1867 |
Une publication réalisée en collaboration avec le site le.capital.free.fr. |
Le Capital - Livre premier
Le développement de la production capitaliste
IV� section : la production de la plus-value relative
� Il reste encore � savoir �, dit John Stuart Mill, dans ses Principes d'�conomie politique, � si les inventions m�caniques faites jusqu'� ce jour ont all�g� le labeur quotidien d'un �tre humain quelconque [1]. � Ce n'�tait pas l� leur but. Comme tout autre d�veloppement de la force productive du travail, l'emploi capitaliste des machines ne tend qu'� diminuer le prix des marchandises, � raccourcir la partie de la journ�e o� l'ouvrier travaille pour lui-m�me, afin d'allonger l'autre o� il ne travaille que pour le capitaliste. C'est une m�thode particuli�re pour fabriquer de la plus-value relative.
La force de travail dans la manufacture et le moyen de travail dans la production m�canique sont les points de d�part de la r�volution industrielle. Il faut donc �tudier comment le moyen de travail s'est transform� d'outil en machine et par cela m�me d�finir la diff�rence qui existe entre la machine et l'instrument manuel. Nous ne mettrons en relief que les traits caract�ristiques : pour les �poques historiques, comme pour les �poques g�ologiques, il n'y a pas de ligne de d�marcation rigoureuse.
Des math�maticiens et des m�caniciens, dont l'opinion est reproduite par quelques �conomistes anglais, d�finissent l'outil une machine simple, et la machine un outil compos�. Pour eux, il n'y a pas de diff�rence essentielle et ils donnent m�me le nom de machines aux puissances m�caniques �l�mentaires telles que le levier, le plan inclin�, la vis, le coin, etc [2]. En fait, toute machine se compose de ces puissances simples, de quelque mani�re qu'on d�guise et combine. Mais cette d�finition ne vaut rien au point de vue social, parce que l'�l�ment historique y fait d�faut.
Pour d'autres, la machine diff�re de l'outil en ce que la force motrice de celui-ci est l'homme et celle de l'autre l'animal, l'eau, le vent, etc [3]. A ce compte, une charrue attel�e de b�ufs, instrument commun aux �poques de production les plus diff�rentes, serait une machine, tandis que le Circular Loom de Claussen, qui, sous la main d'un seul ouvrier, ex�cute quatre-vingt-seize mille mailles par minute, serait un simple outil. Mieux encore, ce m�me loom serait outil, si m� par la main; machine, si m� par la vapeur. L'emploi de la force animale �tant une des premi�res inventions de l'homme, la production m�canique pr�c�derait donc le m�tier. Quand John Wyalt, en 1735, annon�a sa machine � filer, et, avec elle, la r�volution industrielle du XVIII� si�cle, il ne dit mot de ce que l'homme serait remplac� comme moteur par l'�ne, et cependant c'est � l'�ne que ce r�le �chut. Une machine pour � filer sans doigts �, tel fut son prospectus [4].
Tout m�canisme d�velopp� se compose de trois parties essentiellement diff�rentes : moteur, transmission et machine d'op�ration. Le moteur donne l'impulsion � tout le m�canisme. Il enfante sa propre force de mouvement comme la machine � vapeur, la machine �lectro-magn�tique, la machine calorique, etc., ou bien re�oit l'impulsion d'une force naturelle externe, comme la roue hydraulique d'une chute d'eau, l'aile d'un moulin � vent des courants d'air.
La transmission, compos�e de balanciers, de roues circulaires, de roues d'engrenage, de volants, d'arbres moteurs, d'une vari�t� infinie de cordes, de courroies, de poulies, de leviers, de plans inclin�s, de vis, etc., r�gle le mouvement, le distribue, en change la forme, s'il le faut, de rectangulaire en rotatoire et vice versa, et le transmet � la machine-outil.
Les deux premi�res parties du m�canisme n'existent, en effet, que pour communiquer � cette derni�re le mouvement qui lui fait attaquer l'objet de travail et en modifier la forme. C'est la machine�-outil qui inaugure au XVIII� si�cle la r�volution industrielle; elle sert encore de point de d�part toutes les fois qu'il s'agit de transformer le m�tier ou la manufacture en exploitation m�canique.
En examinant la machine-outil, nous retrouvons en grand, quoique sous des formes modifi�es, les appareils et les instruments qu'emploie l'artisan ou l'ouvrier manufacturier, mais d'instruments manuels de l'homme ils sont devenus instruments m�caniques d'une machine. Tant�t la machine enti�re n'est qu'une �dition plus ou moins revue et corrig�e du vieil instrument manuel, - c'est le cas pour le m�tier � tisser m�canique [5], - tant�t les organes d'op�ration, ajust�s � la charpente de la machine-outil, sont d'anciennes connaissances, comme les fuseaux de la Mule-Jenny, les aiguilles du m�tier � tricoter des bas, les feuilles de scie de la machine � scier, le couteau de la machine � hacher, etc. La plupart de ces outils se distinguent par leur origine m�me de la machine dont ils forment les organes d'op�ration. En g�n�ral on les produit aujourd'hui encore par le m�tier ou la manufacture, tandis que la machine, � laquelle ils sont ensuite incorpor�s, provient de la fabrique m�canique [6].
La machine-outil est donc un m�canisme qui, ayant re�u le mouvement convenable, ex�cute avec ses instruments les m�mes op�rations que le travailleur ex�cutait auparavant avec des instruments pareils. D�s que l'instrument, sorti de la main de l'homme, est mani� par un m�canisme, la machine-outil a pris la place du simple outil. Une r�volution s'est accomplie alors m�me que l'homme reste le moteur. Le nombre d'outils avec lesquels l'homme peut op�rer en m�me temps est limit� par le nombre de ses propres organes. On essaya, au XVII� si�cle, en Allemagne de faire man�uvrer simultan�ment deux rouets par un fileur. Mais cette besogne a �t� trouv�e trop p�nible. Plus tard on inventa un rouet � pied avec deux fuseaux; mais les virtuoses capables de filer deux fils � la fois �taient presque aussi rares que des veaux � deux t�tes. La Jenny, au contraire, m�me dans sa premi�re �bauche, file avec douze et dix-huit fuseaux; le m�tier � bas tricote avec plusieurs milliers d'aiguilles. Le nombre d'outils qu’une m�me machine d'op�ration met en jeu simultan�ment est donc de prime abord �mancip� de la limite organique que ne pouvait d�passer l'outil manuel.
Il y a bien des instruments dont la construction m�me met en relief le double r�le de l'ouvrier comme simple force motrice comme ex�cuteur de la main-d’�uvre proprement dite. Prenons, par exemple, le rouet. Sur sa marchette, le pied agit simplement comme moteur, tandis que les doigts filent en travaillant au fuseau. C'est pr�cis�ment cette derni�re partie de l'instrument, l'organe de l'op�ration manuelle, que la r�volution industrielle saisit tout d'abord, laissant � l'homme, � c�t� de nouvelle besogne de surveiller la machine et d'en corriger les erreurs de sa main, le r�le purement m�canique de moteur.
Il y a une autre classe d'instruments sur lesquels l'homme agit toujours comme simple force motrice, en tournant, par exemple, la manivelle d'un moulin [7], en man�uvrant une pompe, en �cart et rapprochant les bras d'un soufflet, en broyant des substances dans un mortier, etc. L� aussi l'ouvrier commence � �tre remplac� comme force motrice par des animaux, le vent, l’eau [8]. Beaucoup de ces instruments se transforment en machines longtemps avant et pendant la p�riode manufacturi�re sans cependant r�volutionner le mode de production. Dans l'�poque de la grande industrie, il devient �vident qu'ils sont des machines en germe, m�me sous leur forme primitive d'outils manuels.
Les pompes, par exemple, avec lesquelles les Hollandais mirent � sec le lac de Harlem en 1836-37, �taient construites sur le principe des pompes ordinaires, sauf que leurs pistons �taient soulev�s par d'�normes machines � vapeur au lieu de l'�tre � force de bras. En Angleterre, le soufflet ordinaire et tr�s imparfait du forgeron est assez souvent transform� en pompe � air; il suffit pour cela de mettre son bras en communication avec une machine � vapeur. La machine � vapeur elle-m�me, telle qu'elle exista, pendant la p�riode manufacturi�re, � partir de son invention vers la fin du XVII� si�cle [9] jusqu'au commencement de 1780, n'amena aucune r�volution dans l'industrie. Ce fut au contraire la cr�ation des machines-outils qui rendit n�cessaire la machine � vapeur r�volutionn�e. D�s que l'homme, au lieu d’agir avec l'outil sur l'objet de travail, n'agit plus que comme moteur d'une machine-outil, l'eau, le vent, la vapeur peuvent le remplacer, et le d�guisement de la force motrice sous des muscles humains devient purement accidentel. Il va sans dire qu'un changement de ce genre exige souvent de grandes modifications techniques dans le m�canisme construit primitivement pour la force humaine. De nos jours toutes les machines qui doivent faire leur chemin, telles que machines � coudre, machines � p�trir, etc., et dont le but n'exige pas de grandes dimensions, sont construites de double fa�on, selon que l'homme ou une force m�canique est destin� � les mouvoir.
La machine, point de d�part de la r�volution industrielle, remplace donc le travailleur qui manie un outil par un m�canisme qui op�re � la fois avec plusieurs outils semblables, et re�oit son impulsion d'une force unique, quelle qu'en soit la forme [10]. Une telle machine-outil n'est cependant que l'�l�ment simple de la production m�canique.
Pour d�velopper les dimensions de la machine d'op�ration et le nombre de ses outils, il faut un moteur plus puissant, et pour vaincre la force d'inertie du moteur, il faut une force d'impulsion sup�rieure � celle de l'homme, sans compter que l'homme est un agent tr�s imparfait dans la production d'un mouvement continu et uniforme. D�s que l'outil est remplac� par une machine mue par l'homme, il devient bient�t n�cessaire de remplacer l'homme dans le r�le de moteur par d'autres forces naturelles.
De toutes les forces motrices qu'avait l�gu�es la p�riode manufacturi�re, le cheval �tait la pire; le cheval a, comme on dit, sa t�te, son usage est dispendieux et ne peut trouver place dans les fabriques que d'une mani�re restreinte [11]. N�anmoins, la force-cheval fut employ�e fr�quemment dans les d�buts de la grande industrie, ainsi qu'en t�moignent les lamentations des agronomes de cette �poque et l'expression � force de cheval � usit�e encore aujourd'hui pour d�signer la force m�canique. Le vent �tait trop inconstant et trop difficile � contr�ler; d'ailleurs l'emploi de l'eau comme force motrice, m�me pendant la p�riode manufacturi�re, pr�dominait en Angleterre, ce pays natal de la grande industrie. On avait essay� au XVII� si�cle de mettre en mouvement, au moyen d'une seule roue hydraulique, deux meules et deux tournants. Mais le m�canisme de transmission devenu trop pesant rendit la force motrice de l'eau insuffisante, et ce fut l� une des circonstances qui conduisirent � l'�tude plus approfondie des lois du frottement. L'action in�gale de la force motrice dans les moulins mus par percussion et traction conduisit d'autre part � la th�orie [12] et � l'emploi du volant qui joue plus tard un r�le si important dans la grande industrie dont les premiers �l�ments scientifiques et techniques furent ainsi peu � peu d�velopp�s pendant l'�poque des manufactures. Les filatures par m�tiers continus (throstle mills) d'Arkwright furent, d�s leur origine, mus par l'eau. Mais l'emploi presque exclusif de cette force offrit des difficult�s de plus en plus grandes. Il �tait impossible de l'augmenter � volont� ou de suppl�er � son insuffisance. Elle se refusait parfois et �tait de nature purement locale [13]. Ce n'est qu'avec la machine � vapeur � double effet de Watt que fut d�couvert un premier moteur capable d'enfanter lui-m�me sa propre force motrice en consommant de l'eau et du charbon et dont le degr� de puissance est enti�rement r�gl� par l’homme. Mobile et moyen de locomotion, citadin et non campagnard comme la roue hydraulique, il permet de concentrer la production dans les villes au lieu de la diss�miner dans les campagnes [14]. Enfin, il est universel dans son application tech�nique, et son usage d�pend relativement peu des circonstances locales. Le grand g�nie de Watt se montre dans les consid�rants du brevet qu'il prit en 1784. Il n'y d�peint pas sa machine comme une invention destin�e � des fins particuli�res, mais comme l'agent g�n�ral de la grande industrie. Il en fait pressentir des applications, dont quelques-unes, le marteau � vapeur par exemple, ne furent introduites qu'un demi-si�cle plus tard. Il doute cependant que la machine � vapeur puisse �tre appliqu�e � la navigation. Ses successeurs, Boulton et Watt, expos�rent au palais de l'industrie de Londres, en 1851, une machine � vapeur des plus colossales pour la navigation maritime.
Une fois les outils transform�s d'instruments manuels de l'homme en instruments de l'appareil m�canique, le moteur acquiert de son c�t� une forme ind�pendante, compl�tement �mancip�e des bornes de la force humaine. La machine-outil isol�e, telle que nous l'avons �tudi�e jusqu'ici, tombe par cela m�me au rang d'un simple organe du m�canisme d'op�ration. Un seul moteur peut d�sormais mettre en mouvement plusieurs machines-outils. Avec le nombre croissant des machines-outils auxquelles il doit simultan�ment donner la propulsion, le moteur grandit tandis que la transmission se m�tamorphose en un corps aussi vaste que compliqu�.
L'ensemble du m�canisme productif nous pr�sente alors deux formes distinctes : ou la coop�ration de plusieurs machines homog�nes ou un syst�me de machines. Dans le premier cas, la fabrication enti�re d'un produit se fait par la m�me machine-outil qui ex�cute toutes les op�rations accomplies auparavant par un artisan travaillant avec un seul instrument, comme le tisserand avec son m�tier, ou par plusieurs ouvriers, avec diff�rents outils, soit ind�pendants, soit r�unis dans une manufacture [15]. Dans la manufacture d'enveloppes, par exemple, un ouvrier doublait le papier avec le plioir., un autre appliquait la gomme, un troisi�me renversait la l�vre qui porte la devise, un quatri�me bosselait les devises, etc.; � chaque op�ration partielle, chaque enveloppe devait changer de mains. Une seule machine ex�cute aujourd'hui, du m�me coup, toutes ces op�rations, et fait en une heure trois mille enveloppes et m�me davantage. Une machine am�ricaine pour fabriquer des cornets, expos�e � Londres en 1862, coupait le papier, collait, pliait et finissait dix-huit mille cornets par heure. Le proc�s de travail qui, dans la manufacture, �tait divis� et ex�cut� successivement, est ici accompli par une seule machine agissant au moyen de divers outils combin�s.
Dans la fabrique (factory) - et c'est l� la forme propre de l'atelier fond� sur l'emploi des machines - nous voyons toujours repara�tre la coop�ration simple. Abstraction faite de l'ouvrier, elle se pr�sente d'abord comme agglom�ration de machines outils de m�me esp�ce fonctionnant dans le m�me local et simultan�ment. C'est sa forme exclusive l� o� le produit sort tout achev� de chaque machine-outil, que celle-ci soit la simple reproduction d'un outil manuel complexe ou la combinaison de divers instruments ayant chacun sa fonction particuli�re.
Ainsi une fabrique de tissage est form�e par la r�union d'une foule de m�tiers � tisser m�caniques, etc. Mais il existe ici une v�ritable unit� technique, en ce sens que les nombreuses machines-outils re�oivent uniform�ment et simultan�ment leur impulsion du moteur commun, impulsion transmise par un m�canisme qui leur est �galement commun en partie puisqu'il n'est reli� � chacune que par des embranchements particuliers. De m�me que de nombreux outils forment les organes d'une machine-outil, de m�me de nombreuses machines-outils forment autant d'organes homog�nes d'un m�me m�canisme moteur.
Le syst�me de machines proprement dit ne remplace la machine ind�pendante que lorsque l'objet de travail parcourt successivement une s�rie de divers proc�s gradu�s ex�cut�s par une cha�ne de machines-outils diff�rentes mais combin�es les unes avec les autres. La coop�ration par division du travail qui caract�rise la manufacture, repara�t ici comme combinaison de machines d'op�ration parcellaires. Les outils sp�ciaux des diff�rents ouvriers dans une manufacture de laine par exemple, ceux du batteur, du cardeur, du tordeur, du fileur, etc., se transforment en autant de machines-outils sp�ciales dont chacune forme un organe particulier dans le syst�me du m�canisme combin�. La manufacture elle-m�me fournit au syst�me m�canique, dans les branches o� il est d'abord introduit, l'�bauche de la division et, par cons�quent, de l'organisation du proc�s productif [16]. Cependant une diff�rence essentielle se manifeste imm�diatement. Dans la manufacture, chaque proc�s partiel doit pouvoir �tre ex�cut� comme op�ration manuelle par des ouvriers travaillant isol�ment ou en groupes avec leurs outils. Si l'ouvrier est ici appropri� � une op�ration, l'op�ration est d�j� d'avance accommod�e � l'ouvrier. Ce principe subjectif de la division n'existe plus dans la production m�canique. Il devient objectif, c'est-�-dire �mancip� des facult�s individuelles de l'ouvrier; le proc�s total est consid�r� en lui-m�me, analys� dans ses principes constituants et ses diff�rentes phases, et le probl�me qui consiste � ex�cuter chaque proc�s partiel et � relier les divers proc�s partiels entre eux, est r�solu au moyen de la m�canique, de la chimie, etc [17]., ce qui n'emp�che pas naturellement que la conception th�orique ne doive �tre perfectionn�e par une exp�rience pratique accumul�e sur une grande �chelle. Chaque machine partielle fournit � celle qui la suit sa mati�re premi�re, et, comme toutes fonctionnent en m�me temps et de concert, le produit se trouve ainsi constamment aux divers degr�s de sa fabrication et dans la transition d'une phase � l'autre. De m�me que dans la manufacture, la coop�ration imm�diate des ouvriers parcellaires cr�e certains nombres proportionnels d�termin�s entre les diff�rents groupes, de m�me dans le syst�me de machines l'occupation continuelle des machines partielles les unes par les autres cr�e un rapport d�termin� entre leur nombre, leur dimension et leur c�l�rit�. La machine d'op�ration combin�e, qui forme maintenant un syst�me articul� de diff�rentes machines-outils et de leurs groupes, est d'autant plus parfaite que son mouvement d'ensemble est plus continu, c'est-�-dire que la mati�re premi�re passe avec moins d'interruption de sa premi�re phase � sa derni�re, d'autant plus donc que le m�canisme et non la main de l'homme lui fait parcourir ce chemin. Donc si le principe de la manufacture est l'isolement des proc�s particuliers par la division du travail, celui de la fabrique est au contraire la continuit� non interrompue de ces m�mes proc�s.
Qu'il se fonde sur la simple coop�ration de machines-outils homog�nes, comme dans le tissage, ou sur une combinaison de machines diff�rentes, comme dans la filature, un syst�me de machinisme forme par lui-m�me un grand automate, d�s qu'il est mis en mouvement par un premier moteur qui se meut lui-m�me. Le syst�me entier peut cependant recevoir son impulsion d'une machine � vapeur, quoique certaines machines-outils aient encore besoin de l'ouvrier pour mainte op�ration. C'est ce qui avait lieu dans la filature pour certains mouvements ex�cut�s aujourd'hui par la mule automatique, et dans les ateliers de construction o� certaines parties des machines-outils avaient besoin d'�tre dirig�es comme de simples outils par l'ouvrier, avant la transformation du slide rest en facteur-automate. D�s que la machine-outil ex�cute tous les mouvements n�cessaires au fa�onnement de la mati�re premi�re sans le secours de l'homme et ne le r�clame qu'apr�s coup, d�s lors il y a un v�ritable syst�me automatique, susceptible cependant de constantes am�liorations de d�tail. C'est ainsi que l'appareil qui fait arr�ter le laminoir (drawing frame) de lui-m�me, d�s qu'un fil se casse, et le self-acting stop qui arr�te le m�tier � tisser � vapeur d�s que la duite s'�chappe de la bobine de la navette, sont des inventions tout � fait modernes. La fabrique de papier moderne peut servir d'exemple aussi bien pour la continuit� de la production que pour la mise en oeuvre du principe automatique. En g�n�ral, la production du papier permet d'�tudier avantageusement et en d�tail la diff�rence des modes productifs bas�e sur la diff�rence des moyens de produire, de m�me que le rapport entre les conditions sociales de la production et ses proc�d�s techniques. En effet, la vieille fabrication allemande du papier nous fournit un mod�le de la production de m�tier, la Hollande, au XVII� si�cle, et la France au XVIII� nous mettent sous les yeux la manufacture proprement dite, et l'Angleterre d'aujourd'hui la fabrication automatique; on trouve encore dans l'Inde et dans la Chine diff�rentes formes primitives de cette industrie.
Le syst�me des machines-outils automatiques recevant leur mouvement par transmission d'un automate central, est la forme la plus d�velopp�e du machinisme productif. La machine isol�e a �t� remplac�e par un monstre m�canique qui, de sa gigantesque membrure, emplit des b�timents entiers; sa force d�moniaque, dissimul�e d'abord par le mouvement cadenc� et presque solennel de ses �normes membres, �clate dans la danse fi�vreuse et vertigineuse de ses innombrables organes d'op�ration.
Il y avait des m�tiers m�caniques, des machines � vapeur, etc., avant qu'il y e�t des ouvriers occup�s exclusivement � leur fabrication. Les grandes inventions de Vaucanson, d'Arkwright, de Watt, etc., ne pouvaient �tre appliqu�es que parce que la p�riode manufacturi�re avait l�gu� un nombre consid�rable d'ouvriers m�caniciens habiles. Ces ouvriers �taient des artisans ind�pendants et de diverses professions, ou se trouvaient r�unis dans des manufactures rigoureusement organis�es d'apr�s le principe de la division du travail. A mesure que les inventions et la demande de machines s'accrurent, leur construction se subdivisa de plus en plus en branches vari�es et ind�pendantes, et la division du travail se d�veloppa proportionnellement dans chacune de ces branches. La manufacture forme donc historiquement la base technique de la grande industrie.
Dans les sph�res de production o� l'on introduit les machines fournies par la manufacture, celle-ci, � l'aide de ses propres machines, est supplant�e par la grande industrie. L'industrie m�canique s'�l�ve sur une base mat�rielle inad�quate qu'elle �labore d'abord sous sa forme traditionnelle, mais qu'elle est forc�e de r�volutionner et de conformer � son propre principe d�s qu'elle a atteint un certain degr� de maturit�.
De m�me que la machine-outil reste ch�tive tant que l'homme reste son moteur, et que le syst�me m�canique progresse lentement tant que les forces motrices traditionnelles, l'animal, le vent, et m�me l'eau ne sont pas remplac�s par la vapeur, de m�me la grande industrie est retard�e dans sa marche tant que son moyen de production caract�ristique, la machine elle-m�me, doit son existence � la force et l'habilet� humaines, et d�pend ainsi du d�veloppement musculaire, du coup d’�il et de la dext�rit� manuelle de l'artisan ind�pendant du m�tier et de l'ouvrier parcellaire de la manufacture, maniant leurs instruments nains.
A part la chert� des machines fabriqu�es de cette fa�on et cela est affaire du capitaliste industriel - le progr�s d'industries d�j� fond�es sur le mode de production m�canique et son introduction dans des branches nouvelles, rest�rent tout � fait soumis � une seule condition, l'accroissement d'ouvriers sp�cialistes dont le nombre, gr�ce � la nature presque artistique de travail, ne pouvait s'augmenter que lentement.
Ce n'est pas tout : � un certain degr� de son d�veloppement, la grande industrie entra en conflit, m�me au point de vue technologique, avec sa base donn�e par le m�tier et la manufacture.
Les dimensions croissantes du moteur et de la transmission, la vari�t� des machines-outils, leur construction de plus en plus compliqu�e, la r�gularit� math�matique qu'exigeaient le nombre, la multiformit� et la d�licatesse de leurs �l�ments constituants � mesure qu'elles s'�cart�rent du mod�le fourni par le m�tier et devenu incompatible avec les formes prescrites par leurs fonctions purement m�caniques [18], le progr�s du syst�me automatique et l'emploi d'un mat�riel difficile � manier, du fer, par exemple, � la place du bois - la solution de tous ces probl�mes, que les circonstances faisaient �clore successivement, se heurta sans cesse contre les bornes personnelles dont m�me le travailleur collectif de la manufacture ne sait se d�barrasser. En effet, des machines, telles que la presse d'impression moderne, le m�tier � vapeur et la machine � carder, n'auraient pu �tre fournies par la manufacture.
Le bouleversement du mode de production dans une sph�re industrielle entra�ne un bouleversement analogue dans une autre. On s'en aper�oit d'abord dans les branches d'industrie, qui s'entrelacent comme phases d'un proc�s d'ensemble, quoique la division sociale du travail les ait s�par�es, et m�tamorphos� leurs produits en autant de marchandises ind�pendantes. C'est ainsi que la filature m�canique a rendu n�cessaire le tissage m�canique, et que tous deux ont amen� la r�volution m�canico-chimique de la blanchisserie, de l'imprimerie et de la teinturerie. De m�me encore la r�volution dans le filage du coton a provoqu� l'invention du gin pour s�parer les fibres de cette plante de sa graine, invention qui a rendu possible la production du coton sur l'immense �chelle qui est aujourd'hui devenue indispensable [19]. La r�volution dans l'industrie et l'agriculture a n�cessit� une r�volution dans les conditions g�n�rales du proc�s de production social, c'est-�-dire dans les moyens de communication et de transport. Les moyens de communication et de transport d'une soci�t� qui avait pour pivot, suivant l'expression de Fourier, la petite agriculture, et comme corollaire, l'�conomie domestique et les m�tiers des villes, �taient compl�tement insuffisants pour subvenir aux besoins de la production manufacturi�re, avec sa division �largie du travail social, sa concentration d'ouvriers et de moyens de travail, ses march�s coloniaux, si bien qu'il a fallu les transformer. De m�me les moyens de communication et de transport l�gu�s par la p�riode manufacturi�re devinrent bient�t des obstacles insupportables pour la grande industrie avec la vitesse fi�vreuse de sa production centupl�e, son lancement continuel de capitaux et de travailleurs d'une sph�re de production dans une autre et les conditions nouvelles du march� universel qu'elle avait cr��. A part les changements radicaux introduits dans la construction des navires � voiles, le service de communication et de transport fut peu � peu appropri� aux exigences de la grande industrie, au moyen d'un syst�me de bateaux � vapeur, de chemins de fer et de t�l�graphes. Les masses �normes de fer qu'il fallut d�s lors forger, braser, trancher, forer et modeler exig�rent des machines monstres dont la cr�ation �tait interdite au travail manufacturier.
La grande industrie fut donc oblig�e de s'adapter son moyen caract�ristique de production, la machine elle-m�me, pour produire d'autres machines. Elle se cr�a ainsi une base technique ad�quate et put alors marcher sans lisi�res. A mesure que dans le premier tiers du XIX� si�cle elle s'accrut, le machinisme s'empara peu � peu de la fabrication des machines-outils, et dans le second tiers seulement l'immense construction des voies ferr�es et la navigation � vapeur oc�anique firent na�tre les machines cyclop�ennes consacr�es � la construction des premiers moteurs.
La condition sine qua non de la fabrication des machines par des machines, �tait un moteur susceptible de tout degr� de puissance et en m�me temps facile � contr�ler. Il existait d�j� dans la machine � vapeur. Mais il s'agissait en m�me temps de produire m�caniquement ces formes strictement g�om�triques telles que la ligne, le plan, le cercle, le c�ne et la sph�re qu'exigeaient certaines parties des machines. Au commencement de ce si�cle, Henry Maudsley r�solut ce probl�me par l'invention du slide rest, qui fut bient�t rendu automatique; du banc du tourneur pour lequel il �tait d'abord destin�, il passa ensuite � d'autres machines de construction. Cet engin ne remplace pas seulement un outil particulier, mais encore la main de l'homme qui ne parvient � produire des formes d�termin�es qu'en dirigeant et en ajustant le tranchant de son outil contre l'objet de travail. On r�ussit ainsi � � produire les formes g�om�triques voulues avec un degr� d'exactitude, de facilit� et de vitesse qu'aucune exp�rience accumul�e ne pourrait pr�ter � la main de l'ouvrier le plus habile [20] �.
Si nous consid�rons maintenant dans le m�canisme employ� � la construction, la partie qui constitue ses organes d'op�ration proprement dits, nous retrouvons l'instrument manuel, mais dans des proportions gigantesques. L'op�rateur de la machine � forer, par exemple, est un foret de dimension �norme mis en mouvement par une machine � vapeur, et sans lequel les cylindres des grandes machines � vapeur et des presses hydrauliques ne pourraient �tre perc�s. Le tour � support m�canique n'est que la reproduction colossale du tour ordinaire; la machine � raboter repr�sente, pour ainsi dire, un charpentier de fer qui travaille dans le fer avec les m�mes outils que le charpentier dans le bois; l'outil qui, dans les chantiers de Londres, tranche les plaques qui blindent la carcasse des navires est une esp�ce de rasoir cyclop�en, et le marteau � vapeur op�re avec une t�te de marteau ordinaire, mais d'un poids tel que le dieu Thor lui-m�me ne pourrait le soulever [21]. Un de ces marteaux � vapeur, de l'invention de Nasmyth, p�se au-del� de six tonnes et tombe sur une enclume d'un poids de trente-six tonnes avec une chute verticale de sept pieds. Il pulv�rise d'un seul coup un bloc de granit et enfonce un clou dans du bois tendre au moyen d'une s�rie de petits coups l�g�rement appliqu�s [22].
Le moyen de travail acquiert dans le machinisme une existence mat�rielle qui exige le remplacement de la force de l'homme par des forces naturelles et celui de la routine par la science. Dans la manufacture, la division du proc�s de travail est purement subjective; c'est une combinaison d'ouvriers parcellaires. Dans le syst�me de machines, la grande industrie cr�e un organisme de production compl�tement objectif ou impersonnel, que l'ouvrier trouve l�, dans l'atelier, comme la condition mat�rielle toute pr�te de son travail. Dans la coop�ration simple et m�me dans celle fond�e sur la division du travail, la suppression du travail isol� par le travailleur collectif semble encore plus ou moins accidentelle. Le machinisme, � quelques exceptions pr�s que nous mentionnerons plus tard, ne fonctionne qu'au moyen d'un travail socialis� ou commun. Le caract�re coop�ratif du travail y devient une n�cessit� technique dict�e par la nature m�me de son moyen.
Notes
[1] Mill aurait d� ajouter � qui ne vit pas du travail d'autrui �, car il est certain que les machines ont grandement augment� le nombre des oisifs ou ce qu'on appelle les gens comme il faut.
[2]V. par exemple Hutton's Course of mathematics.
[3] � On peut � ce point de vue tracer une ligne pr�cise de d�marcation entre outil et machine : la pelle, le marteau, le ciseau, etc., les vis et les leviers, quel que soit le degr� d'art qui s'y trouve atteint, du moment que l'homme est leur seule force motrice, tout cela est compris dans ce que l'on entend par outil. La charrue au contraire mise en mouvement par la force de l'animal, les moulins � vent, � eau, etc., doivent �tre compt�s parmi les machines. � (Wilhelm Schulz : Die Bewegung der Production. Zurich, 1843, p.38.) Cet �crit m�rite des �loges sous plusieurs rapports.
[4] On se servait d�j� avant lui de machines pour filer, tr�s imparfaites, il est vrai; et c'est en Italie probablement qu'ont paru les premi�res. Une histoire critique de la technologie ferait voir combien il s'en faut g�n�ralement qu'une invention quelconque du XVIII� si�cle appartienne � un seul individu. Il n'existe aucun ouvrage de ce genre. Darwin a attir� l'attention sur l'histoire de la technologie naturelle, c'est-�-dire sur la formation des organes des plantes et des animaux consid�r�s comme moyens de production pour leur vie. L'histoire des organes productifs de l'homme social, base mat�rielle de toute organisation sociale, ne serait-elle pas digne de semblables recherches ? Et ne serait-il pas plus facile de mener cette entreprise � bonne fin, puisque, comme dit Vico, l'histoire de l'homme se distingue de l'histoire de la nature en ce que nous avons fait celle-l� et non celle-ci ? La technologie met � nu le mode d'action de l'homme vis-�-vis de la nature, le proc�s de production de sa vie mat�rielle, et, par cons�quent, l'origine des rapports sociaux et des id�es ou conceptions intellectuelles qui en d�coulent. L'histoire de la religion elle-m�me, si l'on fait abstraction de cette base mat�rielle, manque de crit�rium. Il est en effet bien plus facile de trouver par l'analyse, le contenu, le noyau terrestre des conceptions nuageuses des religions, que de faire voir par une voie inverse comment les conditions de la vie r�elle rev�tent peu � peu une forme �th�r�e. C'est l� la seule m�thode mat�rialiste, par cons�quent scientifique. Pour ce qui est du mat�rialisme abstrait des sciences naturelles, qui ne fait aucun cas du d�veloppement historique, ses d�fauts �clatent dans la mani�re de voir abstraite et id�ologique de ses porte-parole, d�s qu'ils se hasardent � faire un pas hors de leur sp�cialit�.
[5] Dans la premi�re forme m�canique du m�tier � tisser, on reconna�t au premier coup d'oeil l'ancien m�tier. Dans sa derni�re forme moderne cette analogie a disparu.
[6] Ce n'est que depuis vingt ans environ qu'un nombre toujours croissant de ces outils m�caniques sont fabriqu�s m�caniquement en Angleterre, mais dans d'autres ateliers de construction que les charpentes des machines d'op�ration. Parmi les machines qui servent � la fabrication d'outils m�caniques, on peut citer l'automatique bobbin-making engine, le card-setting engine, les machines � forger les broches des mules et des m�tiers continus, etc.
[7] � Tu ne dois pas, dit Mo�se d'�gypte, lier les naseaux du b�uf qui bat le grain. � Les tr�s pieux et tr�s chr�tiens seigneurs germains, pour se conformer aux pr�ceptes bibliques, mettaient un grand carcan circulaire en bois autour du cou du serf employ� � moudre, pour l'emp�cher de porter la farine � sa bouche avec la main.
[8] Le manque de cours d'eau vive et la surabondance d'eaux stagnantes forc�rent les Hollandais � user le vent comme force motrice. ils emprunt�rent le moulin � vent � l'Allemagne, on cette invention avait provoqu� une belle brouille entre la noblesse, la pr�traille et l'empereur, pour savoir � qui des trois le vent appartenait. L'air asservit l'homme, disait-on en Allemagne, tandis que le vent constituait la libert� de IL Hollande et rendait le Hollandais propri�taire de son sol. En 1836, on fut encore oblig� d'avoir recours � douze mille moulins � vent d'une force de six mille chevaux, pour emp�cher les deux tiers du pays de revenir � l'�tat mar�cageux.
[9] Elle fut, il est vrai, tr�s am�lior�e par Watt, a u moyen de la machine � vapeur dite � simple effet; mais sous cette derni�re forme elle resta toujours simple machine � soulever l'eau.
[10] � La r�union de tous ces instruments simples, mis en mouvement par un moteur unique, forme une machine. � (Babbage, 1.c.)
[11] Dans un m�moire � sur les forces employ�es en agriculture � lu en janvier 1861 dans la Society of Arts M. John C. Morton dit : � Toute am�lioration qui a pour r�sultat de niveler et de rendre uniforme le sol, facilite l'emploi de la machine � vapeur pour la production de simple force m�canique... On ne peut se passer du cheval l� o� des haies tortueuses et d'autres obstacles emp�chent l'action uniforme. Ces obstacles disparaissent chaque jour de plus en plus, Dans les op�rations qui exigent plus de volont� que de force, la seule force qui puisse �tre employ�e est celle que dirige de minute en minute l'esprit de l'homme, c'est-�-dire la force humaine. � M. Morton ram�ne ensuite la force-vapeur, la force-cheval et la force humaine � l'unit� de mesure employ�e ordinairement pour les machines � vapeur, autrement dit � la force capable d'�lever trente-trois mille livres � la hauteur d'un pied dans une minute; et calcule que les frais du cheval-vapeur appliqu� � la machine, sont de trois pence par heure, ceux du cheval de cinq et demi pence. En outre, le cheval, si on veut l'entretenir en bonne sant�, ne peut travailler que huit heures par jour. Sur un terrain cultiv� la force-vapeur permet d'�conomiser pendant toute l'ann�e au moins trois chevaux sur sept, et ses frais ne s'�l�vent qu'� ce que les chevaux remplac�s co�tent pendant les trois ou quatre mois o� ils font leur besogne. Enfin, dans les op�rations agricoles o� elle peut �tre employ�e, la vapeur fonctionne beaucoup mieux que le cheval. Pour faire l'ouvrage de la machine � vapeur, il faudrait soixante-six hommes � quinze shillings par heure, et pour faire celui des chevaux trente-deux hommes � huit shillings par heure.
[12] Faulhebr 1625, De Cous 1688.
[13] L'invention moderne des turbines fait dispara�tre bien des obstacles, qui s'opposaient auparavant � l'emploi de l'eau comme force motrice.
[14] � Dans les premiers jours des manufactures textiles, l'emplacement de la fabrique d�pendait de l'existence d'un ruisseau poss�dant une chute suffisante pour mouvoir une roue hydraulique, et quoique l'�tablissement des moulins � eau port�t le premier coup au syst�me de l'industrie domestique, cependant les moulins situ�s sur des courants et souvent � des distances consid�rables les uns des autres, constituaient un syst�me plut�t rural que citadin. Il a fallu que la puissance de la vapeur se substitu�t � celle de l'eau, pour que les fabriques fussent rassembl�es dans les villes et dans les localit�s o� l'eau et le charbon requis pour la production de la vapeur se trouvaient en quantit� suffisante. L'engin � vapeur est le p�re des villes manufacturi�res. � (A. Redgrave, dans Reports of the Insp. of Fact. 30 th. april 1860, p.36.)
[15] Au point de vue de la division manufacturi�re, le tissage n'�tait point un travail simple, mais un travail de m�tier tr�s compliqu�, et c'est pourquoi le m�tier � tisser m�canique est une machine qui ex�cute des op�rations tr�s vari�es. En g�n�ral, c'est une erreur de croire que le machinisme moderne s'empare � l'origine pr�cis�ment des op�rations que la division manufacturi�re du travail avait simplifi�es. Le tissage et le filage furent bien d�compos�s en genres de travail nouveaux, pendant la p�riode des manufactures; les outils qu'on y employait furent vari�s et perfectionn�s, mais le proc�s de travail lui-m�me resta indivis et affaire de m�tier. Ce n'est pas le travail, mais le moyen de travail qui sert de point de d�part � la machine.
[16] Avant l'�poque de la grande industrie, la manufacture de laine �tait pr�dominante en Angleterre. C'est elle qui, pendant la premi�re moiti� du XVIII� si�cle, donna lieu � la plupart des essais et des exp�rimentations. Les exp�riences faites sur la laine profit�rent au coton, dont le maniement m�canique exige des pr�parations moins p�nibles, de m�me que plus tard et inversement le tissage et le filage m�caniques du coton servirent de base � l'industrie m�canique de la laine. Quelques op�rations isol�es de la manufacture de laine, par exemple le cardage n'ont �t� incorpor�es que depuis peu au syst�me de fabrique. � L'application de la m�canique au cardage de la laine... pratiqu�e sur une grande �chelle depuis l'introduction de la machine � carder, celle de Lister sp�cialement, a eu indubitablement pour effet de mettre hors de travail un grand nombre d'ouvriers. Auparavant la laine �tait card�e � la mai. le plus souvent dans l'habitation du cardeur. Elle est maintenant card�e dans la fabrique, et le travail � la main est supprim�, except� dans quelques genres d'ouvrages particuliers o� la laine card�e � la main est encore pr�f�r�e. Nombre de cardeurs � la main trouvent de l'emploi dans les fabriques; mais leurs produits sont si peu de chose comparativement � ceux que fournit la machine, qu'il ne peut plus �tre question d'employer ces ouvriers en grande proportion. � (Rep. of Insp. of Fact, for 31 st.. oct. 1856, p. 16.)
[17] � Le principe du syst�me automatique est donc... de remplacer la division du travail parmi les artisans, par l'analyse du proc�d� dans ses principes constituants. � (Ure, 1.c., t. I, p.30.)
[18] Le m�tier � tisser m�canique dans sa premi�re forme se compose principalement de bois; le m�tier moderne perfectionn� est en fer. Pour juger combien � l'origine la vieille forme du moyen de production influe sur la forme nouvelle, il suffit de comparer superficiellement le m�tier moderne avec l'ancien, les souffleries modernes dans les fonderies de fer avec la premi�re reproduction m�canique de lourde allure du soufflet ordinaire, et mieux encore, de se rappeler qu'une des premi�res locomotives essay�es, avait deux pieds qu'elle levait l'un apr�s l'autre, comme un cheval. Il faut une longue exp�rience pratique et une science plus avanc�e, pour que la forme arrive � �tre d�termin�e compl�tement par le principe m�canique, et par suite compl�tement �mancip�e de la forme traditionnelle de l'outil.
[19] Le cottongin du Yankee Eli Whitney avait subi jusqu'� nos jours moins de modifications essentielles que n'importe quelle autre machine du XVIII� si�cle. Mais depuis une vingtaine d'ann�es un autre Am�ricain, M. Emery d'Albany, New York, au moyen d'un perfectionnement aussi simple qu'efficace, a fait mettre la machine de Whitney au rebut.
[20] The Industry of Nations. Lond., 1855, Part. II, p.239. � Si simple et si peu important, y est-il dit, que puisse sembler ext�rieurement cet accessoire du tour, on n'affirme rien de trop en soutenant que son influence sur le perfectionnement et l'extension donn�e au machinisme a �t� aussi grande que l'influence des am�liorations apport�es par Watt � la machine � vapeur. Son introduction a eu pour effet de perfectionner toutes les machines, d'en faire baisser le prix et de stimuler l'esprit d'invention. �
[21] Une de ces machines employ�e � Londres pour forger des paddle-wheel shafts porte le nom de � Thor �. Elle forge un shaft d'un poids de seize tonnes et demie avec la m�me facilit� qu'un forgeron un fer � cheval.
[22] Les machines qui travaillent dans le bois et peuvent aussi �tre employ�es dans des travaux d'artisan, sont la plupart d'invention am�ricaine.
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |