1922 | Suite des notes constituant le testament politique de L�nine. Publi� pour la premi�re fois en 1956 dans le n� 9 de la revue Kommounist Œuvres, t. 36, pp. 618- 624 |
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L�nine La question des nationalit�s ou de l' � autonomie � [1] |
Je suis fort coupable, je crois, devant les ouvriers de Russie, de n'�tre pas intervenu avec assez d'�nergie et de rudesse dans la fameuse question de l'autonomie, appel�e officiellement, si je ne me trompe, question de l'union des r�publiques socialistes sovi�tiques.
En �t�, au moment o� cette question s'est pos�e, j'�tais malade, et en automne j'ai trop compt� sur ma gu�rison et aussi sur l'espoir que les sessions pl�ni�res d'octobre et de d�cembre [2] me permettraient d'intervenir dans cette question. Or, je n'ai pu assister ni � la session d'octobre (consacr�e � ce probl�me), ni � celle de d�cembre ; et c'est ainsi que la question a �t� discut�e presque compl�tement en dehors de moi.
J'ai pu seulement m'entretenir avec le camarade Dzerjinski qui, � son retour du Caucase, m'a fait savoir o� en �tait cette question en G�orgie. J'ai pu de m�me �changer deux mots avec le camarade Zinoviev et lui dire mes craintes � ce sujet. De la communication que m'a faite le camarade Dzerjinski, qui �tait � la t�te de la commission envoy�e par le Comit� central pour �enqu�ter� sur l'incident g�orgien, je n'ai pu tirer que les craintes les plus s�rieuses. Si les choses en sont venues au point qu'Ordjonikidz� s'est laiss� aller � user de violence, comme me l'a dit le camarade Dzerjinski, vous pouvez bien vous imaginer dans quel bourbier nous avons gliss�. Visiblement, toute cette entreprise d'�autonomie� a �t� fonci�rement erron�e et inopportune.
On pr�tend qu'il fallait absolument unifier l'appareil. D'o� �manaient ces affirmations ? N'est-ce pas de ce m�me appareil de Russie, que, comme je l'ai d�j� dit dans un num�ro pr�c�dent de mon journal, nous avons emprunt� au tsarisme en nous bornant � le badigeonner l�g�rement d'un vernis sovi�tique ?
Sans aucun doute, il aurait fallu renvoyer cette mesure jusqu'au jour o� nous aurions pu dire que nous nous portions garants de notre appareil, parce que nous l'avions bien en mains. Et maintenant nous devons en toute conscience dire l'inverse ; nous appelons n�tre un appareil qui, de fait, nous est encore fonci�rement �tranger et repr�sente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes, qu'il nous �tait absolument impossible de transformer en cinq ans faute d'avoir l'aide des autres pays et alors que pr�dominaient les pr�occupations militaires et la lutte contre la famine.
Dans ces conditions, il est tout � fait naturel que �la libert� de sortir de l'union� qui nous sert de justification, apparaisse comme une formule bureaucratique incapable de d�fendre les allog�nes de Russie contre l'invasion du Russe authentique, du Grand-Russe, du chauvin, de ce gredin et de cet oppresseur qu'est au fond le bureaucrate russe typique. Il n'est pas douteux que les ouvriers sovi�tiques et sovi�tis�s, qui sont en proportion infime, se noieraient dans cet oc�an de la racaille grand-russe chauvine, comme une mouche dans du lait.
Pour appuyer cette mesure, on dit que nous avons cr�� les commissariats du peuple s'occupant sp�cialement de la psychologie nationale, de l'�ducation nationale. Mais alors une question se pose : est-il possible de d�tacher ces commissariats du peuple int�gralement ? Seconde question : Avons- nous pris avec assez de soin des mesures pour d�fendre r�ellement les allog�nes contre le typique argousin russe ? Je pense que nous n'avons pas pris ces mesures, encore que nous eussions pu et d� le faire.
Je pense qu'un r�le fatal a �t� jou� ici par la h�te de Staline et son go�t pour l'administration, ainsi que par son irritation contre le fameux �social-nationalisme�. L'irritation joue g�n�ralement en politique un r�le des plus d�sastreux.
Je crains aussi que le camarade Dzerjinski, qui s'est rendu au Caucase pour enqu�ter sur les �crimes� de ces �social- nationaux�, se soit de m�me essentiellement distingu� ici par son �tat d'esprit cent pour cent russe (on sait que les allog�nes russifi�s forcent constamment la note en l'occurrence), et que l'impartialit� de toute sa commission se caract�rise assez par les �voies de fait� d'Ordjonikidz�. Je pense que l'on ne saurait justifier ces voies de fait russes par aucune provocation, ni m�me par aucun outrage, et que le camarade Dzerjinski a commis une faute irr�parable en consid�rant ces voies de fait avec trop de l�g�ret�.
Ordjonikidz� repr�sentait le pouvoir pour tous les autres citoyens du Caucase. Il n'avait pas le droit de s'emporter, droit que lui et Dzerjinski ont invoqu�. Ordjonikidz� aurait d�, au contraire, montrer un sang-froid auquel aucun citoyen ordinaire n'est tenu, � plus forte raison s'il est inculp� d'un crime � politique�. Car, au fond, les social-nationaux �taient des citoyens inculp�s d'un crime politique, et toute l'ambiance de cette accusation ne pouvait le qualifier autrement.
Ici se pose une importante question de principe : Comment concevoir l'internationalisme ?[3]
L�nine
30.XII.22.
Consign� par M.V.
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Suite des notes.
31 d�cembre 1922.
La question des nationalit�s ou de l'� autonomie�
(suite)
J'ai d�j� �crit dans mes ouvrages sur la question nationale qu'il est tout � fait vain de poser dans l'abstrait la question du nationalisme en g�n�ral. Il faut distinguer entre le nationalisme de la nation qui opprime et celui de la nation opprim�e, entre le nationalisme d'une grande nation et celui d'une petite nation.
Par rapport au second nationalisme, nous, les nationaux d'une grande nation, nous nous rendons presque toujours coupables, � travers l'histoire, d'une infinit� de violences, et m�me plus, nous commettons une infinit� d'injustices et d'exactions sans nous en apercevoir. Il n'est que d'�voquer mes souvenirs de la Volga sur la fa�on dont on traite chez nous les allog�nes : le Polonais, le Tatar, l'Ukrainien, le G�orgien et les autres allog�nes du Caucase ne s'entendent appeler respectivement que par des sobriquets p�joratifs, tels �Poliatchichka�, �Kniaz�, �Khokhol �, �Kapkazski tch�lovek �.
Aussi l'internationalisme du c�t� de la nation qui opprime ou de la nation dite �grande� (encore qu'elle ne soit grande que par ses violences, grande simplement comme l'est, par exemple, l'argousin) doit-il consister non seulement dans le respect de l'�galit� formelle des nations, mais encore dans une in�galit� compensant de la part de la nation qui opprime, de la grande nation, l'in�galit� qui se manifeste pratiquement dans la vie. Quiconque n'a pas compris cela n'a pas compris non plus ce qu'est l'attitude vraiment prol�tarienne � l'�gard de la question nationale : celui-l� s'en tient, au fond, au point de vue petit-bourgeois et, par suite, ne peut que glisser � chaque instant vers les positions de la bourgeoisie.
Qu'est-ce qui est important pour le prol�taire? Il est important, mais aussi essentiel et indispensable, qu'on lui assure dans la lutte de classe prol�tarienne le maximum de confiance de la part des allog�nes. Que faut-il pour cela ? Pour cela il ne faut pas seulement l'�galit� formelle, il faut aussi compenser d'une fa�on ou d'une autre, par son comportement ou les concessions � l'allog�ne, la d�fiance, le soup�on, les griefs qui, au fil de l'histoire, ont �t� engendr�s chez lui par le gouvernement de la nation �imp�rialiste�.
Je pense que pour les bolch�viks, pour les communistes, il n'est gu�re n�cessaire d'expliquer cela plus longuement. Et je crois qu'ici nous avons, en ce qui concerne la nation g�orgienne, l'exemple typique du fait qu'une attitude vraiment prol�tarienne exige que nous redoublions de prudence, de pr�venance et d'accommodement. Le G�orgien qui consid�re avec d�dain ce c�t� de l'affaire, qui lance d�daigneusement des accusations de �social-nationalisme�, (alors qu'il est lui-m�me non seulement un vrai, un authentique �social-national �, mais encore un brutal argousin grand-russe), ce G�orgien-l� porte en r�alit� atteinte � la solidarit� prol�tarienne de classe, car il n'est rien qui en retarde le d�veloppement et la consolidation comme l'injustice nationale ; il n'est rien qui soit plus sensible aux nationaux �offens�s�, que le sentiment d'�galit� et la violation de cette �galit�, f�t-ce par n�gligence ou plaisanterie, par leurs camarades prol�taires. Voil� pourquoi, dans le cas consid�r�, il vaut mieux forcer la note dans le sens de l'esprit d'accommodement et de la douceur � l'�gard des minorit�s nationales que faire l'inverse. Voil� pourquoi, dans le cas consid�r�, l'int�r�t fondamental de la solidarit� prol�tarienne, et donc de la lutte de classe prol�tarienne, exige que nous n'observions jamais une attitude purement formelle envers la question nationale, mais que nous tenions toujours compte de la diff�rence obligatoire dans le comportement du prol�taire d'une nation opprim�e (ou petite) envers la nation qui opprime (ou grande).
L�nine
Consign� par M.V.
31.XII.22.
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Suite des notes.
31 d�cembre 1922.
Quelles sont donc les mesures pratiques � prendre dans la situation ainsi cr��e ?
Premi�rement, il faut maintenir et consolider l'union des r�publiques socialistes ; il ne peut exister aucun doute sur ce point. Cette mesure nous est n�cessaire comme elle l'est au prol�tariat communiste mondial pour combattre la bourgeoisie mondiale et pour se d�fendre contre ses intrigues.
Deuxi�mement, il faut maintenir l'union des r�publiques socialistes en ce qui concerne l'appareil diplomatique. C'est d'ailleurs une exception dans notre appareil d'Etat. Nous n'y avons pas admis une seule personne quelque peu influente de l'ancien appareil tsariste. Dans son personnel les cadres moyens comme les cadres sup�rieurs sont communistes. Aussi a-t-il d�j� conquis (on peut le dire hardiment) le nom d'appareil communiste �prouv�, infiniment mieux �pur� des �l�ments de l'ancien appareil tsariste, bourgeois et petit-bourgeois que celui dont nous sommes oblig�s de nous contenter dans les autres commissariats du peuple.
Troisi�mement, il faut infliger une punition exemplaire au camarade Ordjonikidz� (je dis cela avec d'autant plus de regret que je compte personnellement parmi ses amis et que j'ai milit� avec lui � l'�tranger, dans l'�migration), et aussi achever l'enqu�te ou proc�der � une enqu�te nouvelle sur tous les documents de la commission Dzerjinski, afin de redresser l'�norme quantit� d'irr�gularit�s et de jugements partiaux qui s'y trouvent indubitablement. Il va de soi que c'est Staline et Dzerjinski qui doivent �tre rendus politiquement responsables de cette campagne fonci�rement nationaliste grand-russe.
Quatri�mement, il faut introduire les r�gles les plus rigoureuses quant � l'emploi de la langue nationale dans les r�publiques allog�nes faisant partie de notre Union, et v�rifier ces r�gles avec le plus grand soin. I1 n'est pas douteux que, sous pr�texte d'unit� des services ferroviaires, sous pr�texte d'unit� fiscale, etc., une infinit� d'abus de nature authentiquement russe, se feront jour chez nous avec notre appareil actuel. Pour lutter contre ces abus, il faut un esprit d'initiative tout particulier, sans parler de l'extr�me loyaut� de ceux qui m�neront cette lutte. Un code minutieux sera n�cessaire, et seuls les nationaux habitant la r�publique donn�e sont capables de l'�laborer avec quelque succ�s. Et il ne faut jamais jurer d'avance qu'� la suite de tout ce travail on ne revienne en arri�re au prochain congr�s des Soviets en ne maintenant l'union des r�publiques socialistes sovi�tiques que sur le plan militaire et diplomatique, et en r�tablissant sous tous les autres rapports la compl�te autonomie des diff�rents commissariats du peuple.
Il ne faut pas oublier que le morcellement des commissariats du peuple et le d�faut de coordination de leur fonctionnement par rapport � Moscou et autres centres peuvent �tre suffisamment compens�s par l'autorit� du Parti, si celle-ci s'exerce avec assez de circonspection et en toute impartialit� ; le pr�judice que peut causer � notre Etat l'absence d'appareils nationaux unifi�s avec l'appareil russe est infiniment, incommensurablement moindre que celui qui en r�sulte pour nous, pour toute l'Internationale, pour les centaines de millions d'hommes des peuples d'Asie, qui appara�tra apr�s nous sur l'avant-sc�ne historique dans un proche avenir. Ce serait un opportunisme impardonnable si, � la veille de cette intervention de l'Orient et au d�but de son r�veil, nous ruinions � ses yeux notre autorit� par la moindre brutalit� ou injustice � l'�gard de nos propres allog�nes. Une chose est la n�cessit� de faire front tous ensemble contre les imp�rialistes d'Occident, d�fenseurs du monde capitaliste. L� il ne saurait y avoir de doute, et il est superflu d'ajouter que j'approuve absolument ces mesures. Autre chose est de nous engager nous-m�mes, f�t-ce pour les questions de d�tail, dans des rapports imp�rialistes � l'�gard des nationalit�s opprim�es, en �veillant ainsi la suspicion sur la sinc�rit� de nos principes, sur notre justification de principe de la lutte contre l'imp�rialisme. Or, la journ�e de demain, dans l'histoire mondiale, sera justement celle du r�veil d�finitif des peuples opprim�s par l'imp�rialisme et du commencement d'une longue et �pre bataille pour leur affranchissement.
L�nine
31.XII.22.
Consign� par M.V.
Notes
Les notes rajout�es par l’�diteur sont signal�es par [N.E.]
[1] Autonomie, projet d'organiser toutes les r�publiques formant la R.S.F.S.R. sur les bases d'autonomie. Le projet d'"autonomie" fut d�pos� par Staline. L�nine le critiqua s�v�rement et proposa une solution fonci�rement diff�rente � cette question: formation de l'Union des r�publiques socialistes sovi�tiques englobant des r�publiques �gales en droit. En d�cembre 1922 le 1er Congr�s des Soviets de l'U.R.S.S. prit la d�cision de former l'Union des R�publiques Socialistes Sovi�tiques. [N.E.]
[2] Il s'agit des sessions pl�ni�res du C.C. du P.C.(b)R. qui eurent lieu en octobre et d�cembre 1922 et qui d�lib�r�rent du probl�me de la formation de l'U.S.S.R. [N.E.]
[3] Plus loin, dans les notes st�nographi�es, la phrase Je pense que nos camarades n'ont pas suffisamment compris cette importante question de principe � est barr�e. [N.E.]
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