1867

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Le Capital - Livre premier

Le développement de la production capitaliste

Karl MARX

VIII� section : L'accumulation primitive

Chapitre XXVIII : La l�gislation sanguinaire contre les expropri�s � partir de la fin du XV� si�cle. - Les lois sur les salaires.


La cr�ation du prol�tariat sans feu ni lieu - licenci�s des grands seigneurs f�odaux et cultivateurs victimes d'expropriations violentes et r�p�t�es - allait n�cessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes. D'autre part, ces hommes brusquement arrach�s � leurs conditions de vie habituelles ne pouvaient se faire aussi subitement � la discipline du nouvel ordre social. Il en sortit donc une masse de mendiants, de voleurs, de vagabonds. De l�, vers la fin du XV� si�cle et pendant tout le XVI�, dans l'ouest de l'Europe, une l�gislation sanguinaire contre le vagabondage. Les p�res de la classe ouvri�re actuelle furent ch�ti�s d'avoir �t� r�duits � l'�tat de vagabonds et de pauvres. La l�gislation les traita en criminels volontaires; elle supposa qu'il d�pendait de leur libre arbitre de continuer � travailler comme par le pass� et comme s'il n'�tait survenu aucun changement dans leur condition.

En Angleterre, cette l�gislation commence sous le r�gne de Henri VII.

Henri VIII, 1530. - Les mendiants �g�s et incapables de travail obtiennent des licences pour demander la charit�. Les vagabonds robustes sont condamn�s au fouet et � l'emprisonnement. Attach�s derri�re une charrette, ils doivent subir la fustigation jusqu'� ce que le sang ruisselle de leur corps; puis ils ont � s'engager par serment � retourner soit au lieu de leur naissance, soit � l'endroit qu'ils ont habit� dans les trois derni�res ann�es, et � � se remettre au travail � (to put themselves to labour). Cruelle ironie ! Ce m�me statut fut encore trouv� trop doux dans la vingt-septi�me ann�e du r�gne d'Henri VIII. Le Parlement aggrava les peines par des clauses additionnelles. En cas de premi�re r�cidive, le vagabond doit �tre fouett� de nouveau et avoir la moiti� de l'oreille coup�e; � la deuxi�me r�cidive, il devra �tre trait� en f�lon et ex�cut� comme ennemi de l'�tat.

Dans son Utopie, le chancelier Thomas More d�peint vivement la situation des malheureux qu'atteignaient ces lois atroces. � Ainsi il arrive �, dit-il, � qu'un glouton avide et insatiable, un vrai fl�au pour son pays natal, peut s'emparer de milliers d'arpents de terre en les entourant de pieux ou de haies, ou en tourmentant leurs propri�taires par des injustices qui les contraignent � tout vendre. � De fa�on ou d'autre, de gr� ou de force, � il faut qu'ils d�guerpissent tous, pauvres gens, c�urs simples, hommes, femmes, �poux,. orphelins, veuves, m�res avec leurs nourrissons et tout leur avoir; peu de ressources, mais beaucoup de t�tes, car l'agriculture a besoin de beaucoup de bras. Il faut, dis-je, qu'ils tra�nent leurs pas loin de leurs anciens foyers, sans trouver un lieu de repos. Dans d'autres circonstances, la vente de leur mobilier et de leurs ustensiles domestiques e�t pu les aider, si peu qu'ils vaillent; mais, jet�s subitement dans le vide, ils sont forc�s de les donner pour une bagatelle. Et, quand ils ont err� �� et l� et mang� jusqu'au dernier liard, que peuvent-ils faire autre chose que de voler, et alors, mon Dieu ! d'�tre pendus avec toutes les formes l�gales, ou d'aller mendier ? Et alors encore on les jette en prison comme des vagabonds, parce qu'ils m�nent une vie errante et ne travaillent pas, eux auxquels personne au monde ne veut donner du travail, si empress�s qu'ils soient � s'offrir pour tout genre de besogne. � De ces malheureux fugitifs dont Thomas More, leur contemporain, dit qu'on les for�a � vagabonder et � voler, � soixante-douze mille furent ex�cut�s sous le r�gne de Henri VIIII [1] �.

Edouard VI. - Un statut de la premi�re ann�e de son r�gne (1547) ordonne que tout individu r�fractaire au travail sera adjug� pour esclave � la personne qui l'aura d�nonc� comme truand. (Ainsi, pour avoir � son profit le travail d'un pauvre diable, on n'avait qu'� le d�noncer comme r�fractaire au travail.)

Le ma�tre doit nourrir cet esclave au pain et � l'eau, et lui donner de temps en temps quelque boisson faible et les restes de viande qu'il jugera convenable. Il a le droit de l'astreindre aux besognes les plus d�go�tantes � l'aide du fouet et de la cha�ne. Si l'esclave s'absente une quinzaine de jours, il est condamn� � l'esclavage � perp�tuit� et sera marqu� au fer rouge de la lettre S [2] sur la joue et le front; s'il a fui pour la troisi�me fois, il sera ex�cut� comme f�lon. Le ma�tre peut le vendre, le l�guer par testament, le louer � autrui � l'instar de tout autre bien meuble ou du b�tail. Si les esclaves machinent quelque chose contre les ma�tres, ils doivent �tre punis de mort. Les juges de paix ayant re�u information sont tenus de suivre les mauvais garnements � la piste. Quand on attrape un de ces va-nu-pieds, il faut le marquer au fer rouge du signe V sur la poitrine et le ramener � son lieu de naissance o�, charg� de fers, il aura � travailler sur les places publiques. Si le vagabond a indiqu� un faux lieu de naissance, il doit devenir, pour punition, l'esclave � vie de ce lieu, de ses habitants ou de sa corporation; on le marquera d'un S. Le premier venu a le droit de s'emparer des enfants des vagabonds et de les retenir comme apprentis, les gar�ons jusqu'� vingt-quatre ans, les filles jusqu'� vingt. S'ils prennent la fuite, ils deviennent jusqu'� cet �ge les esclaves des patrons, qui ont le droit de les mettre aux fers, de leur faire subir le fouet, etc., � volont�. Chaque ma�tre peut passer un anneau de fer autour du cou, des bras ou des jambes de son esclave, afin de mieux le reconna�tre et d'�tre plus s�r de lui [3]. La derni�re partie de ce statut pr�voit le cas o� certains pauvres seraient occup�s par des gens ou des localit�s (lui veuillent bien leur donner � boire et � manger et les mettre au travail. Ce genre d'esclaves de paroisse s'est conserv� en Angleterre jusqu'au milieu du XIX� si�cle sous le nom de roundsmen (hommes qui font les rondes).

Elisabeth, 1572. - Les mendiants sans permis et �g�s de plus de quatorze ans devront �tre s�v�rement fouett�s et marqu�s au fer rouge � l'oreille gauche, si personne ne veut les prendre en service pendant deux ans. En cas de r�cidive, ceux �g�s de plus de dix-huit ans doivent �tre ex�cut�s si personne ne veut les employer pendant deux ann�es. Mais, pris une troisi�me fois, ils doivent �tre mis a mort sans mis�ricorde comme f�lons. On trouve d'autres statuts semblables : 18 Elisabeth, 13 ch. et loi de 1597. Sous le r�gne aussi maternel que virginal de � Queen Bess �, on pendit les vagabonds par fourn�es, rang�s en longues files. Il ne se passait pas d'ann�e qu'il n'y en e�t trois ou quatre cents d'accroch�s � la potence dans un endroit ou dans l'autre, dit Strype dans ses Annales; d'apr�s lui, le Somersetshire seul en compta en une ann�e quarante d'ex�cut�s, trente-cinq de marqu�s au fer rouge, trente-sept de fouett�s et cent quatre-vingt-trois - � vauriens incor�rigibles � - de rel�ch�s. Cependant, ajoute ce philanthrope, � ce grand nombre d'accus�s ne comprend pas le cinqui�me des crimes commis, gr�ce � la nonchalance des juges de paix et � la sotte compassion du peuple... Dans les autres comt�s de l'Angleterre, la situation n'�tait pas meilleure, et, dans plusieurs, elle �tait pire [4]. �

Jacques I�. - Tous les individus qui courent le pays et vont mendier sont d�clar�s vagabonds, gens sans aveu. Les juges de paix (tous, bien entendu, propri�taires fonciers, manufacturiers, pasteurs, etc., investis de la juridiction criminelle), � leurs sessions ordinaires, sont autoris�s � les faire fouetter publiquement et � leur infliger six mois de prison � la premi�re r�cidive, et deux ans � la seconde. Pendant toute la dur�e de l'emprisonnement, ils peuvent �tre fouett�s aussi souvent et aussi fort que les juges de paix le trouveront � propos... Les coureurs de pays r�tifs et dangereux doivent �tre marqu�s d'un R [5] sur l'�paule gauche et, si on les reprend � mendier, ex�cut�s sans mis�ricorde et priv�s de l'assistance du pr�tre. Ces statuts ne, furent abolis qu'en 1714.

En France, o� vers la moiti� du XVII� si�cle les truands avaient �tabli leur royaume et fait de Paris leur capitale, on trouve dei% lois semblables. Jusqu'au commencement du r�gne de Louis XVI (ordonnance (lu 13 juillet 1777), tout homme sain et bien constitu�, �g� de seize � soixante ans et trouv� sans moyens d'existence et sans profession, devait �tre envoy� aux gal�res. Il en est de m�me du statut de Charles-Quint pour les Pays-Bas, du mois d'octobre 1537, du premier �dit des �tats et des villes de Hollande, du 19 mars 1614, de celui des Provinces- Unies, du 25 juin 1649, etc.

C'est ainsi que la population des campagnes, violemment expropri�e et r�duite au vagabondage, a �t� rompue � la discipline qu'exige le syst�me du salariat par des lois d'un terrorisme grotesque, par le fouet, la marque au fer rouge, la torture et l'esclavage.

Ce n'est pas assez que d'un c�t� se pr�sentent les conditions mat�rielles du travail, sous forme de capital, et de l'autre des hommes qui n'ont rien � vendre, sauf leur puissance de travail. Il ne suffit pas non plus qu'on les contraigne par la force � se vendre volontairement. Dans le progr�s de la production capitaliste, il se forme une classe de plus en plus nombreuse de travailleurs, qui, gr�ce � l'�ducation, la tradition, l'habitude, subissent les exigences du r�gime aussi spontan�ment que le changement des saisons. D�s que ce mode de production a acquis un certain d�veloppement, son m�canisme brise toute r�sistance; la pr�sence constante d'une surpopulation relative maintient la loi de l'offre et la demande du travail et, partant, le salaire dans des limites conformes aux besoins du capital, et la sourde pression des rapports �conomiques ach�ve le despotisme du capitaliste sur le travailleur. Parfois on a bien encore recours � la contrainte, � l'emploi de la force brutale, mais ce n'est que par exception. Dans le cours ordinaire des choses, le travailleur peut �tre abandonn� � l'action des � lois naturelles � de la soci�t�, c'est-�-dire � la d�pendance du capital, engendr�e, garantie et perp�tu�e par le m�canisme m�me de la production. Il en est autrement pendant la gen�se historique de la production capitaliste. La bourgeoisie naissante ne saurait se passer de l'intervention constante de l'�tat; elle s'en sert pour � r�gler � le salaire, c'est-�-dire pour le d�primer an niveau convenable, pour prolonger la journ�e de travail et maintenir le travailleur lui-m�me au degr� de d�pendance voulu. C'est l� un moment essentiel de l'accumulation primitive.

La classe salari�e, qui surgit dans la derni�re moiti� du XIV� si�cle, ne formait alors, ainsi que dans le si�cle suivant, qu'une tr�s faible portion de la population. Sa position �tait fortement prot�g�e, � la campagne, par les paysans ind�pendants, � la ville, par le r�gime corporatif des m�tiers; � la campagne comme � la ville, ma�tres et ouvriers �taient socialement rapproch�s. Le mode de production technique ne poss�dant encore aucun caract�re sp�cifiquement capitaliste, la subordination du travail au capital n'�tait que dans la forme. L'�l�ment variable du capital l'emportait de beaucoup sur son �l�ment constant. La demande de travail salari� grandissait donc rapidement avec chaque nouvelle accumulation du capital, tandis que l'offre de travailleurs ne suivait que lentement. Une grande partie du produit national, transform�e plus tard en fonds d'accumulation capitaliste, entrait alors encore dans le fonds de consommation du travailleur.

La l�gislation sur le travail salari�, marqu�e d�s l'origine au coin de l'exploitation du travailleur et d�sormais toujours dirig�e contre lui [6], fut inaugur�e en Angleterre en 1349 par le Statute of Labourers [7] d'Edouard III. Ce statut a pour pendant en France l'ordonnance de 1350, promulgu�e au nom du roi Jean. La l�gislation anglaise et la l�gislation fran�aise suivent une marche parall�le, et leur contenu est identique. Je n'ai pas � revenir sur ces statuts en tant qu'ils concernent la prolongation forc�e de la journ�e de travail, ce point ayant �t� trait� pr�c�demment (voir chap. X, � V de cet ouvrage).

Le Statute of Labourers fut promulgu� sur les instances pressantes de la Chambre des Communes, c'est-�-dire des acheteurs de travail. Autrefois, dit na�vement un tory, les pauvres demandaient un salaire si �lev�, que c'�tait une menace pour l'industrie et la richesse. Aujourd'hui leur salaire est si bas qu'il menace �galement l'industrie et la richesse, et peut-�tre plus dangereusement que par le pass� [8]. Un tarif l�gal des salaires fut �tabli pour la ville et la campagne, pour le travail � la t�che et le travail � la journ�e, Les ouvriers agricoles durent se louer � l'ann�e, ceux des villes faire leurs conditions � sur le march� public �. Il fut interdit sous peine d'emprisonnement de payer au del� du salaire l�galement fix�; mais celui qui touche le salaire sup�rieur encourt une punition plus s�v�re que celui qui le donne. De plus, les sections 18 et 19 du statut d'apprentissage d'Elisabeth punissent de dix jours de prison le patron qui paye un trop fort salaire et de vingt et un jours l'ouvrier qui l'accepte. Non content de n'imposer aux patrons individuellement que des restrictions qui tournent � leur avantage collectif, on traite en cas de contravention le patron en comp�re et l'ouvrier en rebelle. Un statut de 1360 �tablit des peines encore plus dures et autorisa m�me le ma�tre � extorquer du travail au tarif l�gal, � l'aide de la contrainte corporelle. Tous contrats, serments, etc., par lesquels les ma�ons et les charpentiers s'engageaient r�ciproquement furent d�clar�s nuls et non avenus. Les coalitions ouvri�res furent mises au rang des plus grands crimes, et y rest�rent depuis le XIV� si�cle jusqu'en 1824.

L'esprit du statut de 1349, et de ceux auxquels il servit de mod�le, �clate surtout en ceci que l'on y fixe un maximum l�gal au-dessus duquel le. salaire ne doit point monter, mais que l'on se garde bien de prescrire un minimum l�gal au-dessous duquel il ne devrait pas tomber.

Au XIV� si�cle, la situation des travailleurs s'�tait, on le sait, fort empir�e. Le salaire nominal s'�tait �lev�, mais point en proportion de la d�pr�ciation de l'argent et de la hausse correspondante du prix des marchandises. En r�alit� il avait donc baiss�. Toutefois les lois sanctionn�es en vue de sa r�duction n'en rest�rent pas moins en vigueur, en m�me temps que l'on continuait � couper l'oreille et � marquer au fer rouge ceux que � personne ne voulait prendre � son service �. Par le statut d'apprentissage d'�lisabeth (5 Elis. 3), les juges de paix - et, il faut toujours y revenir, ce ne sont pas des juges dans le sens propre du mot, mais des landlords, des manufacturiers, des pasteurs et autres membres de la classe nantie, faisant fonction de juges - furent autoris�s � fixer certains salaires et � les modifier suivant les saisons et le prix des marchandises. Jacques I� �tendit cette r�glementation du travail aux tisserands, aux fileurs et � une foule d'autres cat�gories de travailleurs [9] >. George Il �tendit les lois contre les coalitions ouvri�res � toutes les manufactures.

Pendant la p�riode manufacturi�re proprement dite, le mode de production capitaliste avait assez grandi pour rendre la r�glementation l�gale du salaire aussi impraticable que superflue; mais on �tait bien aise d'avoir sous la main, pour des cas impr�vus, le vieil arsenal d'oukases. Sous George II, le Parlement adopte un bill d�fendant aux compagnons tailleurs de Londres et des environs de recevoir aucun salaire quotidien sup�rieur � 2 sh. 7 � d., sauf les cas de deuil g�n�ral; sous George III (13 Geo. III, c. 68), les juges de paix sont autoris�s � r�gler le salaire des tisseurs en soie. En 1796, il faut m�me deux arr�ts de cours sup�rieures pour d�cider si les ordon�nances des juges de paix sur le salaire s'appliquent �galement aux travailleurs non agricoles; en 1799, un acte du Parlement d�clare encore que le salaire des mineurs d'�cosse devra �tre r�gl� d'apr�s un statut du temps d'�lisabeth et deux actes �cossais de 1661 et de1671. Mais, sur ces entrefaites, les circonstances �conomiques avaient subi une r�volution si radicale qu'il se produisit un fait inou� dans la Chambre des Communes. Dans cette enceinte o� depuis plus de quatre cents ans on ne cessait de fabriquer des lois pour fixer au mouvement des salaires le maximum qu'il ne devait en aucun cas d�passer, Whitbread vint proposer, en 1796, d'�tablir un minimum l�gal pour les ouvriers agricoles. Tout en combattant la mesure, Pitt convint cependant que � les pauvres �taient dans une situation cruelle �. Enfin, en 1813, on abolit les lois sur la fixation des salaires; elles n'�taient plus, en effet, qu'une anomalie ridicule, � une �poque o� le fabricant r�gissait de son autorit� priv�e ses ouvriers par des �dits qualifi�s de r�glements de fabrique, o� le fermier compl�tait � l'aide de la taxe des pauvres le minimum de salaire n�cessaire � l'entretien de ses hommes de peine. Les dispositions des statuts sur les contrats entre patrons et salari�s, d'apr�s lesquelles, en cas de rupture, l'action civile est seule recevable contre les premiers, tandis que l'action criminelle est admise contre les seconds, sont encore aujourd'hui en vigueur.

Les lois atroces contre les coalitions tomb�rent en 1825 devant l'attitude mena�ante du prol�tariat; cependant on n'en fit point table rase. Quelques beaux restes des statuts ne disparurent qu'en 1859. Enfin, par la loi du 29 juin 1871, on pr�tendit effacer les derniers vestiges de cette l�gislation de classe en reconnaissant l'existence l�gale des trade-unions (soci�t�s ouvri�res de r�sistance) mais par une loi suppl�mentaire de la m�me date (An Act to amend the criminal Law relating to violence, threats and molestation [10]), les lois contre la coalition se trouv�rent de fait r�tablies sous une nouvelle forme. Les moyens auxquels en cas de, gr�ve ou de lock-out (on appelle ainsi la gr�ve des patrons qui se coalisent pour fermer tous � la fois leurs fabriques) les ouvriers peuvent recourir dans l'entra�nement de la lutte, furent soustraits par cet escamotage parlementaire au droit commun, et tomb�rent sous le coup d'une l�gislation p�nale d'exception, interpr�t�e par les patrons en leur qualit� de juges de paix. Deux ans auparavant, cette m�me Chambre des Communes et ce m�me M. Gladstone qui, par l'�dit suppl�mentaire de 1871, ont invent� de nouveaux d�lits propres aux travailleurs, avaient honn�tement fait passer en seconde lecture un bill pour mettre fin, en mati�re criminelle, � toutes lois d'exception contre la classe ouvri�re. Pendant deux ans, nos fins comp�res s'en tinrent � la seconde lecture; on tra�na l'affaire en longueur jusqu'� ce que le a grand Parti lib�ral � e�t trouv� dans une alliance avec les tories le courage de faire volte-face contre le prol�tariat qui l'avait port� au pouvoir. Et, non content de cet acte de trahison, le grand parti lib�ral, toujours sous les auspices de son onctueux chef, permit aux juges anglais, toujours empress�s � servir les classes r�gnantes, d'exhumer les lois surann�es sur la conspiration pour les appliquer � des faits de coalition. Ce n'est, on le voit, qu'� contre-c�ur et sous la pression mena�ante des masses que le Parlement anglais renonce aux lois contre les coalitions et les trade-unions, apr�s avoir lui-m�me, avec un cynisme effront�, fait pendant cinq si�cles l'office d'une trade-union permanente des capitalistes contre les travailleurs.

D�s le d�but de la tourmente r�volutionnaire, la bourgeoisie fran�aise osa d�pouiller la classe ouvri�re du droit d'association que celle-ci venait � peine de conqu�rir. Par une loi organique du 14 juin 1791, tout concert entre les travailleurs pour la d�fense de leurs int�r�ts communs fut stigmatis� d'attentat � contre la libert� et la d�claration des droits de l'homme �, punissable d'une amende de 500 livres, jointe � la privation pendant un an des droits de citoyen actif [11].

Ce d�cret qui, � l'aide du code p�nal et de la police, trace � la concurrence entre le capital et le travail des limites agr�ables aux capitalistes, a surv�cu aux r�volutions et aux changements de dynasties. Le r�gime de la Terreur lui-m�me n'y a pas touch�. Ce n'est que tout r�cemment qu'Il a �t� effac� du code p�nal, et encore avec quel luxe de m�nagements ! Rien qui caract�rise ce coup d'Etat bourgeois comme le pr�texte all�gu�. Le rapporteur de la loi Chapelier, que Camille Desmoulins qualifie de � mis�rable ergoteur [12] �, veut bien avouer que le salaire de la journ�e de travail devrait �tre un peu plus consid�rable qu'il l'est � pr�sent... car dans une nation libre, les salaires doivent �tre assez consid�rables pour que celui qui les re�oit, soit hors de cette d�pendance absolue que produit la privation des besoins de premi�re n�cessit�, et qui est presque celle de l'esclavage. N�anmoins il est, d'apr�s lui, � instant de pr�venir le progr�s de ce d�sordre �, � savoir � les coalitions que formeraient les ouvriers pour faire augmenter... le prix de la journ�e de travail �, et pour mitiger celle d�pendance absolue qui est presque celle de l'esclavage. Il faut absolument le r�primer, et pourquoi ? Parce que les ouvriers portent ainsi atteinte � la libert� � des entrepreneurs de travaux, les ci-devant ma�tres �, et qu'en empi�tant sur le despotisme de ces ci-devant ma�tres de corporation - on ne l'aurait jamais devin� - ils cherchent � recr�er les corporations an�anties � par la r�volution [13] �.


Notes

[1] Hollingshed : Description of England, Londres, 1578, vol. 1, p. 186.

[2] S pour � slave � : esclave (N.R.)

[3] Sous le r�gne d'�douard VI, remarque un champion des capitalistes, l'auteur de An Essay on Trade and Commerce, 1770, les Anglais semblent avoir pris � c�ur l'encouragement des manufactures et l'occupation des pauvres, comme le prouve un statut remarquable o� il est dit que tous les vagabonds doivent �tre marqu�s du fer rouge, etc. - (L. c., p. 5.)

[4] John Strype M. A. � Annals of the Reformation and Establishment of Religion, and other various occurences in the Church of England during Queen Etisabeth's Happy Reign. �, 2� �d., 1725, t. Il. La seconde �dition de 1725 fut encore publi�e par l'auteur lui-m�me.

[5] R pour � rogue � : voyou (N.R.)

[6] � Toutes les fois que la l�gislature essaie de r�gler les d�m�l�s entre les ma�tres et les ouvriers, ce sont toujours les ma�tres qu'elle consulte. � (A. Smith, l. c., trad. Garnier, t. 1, p. 296.) � L'Esprit des Lois, c'est la propri�t� �, dit Linguet.

[7] Statut des travailleurs. (N. R.)

[8] Sophisms of Free Trade, by a Barister, Lond., 1850, p. 235 et 236. � La l�gislation �tait toujours pr�te, ajoute-t-il, � interposer son autorit� au profit des patrons; est-elle impuissante d�s qu'il s'agit de l'ouvrier ? �
Barister veut dire avocat. (N.R.)

[9] On voit par une clause du statut 2, de Jacques I�, c. 6, que certains fabricants de drap prirent sur eux, en leur qualit� de juges de paix, de dicter dans leurs propres ateliers un tarif officiel du salaire. - En Allemagne, les statuts ayant pour but de maintenir le salaire aussi bas que possible se multiplient apr�s la guerre de Trente ans. � Sur le sol d�peupl� les propri�taires souffraient beaucoup du manque de domestiques et de travailleurs. Il fut interdit � tous les habitants des villages de louer des chambres � des hommes ou � des femmes c�libataires. Tout individu de cette cat�gorie qui ne voulait pas faire l'office de domestique devait �tre signal� � l'autorit� et jet� en prison, alors m�me qu'il avait une autre occupation pour vivre, comme de travailler � la journ�e pour les paysans ou m�me d'acheter ou de vendre des grains. (Privil�ges imp�riaux et sanctions pour la Sil�sie, 1, 125.) Pendant tout un si�cle les ordonnances de tous les petits princes allemande fourmillent de plaintes am�res contre la canaille impertinente qui ne veut pas se soumettre aux dures conditions qu'on lui fait ni se contenter du salaire l�gal. Il est d�fendu � chaque propri�taire isol�ment de d�passer le tarif �tabli par les �tats du territoire. Et avec tout cela les conditions du service �taient parfois meilleures apr�s la guerre qu'elles ne le furent un si�cle apr�s. � En 1652, les domestiques avaient encore de la viande deux fois par semaine en Sil�sie; dans notre si�cle, il s'y est trouv� des districts o� ils n'en ont eu que trois fois par an. Le salaire aussi �tait apr�s la guerre plus �lev� que dans les si�cles suivants. � (G. Freitag.)

[10] D�cret pour amender la loi criminelle sur la violence, les menaces et la molestation. (N. R.)

[11] L'article 1 de cette loi est ainsi con�u : � L'an�antissement de toute esp�ce de corporations des citoyens du m�me �tat et profession �tant l'une des bases fondamentales de la Constitution fran�aise, il est d�fendu de les r�tablir de fait, sous quelque pr�texte et sous quelque forme que ce soit. � L'article 4 d�clare : � Si des citoyens attach�s aux m�mes professions, arts et m�tiers prenaient des d�lib�rations, faisaient entre eux des conventions tendant � refuser de concert ou � n'accorder qu'� un prix d�termin� le secours de leur industrie ou de leurs travaux, les dites d�lib�rations et conventions sont d�clar�es inconstitutionnelles, attentatoires � la libert� et � la d�claration des droits de l'homme, etc. �, c'est-�-dire f�lonies, comme dans les anciens statuts. (R�volution de Paris, Paris, 1791, 3t. III, p. 253.)

[12] R�volutions de France, etc., n� LXXVII.

[13] Buchez et Roux : Histoire parlementaire de la R�volution fran�aise, X, p. 193-95, passim (�dit. 1834).


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