1909 |
"Le mode de production de la vie mat�rielle conditionne en g�n�ral le proc�s de d�veloppement de la vie sociale, politique et intellectuelle." - K. Marx |
Le d�terminisme �conomique de Karl Marx
Recherches sur l'origine et l'�volution des id�es de justice, du bien, de l'�me et de dieu.
1909
Un m�me mot est usit� dans les principales langues europ�ennes pour d�signer les biens mat�riels et le Bien moral : on peut, sans �tre tax� de hardiesse, conclure que le fait doit se retrouver dans les idiomes de toutes les nations parvenues � un certain degr� de civilisation, puisqu'on sait aujourd'hui que toutes traversent les m�mes phases d'�volution mat�rielle et intellectuelle. Vico, qui avait pressenti cette loi historique, affirme dans la Scienza nuova, qu'il "devait n�cessairement exister dans la nature des choses humaines une langue mentale commune � toutes les nations, laquelle langue d�signe uniform�ment la substance des choses qui sont les causes agissantes de la vie sociale ; cette langue se plie � autant de formes diff�rentes que les choses peuvent pr�senter d'aspects divers. Nous en avons la preuve dans le fait que les proverbes, ces maximes de la sagesse vulgaire, sont de m�me substance chez toutes les nations antiques et modernes, bien qu'ils soient exprim�s dans les formes les plus diff�rentes".
J'ai signal� dans les �tudes pr�c�dentes sur les Origines des id�es abstraites et de l'id�e de Justice, les tours et les d�tours par lesquels avait pass� l'esprit humain pour repr�senter dans les hi�roglyphes �gyptiens l'id�e abstraite de Maternit� par l'image du vautour et celle de la Justice par la Coud�e ; dans cette �tude je vais essayer de le suivre dans la route tortueuse qu'il a parcourue pour arriver � confondre sous le m�me vocable les biens mat�riels et le Bien moral.
Les mots qui dans les langues latine et grecque servent pour biens mat�riels et le Bien, ont �t� � l'origine des qualificatifs de l'�tre humain.
Agathos (grec), fort, courageux, g�n�reux, vertueux, etc.
Ta agatha, les biens, les richesses.
To agathon, le Bien ; to akron agathon, le Bien supr�me.
Bonus [1] (latin), fort, courageux, etc.
Bora, les biens ; bona patria, patrimoine.
Bonum, le Bien.
Agathos et bonus sont des adjectifs g�n�riques : le Grec et le Romain des temps barbares, � qui on les donnait, poss�daient toutes les qualit�s physiques et morales requises par l'id�al h�ro�que, aussi leurs superlatifs irr�guliers (aristos, esthlos, beltistos, et optimus) sont au pluriel usit�s substantivement pour d�signer les meilleurs et les premiers citoyens : l'historien Velleius Paterculus appelle optimates les patriciens et les riches pl�b�ienne qui se ligu�rent contre les Grecques.
La force et le courage sont les premi�res et les plus n�cessaires vertus des hommes primi�tifs, en guerre perp�tuelle entre eux et contre la nature [2]. Le sauvage et le barbare, forts et courageux, poss�dent par surcro�t les autres vertus morales de leur id�al ; aussi comprennent-ils toutes les qualit�s physiques et morales sous le m�me adjectif. La force et le courage �taient alors si bien toute la vertu, que les Latins, apr�s avoir usit� le mot virtus pour force physique et courage, l'employ�rent pour vertu ; que les Grecs donn�rent les m�mes signifi�cations successives au mot ar�t�, et que le mot javelot, l'arme primitive, qui en grec se dit Kalon, sert plus tard pour le Beau et qui en latin se dit Quiris, d�signe le citoyen romain. Varron nous apprend que primitivement les Romains repr�sentaient le dieu Mars par un javelot.
Il �tait fatal que la force et le courage fussent alors toute la vertu : puisque se pr�parer � la guerre, acqu�rir la bravoure pour en affronter les p�rils, d�velopper les forces physiques pour en supporter les fatigues et les privations, et les forces morales pour ne pas faiblir sous les tortures inflig�es aux prisonniers, �tait toute l'�ducation physique et morale des sauvages et des barbares. D�s l'enfance leurs corps �taient assouplis et tremp�s par des exercices gymnas�tiques et endurcis par des je�nes et des coups sous lesquels ils succombaient parfois. P�ricl�s, dans son discours aux fun�railles des premi�res victimes de la guerre du P�loponn�se, con�traste cette �ducation h�ro�que, encore en vigueur � Sparte, qui conservait les mœurs anti�ques, avec celle que recevait la Jeunesse � Ath�nes, laquelle �tait entr�e dans la phase d�mo�cra�tique bourgeoise. "Nos ennemis, dit-il, d�s la premi�re enfance se forment au courage par les plus rudes pratiques, et nous, �lev�s avec douceur, nous n'avons pas moins d'ardeur � courir aux m�mes dangers." Livingstone, qui retrouva chez les tribus africaines ces mœurs h�ro�ques, fit � des chefs un semblable contraste entre les soldats anglais et les guerriers n�gres.
Le courage �tant dans l'antiquit� toute la vertu, la l�chet� devait n�cessairement �tre le vice : aussi les mots qui en grec et en latin (kakos et malus) veulent dire l�che, signifient le mal, le vice [3].
Quand la soci�t� barbare se diff�rencia en classes, les patriciens monopolis�rent le courage et la d�fense de la patrie : ce monopole �tait "naturel" pour me servir de l'expression de l'�conomie bourgeoise, quoique rien ne paraisse plus naturel aux bourgeois que d'envoyer � leur place dans les exp�ditions coloniales des ouvriers et des paysans et m�me, quand ils le peuvent, de confier la d�fense de la patrie � des prol�taires qui n'en poss�dent ni un pouce de terre, ni un engrenage de machine. Les patriciens se r�servaient, comme un privil�ge, la d�fense de la patrie, parce que eux seuls avaient une patrie, car alors on n'avait une patrie qu'� la condition de poss�der un coin de son sol. Les �trangers qui, pour cause de commerce et d'industrie, r�sidaient dans une cit� antique ne pouvaient poss�der la maison dans laquelle ils trafiquaient de p�re en fils, et ils restaient des �trangers quoique habitant la ville depuis des g�n�rations. Il fallut trois si�cles de luttes aux pl�b�iens romains qui demeuraient sur le mont Aventin pour obtenir la propri�t� des terrains sur lesquels ils avaient b�ti leurs demeures. Les �trangers, les prol�taires, les artisans, les marchands, les colons, les serfs et les esclaves, �taient dispens�s du service militaire et n'avaient pas le droit de porter des armes, ni m�me d'avoir du courage, qui �tait le privil�ge de la classe patricienne [4]. Thucydide rapporte que les magistrats de Sparte firent massacrer tra�treusement 2,000 ilotes qui par leur bravoure venaient de sauver la r�publique. Du moment qu'il �tait interdit aux pl�b�iens de prendre part � la d�fense de leur pays natal et de poss�der par cons�quent du courage, la l�chet� devait n�ces�sairement �tre la vertu ma�tresse de la pl�be, comme le courage �tait celle de l'aristocratie ; aussi l'adjectif grec Kakos (l�che, laid, m�chant) veut substantivement dire homme de la pl�be, tandis que Aristos, superlatif d'Agathos, d�signe un membre de la classe patricienne ; et le latin malus signifie laid, difforme, comme l'�taient aux yeux du patricien l'esclave et l'artisan, d�form�s selon X�nophon par leurs m�tiers, tandis que les exercices gymnastiques d�veloppaient harmoniquement le corps de l'aristocrate [5].
Le patricien de la Rome antique �tait bonus et l'eupatride de la Gr�ce hom�rique �tait Agathos, parce que l'un et l'autre poss�daient les vertus physiques et morales de l'id�al h�ro�que, le seul id�al que pouvait enfanter le milieu social dans lequel ils se mouvaient : ils �taient braves, g�n�reux, forts de corps et sto�ques d'�me et de plus propri�taires fonciers, c'est-�-dire membres d'une tribu et d'un clan poss�dant le territoire sur lequel ils r�sidaient [6].
Les barbares, qui ne pratiquent que l'�l�ve du b�tail et une agriculture des plus rudi�mentaires, se livrent avec passion au brigandage et � la piraterie pour �puiser leur trop plein d'�nergie physique et morale et pour s'emparer des biens qu'ils ne savent et ne peuvent se pro�curer autrement. Dans un po�me grec, dont il ne reste qu'une strophe (le Skolion d'Hybrias), un h�ros barbare chante : "J'ai pour richesse ma grande lance et mon glaive et mon bouclier, remparts de ma chair ; par eux, je laboure ; par eux, je moissonne ; par eux, je ven�dange le doux jus de la vigne ; par eux, je suis appel� le ma�tre de la mnoia" (la troupe des esclaves de la communaut�). Archiloque, qui fut un aventurier mercenaire, vivant de la guerre, chante lui aussi : "� la pointe de la lance les galettes bien p�tries, � la pointe de la lance le bon vin d'Ismaros, pour le boire, je m'appuie sur la lance [7]." C�sar rapporte que les Su�ves envoyaient tous les ans la moiti� de leur population virile en exp�ditions de rapine ; les Scandinaves, les semailles termin�es, montaient sur leurs vaisseaux et partaient ravager les c�tes de l'Europe ; les Grecs, pendant la guerre de Troie, abandonnaient le si�ge pour se livrer au brigandage. "Le m�tier de pirates n'avait alors rien de honteux, il conduisait � la gloire", dit Thucydide. Les capitalistes le tiennent en haute estime, les exp�ditions coloniales des nations civilis�es ne sont que des guerres de brigands ; mais si les capitalistes font faire leurs pirateries par des prol�taires, les h�ros barbares payaient de leur personne. Il n'�tait alors honorable de s'enrichir que par la guerre, aussi les �pargnes du fils de famille romaine se nommaient peculium castrense (p�cule amass� dans les camps) ; plus tard, quand la dot de la femme vint les grossir, elle prit le nom de peculium quasi castrense. Les g�n�raux encourageaient le pillage : Iphicrate, g�n�ral ath�nien du temps de Phocion, rapporte Plutar�que "voulait qu'un soldat mercenaire fut avide d'argent et de plaisirs, afin qu'en cherchant � satisfaire ses passions il s'expos�t avec plus d'ardeur � tous les dangers". Ce brigandage g�n�ral donnait une v�rit� exacte au proverbe du Moyen-Age : Qui terre a, guerre a. Les propri�taires de troupeaux et de r�coltes ne d�posaient jamais les armes, ils accomplissaient, les armes � la main, les fonctions de la vie commune. La vie des h�ros �tait un long combat : ils mouraient jeunes, comme Achille, comme Hector ; dans l'arm�e ach�enne, il n'y avait que deux vieillards, Nestor et Phenix ; vieillir �tait alors chose si exceptionnelle, que la vieillesse devint un privil�ge, le premier qui se soit gliss� dans les soci�t�s humaines.
Les patriciens, se chargeant de la d�fense de la cit�, s'en r�servaient naturellement le gouvernement, qui �tait confi� aux p�res de famille ; mais quand le d�veloppement du com�merce et de l'industrie eut form� dans les villes une classe nombreuse de pl�b�iens riches, ils durent, apr�s bien des luttes civiles leur faire une place dans le gouvernement. Servius Tullius cr�a � Rome l'ordre des chevaliers avec des pl�b�iens possesseurs d'une fortune d'au moins 100,000 sesterces (environ 5.250 fr.), �valu� par le cens : tous les cinq ans on passait la revue de l'ordre �questre et les chevaliers dont la fortune �tait tomb�e au-dessous du cens ou qui avaient encouru une fl�trissure censoriale perdaient leur dignit�. Solon, qui s'�tait enrichi dans le commerce, ouvrit le S�nat et les tribunaux d'Ath�nes � ceux qui poss�daient les moyens d'entretenir un cheval de guerre (hippeis) et une paire de bœufs (zeugitai) : dans toutes les villes dont on a conserv� des souvenirs historiques, on trouve les traces d'une semblable r�volution, et partout la richesse que comporte l'entretien d'un cheval de guerre donne le droit politique. Cette nouvelle aristocratie qui prenait son origine dans la richesse amass�e par le commerce, l'industrie et surtout par l'usure, ne put se faire accepter et se maintenir dans sa supr�matie sociale qu'en s'adaptant � l'id�al h�ro�que des patriciens et qu'en assumant une part dans la d�fense de la cit� dont elle partageait le gouvernement [8].
Il fut un temps dans l'antiquit�, o� il �tait aussi impossible de concevoir un propri�taire sans vertus guerri�res, que de nos jours de se repr�senter un directeur de mines ou de fabrique de produits chimiques sans capacit�s administratives et connaissances scientifiques diverses. La propri�t� �tait alors exigeante, elle imposait des qualit�s physiques et morales � son possesseur : le seul fait d'�tre propri�taire faisait pr�supposer qu'on poss�dait les vertus de l'id�al h�ro�que, puisqu'on ne pouvait conqu�rir et conserver la propri�t� qu'� la condition de les avoir. Les vertus physiques et morales de l'id�al h�ro�que �taient, en quelque sorte, incorpor�es dans les biens mat�riels, qui les communiquaient � leurs propri�taires : c'est ainsi qu'� l'�poque f�odale, le titre nobiliaire �tait soud� � la terre, le baron d�poss�d� de son manoir perdait son titre de noblesse, qui allait s'ajouter � ceux de son vainqueur : il en �tait de m�me pour les corv�es et les redevances, elles se r�glaient d'apr�s les conditions de la terre et non d'apr�s celle des personnes occupantes []. Rien n'�tait donc plus naturel que l'anthropo�morphisme barbare qui dotait les biens mat�riels de vertus morales [10].
Le r�le de d�fenseur de la patrie que s'�taient r�serv� les propri�taires n'�tait pas une sin�cure. Aristote remarque dans sa Politique que pendant les guerres du P�loponn�se les d�fai�tes sur terre et sur mer d�cim�rent les classes riches d'Ath�nes ; que dans la guerre contre les lapyges les hautes classes de Tarente perdirent une telle quantit� de leurs membres que la d�mocratie put s'�tablir et que trente ans auparavant, � la suite de combats malheureux, le nombre des citoyens �tait tomb� si bas � Argos, que l'on dut accorder le droit de cit� aux p�ri�ques (colons vivant hors des murs de la ville). La guerre faisait de tels ravages dans ses rangs, que la belliqueuse aristocratie spartiate redoutait de s'y engager. La fortune des riches, ainsi que leurs personnes, �tait � l'absolue disposition de l'�tat : les Grecs d�signaient parmi eux les leitourgeoi, les trierarchoi, etc., qui devaient d�frayer les d�penses des f�tes publiques et de l'armement des gal�res de la flotte : quand, apr�s les guerres m�diques, il fallut reconstruire les murailles d'Ath�nes, d�truites par les Perses, on d�molit les �difices publics et les maisons priv�es afin de se procurer des mat�riaux pour leur reconstruction.
Puisqu'il n'�tait permis qu'aux propri�taires de biens meubles et immeubles d'�tre braves et de poss�der les vertus de l'id�al h�ro�que ; puisque, sans la possession des biens mat�riels, ces qualit�s morales �taient inutiles et m�me nuisibles � leurs possesseurs, ainsi que le prouve le massacre des 2,000 ilotes, rapport� plus haut ; puisque la possession des biens mat�riels �tait la raison d'�tre des vertus morales, rien donc n'�tait plus logique et plus naturel que d'identifier les qualit�s morales avec les biens mat�riels et de les confondre sous le m�me vocable.
Les ph�nom�nes �conomiques et les �v�nements politiques qu'ils engendraient, se char�g�rent de ruiner l'id�al h�ro�que et de dissoudre l'union primitive des vertus morales et des biens mat�riels, que la langue enregistre d'une mandore si na�ve.
Le partage des terres arables, poss�d�es en commun par tous les membres du clan, com�men�a � introduire parmi eux l'in�galit�. Les terres sous l'action de causes multiples, se concentr�rent entre les mains de quelques-familles du clan et finirent m�me par tomber dans la possession d'�trangers, de sorte qu'un nombre croissant de patriciens se trouv�rent d�poss�d�s de leurs biens ; ils se r�fugi�rent dans les cit�s, o� ils v�curent en parasites, en frelons, dit Socrate : il n'en pouvait �tre autrement. Car dans les soci�t�s antiques, et en fait dans toute soci�t� bas�e sur l'esclavage, le travail manuel et m�me intellectuel, n'�tant ex�cut� que par des esclaves et des �trangers, est peu r�tribu� et est consid�r� comme d�gradant, � l'exception cependant de l'agriculture et de la garde des troupeaux.
La situation politique cr��e par les ph�nom�nes �conomiques est expos�e par Platon, dans VIIIe livre de la R�publique, avec une force et une nettet� de vue qu'on ne saurait trop admirer : une lutte de classes violente troublait les cit�s de la Gr�ce. L'�tat oligarchique, c'est-�-dire bas� sur le cens, dit Socrate, "n'est pas un de sa nature, il renferme n�cessaire�ment deux �tats, l'un compos� de riches, l'autre de pauvres, qui habitent le m�me sol et conspirent les uns contre les autres". Socrate ne comprend pas parmi les pauvres, les artisans et encore moins les esclaves, mais seulement les patriciens ruin�s.
"Le plus grand vice de l'�tat oligarchique est la libert� qu'on laisse � chacun de vendre son bien ou d'acqu�rir celui d'autrui et � celui qui a vendu son bien de demeurer dans l'�tat sans emploi ni d'artisan, ni de commer�ant, ni de chevalier, ni d'hoplite, ni autre titre que celui d'indigent... [11] Il est impossible d'emp�cher ce d�sordre, car si on le pr�venait les uns ne poss�deraient pas des richesses excessives, tandis que les autres sont r�duits � la derni�re mis�re... Les membres de la classe gouvernante ne devant leur autorit� qu'aux grands biens qu'ils poss�dent, se gardent de r�primer par la s�v�rit� des lois le libertinage des jeunes d�bauch�s et de les emp�cher de se ruiner par des d�penses excessives, car ils ont le dessein d'acheter leurs biens et de les approprier par l'usure pour accro�tre leurs richesses et leur puissance."
La concentration des biens cr�e dans l'�tat une classe "de gens arm�s d'aiguillons, comme les frelons, les uns accabl�s de dettes, les autres not�s d'infamie, d'autres perdus � la fois de biens et d'honneurs, en �tat d'hostilit� et de conspiration constante contre ceux qui se sont enrichis des d�bris de leur fortune et contre le reste des citoyens et n'aimant qu'une chose, les r�volutions... Cependant les usuriers avides, la t�te baiss�e et sans avoir l'air d'apercevoir ceux qu'ils ont ruin�s, � mesure que d'autres se pr�sentent, leur font de larges blessures au moyen de l'argent qu'ils leur pr�tent � gros int�r�t, et tout en multipliant leurs revenus, ils multiplient dans l’�tat l'engeance des frelons et des mendiants".
Lorsque les frelons devenaient par leur nombre et leur turbulence une menace pour la s�curit� de la classe gouvernante, on les envoyait fonder des colonies et quand cette ressource venait � manquer, les riches et l'�tat essayaient de les calmer par des distributions de vivres et d'argent. P�ricl�s ne put se maintenir au pouvoir qu'en exportant et en nourrissant les frelons : il exp�dia 1.000 citoyens d'Ath�nes coloniser la Cherson�se, 500 Naxos, 250 Andros, 1.000 la Thrace, autant la Sicile, � Thurium ; il leur distribua par voie du sort les terres de l'�le d'Egine dont les habitants avaient �t� massacr�s ou expuls�s. Il salariait les frelons dont il ne put d�barrasser Ath�nes ; il leur donnait de l'argent m�me pour aller au spectacle ; c'est lui qui introduisit l'usage de payer 6.000 citoyens, c'est-�-dire pr�s de la moiti� de la population jouissant de droits politiques, pour remplir la fonction de juges (dikastes) [12] : le salaire des juges, qui au d�but �tait d'une obole par jour, fut �lev� � trois (environ 0 fr.47) par le d�magogue Cl�on ; la somme annuelle montait � 5.560 talents, soit environ 930.000 francs, ce qui �tait consid�rable m�me pour une ville comme Ath�nes ; aussi lorsque Pysandre y abolit le gouvernement d�mocratique, il d�cr�ta que les juges ne seraient plus pay�s, que les soldats seuls recevraient un salaire et que le maniement des affaires publiques ne serait confi� qu'� 5.000 citoyens, capables de servir l'�tat de leur fortune et de leur personne. P�ricl�s, pour contenir et satisfaire les artisans, qui faisaient cause commune avec les frelons, avait d� entreprendre de grands travaux publics.
Les ph�nom�nes �conomiques, qui en d�poss�dant une partie de la classe patricienne, cr�aient une classe de d�class�s, ruin�s et r�volutionnaires, se d�veloppaient plus rapidement dans les villes qui par leur position maritime devenaient des centres d'activit� commerciale et industrielle. La classe de pl�b�iens enrichis dans le commerce, l'industrie et l'usure, grandis�sait � mesure que le nombre des patriciens ruin�s et parasitaires augmentait. Ces pl�b�iens enrichis, pour arracher aux gouvernants des droits politiques, se liguaient avec les nobles d�poss�d�s, mais d�s qu'ils les obtenaient, ils s'unissaient aux gouvernants pour combattre les patriciens appauvris et les pl�b�iens pauvres ou de petite fortune ; et ceux-ci, lorsqu'ils deve�naient les ma�tres de la cit�, abolissaient les dettes, chassaient les riches et se partageaient leurs biens. Les riches bannis imploraient le secours de l'�tranger pour rentrer dans leur cit� et � leur tour massacraient leurs vainqueurs. Ces luttes de classes ensanglant�rent toutes les villes de la Gr�ce et les pr�par�rent � la domination mac�donienne et romaine.
Les ph�nom�nes �conomiques et les luttes de classe qu ils engendraient, avaient boule�vers� les conditions de vie, au milieu desquelles s'�tait �labor� l'id�al h�ro�que.
La mani�re de faire la guerre avait �t� profond�ment transform�e par les ph�nom�nes �co�no�miques. La piraterie et le brigandage, ces industries favorites des h�ros barbares, avaient �t� rendues difficiles, depuis que les fortifications perfectionn�es des villes les mettaient � l'abri des coups de main. Solon, bien que chef d'une ville commerciale et commer�ant lui-m�me, avait �t� oblig�, pour complaire � des habitudes inv�t�r�es, de fonder � Ath�nes un coll�ge de pirates, mais l'�tablissement de nombreuses colonies le long des c�tes m�diter�ra�n�ennes et le d�veloppement commercial qui en fut la cons�quence avaient forc� les villes maritimes � �tablir la police des mers et � donner la chasse aux pirates, dont l'industrie perdait de son prestige, � mesure que ses b�n�fices diminuaient.
Des changements d'une importance capitale �taient effectu�s dans l'organisation des arm�es de mer et de terre. Les h�ros hom�riques, ainsi que les Scandinaves, qui plus tard de�vaient ravager les c�tes europ�ennes de l'Atlantique, quand ils partaient en exp�dition mari�time, ne prenaient pas avec eux des rameurs et des matelots : leurs navires � fonds plats qu'ils construisaient eux-m�mes et qui, d'apr�s Hom�re ne pouvaient porter que de 50 � 120 hommes, n'�taient mont�s que par des guerriers, qui ramaient et se battaient ; les combats n'avaient lieu que sur terre, l'Iliade ne mentionne pas d'engagement sur mer. Les perfection�nements que les Corinthiens apport�rent aux constructions maritimes et l'accroissement des forces navales rendirent n�cessaire l'emploi de rameurs et de matelots mercenaires qui ne prenaient pas part aux combats que les hoplites et d'autres guerriers moins pesamment arm�s livraient sur mer et sur terre. Le mercenariat, une fois acclimat� sur la flotte, s'imposa aux arm�es de terre ; elles n'�taient d'abord compos�es que de citoyens, entrant en campagne avec trois ou cinq jours de vivres, qu'ils fournissaient eux-m�mes, ainsi que leurs chevaux et leurs armes; ils se nourrissaient sur l'ennemi lorsque leurs provisions �taient �puis�es et rentraient dans leurs foyers d�s que l'exp�dition, toujours de courte dur�e, �tait termin�e. Mais lorsque la guerre, port�e au loin, exigeait une longue pr�sence � l'arm�e, l’�tat fut oblig� de pourvoir � la nourriture du guerrier. P�ricl�s, au commencement de la guerre: du P�lopon�se, donna pour la premi�re fois � Ath�nes une solde aux guerriers, qui alors devinrent des soldats, c'est-�-dire des salari�s, des mercenaires ; la solde �tait de 2 drachmes, environ 2 francs par jour, pour les hoplites. Diodore de Sicile dit que c'est au si�ge de Veies, que les Romains intro�duisirent la solde dans leurs arm�es. Du moment que l'on �tait pay� pour se battre, la guerre redevint une profession lucrative, comme aux temps hom�riques ; il se forma des corps de soldats, o� s'enr�laient les citoyens pauvres et les patriciens d�class�s et ruin�s, ainsi qu'il existait d�j� des troupes de rameurs et de matelots mercenaires, vendant leurs servies au plus offrant [13].
Socrate dit qu'un �tat oligarchique, c'est-�-dire gouvern� par les riches, "est impuissant � faire la guerre parce qu'il lut faut armer la multitude et avoir par cons�quent plus � craindre d'elle que de l'ennemi, ou bien � ne pas s'en servir et � se pr�senter au combat avec une arm�e vraiment oligarchique", c'est-�-dire r�duite aux citoyens riches. Mais les nouvelles n�cessit�s de la guerre forc�rent les riches � dompter leurs frayeurs et � violer les antiques coutumes ; elles les oblig�rent � armer les pauvres et m�me les esclaves. Les Ath�niens enr�l�rent sur la flotte des esclaves, en leur promettant la libert�, et ils lib�r�rent ceux qui s'�taient vaillam�ment battus aux Arginuses (406 avant J�sus-Christ). Les Spartiates eux-m�mes durent armer et lib�rer des ilotes ; ils envoy�rent au secours des Syracusains, assi�g�s par les Ath�niens, un corps de 600 hoplites, compos� d'ilotes et de neodamodes (nouveaux affranchis). Tandis que le gouvernement de la R�publique de Sparte frappait d'infamie les Spartiates qui avaient rendu les armes � Sphact�ries, bien que plusieurs d'entre eux eussent occup� de hautes positions politiques, il accordait la libert� aux ilotes qui leur avaient fait passer des vivres pendant qu'ils �taient assi�g�s par les troupes ath�niennes.
La solde qui transforma le guerrier en mercenaire, en soldat [14] devint en peu de temps un instrument de dissolution sociale : les Grecs avaient jur� � Plat�e "qu'ils l�gueraient aux enfants de leurs enfants la haine contre les Perses pour que cette haine dur�t tant que les fleuves couleraient vers la mer" ; cependant un demi-si�cle apr�s ce fier serment, Ath�niens, Spartiates et P�lopon�siens courtisaient � l'envi le roi de Perse, afin d'obtenir des subsides pour payer leurs matelots et leurs soldats. La guerre du P�loponn�se pr�cipita la chute des partis aristocratiques et fit �clater au grand jour la ruine des mœurs h�ro�ques que les ph�nom�nes �conomiques avaient sourdement pr�par�e.
Les riches qui s'�taient r�serv�, comme le premier de leurs privil�ges, le droit de porter des armes et de d�fendre la patrie, prirent rapidement l'habitude de se faire remplacer � l'arm�e par des mercenaires ; un si�cle apr�s l'innovation de P�ricl�s le gros des arm�es d'Ath�nes �tait compos� de soldats salari�s. D�mosth�ne dit dans une de ses Olynthiennes que dans l'arm�e envoy�e contre Olynthe il y avait 4,000 citoyens et 10,000 mercenaires ; que dans celle que Philippe battit � Cheron�e, il y avait 2,000 Ath�niens et Th�bains et 15,000 mercenaires. Les riches, quoique ne se battant pas, r�coltaient les b�n�fices de la guerre : "Les riches sont excellents pour garder les richesses, disait Athanagoras, le d�ma�gogue syracusain, ils abandonnent les dangers au grand nombre et, non contents de ravir la plus grande partie des avantages de la guerre, ils les usurpent tous."
Les patriciens barbares, rompus d�s l'enfance � tous les travaux de la guerre, �taient des guerriers qui d�fiaient toute comparaison, les nouveaux riches, au contraire, pouvaient diffi�ci�lement la soutenir, ainsi que le constate Socrate : "Quand les riches et les pauvres se trou�vent ensemble � l'arm�e, sur terre ou sur mer, et qu'ils s'observent mutuellement dans les circonstances p�rilleuses, les riches n'ont alors aucun sujet de m�priser les pauvres ; au contraire, quand un pauvre maigre et br�l� par le soleil, post� sur le champ de bataille � c�t� d'un riche �lev� � l'ombre et charg� d'embonpoint, le voit tout hors d'haleine et embarrass� de sa personne, quelle pens�e, crois-tu, qui lui vienne � ce moment � l'esprit ? Ne se dit-il pas � lui-m�me que ces gens ne doivent leurs richesses qu'� la l�chet� des pauvres ? Et quand ceux-ci sont entre eux, ne se disent-ils pas les uns les autres : en v�rit� ces riches sont bien peu de chose !"
Les riches, en d�sertant le service militaire et en remettant � des mercenaires la d�fense de la patrie, perdirent les qualit�s physiques et morales de l'id�al h�ro�que, tout en conservant les biens mat�riels qui en �taient la raison d'�tre.; il arriva alors, comme le remarque Aristote, que "la richesse, loin d'�tre la r�compense de la vertu, dispensait d'�tre vertueux" [15].
Mais les vertus h�ro�ques, que ne cultivaient plus les riches, devenaient l'apanage de mer�ce�naires, d'affranchis et d'esclaves, qui ne poss�daient pas de biens mat�riels ; et ces vertus qui conduisaient les h�ros barbares � la propri�t� ne parvenaient qu'� les faire vivre mis�ra�blement de leur solde. Les ph�nom�nes �conomiques avaient donc d�cr�t� le divorce des biens mat�riels et des qualit�s morales autrefois si intimement unis [16].
Il se trouvait parmi ces mercenaires aux vertus h�ro�ques un nombre consid�rable de patriciens d�pouill�s de leurs biens par l'usure et les guerres civiles, tandis que les riches comptaient dans leurs rangs beaucoup de gens enrichis par le commerce, l'usure et m�me par la guerre, faite par d'autres : ainsi, au commencement de la guerre du P�loponn�se, lorsque Corinthe pr�para son exp�dition contre Corcyre, Thucydide raconte que l'�tat promit aux citoyens qui s'enr�leraient le partage des terres conquises, et offrit les m�mes avantages � ceux qui, sans prendre part � la campagne, donneraient 50 drachmes.
L'id�al h�ro�que s'�tait �croul� semant le d�sordre et la confusion dans les id�es morales, et ce bouleversement se r�percutait dans les id�es religieuses. La plus grossi�re superstition continuait � fleurir, m�me � Ath�nes, qui condamnait � mort Anaxagoras, Diagoras, Socrate, qui br�lait les ouvrages de Protagoras pour impi�t� contre les Dieux, et cependant les auteurs comiques lan�aient contre les Dieux et leurs pr�tres, ce qui �tait encore plus hardi, les plus audacieuses et les plus cyniques attaques ; les d�magogues et les tyrans profanaient leurs temples et pillaient leurs tr�sors sacr�s, et des d�bauch�s souillaient et renversaient la nuit les statues des Dieux, plac�es dans les rues. Les l�gendes religieuses, transmises depuis l'anti�quit� la plus recul�e et admises na�vement tant qu'elles cadraient avec les mœurs ambiantes, �taient devenues choquantes par leur grossi�ret�. Pythagore et Socrate demandaient leur suppression, d�t-on pour cela mutiler Hom�re et H�siode et m�me interdire la lecture de leurs po�mes ; Epicure d�clarait que c'�tait faire acte d'ath�isme que de croire aux l�gendes sur les Dieux et de les redire. Les chr�tiens des premiers si�cles n'ont fait que g�n�raliser et syst�matiser ce que les pa�ens avaient critiqu� et fait en plein paganisme.
L'heure avait sonn� pour la soci�t� bourgeoise alors naissante, pour la soci�t� bas�e sur la propri�t� individuelle et la production marchande de formuler un id�al moral et une religion correspondant aux nouvelles conditions sociales fa�onn�es par les ph�nom�nes �conomiques : et c'est l'�ternel honneur de la philosophie sophistique de la Gr�ce d'avoir trac� les principaux lin�aments de la religion nouvelle et du nouvel id�al moral. L'œuvre morale de Socrate et de Platon n'a pas encore �t� d�pass�e [17].
L'id�al h�ro�que, simpliste et logique, refl�tait dans la pens�e la r�alit� ambiante, sans d�guisements et sans d�formations ; il �rigeait en premi�res vertus de l'�me humaine les qualit�s physiques et morales que devaient poss�der les h�ros barbares pour conqu�rir et conserver les biens mat�riels qui les classaient parmi les premiers citoyens et les heureux de la terre.
La r�alit� de la naissante soci�t� d�mocratique bourgeoise ne correspondait plus � cet id�al. Les richesses, les honneurs et les jouissances n'�taient plus le prix de la valeur et des autres vertus h�ro�ques, pas plus que dans notre soci�t� capitaliste la propri�t� n'est la r�com�pense du travail, de l'ordre et de l'�conomie. Cependant les richesses continuaient toujours � �tre le but de l'activit� humaine, et m�me elles devenaient de plus en plus son but unique et supr�me : pour atteindre ce but si ardemment convoit�, il ne fallait plus mettre en action les qualit�s h�ro�ques autrefois si pris�es ; mais comme la nature humaine ne s'�tait point d�pouill�e de ces qualit�s, bien que dans les nouvelles conditions sociales elles fussent devenues inutiles et m�me nuisibles "pour faire son chemin dans la vie", et comme elles devenaient dans les r�publiques antiques des causes de troubles et de guerre civile, il �tait urgent de les dompter et de les domestiquer en leur donnant une satisfaction platonique, afin de les utiliser � la prosp�rit� et � la conservation du nouvel ordre social.
Les sophistes entreprirent la besogne. Les uns, comme les Cyr�na�ques, n'essayant pas de d�guiser la r�alit�, reconnurent. carr�ment et proclam�rent hautement que la possession des richesses �tait "le souverain bien" et que les jouissances physiques et intellectuelles qu'elles procurent �taient "la derni�re fin de l'homme". Ils profess�rent hardiment l'art de les con�qu�rir par tous les moyens licites et illicites, et d'�chapper aux d�sagr�ables cons�quences que pouvaient entra�ner la maladroite violation des lois et des coutumes. D'autres sophistes, tels que les cyniques et beaucoup de sto�ciens, en r�volte ouverte contre les lois et les coutumes, voulurent retourner � l'�tat pr�social et "vivre selon la nature" ; ils affichent le m�pris des richesses : "le sage seul est riche", clamaient-ils avec ostentation : mais ce d�dain pour les biens hors de leur prise �tait en trop choquante opposition avec le train du jour et le sentiment g�n�ral et souvent trop d�clamatoire pour �tre pris en s�rieuse consid�ration. D'ailleurs ni les uns ni les autres ne donnaient une port�e utilitaire sociale � leurs th�ories morales et c'�tait pr�cisaient ce que r�clamait la d�mocratie bourgeoise.
D'autres sophistes, tels que Socrate, Platon et un grand nombre de sto�ciens, abord�rent de front le probl�me moral : ils n'�rig�rent pas en dogme le m�pris des richesses, ils reconnurent au contraire qu'elles �taient une des conditions du bonheur et m�me de la vertu, bien qu'elles eussent cess� d'en �tre la r�compense. L'homme juste ne devait plus demander au monde ext�rieur le prix de ses vertus, mais le chercher dans son for int�rieur, dans sa conscience, que devaient guider des principes �ternels, plac�s en dehors du monde de la r�alit� et il ne pouvait esp�rer de l'obtenir que dans l'autre vie. Ils ne se r�volt�rent pas contre les lois et les coutumes, ainsi que les cyniques ; ils conseill�rent au contraire de s'y conformer et recom�mand�rent � chacun de rester � sa place et de s'accommoder de sa situation sociale ; c'est ainsi que saint Augustin et les P�res de l’�glise impos�rent, comme un devoir, aux esclaves chr�tiens de redoubler de z�le pour leur ma�tre terrestre, afin de m�riter les gr�ces du ma�tre c�leste. Platon et les P�res de l’�glise s'�taient donn� pour mission d'�tayer les institutions sociales � l'aide de la morale et de la religion.
Socrate, qui avait v�cu dans l'intimit� de P�ricl�s, et Platon, qui avait fr�quent� les cours des tyrans de Syracuse, �taient de profonds politiciens, ne voyant dans la morale et la religion que des instruments pour gouverner les hommes et maintenir l'ordre social.
Ces deux subtils g�nies de la philosophie sophistique sont les fondateurs de la morale individualiste de la bourgeoisie, de la morale qui ne peut aboutir qu'� mettre en contradiction les paroles et les actes et qu'� donner une sanction philosophique � la mise en partie double de la vie : la vie id�ale, pure, et la vie pratique, impure ; l'une �tant la revanche de l'autre. C'est ainsi que "les tr�s nobles et tr�s honnestes dames" du XVIIe si�cle avaient r�ussi � faire l'amour en partie double, se consolant de l'amour intellectuel dont elles se d�lectaient avec des amants platoniques, en jouissant solidement de l'amour physique avec leur mari, compl�t� au besoin par un ou plusieurs amants pour de bon.
La morale de toute soci�t� bas�e sur la production marchande ne peut �chapper � cette contradiction, qui est la cons�quence des confits dans lesquels se d�bat l'homme bourgeois : si pour r�ussir dans ses entreprises commerciales et industrielles, il doit capter la bonne opinion du public en se parant de vertus, il ne peut les mettre en pratique s'il veut prosp�rer ; mais il entend que ces vertus de parade soient pour les autres imp�rieuses, des "imp�ratif: cat�goriques" comme dit Kant ; c'est ainsi que s'il livre de la camelote, il exige d'�tre pay� en argent fin [18]. La bourgeoisie, si elle ne maintient sa dictature de classe que par la force brutale, a besoin pour assoupir l'�nergie r�volutionnaire des classes opprim�es de faire croire que son ordre social est la r�alisation aussi parfaite que possible des principes �ternels qui ornent la philosophie spiritualiste et que Socrate et Platon avaient en partie formul�s plus de quatre si�cles avant J�sus-Christ.
La morale religieuse n'�chappe pas � cette fatale contradiction : si la plus haute formule du christianisme est "aimez-vous les uns les autres", les �glises chr�tiennes, pour achalander leurs boutiques, ne songent qu'� convertir par le fer et le feu les h�r�tiques, afin de les sauver, assurent-elles, des feux �ternels de l'enfer.
Le milieu social barbare, qu'engendraient la guerre et le communisme du clan, arrivait � tendre jusqu'� leur extr�me limite les nobles qualit�s de l'�tre humain, la force physique, le courage, le sto�cisme moral, le d�vouement corps et biens � la communaut�, � la cit� ; le milieu social bourgeois, bas� sur la propri�t� individuelle et la production marchande, �rige au contraire en vertus cardinales les pires qualit�s de l'�me humaine, l'�go�sme, l'hypocrisie, l'intrigue, la rouerie et la filouterie [19].
La morale bourgeoise, bien que Platon pr�tende qu'elle descend du haut des cieux et qu'elle plane au-dessus des vils int�r�ts, refl�te si modestement la vulgaire r�alit�, que les sophistes au lieu de forger un mot nouveau pour d�signer le principe, qui selon Victor Cousin, qui s'y conna�t, est "la morale tout enti�re", prirent le mot courant et le nomm�rent le Bien : to agathon. Lorsque l'id�al chr�tien se formula � c�t� et � la suite de l'id�al philo�sophique, il subit la m�me n�cessit�. Les P�res de l’�glise lui imprim�rent le sceau de la vulgaire r�alit�.
Beatus, que les pa�ens employaient pour riche et que Varron d�finit "celui qui poss�de beaucoup de biens", qui multa bona possidet, devient dans la latinit� eccl�siastique celui qui poss�de la gr�ce de Dieu ; Beatitudo, dont P�trone et les �crivains de la d�cadence se servent pour richesses, veut dire, sous la plume de saint J�r�me, f�licit� c�leste ; Beatissimus, l'�pith�te donn�e par les auteurs du paganisme � l'homme opulent, devient celle des patriar�ches, des P�res de l'Eglise et des Saints !
La langue nous a r�v�l� que les barbares, par leur proc�d� anthropomorphique habituel, avaient incorpor� leurs vertus morales dans les biens mat�riels ; mais les ph�nom�nes �co�nomiques et les �v�nements politiques, qui pr�par�rent le terrain pour le mode de production et d'�change de la bourgeoisie, d�nou�rent l'union primitive du moral et du mat�riel. Le barbare ne rougissait pas de cette union, puisque c'�taient les qualit�s physiques et morales, dont il �tait le plus fier, qui �taient mises en action pour la conqu�te et la conservation des biens mat�riels ; le bourgeois, au contraire, a honte des basses vertus qu'il est forc� de mettre en jeu pour arriver � la fortune, aussi veut-il faire croire et il finit par croire, que son �me plane au-dessus de la mati�re et se repa�t de v�rit�s �ternelles et de principes immuables : mais la langue, d�nonciatrice incorrigible, nous d�voile que sous les nuages �pais de la morale la plus purifi�e se cache l'idole souveraine des capitalistes, le Bien, le Dieu-propri�t�.
La morale, ainsi que les autres ph�nom�nes de l'activit� humaine, tombe sous la loi du d�terminisme �conomique formul�e par Marx : "Le mode de production de la vie mat�rielle con�ditionne en g�n�ral le proc�s de d�veloppement de la vie sociale, politique et intel�lectuelle."
Notes
[1] Le m�me ph�nom�ne s'observe dans notre langue : bon, dans le vieux fran�ais, signifie courageux ; la Chanson de Roland l'emploie toujours dans ce sens :
Franceis sunt bon, si ferrunt vassalement
Les Fran�ais sont courageux, ils frapperont bravement, XCI.) Parlant de l'archev�que Turpin, Roland dit :
Li arcevesque est mult bons chevaliers :
Nen ad meillur en terre desuz ciel,
Bien set ferir e de lance e d'espiet.
(L'archev�que est un bien courageux chevalier : - il n'en est pas de meilleur sur terre sous le ciel, - il sait bien frapper et de la lance et de l'�pieu, CXLV).
Le roi Jean avait �t� surnomm� bon � cause de son courage. Commines, qui �crivait au quinzi�me si�cle, dit bons homs pour hommes braves. - Goodman, apr�s avoir �t� en anglais le qualificatif du soldat et apr�s avoir d�sign� le chef de famille, le ma�tre de maison, finit, ainsi que notre bonhomme, par �tre appliqu� au paysan : godman Hodge, Hodge est un terme m�prisant pour paysan. C'est sans doute quand bonhomme arriva � �tre g�n�ralement donn� aux paysans, que nobles et hommes d'armes pillaient (vivre sur le bonhomme �tait une expression courante) que le mot prit le sens ridicule qu'il a conserv� ; d'apr�s Ducange, il a eu un moment la signification de cocu. L'addition d'une d�sinence rend good et bon grotesques, goody, bonasse. Agathos et bonus ne pouvaient dans l'antiquit� acqu�rir une telle signification : ce n'est que dans le latin du moyen �ge que l'on rencontre bonafus, bonasse. Les �crivains de la p�riode byzantine emploient agathos surtout dans le sens de doux, bon ; et il para�t que les gamins de l'Ath�nes moderne s'en servent pour imb�cile.
[2] La force physique �tait si pris�e que, dans le troisi�me chant de l'Iliade, H�l�ne, d�signant aux vieillards de Troie les chefs grecs, ce n'est pas par leur �ge, leur physionomie, ou leur caract�re, mais par leur force qu'elle distingue Ulysse de M�n�las et d'Ajax, qui l'emporte sur les deux par la largeur des �paules. Diodore de Sicile, passant en revue les qualit�s d'Epaminondas, mentionne d'abord la vigueur de son corps, puis la force de son �loquence, sa g�n�rosit� et son habilet� strat�gique.
[3] Imbellis, imbecillis, qui signifient impropre � la guerre, sont surtout usit�s par les �crivains latins pour l�che, faible de corps et d'esprit : malus a un sens plus g�n�ral, il est qualificatif de celui qui au physique et au moral ne poss�de pas les vertus requises.
[4] M�me dans la d�mocratique Ath�nes, du temps d'Aristophane, les marchands n'�taient pas astreint, au service militaire ; le sycophante de son Plutus d�clare qu'il se fait marchand pour ne pas partir � la guerre.
Plutarque dit que Marius, "pour combattre les Cimbres et les Teutons, enr�la au m�pris des lois et des coutumes, des esclaves et des gens sans aveu (c'est-�-dire des pauvres). Tous les g�n�raux avant lui n'en recevaient pas dans leurs troupes ; ils ne confiaient les armes, comme les autres honneurs de la R�publique, qu'� des hommes qui fussent dignes et dont la fortune connue r�pondit de leur fid�lit�".
[5] "Les travaux des m�tiers d�forment le corps et d�gradent l'intelligence, c'est pour cette raison que les gens qui se livrent � ces travaux ne sont jamais appel�s aux charges publiques". X�nophon, Economiques.
[6] L'�pith�te sto�que appliqu�e aux h�ros barbares, est un anachronisme, mais il n'est que verbal : le mot fut fabriqu� pour d�signer les disciples de Z�non, qui enseignait sous le Portique, stoa : les barbares poss�daient la force morale que les sto�ciens s'effor�aient d'acqu�rir.
[7] Les chevaliers de la fin du Moyen-Age, qui avaient �t� ruin�s par les croisades, et d�poss�d�s de leurs terres par leurs luttes intestines, ne vivaient que de la guerre et appelaient, comme le h�ros grec, "moisson de l'�p�e" le butin gagn� dans les combats.
[8] Aristophane, avocat du parti aristocratique et adversaire de la d�mocratie ath�nienne, oppose les mœurs antiques aux nouvelles, et par une �trange incons�quence accable des traits les plus envenim�s de sa satire Lamachus, Cl�on et les d�magogues, r�clamant et obtenant, malgr� l'opposition des aristocrates, la conti�nuation de la guerre contre Sparte. Les temps avaient chang�, l'ancienne aristocratie du sang et la nouvelle aristocratie de la richesse avaient beaucoup perdu de leurs sentiments belliqueux et ne conservaient plus dans son int�grit� que le sentiment propri�taire ; la guerre ne les enrichissait plus, elle enlevait leurs bestiaux, ravageait leurs champs, arrachait leurs oliviers et leurs vignes, d�truisait leurs r�coltes et incendiait leurs maisons. Aristophane lui-m�me avait des propri�t�s dans l'Eub�e, qui �tait un des champs de bataille de la guerre du P�lopon�se. Platon, qui en sa qualit� d'id�aliste est un ardent d�fenseur de la propri�t�, demande, dans sa R�publique, que les Grecs d�cident qu'en toute guerre entre eux on ne doit pas incendier les maisons et les r�coltes ; on ne devait se permettre ces passe-temps guerriers qu'en pays barbare.
[9] Le livre de comptes de l'abbaye de Saint-Germain-des-Pr�s, qui date du IXe si�cle, et que Gu�rard publia en 1847, sous le titre de Polyptique de l'abb� Irminon, classe les nombreuses terres de la communaut� monacale en trois cat�gories : en manses ing�nuiles, lidiles et serviles, diff�remment impos�es de services personnels et de redevances en nature, sans tenir compte de la qualit� des personnes qui les occupaient : ainsi les familles de serfs occupaient une manse ing�nuile, c'est-�-dire libre, acquittaient moins de redevances et de corv�es que des hommes libres cultivant une manse servile.
[10] Un ph�nom�ne inverse d'hippomorphisme se produisit au Moyen-Age. Les nobles s'�tant r�serv�s le droit d'aller arm�s � cheval, avaient par ce fait une telle sup�riorit� dans les combats, que le cheval parut commu�niquer au baron f�odal des vertus guerri�res ; aussi prit-il, ainsi que les riches des r�publiques antiques, le nom de sa monture et se nomma chevalier, caballero, etc... Ses vertus les plus pris�es �taient de cheval (chevaleresques, caballerescos, cavalrous, etc.). Don Quichotte jugeait le cheval un personnage si important dans la chevalerie errante, qu'il lui fallut toute sa casuistique pouf permettre � Sancho Pan�a de le suivre, mont� sur un �ne.
[11] Socrate veut dire que ne pouvant entretenir un cheval de guerre et n'ayant pas les moyens d'acheter une armure compl�te, ils ne pouvaient servir ni en qualit� de chevalier, ni en celle d'hoplite, c'est-�-dire de guerrier arm� de toutes pi�ces.
[12] Le nombre des citoyens ayant � Ath�nes leurs droits politiques �tait de 14.040, ainsi que le prouva le recensement que fit P�ricl�s pour la distribution des bl�s qui leur �taient envoy�s en pr�sent d'�gypte.
[13] Thucydide rapporte que les ambassadeurs de Corinthe, pour d�cider les Spartiates, intimid�s par les forces maritimes d'Ath�nes, � se joindre � eux pour d�clarer la guerre, leur dirent : "Nous n'avons qu'� faire un emprunt pour d�baucher, par une solde plus �lev�e, les rameurs d'Ath�nes." - Nicias, dans la lettre qu'il adresse de Sicile � l'assembl�e des Ath�niens, se plaint de la d�sertion des mercenaires. Quelques ann�es plus tard, les matelots quittaient la flotte ath�nienne en Asie Mineure pour passer sur celle de Lysandre qui leur donnait une plus forte solde.
Les Carthaginois, pour combattre en Sicile l'arm�e grecque, enr�l�rent des soldats grecs qui faisaient le m�tier de se battre pour la solde. Alexandre trouva au service de Darius des mercenaires grecs, qu'il incor�pora dans son arm�e, apr�s leur avoir pardonn� de s'�tre battus pour des barbares contre des Grecs. Le mercenariat abolit le sentiment patriotique si farouche et si profond chez le barbare ; on rencontrait des mercenaires grecs guerroyant dans toutes les arm�es. Quand les sto�ciens et les cyniques, longtemps avant les chr�tiens, parl�rent de la fraternit� humaine s'�levant au-dessus des �troites murailles de la cit� antique, ils ne faisaient que donner une expression humanitaire et philosophique au fait accompli par les �v�nements �conomiques et politiques.
[14] Le mot soldat qui, dans les langues europ�ennes, a remplac� celui de guerrier (soldier, anglais, soldat, alle�mand, soldado, espagnol, soldato, italien, etc.) vient de soldius, sou, d'o� solde. C'est du salaire qu'il re�oit que le militaire d�rive son nom. Historiquement le soldat est le premier salari�.
[15] Un semblable ph�nom�ne se reproduisit vers la fin du moyen �ge. Le seigneur f�odal n'avait droit aux redevances en nature et au service personnel de ses serfs et vassaux qu'� la condition de les d�fendre contre les nombreux ennemis qui les environnaient ; mais quand, � la suite d'�v�nements �conomiques et politi�ques, il y eut une pacification g�n�rale � l'int�rieur, le seigneur n'eut plus � remplir son r�le de protec�teur, ce qui ne l'emp�cha pas de conserver et m�me d'aggraver les corv�es et les redevances qui avaient perdu leur raison d'�tre.
[16] L'�poque capitaliste a vu un divorce analogue, tout aussi brutal et tout aussi f�cond en cons�quences r�vo�lutionnaires. Au d�but de la p�riode capitaliste, pendant les premi�res ann�es du XIXe si�cle, l'id�al du petit bourgeois et de l'artisan acquit une certaine consistance dans l'opinion publique : le travail, l'ordre et l'�cono�mie furent consid�r�s comme strictement li�s � la propri�t� ; ces vertus morales conduisaient alors � la possession des biens mat�riels. Les �conomistes et les moralistes bourgeois peuvent encore, comme des perroquets, r�p�ter que la propri�t� est le fruit du travail, mais elle n'est plus sa r�compense. Les vertus de l'id�al artisan et petit bourgeois ne conduisent plus le salari� qu'au bureau de bienfaisance et � l'h�pital.
[17] On doit entendre par production marchande la forme de production dans laquelle le travailleur produit, non pour sa consommation ou celle de sa famille. mais pour la vente. Cette forme de production, qui caract�rise la soci�t� bourgeoise, se distingue absolument des formes qui l'ont pr�c�d�e, dans. lesquelles on produisait pour sa consommation, soit en employant des esclaves, des serfs ou des salari�s. Les familles patriciennes de l'antiquit�, comme les seigneurs du Moyen-Age, faisaient produire sur leurs terres et dans leurs ateliers, vivres, v�tements, armes, etc., en un mot presque tout ce dont ils avaient besoin, et n'�changeaient que le surplus de leur consommation � de certaines �poques de l'ann�e.
[18] Les pa�ens n'essayaient pas de d�guiser la v�rit� et mettaient le commerce sous le patronage de Mercure, le dieu des voleurs. Les catholiques sont plus j�suites; les ordres religieux qui ne se consacrent pas exclusivement � la captation d'h�ritages font du commerce et de l'industrie leur principale et m�me unique occupation, quoiqu'ils pr�tendent n'adorer qu'un dieu pur de tout mensonge et innocent de toute fraude.
Le premier acte de la bourgeoisie capitaliste arrivant au pouvoir en 1789 fut de proclamer la libert� du vol, en d�barrassant le commerce et l'industrie de tout contr�le. Les ma�tres de m�tier du moyen �ge, ne travaillant que pour le march� local, pour des voisins, avaient �tabli un s�v�re contr�le de la production ; syndics des corporations �taient autoris�s � entrer � toute heure dans les ateliers afin d'examiner la mati�re premi�re et la mani�re dont elle �tait ouvr�e ; pour faciliter leur inspection, les portes et les fen�tres de l'atelier restaient ouvertes pendant le travail : les artisans du moyen �ge op�raient litt�ralement sous les yeux du public. Les objets, avant d'�tre mis en vente, contr�l�s par les syndics, �taient marqu�s d'un plomb ou de tout autre signe, attestant que la corporation se portait garant de leur bonne qualit�. Ce contr�le incessant, qui g�nait et comprimait l'essor du g�nie voleur de la bourgeoisie capitaliste, �tait un de ses plus s�rieux griefs contre les corporations.
[19] Les �crivains bourgeois ont l'habitude de charger de tous les vices de la civilisation les sauvages et les barbares, que les capitalistes volent, exploitent et exterminent, sous pr�texte de les civiliser et ce sont eux qui les corrompent physiquement et moralement avec l'alcool, la syphilis, la Bible, le travail forc� et le commerce.
Les voyageurs, qui viennent en contact avec des peuplades sauvages, non contamin�es par la civilisation, sont frapp�s par leurs vertus morales et Leibniz, qui � lui seul vaut tous les philosophes du lib�ralisme, ne pouvait s'emp�cher de leur rendre hommage. "Je sais, � n'en pouvoir douter, �crit-il, que les sauvages du Canada vivent ensemble et en paix ; quoi qu'il n'y ait parmi eux aucune espace de magistrat, on ne voit jamais ou presque jamais dans cette partie du monde de querelles, de haines ou de guerres, sinon entre hommes de diff�rentes nations et de diff�rentes langues. J'oserais presque appeler cela un miracle politique, inconnu � Aristote, et que Hobbes n'a point remarqu�. Les enfants m�mes, jouant ensemble, en viennent rarement aux mains, et lorsqu'ils commencent � s'�chauffer un peu trop, ils sont aussit�t retenus par leurs camarades. Au reste, qu'on ne s'imagine point que la paix dans laquelle ils vivent soit l'effet d'un caract�re lent et insensible, car rien n'�gale leur activit� contre l'ennemi, et le sentiment d'honneur est chez eux au dernier degr� de vivacit�, ainsi que le t�moigne l'ardeur qu'ils montrent pour la vengeance, et la constance avec laquelle ils meurent au milieu des tourments. Si ces peuples pouvaient, � de si grandes qualit�s naturelles, joindre un jour nos arts et nos connaissances, nous ne serions aupr�s d'eux que des avortons".
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