1867 |
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Le Capital - Livre premier
Le développement de la production capitaliste
IV� section : la production de la plus-value relative
La lutte entre le capitaliste et le salari� date des origines m�mes du capital industriel et se d�cha�ne pendant la p�riode manufacturi�re [1] mais le travailleur n'attaque le moyen de travail que lors de l'introduction de la machine. Il se r�volte contre cette forme particuli�re de l'instrument o� il voit l'incarnation technique du capital.
Au XVII� si�cle, dans presque toute l'Europe des soul�vements ouvriers �clat�rent contre une machine � tisser des rubans et des galons appel�e Bandm�hle ou M�hlenstuhl. Elle fut invent�e en Allemagne. L'abb� italien Lancelotti raconte dans un livre, �crit en 1579 et publi� � Venise en 1636 que :
� Anton M�ller de Dantzig a vu dans cette ville, il y a � peu pr�s cinquante ans, une machine tr�s ing�nieuse qui ex�cutait quatre � six tissus � la fois. Mais le magistrat craignant que cette invention ne convert�t nombre d'ouvriers en mendiants, la supprima et fit �touffer ou noyer l'inventeur. �
En 1629, cette m�me machine fut pour la premi�re fois, employ�e � Leyde o� les �meutes des passementiers forc�rent les magistrats de la proscrire. � Dans cette ville �, dit � ce propos Boxhorn, �quelques individus invent�rent il y a une vingtaine d'ann�es un m�tier � tisser, au moyen duquel un seul ouvrier peut ex�cuter plus de tissus et plus facilement que nombre d'autres dans le m�me temps. De l� des troubles et des querelles de la part des tisserands qui firent proscrire par les magistrats l'usage de cet instrument [2]. � Apr�s avoir lanc� contre ce m�tier � tisser des ordonnances plus ou moins prohibitives en 1632, 1639, etc., les Etats g�n�raux de la Hollande en permirent enfin l'emploi, sous certaines conditions, par l'ordonnance du 15 d�cembre 1661.
Le Bandstuhl fut proscrit � Cologne en 1676 tandis que son introduction en Angleterre vers la m�me �poque y provoqua des troubles parmi les tisserands. Un �dit imp�rial du 19 f�vrier 1865 interdit son usage dans toute l'Allemagne. A Hambourg il fut br�l� publiquement par ordre du magistrat. L'empereur Charles VI renouvela en f�vrier 1719 l'�dit de 1685 et ce n'est qu'en 1765 que l'usage public en fut permis dans la Saxe �lectorale.
Cette machine qui �branla l'Europe fut le pr�curseur des machines � filer et � tisser et pr�luda � la r�volution industrielle du XVIII� si�cle. Elle permettait au gar�on le plus inexp�riment� de faire travailler tout un m�tier avec ses navettes en avan�ant et en retirant une perche et fournissait, dans sa forme perfectionn�e, de quarante � cinquante pi�ces � la fois.
Vers la fin du premier tiers du XVII� si�cle une scierie � vent, �tablie par un Hollandais dans le voisinage de Londres, fut d�truite par le peuple. Au commencement du XVIII� si�cle les scieries � eau ne triomph�rent que difficilement de la r�sistance populaire soutenue par le Parlement. Lorsque Everet en 1758 construisit la premi�re machine � eau pour tondre la laine, cent mille hommes mis par elle hors de travail la r�duisirent en cendres. Cinquante mille ouvriers gagnant leur vie par le cardage de la laine accabl�rent le Parlement de p�titions contre les machines � carder et les scribblings mills, invent�s par Arkwright. La destruction de nombreuses machines dans les districts manufacturiers anglais pendant les quinze premi�res ann�es du XIX� si�cle, connue sous le nom du mouvement des Luddites, fourrnit au gouvernement antijacobin d'un Sidmouth, d'un Castlereagh et de leurs pareils, le pr�texte de violences ultra-r�actionnaires.
Il faut du temps et de l'exp�rience avant que les ouvriers, ayant appris � distinguer entre la machine et son emploi capitaliste, dirigent leurs attaques non contre le moyen mat�riel de production, mais contre son mode social d'exploitation [3].
Les ouvriers manufacturiers lutt�rent pour hausser leurs salaires et non pour d�truire les manufactures; ce furent les chefs des corporations et les villes privil�gi�es (corporate towns) et non les salari�s qui mirent des entraves � leur �tablissement.
Dans la division du travail les �crivains de la p�riode manufacturi�re voient un moyen virtuel de suppl�er au manque d'ouvriers, mais non de d�placer des ouvriers occup�s. Cette distinction saute aux yeux. Si l'on dit qu'avec l'ancien rouet il faudrait en Angleterre deux cents millions d'hommes pour filer le coton que filent aujourd'hui cinquante mille, cela ne signifie point que les machines � filer ont d�plac� ces millions d'Anglais qui n'ont jamais exist�, mais tout simplement qu'il faudrait un immense surcro�t de population ouvri�re pour remplacer ces machines. Si l'on dit au contraire qu'en Angleterre le m�tier � vapeur a jet� huit cent mille tisserands sur le pay�, alors on ne parle pas de machines existantes dont le remplacement par le travail manuel r�clamerait tant d'ouvriers, mais d'une multitude d'ouvriers, autrefois occup�s, qui ont �t� r�ellement d�plac�s ou supprim�s par les machines.
Le m�tier, comme nous l'avons vu, reste pendant la p�riode manufacturi�re la base de l'industrie.
Les ouvriers des villes, l�gu�s par le moyen �ge, n'�taient pas assez nombreux pour suppl�er la demande des nouveaux march�s coloniaux, et les manufactures naissantes se peupl�rent en grande partie de cultivateurs expropri�s et expuls�s du sol durant la d�cadence du r�gime f�odal. Dans ces temps-l� ce qui frappa surtout les yeux, c'�tait donc le c�t� positif de la coop�ration et de la division du travail dans les ateliers, leur propri�t� de rendre plus productifs les labeurs des ouvriers occup�s [4].
Sans doute, longtemps avant la p�riode de la grande industrie, la coop�ration et la concentration des moyens de travail, appliqu�es � l'agriculture, occasionn�rent des changements grands, soudains et violents dans le mode de produire et, par cons�quent, dans les conditions de vie et les moyens d'occupation de la population rurale. Mais la lutte que ces changements provoqu�rent, se passe entre les grands et les petits propri�taires du sol plut�t qu'entre le capitaliste et le salari�. D'autre part, quand des laboureurs furent jet�s hors d'emploi par des moyens de production agricoles, par des chevaux, des moutons, etc., c'�taient des actes de violence imm�diate qui dans ces cas-l� rendirent possible la r�volution �conomique. On chassa les laboureurs des champs pour leur substituer des moutons. C'est l'usurpation violente du sol, telle qu'en Angleterre elle se pratiquait sur une large �chelle, qui pr�para en premier lieu le terrain de la grande agriculture. Dans ses d�buts ce bouleversement agricole a donc l'apparence d'une r�volution politique plut�t qu'�conomique.
Sous sa forme-machine au contraire le moyen de travail devient imm�diatement le concurrent du travailleur [5]. Le rendement du capital est d�s lors en raison directe du nombre d'ouvriers dont la machine an�antit les conditions d'existence. Le syst�me de la production capitaliste repose en g�n�ral sur ce que le travailleur vend sa force comme marchandise. La division du travail r�duit cette force � l'aptitude de d�tail � manier un outil fragmentaire. Donc, d�s que le maniement de l'outil �choit � la machine, la valeur d'�change de la force de travail s'�vanouit en m�me temps que sa valeur d'usage. L'ouvrier comme un assignat d�mon�tis� n'a plus de cours. Cette partie de la classe ouvri�re que la machine convertit ainsi en population superflue, c'est-�-dire inutile pour les besoins momentan�s de l'exploitation capitaliste, succombe dans la lutte in�gale de l'industrie m�canique contre le vieux m�tier et la manufacture, ou encombre toutes les professions plus facilement accessibles o� elle d�pr�cie la force de travail.
Pour consoler les ouvriers tomb�s dans la mis�re, on lent assure que leurs souffrances ne sont que des � inconv�nient, temporaires � (a temporary inconvenience) et que la machine en n'envahissant que par degr�s un champ de production, diiiii nue l'�tendue et l'intensit� de ses effets destructeurs. Mais et-, deux fiches de consolation se neutralisent. L� o� la marche conqu�rante de la machine progresse lentement, elle afflige de la mis�re chronique les rangs ouvriers forc�s de lui faire concurrence; l� o� elle est rapide, la mis�re devient aig�e et fait des ravages terribles.
L'histoire ne pr�sente pas de spectacle plus attristant que celui de la d�cadence des tisserands anglais qui, apr�s s’�tre tra�n�e en longueur pendant quarante ans, s'est enfin consomm�e en 1838. Beaucoup de ces malheureux moururent de faim; beaucoup v�g�t�rent longtemps avec leur famille n'ayant que vingt-cinq centimes par jour [6]. Dans l'Inde au contraire l'importation des calicots anglais fabriqu�s m�caniquement amena une crise des plus spasmodiques. � Il n'y a pas d'exemple d'une mis�re pareille dans l'histoire du commerce � dit, dans son rapport de 1834-35, le gouverneur g�n�ral; � les os des tisserands blanchissent plaines de l'Inde. � En lan�ant ces tisserands dans l'�ternit� [7], la machine � tisser ne leur avait �videmment caus� que des � inconv�nients temporaires �. D'ailleurs les effets passagers des machines sont permanents en ce qu'elles envahissent sans cesse de nouveaux champs de production.
Le caract�re d'ind�pendance que la production capitaliste imprime en g�n�ral aux conditions et au produit du travail vis-�-vis de l'ouvrier, se d�veloppe donc avec la machine jusqu'� l’antagonisme le plus prononc� [8]. C'est pour cela que, la premi�re, elle donne lieu � la r�volte brutale de l'ouvrier contre le moyen de travail.
Le moyen de travail accable le travailleur. Cet antagonisme direct �clate surtout lorsque des machines nouvellement introduites viennent faire la guerre aux proc�d�s traditionnels du m�tier et de la manufacture. Mais dans la grande industrie elle-m�me, le perfectionnement du machinisme et le d�veloppement du syst�me automatique ont des effets analogues.
� Le but constant du machinisme perfectionn� est de diminuer le travail manuel, ou d'ajouter un anneau de plus � l'enchainure productive de la fabrique en substituant des appareils de fer � des appareils humains [9]. �
� L'application de la vapeur ou de la force de l'eau � des machines qui jusqu'ici n'�taient mues qu’avec la main, est l'�v�nement de chaque jour... Les am�liorations de d�tail ayant pour but l'�conomie de la force motrice, le perfectionnement de l'ouvrage, l'accroissement du produit dans le m�me temps, ou la suppression d'un enfant, d'une femme ou d'un homme sont constantes, et bien que peu apparentes, elles ont n�anmoins des r�sultats importants [10]. �
� Partout o� un proc�d� exige beaucoup de dext�rit� et une main s�re, on le retire au plus t�t des mains de l'ouvrier trop adroit, et souvent enclin � des irr�gularit�s de plusieurs genres pour en charger un m�canisme particulier, dont l'op�ration automatique est si bien r�gl�e qu'un enfant peut la surveiller [11]. �
� D'apr�s le syst�me automatique le talent de l'artisan se trouve progressivement remplac� par de simples surveillants de m�caniques [12]. �
� Non seulement les machines perfectionn�es n'exigent pas l’emploi d’un aussi grand nombre d'adultes, pour arriver � un r�sultat donn�, mais elles substituent une classe d'individus � une autre, le moins adroit au plus habile, les enfants aux adultes, les femmes aux hommes. Tous ces changements occasionnent des fluctuations constantes dans le taux du salaire [13]. �
� La machine rejette sans cesse des adultes [14]. �
La marche rapide imprim�e au machinisme par la r�duction de la journ�e de travail nous a montr� l'�lasticit� extraordinaire dont il est susceptible, gr�ce � une exp�rience pratique accumul�e, � l'�tendue des moyens m�caniques d�j� acquis et aux progr�s de la technologie. En 1860, alors que l'industrie cotonni�re anglaise �tait � son z�nith, qui aurait soup�onn� les perfectionnements m�caniques et le d�placement correspondant du travail manuel qui, sous l'aiguillon de la guerre civile am�ricaine, r�volutionn�rent cette industrie ? Contentons-nous d'en citer un ou deux exemples emprunt�s aux rapports officiels des inspecteurs de fabrique.
� Au lieu de soixante-quinze machines � carder, dit un fabricant de Manchester, nous n'en employons plus que douze, et nous obtenons la m�me quantit� de produit en qualit� �gale sinon meilleure... L'�conomie en salaires se monte � dix livres sterling par semaine et le d�chet du coton a diminu� de dix pour cent. �
Dans une filature de la m�me ville le mouvement acc�l�r� des machines et l'introduction de divers proc�d�s automatiques ont permis de r�duire dans un d�partement le nombre des ouvriers employ�s d'un quart et dans un autre de plus de la moiti�. Un autre filateur estime qu'il a r�duit de dix pour cent le nombre de ses � bras �.
Les MM. Gilmore, filateurs � Manchester, d�clarent de leur c�t� :
� Nous estimons que dans le nettoyage du coton l'�conomie de bras et de salaires r�sultant des machines nouvelles se monte � un bon tiers... Dans deux autres proc�d�s pr�liminaires la d�pense a diminu� d'un tiers environ en salaires et autres frais, dans la salle � filer d'un tiers. Mais ce n'est pas tout; quand nos fil�s passent maintenant aux tisserands, ils sont tellement am�lior�s qu'ils fournissent plus de tissus de meilleure qualit� que les anciens fil�s m�caniques [15]. �
L'inspecteur A. Redgrave, remarque � ce propos :
� La diminution dans le nombre d'ouvriers, en m�me temps que la production s'augmente, progresse rapidement. Dans les fabriques de laine on a depuis peu commenc� � r�duire le nombre des bras et cette r�duction continue. Un ma�tre d'�cole qui habite Rochdale me disait, il y a quelques jours, que la grande diminution dans les �coles de filles n'�tait pas due seulement � la pression de la crise mais aux changements introduits dans les m�caniques des fabriques de laine, par suite desquels une r�duction moyenne de soixante-dix-neuf demi-temps avait eu lieu [16]. �
Le r�sultat g�n�ral des perfectionnements m�caniques amen�s dans les fabriques anglaises de coton par la guerre civile am�ricaine, est r�sum� dans la table suivante :
Statistique des fabriques de coton du Royaume-Uni en 1858, 861 et 1868.
NOMBRE DES FABRIQUES | |||
|
1858 |
1861 |
1868 |
Angleterre et pays de Galles |
2046 |
2715 |
2405 |
Ecosse |
152 |
163 |
131 |
Irlande |
12 |
9 |
13 |
Royaume-Uni |
2210 |
2887 |
2549 |
NOMBRE DES M�TIERS A TISSER A VAPEUR |
|||
|
1858 |
1861 |
1868 |
Angleterre et pays de Galles |
275 590 |
368 125 |
344 719 |
Ecosse |
21 624 |
30 110 |
31 864 |
Irlande |
1633 |
1 757 |
2 746 |
Royaume-Uni |
298 847 |
399 992 |
379 329 |
NOMBRE DES BROCHES A FILER |
|||
|
1858 |
1861 |
1868 |
Angleterre et pays de Galles |
25 818 576 |
28 352 152 |
30 478 228 |
Ecosse |
2 041 129 |
1 915 398 |
1 397 546 |
Irlande |
150 512 3 |
119 944 |
124 240 |
Royaume-Uni |
28 010 217 |
30 387 467 |
32 000 014 |
NOMBRE DE PERSONNES EMPLOYEES |
|||
|
1858 |
1861 |
1868 |
Angleterre et pays de Galles |
341 170 |
407 598 |
357 052 |
Ecosse |
34 698 |
41 237 |
39 809 |
Irlande |
3 345 |
2 734 |
4 203 |
Royaume-Uni |
379 213 |
451 569 |
401 064 |
En 1861-1868 disparurent donc trois cent trente-huit fabriques de coton, c'est-�-dire qu'un machinisme plus productif et plus large se concentra dans les mains d'un nombre r�duit de capitalistes; les m�tiers � tisser m�caniques d�cr�rent de vingt mille six cent soixante-trois, et comme en m�me temps leur produit alla augmentant, il est clair qu'un m�tier am�lior� suffit pour faire la besogne de plus d'un vieux m�tier � vapeur; enfin, les broches augment�rent de un million six cent douze mille cinq cent quarante et un, tandis que le nombre d'ouvriers employ�s diminua de cinquante mille cinq cent cinq. Les mis�res � temporaires � dont la crise cotonni�re accabla les ouvriers, furent ainsi rendues plus intenses et consolid�es par le progr�s rapide et continu du syst�me m�canique.
Et la machine n'agit pas seulement comme un concurrent dont la force sup�rieure est toujours sur le point de rendre le salari� superflu.
C’est comme puissance ennemie de l'ouvrier que le capital l’emploie, et il le proclame hautement. Elle devient l'arme de guerre la plus irr�sistible pour r�primer les gr�ves, ces r�voltes p�riodiques du travail contre l'autocratie du capital [17]. D'apr�s Gaskell, la machine � vapeur fut d�s le d�but un antagoniste de la � force de l'homme � et permit au capitaliste d'�craser les pr�tentions croissantes des ouvriers qui mena�aient d'une crise le syst�me de fabrique � peine naissant [18]. On pourrait �crire toute une histoire au sujet des inventions faites depuis 1830 pour d�fendre le capital contre les �meutes ouvri�res.
Dans son interrogatoire devant la commission charg�e de l'enqu�te sur les Trades Unions, M. Nasmyth, l'inventeur du marteau � vapeur, �num�re les perfectionnements du machinisme auxquels il a eu recours par suite de la longue gr�ve des m�caniciens en 1851.
� Le trait caract�ristique, dit-il, de nos perfectionnements m�caniques modernes, c'est l'introduction d'outils automatiques Tout ce qu'un ouvrier m�canicien doit faire, et que chaque gar�on peut faire, ce n'est pas travailler, mais surveiller le beau fonctionnement de la machine. Toute cette classe d'hommes d�pendant exclusivement de leur dext�rit� a �t� �cart�e. J'employais quatre gar�ons sur un m�canicien. Gr�ce � ces nouvelles combinaisons m�caniques, j'ai r�duit le nombre des hommes adultes de mille cinq cents � sept cent cinquante. Le r�sultat fut un grand accroissement dans mon profit [19]. �
Enfin, s'�crie Ure, � propos d'une machine pour l'impression des indiennes,
� enfin les capitalistes cherch�rent � s'affranchir de cet esclavage insupportable (c'est-�-dire des conditions g�nantes du contrat de travail), en s'aidant des ressources de la science, et ils furent r�int�gr�s dans leurs droits l�gitimes, ceux de la t�te sur les autres parties du corps. Dans tous les grands �tablissements, aujourd'hui, il y a des machines � quatre et a cinq couleurs, qui rendent l'impression en calicot un proc�d�, exp�ditif et infaillible �.
Il dit d'une machine pour parer la cha�ne des tissus, qu'une gr�ve avait fait inventer :
� La horde des m�contents, qui se croyaient retranch�s d'une mani�re invincible derri�re les anciennes lignes de la division du travail, s'est vue prise en flanc, et ses moyens de d�fense ayant �t� annul�s par la tactique moderne des machinistes, elle a �t� forc�e de se rendre � discr�tion. �
Il dit encore � propos de la mule automatique qui marque une nouvelle �poque dans le syst�me m�canique :
� Cette cr�ation, l'homme de fer, comme l'appellent avec raison les ouvriers, �tait destin�e � r�tablir l'ordre parmi les classes industrielles. La nouvelle de la naissance de cet Hercule-fileur r�pandit la consternation parmi les soci�t�s de r�sistance; et longtemps avant d'�tre sorti de son berceau, il avait d�j� �touff� l'hydre de la s�dition... Cette invention vient � l'appui de la doctrine d�j� d�velopp�e par nous; c'est que lorsque le capital enr�le la science, la main rebelle du travail apprend toujours � �tre docile [20] �.
Bien que le livre de Ure date de trente-sept ans, c'est-�-dire d’une �poque o� le syst�me de fabrique n'�tait encore que faiblement d�velopp�, il n'en reste pas moins l'expression classique de l'esprit de ce syst�me, gr�ce � son franc cynisme et � la na�vet� avec laquelle il divulgue les absurdes contradictions qui hantent les caboches des MM. du capital. Apr�s avoir d�velopp� par exemple la doctrine cit�e plus haut, que le capital, avec l’aide de la science prise � sa solde parvient toujours � encha�ner la main rebelle du travail, il s'�tonne de ce que quelques raisonneurs � ont accus� la science physico-m�canique de se pr�ter � l’ambition de riches capitalistes et de servir d'instrument pour opprimer la classe indigente [21] �. Apr�s avoir pr�ch� et d�montr� � qui veut l'entendre que le d�veloppement rapide du machinisme est on ne peut plus avantageux aux ouvriers, il avertit ceux-ci comminatoirement, que par leur r�sistance, leurs gr�ves, etc., ils ne font qu'activer ce d�veloppement. � De semblables r�voltes, dit-il, montrent l'aveuglement humain sous aspect le plus m�prisable, celui d'un homme qui se fait son propre bourreau. � Quelques pages auparavant il a dit au contraire : � Sans les collisions et les interruptions violentes caus�es par les vues erron�es des ouvriers, le syst�me de fabrique se serait d�velopp� encore plus rapidement et plus avantageusement qu'il ne l'a fait jusqu'� ce jour pour toutes les parties int�ress�es. � Dix lignes apr�s il s'�crie de nouveau : � Heureusement pour la population des villes de la Grande-Bretagne, les perfectionnements en m�canique sont gradu�s, ou du moins ce n’est que successivement qu'on arrive � en rendre l'usage g�n�ral. � C'est � tort, dit-il encore, que l'on accuse les machines de r�duire le salaire des adultes parce qu'elles les d�placent et cr�ent par cons�quent une demande de travail qui surpasse l’offre. � Certainement il y a augmentation d'emploi pour les enfants, et le gain des adultes n'en est que plus consid�rable. � De l'autre c�t� ce consolateur universel d�fend le taux infime du salaire des enfants, sous pr�texte que � les parents sont ainsi emp�ch�s de les envoyer trop t�t dans les fabriques �. Tout son livre n'est qu'une apologie de la journ�e de travail illimit�e et son �me lib�rale se sentit refoul�e dans � les t�n�bres des si�cles pass�s � lorsqu'il vit la l�gislation d�fendre le travail forc� des enfants de treize ans, pendant plus de douze heures par jour. Cela ne l'emp�che point d'inviter les ouvriers de fabrique � adresser des actions de gr�ces � la providence, et pourquoi ? parce qu'au moyen des machines elle leur a procur� des � loisirs pour m�diter sur leurs int�r�ts �ternels [22] �.
Notes
[1] Voy entre autres : John Houghton : Husbandry and Trade improved. Lond., 1727, The advantages of the East India Trade, 1720, John Bellers l.c. � Les ma�tres et les ouvriers sont malheureusement en guerre perp�tuelle les uns contre les autres. Le but invariable des premiers est de faire ex�cuter l'ouvrage le meilleur march� possible et ils ne se font pas faute d'employer toute esp�ce d'artifices pour y arriver tandis que les seconds sont � l'aff�t de toute occasion qui leur permette de r�clamer des salaires plus �lev�s. � An Inquiry into the causes of the Present High Prices of Provision, London, 1767. Le R�v. Nathaniel Forster est l'auteur de ce livre anonyme sympathique aux ouvriers.
[2] � In hac orbe ante hos viginti circiter annos instrumentum quidam invenerunt textorium, quo solus quis plus parmi et facilius conficere poterat, quam plures aequali tempore. Hinc turboe ortoe et queruloe textorum, tanderrique usus hujus instrumenti a magistratu prohibitus est. � Boxhorn : Inst. Pol. 1663.
[3] La r�volte brutale des ouvriers contre les machines s'est renouvel�e de temps en temps encore dans des manufactures de vieux style, p. ex. en 1865 parmi les polisseurs de limes � Sheffield.
[4] Sir James Steuart comprend de cette mani�re l'effet des machines. � Je consid�re donc les machines comme des moyens d'augmenter (virtuellement) le nombre des gens industrieux qu'on n'est pas oblig� de nourrir... En quoi l'effet d'une machine diff�re-t-il de celui de nouveaux habitants ? � (Traduct. fran�. t.I, 1.1, ch. XIX.) Bien plus na�f est Petty qui pr�tend qu'elle remplace la � Polygamie �. Ce point de vue peut, tout au plus �tre admis pour quelques parties des Etats-Unis. D'un autre c�t� : � Les machines ne peuvent que rarement �tre employ�es avec succ�s pour abr�ger le travail d'un individu : il serait perdu plus de temps � les construire qu'il n'en serait �conomis� par leur emploi. Elles ne sont r�ellement utiles que lorsqu'elles agissent sur de grandes masses, quand une seule machine peut assister le travail de milliers d'hommes. C'est cons�quemment dans les pays les plus populeux, l� o� il y a le plus d'hommes oisifs, qu'elles abondent le plus. Ce qui en r�clame et en utilise l'usage, ce n'est pas la raret� d'hommes, mais la facilit� avec laquelle on peut en faire travailler des masses. � Piercy Ravenstone: Thoughts on the Funding System and its Effects. Lond., 1824, p.45.
[5] � La machine et le travail sont en concurrence constante. � (Ricardo, l.c., p. 479.)
[6] Ce qui avant l'�tablissement de la loi des pauvres (en 1833) fit en Angleterre prolonger la concurrence entre le tissu � la main et le tissu � la m�canique, c'est que l'on faisait l'appoint des salaires tomb�s par trop au-dessous du minimum, au moyen de l'assistance des paroisses. � Le R�v. Turner �tait en 1827, dans le Cheshire, recteur de Wilmslow, district manufacturier. Les questions du comit� d'�migration et les r�ponses de M. Turner montrent comment on maintenait la lutte du travail humain contre les machines. Question : L'usage du m�tier m�canique n'a-t-il pas remplace celui du m�tier � la main ? R�ponse : Sans aucun doute; et il l'aurait remplac� bien davantage encore, si les tisseurs � la main n'avaient pas �t� mis en �tat de pouvoir se soumettre � une r�duction de salaire. Question : Mais en se soumettant ainsi, ils acceptent des salaires insuffisants, et ce qui leur manque pour s'entretenir, ils l'attendent de l'assistance paroissiale ? R�ponse: Assur�ment, et la lutte entre le m�tier � la main et le m�tier � la m�canique est en r�alit� maintenue par la taxe des pauvres. Pauvret� d�gradante ou expatriation, tel est donc le b�n�fice que recueillent les travailleurs de l'introduction des machines. D'artisans respectables et dans une certaine mesure ind�pendants ils deviennent de mis�rables esclaves qui vivent du pain avilissant de la charit�. C'est ce qu'on appelle un inconv�nient temporaire. � A Price Essay on the comparative merits of Competition and Cooperation. Lond., 1834, p. 9.
[7] Lancer quelqu'un dans l'�ternit� - to launch somebody into eternity - est l'expression euph�mique que les journaux anglais emploient pour annoncer les hauts faits du bourreau.
[8] � La m�me cause qui peut accro�tre le revenu du pays, (c'est-�-dire, comme Ricardo l'explique au m�me endroit, les revenus des Landlords et des capitalistes, dont la richesse, au point de vue des �conomistes, forme la richesse nationale) cette m�me cause peut en m�me temps rendre la population surabondante et d�t�riorer la condition du travailleur. � Ricardo, l.c., p. 469. � Le but constant et la tendance de tout perfectionnement des machines est de se passer du travail de l'homme ou de diminuer son prix en substituant le travail des femmes et des enfants � celui des adultes, ou le travail d 'ouvriers grossiers et inhabiles � celui d'ouvriers habiles. � (Ure, l.c., t. 1, p.35.)
[9] � Reports of Insp. of Fact. 31 oct. 1858 �, p.43.
[10] � Reports etc., 31 oct. 1856 �, p.15.
[11] Ure, l.c., t.I., p. 29: � Le grand avantage des machines pour la cuite des briques, c'est qu'elles rendent les patrons tout � fait ind�pendants des ouvriers habiles. � (Child. Employm. Comm. V. Report. London, 1866 p. 180, n. 46. - M. A. Sturreck, surveillant du d�partement des machines du Great Northern Railway, dit au sujet de la construction des machines (locomotives, etc.) devant la Commission royale d'enqu�te : � Les ouvriers dispendieux sont de jour en jour moins employ�s. En Angleterre la productivit� des ateliers est augment�e par l'emploi d'instruments perfectionn�s et ces instruments sont � leur tour fabriqu�s par une classe inf�rieure d'ouvriers. � Auparavant � il fallait des ouvriers habiles pour produire toutes les parties des machines; maintenant ces parties de machines sont produites par un travail de qualit� inf�rieure, mais avec de bons instruments... Par instruments, j'entends les machines employ�es � la construction de machines. � (Royal Commission on Railways, Minutes of Evidence. N� 17 863. London, 1867.)
[12] Ure, l.c., p.30.
[13] L.c., t. 11, p. 67.
[14] L.c.
[15] Rep. of lnsp. of Fact. 31 st. oct. 1863, p.108 et suiv.
[16] L.c., p.109. Le perfectionnement rapide des machines pendant la crise cotonni�re permit aux fabricants anglais, une fois la guerre civile am�ricaine termin�e, de pouvoir encombrer de nouveau tous les march�s du monde. Dans les derniers six mois de 1866 les tissus �taient d�j� devenus presque invendables quand les marchandises envoy�es en commission aux Indes et � la Chine vinrent rendre l'encombrement encore plus intense. Au commencement de 1867 les fabricants eurent recours � leur exp�dient ordinaire, l'abaissement du salaire. Les ouvriers s'y oppos�rent et d�clar�rent, avec raison au point de vue th�orique que le seul rem�de �tait de travailler peu de temps, quatre jours par semaine. Apr�s plus ou moins d'h�sitations les capitaines d'industrie durent accepter ces conditions, ici avec, l� sans r�duction des salaires de cinq pour cent.
[17] � Les rapports entre ma�tres et ouvriers dans les op�rations du soufflage du flintglass et du verre de bouteille, sont caract�ris�s par une gr�ve chronique. � De l� l'essor de la manufacture de verre press� dans laquelle les op�rations principales sont ex�cut�es m�caniquement. Une raison sociale de Newcastle qui produisait annuellement trois cent cinquante mille livres de flintglass souffl�, produit maintenant � leur place trois millions cinq cents livres de verre press�. Ch. Empl. Comm. IV Report. 1865, p.262, 263.
[18] Gaskell: The Manufacturing population of England. Lond., 1833, p.3,4.
[19] Par suite de gr�ves dans son atelier de construction M. Fairbairn a �t� amen� � faire d'importantes applications m�caniques pour la construction des machines.
[20] Ure, l.c., t. 11, p.141, 142, 140.
[21] L.c., t. 1, p.10.
[22] L.c., t. 11, p.143, 5, 6, 68, 67, 33.
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