1910

Suite � la révolution de 1905, en plein reflux, la social-démocratie russe se réunifie pour un temps.
Mais Lénine comprend vite qu'il a h�rit� "d'un b�b� couvert d'abc�s" et m�ne l'offensive...


Notes d'un publiciste

V. I. Lénine

II. La � crise d’unification � � l’int�rieur de notre parti


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La signification des r�solutions de d�cembre (1908) et l’attitude des liquidateurs envers elles

Les pr�c�dentes remarques sur les d�fauts de la r�solution du pl�num doivent �tre attribu�es aux mots suivants qui servent d'introduction au premier point : � Comme d�veloppement aux th�ses fondamentales des r�solutions prises � la Conf�rence du parti en 1908, le Comit� central d�cr�te que... � Cette formulation est le r�sultat d'une concession faite aux mencheviks, et il convient d'autant plus de s'arr�ter sur cette circonstance que nous avons, ici, une fois de plus, un �chantillon d'attitude scandaleusement d�loyale vis-�-vis de cette concession, ou bien d'une inaptitude scandaleuse � comprendre la signification des d�finitions de la tactique donn�es par le parti.

Dans le projet de r�solution approuv� par la majorit� de la commission et assur�, par cons�quent, d'avoir la majorit� des voix au pl�num, on pouvait lire : � en confirmation des r�solutions prises en d�cembre 1908 et comme d�veloppement de ces r�solutions �... L� encore, les mencheviks ont exig� sous forme d'ultimatum qu'une concession soit faite, refusant de voter la r�solution dans son ensemble si on n'en retranchait pas les mots � en confirmation �, attendu que les r�solutions de d�cembre 1908 repr�sentaient, pour eux, le summum du � fractionnisme �. Nous avons fait la concession demand�e, et n'avons pas refus� de voter la r�solution amput�e de l'expression litigieuse. Je n'aurais nullement �t� enclin � d�plorer cette concession si elle avait atteint le but envisag�, c'est-�-dire rencontr� chez les mencheviks la loyaut� � l'�gard de la d�cision du parti en l'absence de laquelle le travail commun est impossible. Notre parti ne poss�de d'autres d�finitions des t�ches fondamentales concernant sa tactique, son organisation et son travail parlementaire � l'�poque de la III� Douma, que celles qui sont contenues dans les r�solutions de d�cembre 1908. Sans contester que la lutte fractionnelle ait �t� alors extr�mement violente, nous n'insisterons pas sur tel ou tel terme incisif figurant dans les r�solutions de l'�poque, dirig�es contre les liquidateurs. Par contre, nous insisterons absolument sur les th�ses fondamentales que ces r�solutions contiennent, car parler de parti, de l'esprit du parti, de l'organisation du parti serait lancer inutilement de belles paroles, si nous �ludions l'unique r�ponse donn�e par le parti et confirm�e par le travail d'une ann�e, aux questions les plus importantes, les plus fondamentales : � les laisser sans r�ponse, il deviendrait impossible de faire le moindre pas en avant dans le domaine de la propagande, de l'agitation et de l'organisation. Nous sommes tout � fait dispos�s � admettre qu'il est n�cessaire d'effectuer un travail en commun pour amender ces r�solutions, de les r�viser compte tenu des critiques exprim�es par les camarades de toutes les fractions, y compris, bien entendu, les mencheviks pro-parti; nous n'ignorons pas que vraisemblablement certaines des th�ses figurant dans ces r�solutions feront assez longtemps encore l'objet de contestations au sein du parti et qu'on n'arrivera pas � une solution dans un proche avenir autrement qu'� la majorit� des voix. Mais, tant qu'on n'a pas entrepris et achev� cette r�vision, tant que le parti ne s'est pas � nouveau prononc� sur la question de savoir comment appr�cier l'�poque de la troisi�me Douma et les probl�mes li�s � cette �poque, nous exigeons absolument de tous les social-d�mocrates pro-parti, quelle que soit leur optique, qu'ils r�glent leur conduite sur lesdites r�solutions.

Mais, dira-t-on, n'est-ce pas l� l' a b c de l'esprit du parti ? Une autre attitude vis-�-vis des d�cisions du parti serait-elle possible ? En fait, le tournant vers le liquidationnisme op�r� par le Goloss apr�s le pl�num, l'a contraint, m�me dans cette question, � utiliser la concession faite par la majorit� du parti non point pour adopter une position pro-parti loyale, mais pour exprimer aussit�t son m�contentement devant les dimensions de la concession ! (Les gens du Goloss n'ont oubli�, apparemment, qu'une chose : c'est que celui qui a soulev� le premier un d�bat � propos de la r�solution de compromis prise � l'unanimit�, celui qui a d�clar� n'en �tre pas satisfait et qui a exig� de nouvelles concessions, de nouveaux amendements, celui-ci a par l� m�me donn� � l'autre partie le droit de r�clamer des amendements en sens oppos�. Et, bien entendu, ce droit, nous l'utiliserons.)

L'article d�j� cit� de la r�daction du Goloss (n�19-20) sur les r�sultats du pl�num, d�clare d'embl�e que les mots de l'introduction � la r�solution repr�sentent un compromis. C'est la v�rit�, mais cette v�rit� se transforme en mensonge si l'on passe sous silence que ce qui constitue le compromis, fruit de l'ultimatum mench�vique, c'est le refus de la majorit� du Comit� central de confirmer directement toutes les r�solutions de d�cembre 1908, et non pas, exclusivement, leurs th�ses essentielles !

� A notre sens, poursuit le Goloss, cette phrase s'accorde plut�t mal avec le contenu non �quivoque des points les plus importants de la r�solution; signe d'un certain tournant dans le d�veloppement du parti, elle n'en reste pas moins �troitement li�e avec tout le pass� de la social-d�mocratie russe, mais moins que tout � (!!) � elle est li�e, justement avec � l'h�ritage de Londres [26] �. Cependant, nous ferions figure de doctrinaires incorrigibles si nous nourrissions l'espoir d'arriver du premier coup � une unanimit� parfaite dans notre parti, si nous voulions sacrifier un important progr�s de notre mouvement pour des raisons de pr�s�ance � (!!). � Nous pouvons laisser aux historiens le soin de corriger ces erreurs de la r�solution. �

Tout cela sonne comme si les gens du Goloss ayant assist� au pl�num avaient �t� r�primand�s, en raison de leurs � concessions aux bolcheviks �, par les l�galistes russes, du genre de Potressov et Cie ou par les r�dacteurs du Goloss absents du pl�num, et comme s'ils s'excusaient devant eux. Nous ne sommes pas des doctrinaires, laissons aux historiens le soin de corriger les erreurs de la r�solution !

Nous oserons faire observer, � propos de cette splendide d�claration, que les social-d�mocrates pro-parti r�digent des r�solutions non pas � l'intention des historiens, mais pour se guider effectivement sur ses r�solutions dans leur travail de propagande, d'agitation et d'organisation. Le parti ne poss�de pas d'autre d�finition des objectifs dans ce travail pour l'�poque de la III� Douma. Pour les liquidateurs, les r�solutions du parti ont, sans doute, une valeur �gale � z�ro, car, pour eux, l'ensemble du parti vaut z�ro, car, pour eux, c'est de la totalit� du parti (et pas uniquement de ses r�solutions) que seuls les � historiens � peuvent s'occuper avec profit et int�r�t. Mais ni les bolcheviks ni les mencheviks pro-parti ne veulent travailler et ne travailleront dans la m�me organisation que les liquidateurs. Nous demandons � ces derniers de vouloir bien se joindre aux � sans-t�te [27] � ou aux socialistes-populistes[28] �.

Si les gens du Goloss se comportaient loyalement � l'�gard du parti, s'ils tenaient r�ellement compte du parti, et non de Potressov et Cie, s'ils tenaient compte de l'organisation des social-d�mocrates r�volutionnaires, et non du cercle des litt�rateurs l�galistes, ils auraient exprim� autrement leur m�contentement � propos des r�solutions de d�cembre 1908. C'est maintenant, pr�cis�ment, apr�s le pl�num, qu'ils auraient renonc� � ces ricanements mals�ants, dignes seulement des cadets [29], devant on ne sait quelles � d�cisions � � clandestines �. Ils auraient entrepris d'analyser s�rieusement ces d�cisions et de les amender, conform�ment � leurs conceptions, conform�ment � leur point de vue sur l'exp�rience des ann�es 1907-1910. Voil� qui serait un travail utile � l'unification r�elle du parti, au regroupement sur une seule ligne des activit�s social-d�mocrates. En se refusant � cela, ceux du Goloss appliquent en r�alit� le programme des liquidateurs. Mais quel est donc le programme des liquidateurs � cet �gard ? Il consiste � ignorer les d�cisions d'un parti clandestin, d'un parti condamn� � mort, etc.... � opposer aux d�cisions de ce parti le � travail � informe de francs-tireurs qui se disent social-d�mocrates et qui figurent, m�l�s � des lib�raux, des populistes et des sans-titre, dans diverses feuilles l�gales, dans diverses soci�t�s l�gales, etc. Point n'est besoin de r�solutions, d'� analyses du moment �, de d�finition de nos plus proches objectifs de combat, et de notre attitude � l'�gard des partis bourgeois, - tout cela (� la suite de Milioukov !), nous le d�signons sous le nom de � dictature des cercles ferm�s clandestins � (sans remarquer que par notre absence de forme, notre manque d'organisation, notre dispersion, nous transmettons en fait la � dictature � aux cercles lib�raux !).

Oui, il est bien certain que les liquidateurs ne peuvent rien exiger d'autre des gens du Goloss qu'une grimace de m�pris devant les r�solutions du parti et un d�dain complet.

Analyser s�rieusement le point de vue qui estime que la r�solution du Comit� central relative � la situation dans le parti en 1909-1910 est � moins que tout � li�e � l'h�ritage de Londres, c'est chose impossible, car l'absurdit� de ce point de vue saute aux yeux. On se moque du parti en disant : nous sommes pr�ts � prendre en consid�ration � tout le pass� de la social-d�mocratie �, mais non point le pass� directement li� au pr�sent, et pas davantage ce pr�sent! En d'autres termes - nous sommes pr�ts � prendre en consid�ration ce qui ne conditionne pas notre comportement actuel. Nous sommes pr�ts (en 1910) � prendre en consid�ration � tout le pass� � de la social-d�mocratie moins le pass� au cours duquel ont �t� prises les d�cisions sur le parti des cadets des ann�es 1907-1908-1909, sur les partis du Travail des ann�es 1907-1908-1909, sur les objectifs de la lutte des ann�es 1907-1908-1909. Nous sommes pr�ts � tout prendre en consid�ration, sauf ce qu'il faut prendre en consid�ration, pour �tre � l'heure actuelle un membre authentique du parti, pour faire un travail pro-parti, pour appliquer une tactique qui soit dans la ligne du parti, pour orienter dans l'esprit du parti l'activit� social-d�mocrate de l'�poque de la III� Douma.

A la grande honte du Bund, il faut dire que, dans son organe, il a publi� - article du camarade Ionov (p.22) - le m�me genre de moqueries liquidatrices � propos de l'h�ritage de Londres. � Dites-moi un peu, �crit Ionov, quel rapport peuvent bien avoir les r�solutions du Congr�s de Londres avec la situation pr�sente et avec les questions actuellement � l'ordre du jour ? J'ose esp�rer que le camarade L�nine lui-m�me et tous ses co-�quipiers l'ignorent �galement. �

Bien vrai, qui suis-je pour savoir une chose aussi savante ! Comment saurais-je que, du printemps 1907 au printemps 1910, il ne s'est produit aucun changement essentiel dans les groupes fondamentaux des partis bourgeois (Cent-Noirs, octobristes, cadets, populistes) ni dans leur composition de classe, ni dans leur politique, ni dans leurs rapports avec le prol�tariat et la r�volution ? Comment saurais-je que les petites variations de d�tail, qui peuvent et doivent �tre remarqu�es en ce domaine, ont �t� indiqu�es dans les r�solutions de d�cembre 1908 ? Comment saurais-je tout cela ?

Sans doute, pour Ionov, tout cela est sans rapport avec le moment pr�sent et avec les questions � l'ordre du jour. Pour lui, c'est chose superflue que de chercher on ne sait quelle d�finition pro-parti de la tactique � l'�gard des partis non prol�tariens. Pourquoi se compliquer l'existence ? N'est-il pas plus simple de traiter de � police renforc�e �, etc., la tentative qui est faite pour �laborer une d�finition pro-parti de la tactique prol�tarienne ? N'est-il pas plus simple de convertir les social-d�mocrates en francs-tireurs, en force sauvage qui, � librement �, sans le concours d'aucune � police renforc�e � r�soudra les questions � l'ordre du jour - aujourd'hui avec les lib�raux dans la revue Nos d�chets [30], demain, avec les � sans-t�te � au congr�s des parasites de la litt�rature [31], apr�s-demain dans une coop�rative avec les adeptes de Poss� [32]. Seulement... seulement, ch�re b�te � bon Dieu, en quoi tout cela diff�rera-t-il de ce que r�clament les l�galistes liquidateurs ? Absolument en rien !

Les social-d�mocrates pro-parti, qui sont insatisfaits des d�cisions de Londres ou des r�solutions de d�cembre 1908, et qui d�sirent travailler dans le parti, dans l'esprit du parti, vont faire dans la presse du parti la critique de ces r�solutions, vont proposer des amendements, persuader les camarades, se battre pour obtenir la majorit� au sein du Parti. Nous pouvons ne pas �tre d'accord avec ces gens, il n'en reste pas moins que leur attitude sera pro-parti, qu'ils ne contribueront pas � accro�tre le d�sordre, comme le font lonov, le Goloss et Cie.

Consid�rez, par exemple, Monsieur Potressov.

Ce � social-d�mocrate �, qui �tale devant le public son ind�pendance vis-�-vis du parti social-d�mocrate, s'exclame dans le n�2� de Nacha Zaria, p.59 : � Qu'elles sont nombreuses les questions, qui, faute d'�tre r�solues, emp�chent d'avancer d'un seul pas, emp�chent le marxisme russe de devenir un courant id�ologique qui concentrerait v�ritablement en lui toute la force et l'�nergie � (ne pourriez-vous pas freiner un peu votre r�thorique, mon cher ind�pendant ?) � de la conscience r�volutionnaire de l'�poque ! Comment s’effectue le d�veloppement �conomique de la Russie, quel transfert de forces op�re-t-il derri�re l'�cran de la r�action, que se passe-t-il � la ville et � la campagne, quels changements apporte ce d�veloppement � la physionomie sociale de la classe ouvri�re de Russie, etc., etc. ? O� sont les r�ponses ou les tentatives de r�ponse � ces questions, o� est l'�cole �conomique du marxisme russe ? Et qu'est-il advenu du travail politique de la pens�e dont vivait, il fut un temps, le mench�visme ? Qu'est-il advenu de ses tentatives d'organisation, de son analyse du pass�, de son appr�ciation du pr�sent ? �

Si cet ind�pendant n'avait pas lanc� en l'air des phrases ampoul�es, s'il avait effectivement r�fl�chi � ce qu'il disait, il se serait rendu compte d'une chose tr�s simple. S'il est vraiment impossible � un marxiste r�volutionnaire d'avancer d'un seul pas sans avoir r�solu ces probl�mes (et c'est vrai), alors leur solution - pas au sens d'un r�sultat scientifique, d'une recherche scientifique, mais simplement dans le sens suivant : d�terminer les pas qu'il faut accomplir, comment les accomplir - alors leur solution incombe au parti social-d�mocrate. Car, parler de � marxisme r�volutionnaire � en dehors du parti social-d�mocrate n'est que le bavardage mondain d'un phraseur l�galiste qui d�sire faire savoir � l'occasion que � nous aussi �, nous sommes des quasi-social-d�mocrates. Le parti social-d�mocrate a fait une tentative de r�ponse aux questions indiqu�es et cela pr�cis�ment dans les r�solutions de d�cembre 1908.

Les ind�pendants ont mis au point leur num�ro de mani�re assez rus�e : dans la presse l�gale, ils se frappent la poitrine et demandent : � O� sont les tentatives de r�ponse faites par les marxistes r�volutionnaires ? � Les ind�pendants savent qu'il n'est pas possible de leur r�pondre dans la presse l�gale. Dans la presse ill�gale, cependant, les amis de ces ind�pendants (les gens du Goloss) �vitent, avec d�dain, de r�pondre � des questions � qui, faute d'�tre r�solues, emp�chent d'avancer d'un seul pas �. On a ainsi obtenu ce que souhaitaient les ind�pendants (c'est-�-dire les ren�gats du socialisme) du monde entier, � savoir : une phras�ologie sonore, une ind�pendance de fait vis-�-vis du socialisme et du parti social-d�mocrate.


Notes

[26] Allusion � le r�solution du V� congr�s du P.O.S.D.R. (tenu � Londres) � sur les rapports avec les partis non prol�tariens �.

[27] Sobriquet donn� par L�nine aux � sans titres �, groupe mi-lib�ral, mi-mench�vique dirig� par Prokopovitch et form� lors du d�clin de la r�volution de 1905-1907.

[28] Socialistes-populistes : membres du Parti Socialiste Populiste du Travail, scission de droite des socialistes-r�volutionnaires (1906), refl�tant les aspirations des koulaks. Ils s’opposeront � la r�volution d’octobre 1917.

[29] Cadets : membres du parti bourgeois lib�ral Consitutionnel-D�mocrate (K.D.)

[30] Ainsi L�nine surnommait-il la revue Nacha Zaria (Notre aurore), liquidatrice….

[31] Allusion au II� congr�s de Russie des �crivains et journalistes (P�tersbourg, mai 1910). A la premi�re injonction polici�re, le congr�s avait retir� de l’ordre du jour une r�solution sur la lutte pour la libert� de la presse…

[32] V. Poss� : journaliste partisan de la constitution de coop�ratives ouvri�res ind�pendantes de la social-d�mocratie.


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