! s’écrient hypocritement les organisateurs de complots, ceux qui avaient armé les bandes fascistes du 6 février, et qui menaçaient de revenir à la grenade si Daladier ne démissionnait pas sur le champ !
On prétend se borner à réclamer une république « propre et honnête », et tourner l’indignation petite bourgeoise contre les turpitudes parlementaires. Mais le ministère, tel que le compose Doumergue, déchire le voile.
Des généraux, des hauts fonctionnaires aux ordres, plus de contrôle parlementaire, voilà qui permettre aux réactionnaires et fascistes de s’organiser méthodiquement à l’abri du prestige du bonasse Doumergue. Voilà qui permettra de soulever méthodiquement la province, de préparer la révision de la Constitution, la restriction des libertés communales, l’instauration générale de la police d’Etat.
A ce plan d’agression, la classe ouvrière doit opposer son plan de résistance, soigneusement mûri, développant à chaque étape les mots d’ordre de lutte et de revendications précises. Aujourd’hui, la directive est nette : première riposte à l’instauration du gouvernement Doumergue : une grève générale effective, un rassemblement prolétarien massif, l’organisation du front unique ouvrier !
Pierre Naville. 10 février 1934, La Vérité n°191