1917

"Dans l'histoire en g�n�ral, et surtout en temps de guerre, il est impossible de pi�tiner sur place. Il faut ou avancer ou reculer. Il est impossible d'avancer dans la Russie du XX� si�cle (...) sans marcher au socialisme (...).
Et craindre d'avancer �quivaut � reculer."


La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer

V. L�nine

Suppression du secret commercial


Sans la suppression du secret commercial, ou bien le contr�le de la production et de la r�partition reste une promesse vaine servant uniquement aux cadets � duper les socialistes-r�volutionnaires et les mencheviks, et aux socialistes-r�volutionnaires et mencheviks � duper les classes laborieuses, ou bien il ne peut �tre r�alis� que par des proc�d�s et des mesures bureaucratiques r�actionnaires. Quelque �vidente que soit cette v�rit� pour toute personne non pr�venue, quelle que soit l'insistance avec laquelle la Pravda a r�clam� la suppression du secret commercial (ce qui fut l'un des principaux motifs de son interdiction par le gouvernement K�rensky, serviteur du capital), ni notre gouvernement r�publicain, ni les � organismes habilit�s de la d�mocratie r�volutionnaire � n'ont m�me song� � cette condition premi�re d'un contr�le effectif.

C'est l�, pr�cis�ment, la clef de tout contr�le. C'est l�, pr�cis�ment, le point le plus sensible du capital qui d�pouille le peuple et sabote la production. Et c'est bien pourquoi les socialistes-r�volutionnaires et les mencheviks craignent de soulever cette question.

L'argument habituel des capitalistes, repris sans autre r�flexion par la petite bourgeoisie, est que, d'une fa�on g�n�rale, l'�conomie capitaliste n'admet absolument pas la suppression du secret commercial, attendu que la propri�t� priv�e des moyens de production et la d�pendance des diff�rentes entreprises � l'�gard du march� rendent n�cessaires la � sacro-sainte inviolabilit� � des livres de commerce et le secret des op�rations commerciales, y compris naturellement les op�rations de banque.

Les gens qui, sous une forme ou sous une autre, r�p�tent cet argument ou d'autres analogues, se laissent tromper et trompent eux-m�mes le peuple en fermant les yeux sur deux faits fondamentaux, essentiels et notoires de la vie �conomique actuelle. Premier fait : le grand capitalisme, c'est-�-dire la forme particuli�re de la gestion des banques, des syndicats capitalistes, des grandes usines, etc. Deuxi�me fait : la guerre.

C'est pr�cis�ment le grand capitalisme d'aujourd'hui qui, se transformant partout en capitalisme monopoliste, �te toute ombre de raison d'�tre au secret commercial; il en fait une hypocrisie et uniquement un moyen de dissimuler les escroqueries financi�res et les profits inou�s du grand capital. La grande entreprise capitaliste est, de par sa nature technique, une entreprise socialis�e, c'est-�-dire qu'elle travaille pour des millions de gens et associe dans ses op�rations, directement et indirectement, des centaines, des milliers et des dizaines de milliers de familles. C'est bien autre chose que l'entreprise du petit artisan ou du paysan moyen, qui ne tiennent en g�n�ral aucun livre de commerce et que, par cons�quent, la suppression du secret commercial ne concerne en rien !

Au reste, dans une grande entreprise, les op�rations sont de toute fa�on connues de centaines de personnes et davantage. La loi qui prot�ge le secret commercial sert ici non pas les besoins de la production ou de l'�change, mais la sp�culation et le lucre sous leur forme la plus brutale, l'escroquerie qualifi�e qui, on le sait, est sp�cialement r�pandue dans les soci�t�s anonymes, et voil�e avec un art particulier par les comptes rendus et les bilans �labor�s de fa�on � tromper le public.

Si le secret commercial est in�vitable dans la petite production marchande, c'est-�-dire parmi les petits paysans et artisans, chez qui la production elle-m�me n'est pas socialis�e, mais diss�min�e, morcel�e, par contre, dans la grande entreprise capitaliste, prot�ger ce secret, c'est prot�ger les privil�ges et les profits d'une poign�e, oui, d'une poign�e de gens au d�triment du peuple entier. Cela a d�j� �t� reconnu m�me par la loi, pour autant qu'elle prescrit la publication des bilans des soci�t�s anonymes : mais ce contr�le d�j� r�alis� en Russie comme dans tous les pays avanc�s - est pr�cis�ment un contr�le bureaucratique r�actionnaire; il n'ouvre pas les yeux au peuple et ne permet pas de conna�tre toute la v�rit� sur les op�rations des soci�t�s anonymes.

Pour agir en d�mocrates r�volutionnaires, il faudrait �dicter imm�diatement une nouvelle loi qui supprimerait le secret commercial, exigerait des grandes entreprises et des riches les comptes rendus les plus complets, conf�rerait � tout groupe de citoyens atteignant un nombre assez important pour pouvoir exprimer un avis d�mocratiquement valable (par exemple 1000 ou 10 000 �lecteurs) le droit de v�rifier tous les documents de n'importe quelle grande entreprise. Cette mesure est enti�rement et facilement r�alisable par simple d�cret; elle seule donnerait libre cours � l'initiative populaire, au contr�le par les associations d'employ�s, d'ouvriers, par tous les partis politiques; elle seule rendrait ce contr�le efficace et d�mocratique.


Ajoutez � cela la guerre. L'immense majorit� des entreprises industrielles et commerciales ne travaillent plus � pr�sent pour le � march� libre �, mais pour l'�tat, pour la guerre: C'est pourquoi j'ai d�j� dit dans la Pravda que ceux qui nous objectent l'impossibilit� d'instaurer le socialisme mentent et mentent triplement, car il ne s'agit pas d'instaurer le socialisme maintenant, tout de suite, du jour au lendemain, mais de d�voiler la dilapidation du Tr�sor public [1].

L'entreprise capitaliste qui travaille � pour la guerre � (c'est-�-dire qui est li�e directement ou indirectement aux fournitures de guerre) pille le Tr�sor public syst�matiquement et pertinemment; et messieurs les cadets avec les mencheviks et les socialistes-r�volutionnaires, qui s'opposent � la suppression du secret commercial, ne font que favoriser et couvrir la dilapidation des deniers publics.

Actuellement, la guerre co�te � la Russie 50 millions de roubles par jour. La majeure partie de ces 50 millions va aux fournisseurs de l'arm�e. Sur ces 50 millions, au moins 5 millions par jour, et plus probablement 10 millions et davantage, repr�sentent les � profits licites- � des capitalistes et des fonctionnaires qui, d'une fa�on ou d'une autre, ont partie li�e avec eux. Les firmes les plus importantes et les banques qui avancent des fonds pour les op�rations sur les fournitures de guerre, r�alisent ainsi des b�n�fices fabuleux, pr�cis�ment par la dilapidation des deniers publics, car on ne saurait qualifier autrement ces man�uvres destin�es � mystifier et � �corcher le peuple � � la faveur � des calamit�s de la guerre, � � la faveur � de la mort de centaines de milliers et de millions d'hommes.

Ces b�n�fices scandaleux sur les fournitures, ces � lettres de garantie � dissimul�es par les banques, les noms de ceux qui profitent du rench�rissement de la vie, � tout le monde � les conna�t; dans la � soci�t� �, on en parle avec un petit sourire ironique; m�me la presse bourgeoise, qui a pour r�gle de taire les faits � d�sagr�ables � et d'�luder les questions � d�licates �, fournit � ce sujet quantit� d'indications pr�cises portant sur tel ou tel point particulier. Tout le monde le sait et tout le monde se tait, en prend son parti, s'accommode d'un gouvernement qui parle �loquemment de � contr�le � et de � r�glementation � !!

Les d�mocrates r�volutionnaires, s'ils �taient vraiment des r�volutionnaires et des d�mocrates, �dicteraient imm�diatement une loi qui supprimerait le secret commercial, obligerait les fournisseurs et les n�gociants � pr�senter leurs comptes, leur interdirait d'abandonner leur genre d'activit� sans l'autorisation des pouvoirs publics, condamnerait � la confiscation des biens et la peine de mort [2] pour dissimulation des profits et mystification du peuple, organiserait la v�rification et le contr�le par en bas, d�mocratiquement par le peuple lui-m�me, par les associations d'employ�s, d'ouvriers, de consommateurs, etc.

Nos socialistes-r�volutionnaires et nos mencheviks m�ritent bien le nom de d�mocrates apeur�s, car ils r�p�tent, en l'occurrence, ce que disent tous les petits bourgeois apeur�s, � savoir que les capitalistes � fileront � si l'on prend des mesures � trop rigoureuses �, que � nous � ne nous tirerons pas d'affaire sans les capitalistes, que les millionnaires anglo-fran�ais qui nous � soutiennent � se formaliseront peut-�tre � leur tour, etc. On pourrait croire les bolcheviks proposent une chose jamais vue dans l'histoire de l'humanit�, jamais exp�riment�e, � utopique �, alors qu'en r�alit�, il y a 125 ans d�j�, en France, des hommes qui �taient de vrais � d�mocrates r�volutionnaires �, r�ellement convaincus du caract�re juste et d�fensif de la guerre qu'ils faisaient, des hommes qui s'appuyaient r�ellement sur les masses populaires sinc�rement convaincues, elles aussi, ont su instituer un contr�le r�volutionnaire sur les riches et obtenir des r�sultats qui forc�rent l'admiration du monde entier. Et, pendant les cinq quarts de si�cle �coul�s depuis, le d�veloppement du capitalisme a cr�� les banques, les cartels, les chemins de fer, etc., etc., qui ont rendu cent fois plus faciles et plus simples les mesures relatives � un contr�le r�ellement d�mocratique exerc� par les ouvriers et les paysans sur les exploiteurs, les grands propri�taires fonciers et les capitalistes.

Au fond, toute la question du contr�le se ram�ne � savoir qui est le contr�leur et qui est le contr�l�, c'est-�-dire quelle classe exerce le contr�le et quelle classe le subit. Chez nous, en Russie r�publicaine, on reconna�t et on laisse jusqu'� pr�sent aux grands propri�taires fonciers et aux capitalistes le r�le de contr�leurs, qu'ils exercent avec la participation des � organismes. habilit�s � d'une d�mocratie soi-disant r�volutionnaire. Il en r�sulte in�vitablement une sp�culation capitaliste effr�n�e qui soul�ve l'indignation du peuple entier, et la d�sorganisation �conomique artificiellement entretenue par les capitalistes. Il faut passer r�solument, sans esprit de retour, sans crainte de rompre avec ce qui est vieux, sans crainte de b�tir hardiment du neuf, au contr�le exerc� par les ouvriers et les paysans sur les grands propri�taires fonciers et les capitalistes. Or, c'est ce que nos socialistes-r�volutionnaires et nos mencheviks craignent comme le feu.


Notes

[1] Cf l’article de L�nine : � Instaurer le socialisme ou divulguer les malversations ? �. Pravda, 22 juin 1917.

[2] J'ai d�j� eu l'occasion d'indiquer dans la presse bolch�vique que l'application de la peine de mort par les exploiteurs aux masses de travailleurs, en vue de maintenir l'exploitation, est le seul argument juste contre la peine capitale. (Voir l’article � R�solutions de papier �, Rabotchi, 8 sept. 1917) (N.R.) Il n'est gu�re probable qu'un gouvernement r�volutionnaire quelconque puisse se passer de la peine de mort contre les exploiteurs (c'est-�-dire contre les grands propri�taires fonciers et les capitalistes). Note de l’auteur.


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