1865

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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

K. Marx

§ 5 : Subdivision du profit en intérêt et profit d'entreprise. Le capital productif d'intérêts.


Chapître XXXI : Capital-argent et capital effectif (II)

Nous n'avons pas encore donné la solution complète de la question que nous nous sommes posée - Jusqu'à quel point l'accumulation du capital sous forme de capital empruntable est-elle une accumulation effective et correspond-elle à une extension du procès de reproduction ?

La transformation de l'argent en capital empruntable est beaucoup plus simple que la transformation de l'argent en capital productif. Elle se présente sous deux aspects :

  1. la simple transformation de l'argent en capital empruntable ;
  2. la transformation du capital ou du revenu en argent, devenant ensuite capital empruntable.
  3. Seule cette dernière peut donner lieu à une accumulation réelle, se rattachant à une accumulation de capital industriel.

    1. Transformation de l'argent en capital empruntable.

    Nous avons vu qu'il peut se produire une accumulation, une surabondance de capital empruntable et qu'elle a pour caractère d'être en raison inverse de l'accumulation de capital productif. Il en est ainsi dans deux phases du cycle industriel ; d'abord au commencement du cycle, immédiatement après la crise, dans la période de contraction du capital productif et du capital-marchandise; ensuite, lorsque le relèvement commence, mais que le crédit commercial n'a guère recours encore au crédit des banques. Dans le premier cas, le capital-argent, appliqué antérieurement dans la production et le commerce, s'offre comme capital empruntable ne trouvant pas à s'occuper ; dans le second cas, le capital est occupé davantage, mais à un intérêt très bas, les capitalistes industriels et commerçants imposant leurs conditions au capitaliste d'argent. D'un côté, l'abondance de capital empruntable est l'indice d'une stagnation du capital industriel, de l'autre, elle exprime que le crédit commercial est relativement affranchi du crédit des banques, parce que les rentrées d'argent se font facilement et régulièrement et que les capitalistes opèrent avec des capitaux à eux et du crédit à courte échéance. Les spéculateurs qui ont besoin du capital des autres ne sont pas encore entrés en campagne, et les industriels et commerçants travaillant avec des capitaux leur appartenant n'ont pas encore recours aux véritables opérations de credit. Dans la première phase, l'abondance de capital ernpruntable exprime l'opposé d'une accumulation effective ; dans la seconde, elle se produit en même temps qu'une expansion du procès de reproduction, sans en être la cause, et elle diminue déjà relativement à la demande. Dans les deux cas, le procès d'accumulation effective prend de l'extension, parce que, malgré les prix réduits ou lentement croissants, le profit d'entreprise augmente grâce au taux de l'intérêt. Cette situation s'accentue dans la période de prospérité, bien que l'intérêt s'élève à son taux moyen, parce qu'alors l'accroissement du profit est plus rapide que celui de l'intérêt.

    Nous avons vu également qu'une accumulation de capital empruntable peut se produire en dehors de toute accumulation effective, par des moyens purement techniques, tels que l'extension et la concentration des banques, l'économie de la réserve de la circulation et l'économie du fonds de réserve servant de moyens de paiement aux particuliers. Ce capital empruntable ne fonctionne comme tel que pendant de courtes périodes (il n'est escompté qu'à des délais très courts) ; on l'appelle capital flottant (floating capital) parce qu'il est soumis à un va et vient continuel ; l'un le retire, l'autre l'amène. Il en résulte que le capital empruntable (avancé pour peu de temps contre des traites et des dépôts, et non à long terme) augmente réellement avant qu'il y ait accumulation effective.

    C. A. 1857. Question 501.

    « Qu'entendez-vous par floating capital ? »

    (M. Weguelin, Gouverneur de la Banque d'Angleterre) :

    « Le capital consacré aux prêts d'argent à courte échéance…        (502) les billets de la Banque d'Angleterre des banques provinciales et l'argent existant dans le pays. - (Question) Si par floating capital vous entendez la circulation active (notamment les billets de la Banque d’Angleterre), il ne semble pas, d'après les rapports qui sont parvenus à la Commission, que des fluctuations très importantes se présentent dans cette circulation.

    (La situation est cependant très différente suivant que la circulation active a pour point de départ des prêteurs d'argent ou les capitalistes producteurs.)

    (Réponse de Weguelin) « Je comprends dans le floating capital la réserve des banques, qui est soumise à des fluctuations considérables. »

    D'après cette déclaration, des fluctuations importantes se présentent dans la partie des dépôts que les banquiers ne consacrent pas aux prêts et qui constitue leur réserve en même temps qu'une grande partie de la réserve de la Banque d'Angleterre, où elle est déposée. M. Weguelin dit également que le floating capital comprend le bullion, c'est-à-dire les lingots et les espèces (503). Ce qui est stupéfiant, c'est la manière dont le baragouin du marché financier met sens dessus dessous toutes les catégories de l'économie politique. Il appelle floating capital ce qui est circulating capital et capital ce qui est money et bullion ; les billets de banque sont de la circulation, le capital est a commodity, les dettes sont des commodities et enfin le fixed capital est de l'argent sous forme de papier dont la vente n'est rien moins que facile !

    « Les banques par actions de Londres... ont vu leurs dépôts augmenter de 8.850.774 £ en 1817 à 43.100.721 £ en 1857... Les documents et les témoignages recueillis par la Commission établissent que cette somme énorme provient en grande partie d'une origine qu'elle n'avait pas précédemment, l'habitude d'avoir un dépôt et un compte ouvert chez le banquier ayant été prise par quantité de personnes qui autrefois ne plaçaient pas leur capital (!) de cette manière. M. Rodwell, président et délégué de l'Association des banques provinciales privées (qu'il ne faut pas confondre avec les banques par actions), déclare que dans ces derniers temps cette habitude s'est développée dans la proportion de 1 à 4 parmi les fermiers et les détaillants de la région d'Ipswich, presque tous les fermiers, même ceux dont le fermage n'est que de 50 £, ayant maintenant des dépôts à la banque. Ces dépôts vont naturellement aux affaires et gravitent nécessairement vers Londres, le centre de l'activité commerciale, où ils servent à l'escompte et aux autres avances que les banques font à leurs clients, ou passent aux billbrokers qui en échange remettent aux banquiers les traites qu'ils ont escomptées à des personnes de Londres et de la province. » (C. A. 1858, p. 8.)
    En réalité, le banquier réescompte les billets que le billbroker lui remet contre l'argent qu'il lui avance, et il arrive fréquemment que ces traites ont déjà été réescomptées chez le billbroker; de sorte que ce dernier réescompte des effets avec l'argent provenant des effets que le banquier lui a réescomptés. Aussi peut-on dire qu'une large extension a été donnée au crédit fictif par des traites de complaisance et du crédit en blanc, ce qui a été facilité par les procédés des banques provinciales par actions, qui ayant escompté des traites de cette espèce, les réescomptaient chez les billbrokers de Londres, sans se préoccuper de leur qualité. » (l.c.)

    Le passage suivant de l'Economist est intéressant au sujet du réescompte et des ressources que présente cette augmentation purement technique du capital empruntable pour les tripotages en matière de crédit :

    « Pendant plusieurs années le capital (il s'agit du capital empruntable) s'accumula, dans quelques districts, plus vite qu'il ne fut possible de l'appliquer, tandis que l'effet inverse se produisit dans d'autres. Alors que les banquiers des districts agricoles ne trouvaient pas à appliquer lucrativement et sùrement leurs dépôts dans leurs régions, ceux des districts industriels et des villes de commerce étaient assaillis de plus de demandes de capitaux qu'ils ne pouvaient en satisfaire. Cet état de choses a donné naissance dans ces dernières années à une catégorie nouvelle de maisons s'occupant de la répartition du capital et qui, bien que désignées sous le nom de billbrokers, sont en réalité des banques dans toute la force du terme. Elles reprennent, pour des temps donnes et à un intérêt déterminé, le capital en excès et inoccupé dans les banques de district ainsi que le capital momentanément disponible dans les sociétés par actions et les grandes maisons de commerce, pour l'avancer pour des opérations de réescompte aux banques de district où le capital fait défaut ... Lombard street est devenu ainsi le grand centre de transmission des capitaux disponibles, passant d'une région à une autre ou d'un individu à un autre. A l'origine, ces opérations se faisaient exclusivement sur nantissement de valeurs banquables. Mais à mesure que le capital augmenta dans le pays et fut épargné davantage par suite du développement des banques, les fonds mis à la disposition de ces maisons devinrent tellement considérables qu'elles se décidèrent à faire des avances, d'abord sur des warrants, ensuite sur des connaissements réprésentant des produits non encore arrives à destination et pour lesquels bien souvent (et irrégulièrement) des traites étaient déjà tirées sur les courtiers.
    Cette pratique ne tarda pas à altérer complètement le caractère du commerce anglais. Les facilités offertes dans Lombard street renforcèrent la situation des courtiers de Mincing Lane et cet effet se reporta sur les importateurs. Ceux-ci, dont le crédit eùt été ruiné il y a vingt-cinq ans s'ils avaient demandé une avance sur warrant ou sur connaissement, se lancèrent tellement dans ces opérations que celles-ci cessèrent d'être l'exception et devinrent la règle ; le système prit une extension telle que de fortes sommes furent empruntées dans Lombard street contre des traites tirées sur des récoltes sortant à peine de terre dans des colonies éloignées. Il en est résulté que les importateurs ont donné plus d'importance à leurs affaires avec l'étranger et ont appliqué leur capital flottant (floating capital) aux placements les plus aléatoires, les plantations dans les colonies qu'ils ne peuvent guère contrôler. Ces opérations montrent clairement l'enchaînement des crédits. Le capital épargné dans nos districts agricoles est déposé par petites sommes dans nos banques de province et de là centralisé dans Lombard street. Il est d'abord appliqué à donner de l'extension à la production de nos districts miniers et industriels, dont il sert à réescompter les traites : il est utilisé ensuite à faire des avances aux importateurs sur des warrants ou des connaissements, et à permettre aux maisons faisant le commerce avec l'étranger et les colonies de dégager leur capital commercial « légitime » pour l'appliquer aux placements les plus condamnables dans les plantations d'outre-mer. » (Economist, 1847, p. 1334.)

    Voilà le « bel » entrelacement des crédits. Le campagnard se figure que le banquier chez lequel il fait un dépôt ne prête l'argent qu'il lui confie qu'à des personnes qu'il connait. Il ne se doute pas un instant que son banquier met le dépôt à la disposition d'un billbroker de Londres, sur les opérations duquel ils n'ont ni l'un ni l'autre le moindre contrôle.

    Nous avons déjà vu quelle importance les grandes entreprises publiques, par exemple les chemins de fer, peuvent donner momentanément au capital empruntable, par la partie de leurs versements qui reste pendant un certain temps disponible dans les banques.

    La masse de capital empruntable est loin d'être égale à l'importance de la circulation, laquelle est représentée par la quantité totale de billets de banque, de monnaie métallique et de lingots d'un pays (dont une partie, de grandeur variable, constitue la réserve des banques).

    « Le 12 novembre 1857 (le jour de la suppression du Bank Act de 1814) la réserve totale de la Banque d'Angleterre et de toutes ses succursales n'était que de 580.751 £ et le total des depôts était de 22 1/2 millions de £, dont environ 6 1/2 millions appartenant aux banquiers de Londres » (C.B. 1858, p. LVII.)

    Lorsque l'on fait abstraction des variations se produisant au bout de longues périodes et qui sont provoquées par des variations du taux général du profit, ainsi que des différences qui se présentent d'un pays à l'autre par suite de différences existant entre les taux des profits et dans le développement du crédit, on trouve que le taux de l'intérêt (à confiance, etc. égales) varie suivant l'offre de capital empruntable, c'est-à-dire de capital offert aux emprunteurs sous forme de monnaie métallique et de billets. Ce capital diffère du capital industriel que les agents de la reproduction industrielle se prêtent entre eux sous forme de marchandises, par l'intermédiaire du crédit commercial, et il est indépendant comme masse de la quantité de monnaie en circulation.

    Lorsque, par exemple, 20 £ sont prêtées à cinq reprises en un jour, l'opération se ramène à un prêt de 100 £ de capital-argent, à condition que les 20 £ fonctionnent au moins quatre fois comme moyen d'achat et de paiement. Si cette condition n'est pas remplie, si les 20 £ n'ont pas revêtu au moins quatre fois la forme de capital (marchandise et force de travail), les 100 £ représenteront, non pas un capital, mais cinq créances de 20 £.

    Nous pouvons admettre que dans les pays où le crédit est développé, tout le capital-argent empruntable existe sous forme de dépôts chez les banquiers et les prêteurs d'argent. Dans les périodes de prospérité et avant que la spéculation soit déchaînée, la confiance étant générale et le crédit facile, la plus grande partie des opérations de circulation se fait par de simples transferts de crédits, sans l'intervention ni de la monnaie métallique, ni de la monnaie de papier. La masse des dépôts dans les banques peut alors être considérable avec une quantité réduite de moyens de circulation, si le nombre d'achats et de ventes effectués par les mêmes pièces de monnaie est important et si les mêmes pièces de monnaie reviennent fréquemment à la banque pour fonctionner comme moyens d'achat et de vente. Supposons, par exemple, qu'un petit commerçant dépose chaque semaine 100 £ en monnaie chez un banquier et que celui-ci les remette hebdomadairement à un fabricant, qui s'en sert pour payer ses ouvriers ; admettons également que ces derniers s'approvisionnent chez le commerçant et lui permettent de la sorte de faire son versement hebdomadaire à la banque. Les 100 £ du petit commerçant serviront par conséquent a faire une avance au fabricant, à liquider le salaire des ouvriers, à payer le petit commerçant lui-même et enfin à permettre à ce dernier de faire un dépôt à la banque, dépôt qui en vingt semaines s'élèvera à 2.000 £, à condition que le banquier n'ait dù faire aucune avance à son déposant.

    Les variations des fonds de réserve des banques renseignent sur la rareté du capital-argent empruntable, ce qui permet à M. Weguelin, Gouverneur de la Banque d'Angleterre, de dire que l'or de la Banque d'Angleterre est le « seul » capital de réserve :

    « 1258. A mon avis, le taux de l'escompte est déterminé en fait par la quantité de capital disponible dans le pays, et cette quantité est représentée par la réserve de la Banque d'Angleterre, qui est effectivement en or. Par conséquent lorsque l'or est drainé, la masse de capital disponible dans le pays diminue et la valeur de la quantité de capital restant augmente.
    - 1364. La réserve d'or de la Banque d'Angleterre est en réalité la réserve centrale, le trésor métallique servant de base à toutes les affaires du pays. C'est sur ce trésor que se reporte l'influence des cours du change avec l'extérieur. » (Report on Bank Acts, 1857.)

    La statistique des exportations et des importations donne une mesure de l'accumulation du capital effectif, c'est-à-dire du capital productif et du capital - marchandise. Elle montre que dans la série de cycles de dix ans chacun, qui caractérisent le développement de l'industrie anglaise de 1815 à 1870, la prospérité maximum qui a été atteinte dans chaque cycle immédiatement avant la crise se retrouve comme prospérité minimum dans le cycle suivant, qui donne lieu ensuite à une prospérité maximum plus considérable.

    En 1824, une année de prospérité, la valeur déclarée des produits exportés par la Grande-Bretagne et l'Irlande s'élève à 40.326.300 £; la crise de 1825 la fait diminuer et la ramène pendant les années suivantes à un chiffre variant de 35 à 39 millions. La prospérité renaît en 1834 et avec elle les exportations remontent au niveau maximum du cycle précédent (41.649.191 £), mais le dépassent bientôt pour atteindre, en 1836, un nouveau maximum, cette fois, de 53.368.571 £. En 1837, éclate la crise ; la valeur des produits exportés tombe à un minimum de 42 millions, plus élevé que le maximum de 1824, et oscille ensuite entre 50 et 53 millions. Le retour de la prospérité fait monter l'exportation à 58 1/2, millions en 1841 et lui fait dépasser le maximum de 1836. Elle atteint 60.111.082 £ en 1845, tombe à 57 millions en 1846, remonte à 59 millions en 1847, retombe à 53 millions en 1848, s'élève à 63 1/2 millions en 1849, à 99 millions en 1853, à 97 millions en 1854, à 94 1/2 millions en 1855, à 116 millions en 1856, pour atteindre le point culminant de 122 millions, en 1857. Elle tombe ensuite à 116 millions en 1858, et passe successivement par 130 millions en 1859, 136 millions en 1860, 125 millions (un nouveau minimum plus grand que le maximum précédent) en 1861 et 146 1/2 millions en 1863.

    Nous pourrions refaire un tableau analogue pour l'importation, qui donnerait l'expression de l'extension du marché; mais nous n'avons à nous occuper que de la production. [Il va sans dire que les faits qui viennent d'être exposés ne sont vrais que pour la période où l'Angleterre avait le monopole de l'industrie ; ce qui n'empêche que les conclusions s'appliqueront à tous les pays de la grande industrie moderne aussi longtemps que l'expansion du marché mondial continuera. - F. E.]

    2. - La transformation du capital ou du revenu en argent et de l'argent en capital empruntable.

    Nous avons vu que l'accumulation de capital-argent peut résulter d'une interruption du courant du crédit commercial ou d'une économie des moyens de circulation et du fonds de réserve consacré à la reproduction. Elle peut être déterminée également par un afflux extraordinaire d'or, ainsi que cela se produisit en 1852 et 1853, lors de la découverte de nouvelles mines en Australie et en Californie. Cet or fut déposé à la Banque d'Angleterre et ceux qui en firent le dépôt reçurent en échange des billets qu'ils ne déposèrent dans aucune autre banque. Il en résulta une augmentation extraordinaire de la masse de moyens de circulation (Déposition de Weguelin, C. A. 1857, n° 1329). La Banque essaya de mettre ces dépôts en valeur en réduisant le taux de l'escompte, ce qui n'empêcha que pendant six mois de l'année 1853 l'or entassé dans ses caves s'éleva à 22-23 millions.

    L'accumulation se fait évidemment sous forme d'argent chez les capitalistes prêteurs, alors que chez les capitalistes industriels - et là il s'agit d'accumulation effective - elle se réalise généralement par l'augmentation des éléments du capital reproductif. Le développement du crédit et la concentration des opérations de prêt dans les grandes banques accélèrent l'accumulation du capital empruntable et la différencient nettement de l'accumulation effective. Le profit, source de l'accumulation des capitalistes d'argent, étant une partie de la plus-value obtenue par les capitalistes producteurs (il est en même temps une partie de l'intérêt des épargnes d'autrui), on peut dire que le développement rapide du capital empruntable est un résultat du développement du procès de reproduction et par conséquent de l'accumulation effective.

    Le capital empruntable s'accumule à la fois aux dépens des industriels et des commerçants. En effet, dans les phases de dépression des cycles industriels, l'intérêt monte à un taux tellement élevé qu'il absorbe momentanément tout le profit des entreprises fonctionnant dans des conditions défavorables ; en même temps baissent les prix des fonds publics et des autres valeurs. C'est le moment dont profitent les capitalistes d'argent pour acheter à vil prix des titres, qui ne tardent pas à remonter à leurs anciens cours et qu'ils vendent alors, s'appropriant par ces opérations une partie du capital-argent du public (à moins qu'ils ne les gardent pour profiter des intérêts élevés qu'ils donnent eu égard aux prix d'achat). Tout le profit qu'ils réalisent de la sorte est converti en capital, en passant d'abord par l'état de capital empruntable. L'accumulation de ce dernier, bien qu'elle ait pour source l'accumulation effective, est donc poursuivie par une catégorie spéciale de capitalistes, les financiers, les banquiers, etc., et elle doit nécessairement devenir plus importante à mesure que grandit le rôle du crédit.

    Lorsque le taux de l'intérêt est bas, la dépréciation du capital-argent est supportée par les déposants et non par les banquiers. Avant que les banques par actions ne se fussent développées en Angleterre, les trois quarts des dépôts ne rapportaient pas d'intérêt; lorsqu'aujourd'hui un intérêt est alloué, il est inférieur d'au moins 1 % au taux du jour.

    En ce qui concerne l'accumulation d'argent par les autres capitalistes, nous faisons abstraction de ce qui est engagé et accumulé en titres rapportant un intérêt, et nous ne tenons compte que de la partie qui arrive sur le marché sous forme de capital-argent empruntable. Elle comprend en premier lieu la part du profit qui n'est pas dépensée comme revenu et dont les capitalistes industriels n'ont pas emploi immédiatement dans leurs entreprises. Ce profit est une fraction du capital-marchandise et sa valeur est réalisée en argent par la vente de ce dernier; de sorte que s'il n'est pas reconverti immédiatement en éléments de production, il doit rester un certain temps sous forme d'argent. Il augmente en quantité à mesure qu'augmente la masse du capital, même si le taux du profit vient à diminuer. Quant à la part du profit qui doit être consommée comme revenu, elle n'est dépensée que petit à petit et peut être déposée comme capital empruntable dans une banque, d'où l'industriel la retire au fur et à mesure de ses besoins. On peut donc dire que tout le revenu fonctionne comme capital empruntable et que l'accumulation de celui-ci, grâce au développement du crédit, est activée par l'accroissement de la consommation des capitalistes industriels et commerçants. Il en est ainsi de tous les revenus qui ne sont pas consommés en une fois, par conséquent de la rente foncière, du salaire du travail sous sa forme la plus élevée, du revenu des classes improductives, etc. ; tous existent à l'état d'argent pendant un certain temps et peuvent être convertis en dépôts, en capital empruntable.

    Que le revenu soit destiné à la consommation ou à l'accumulation, du moment qu'il existe en argent, il résulte de la conversion d'une partie de la valeur du capital-marchandise, et il est alors l'expression et le résultat, non du capital productif même, mais de l'accumulation effective. Lorsqu'un filateur échange une partie de son fil contre du coton et une autre partie, représentant son revenu, contre de l'argent, c'est le fil passant au tisserand ou à quelqu'autre consommateur privé qui incarne son capital industriel et qui représente la valeur-capital avec la plus-value qu'elle contient. La plus-value qui peut être convertie en argent dépend de la plus-value incorporée dans le fil; mais dès que celui-ci est converti en argent, cet argent ne représente plus que la valeur de la plus-value et comme tel il devient un élément du capital empruntable. Pour lui donner la forme de celui-ci il suffit de le déposer dans une banque ou de le prêter directement ; au contraire pour le retransformer en capital productif, il est indispensable qu'il atteigne en quantité un minimum donné.


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