1920 |
Source : Le bulletin communiste, num�ro 1 (deuxi�me ann�e), 6 janvier 1921. |
Le Travail d'Instruction Politique dans la Russie Sovi�tique
La guerre et la r�volution ont excit� dans les masses une soif passionn�e de savoir. Il faut voir avec quelle attention la masse �coute un orateur quelconque, comment elle reste debout pendant des heures craignant de laisser �chapper un seul mot, pour comprendre combien est grande cette soif de savoir. Et cette masse ne se passionne pas seulement pour les questions quotidiennes. Ainsi le conseil villageois d'un petit village obscur demande des conf�renciers et indique les th�mes des le�ons qu'il voudrait faire donner : l'�ge de pierre, la r�volution fran�aise, la situation de la femme. Un train de propagande avec un d�p�t de livres passe dans un village, par exemple ; tout de suite une longue queue se range pr�s du d�p�t et augmente sans cesse. On voit des vieilles femmes, des vieillards, des jeunes gens avec des sacs. Il semble bien qu'on ach�terait tout, si c'�tait possible, mais le train n'accorde � ce village qu'une petite quantit� de sa richesse biblioth�caire ; il en faut aussi pour d'autres. Il faut bien croire que dans aucun domaine les paysans et les ouvriers ne manifestent tant d'initiative que dans celui de l'instruction publique. Ils construisent des maisons du peuple, des clubs, des biblioth�ques, des cercles � qui mieux mieux, sans parler des spectacles. Toute la Russie du plus petit au plus grand donne des repr�sentations, des spectacles, des concerts ; quand il n'y a point de pi�ces, on en �crit soi-m�me. Il y a des gouvernements dans lesquels on trouve plus de th��tres que dans toute la France. Parfois le centre du gouvernement ne sait m�me pas combien il y a d'�tablissements d'instruction culturelle dans son gouvernement. Il serait donc facile de faire du bon travail.
Certes, dans les conditions actuelles, c'est extr�mement difficile ; il n'y a point de personnel capable d'enseigner, il n'y a point de livres d'enseignement, il faut diminuer m�me le tirage des journaux. La guerre, l'obligation du travail, les conditions difficiles de cette t�che poussent les gens vers d'autres occupations. On sent l'insuffisance de ma�tres, de conf�renciers, de biblioth�caires. De plus, le travail est nouveau, il faut l'apprendre, et enfin l'insuffisance du r�seau de chemins de fer, les mauvaises relations postales, sont cause d'un isolement de la campagne comme la Russie n'en a point connu jusqu'� pr�sent. Et n�anmoins le travail d'instruction se poursuit suivant un rythme tr�s progressif.
En Russie il faut s'occuper encore d'un travail d'instruction qui est absolument inutile dans le reste de l'Europe. Par exemple, comme h�ritage du tsarisme, nous avons re�u des millions d'analphab�tes. Ainsi dans le gouvernement de Saratov ont �t� enregistr�s 2 400 000 illettr�s, � Viatka 2 000 000, � Gomel 1 500 000, � Riazan 1 200 000, � Penza 800 000, � Vologda 500 000, � Pskov 870 000, � Kazan 500 000, � Nijni-Novgorod 440 000, � P�trograd 62 000. Une quantit� particuli�rement consid�rable d'illettr�s se trouve dans l'Est, dans le gouvernement d'Ouralsk 75 %, dans le gouvernement d'Alta� 78 %, dans le gouvernement de Simbirsk 80 %, dans les gouvernements de Tioumen et d'Astrakhan 94 %. Le Conseil des Commissaires du Peuple a �mis un d�cret sp�cial concernant la n�cessit� d'en finir au plus vite possible avec l'analphab�tisme. En vertu de ce d�cret une commission extraordinaire pour la liquidation de l'analphab�tisme a �t� cr��e qui s'est mise �nergiquement au travail.
La derni�re session du Comit� Central Ex�cutif panrusse a �galement d�cid� que la liquidation de l'analphab�tisme exigeait le plus actif concours. Voici quelques exemples de la mani�re suivie dans ce travail. Suivant le compte rendu donn� par le gouvernement de Tambov : pendant trois mois de l'ann�e 1920 les �coles de � liquidation � ont instruit 48 000 personnes ; suivant un autre compte rendu du gouvernement de Tch�repovetz 57 807 personnes ont pass� par les �coles de liquidation de l'analphab�tisme. Selon les comptes rendus du gouvernement d'Invanovo-Voznesensk 50 000 personnes ont pass� dans ces �coles, � Novozybkov toutes les personnes jusqu'� 40 ans ont re�u une certaine pr�paration. A P�trograd 500 noyaux scolaires du premier et du second degr� ont d�j� pr�par� 9 000 personnes et ils en pr�parent encore 25 000. A Kalouga 190 �coles ont �t� ouvertes ; dans le gouvernement de Saratov 1 000 �coles, � Toula et � Kozmod�miansk 130, � Gjatsk 40, � Jisdra 40, � Arkhangelsk 180, � Omsk 190, � Elabouga 70, etc... On imprime des ab�c�daires en langue russe, polonaise, allemande, tartare, tchouvache, maruks, votiaque, mordvine, oss�tine, lettonne, estonienne et juive. En 1920, 6 % d'illettr�s ont �t� pr�par�s. Dans certains endroits comme, par exemple, � P�trograd, dans le gouvernement de Tch�r�povetz et dans d'autres la liquidation de l'analphab�tisme se poursuit d'une fa�on particuli�rement heureuse. A P�trograd ces questions sont �tudi�es dans les s�ances du soviet des d�put�s de Petrograd et elles provoquent un enthousiasme extraordinaire. Maxime Gorki a visit� des �coles d'illettr�s et s'est entretenu avec les �l�ves sur la signification de la science, sur l'�l�vation du niveau intellectuel du pays, etc. Ayant cr�� des conditions qui rendent possible � chacun d'apprendre � lire et � �crire, les autorit�s sovi�tiques exigent de chaque citoyen qu'il utilise ces possibilit�s. On trouve certaines d�cisions int�ressantes dans quelques soviets locaux, par exemple :
Dans le gouvernement de Kazan, ceux qui ne d�sirent pas apprendre les premiers �l�ments de lecture et d'�criture encourent une amende de 5 000 roubles, les travaux obligatoires jusqu'� 3 mois et la privation des cartes d'alimentation. A Petrograd ceux qui se refusent � apprendre les premiers �l�ments sont d�chus de leur cat�gorie alimentaire, traduits devant les tribunaux populaires et exclus des syndicats. Dans le gouvernement de Tambov la signature pour un illettr� n'est point valable, etc... Le bureau du comit� ex�cutif du gouvernement de Saratov a �mis une d�cision dans laquelle entre autre il est dit ce qui suit : Les citoyens qui se pr�senteraient volontairement pour apprendre les premiers �l�ments jouiront des avantages suivants :
ils recevront un certificat d'enseignement les lib�rant de toute obligation � l'exception de l'obligation militaire ;
le cachet de la commission du gouvernement pour la liquidation de l'analphab�tisme sera appos� sur leurs cartes de ravitaillement et gr�ce � ce cachet ils pourront recevoir leurs produits dans toutes les boutiques de rayon et hors tour ;
ils recevront des objets manufactur�s au premier tour.
Ceux qui se seront refus�s intentionnellement � apprendre les premiers �l�ments seront amen�s devant les tribunaux et enferm�s dans un camp de concentration pour un d�lai de trois mois.
�videmment, pour r�aliser sur une telle �chelle la liquidation de l'analphab�tisme il faut pr�parer le personnel sur une �chelle �galement large. On peut voir dans le gouvernement de Tcherepovietz comment cette pr�paration de travailleurs se poursuit.
Dans le gouvernement de Tcherepovietz ont lieu des cours-conf�rences de district d''une dur�e de trois jours pr�parant 250 travailleurs scolaires, ensuite des cours-conf�rences de cantons qui pr�parent tous les travailleurs scolaires du gouvernement, ensuite un cours de 3 semaines pr�parant 10 000 personnes et enfin des cours sp�ciaux d'instruction et de contr�le pr�parant 36 instructeurs. Dans toute une s�rie de gouvernements a lieu aussi la pr�paration intensive de ma�tres pour l'enseignement des premiers �l�ments. Tous les travailleurs pour la liquidation de l'analphab�tisme re�oivent leur ration alimentaire au premier tour.
Le Conseil des Commissaires du Peuple a ratifi� le compte financier de la commission extraordinaire pour la liquidation de l'analphab�tisme se montant � 4 milliards et demi de roubles. On a re�u des communications officielles du Centre-Chauffage disant que le p�trole est fourni aux institutions pour la liquidation de l'analphab�tisme sur place. Le Commissariat du Commerce Ext�rieur a command� et pr�par� des crayons, des porte-plumes et du papier pour 6 000 000 et demi de personnes qu'on se propose de pr�parer au cours de l'ann�e 1920.
En dehors du travail direct pour la liquidation de l'analphab�tisme, la Commission Extraordinaire m�ne aussi une large propagande, surtout par la voie des affiches, en vue de la r�alisation de cette campagne de liquidation. Outre les �coles des premiers �l�ments, on cr�� aussi des �coles pour les personnes sachant lire et �crire. Dans les programmes de ces �coles on accorde une attention particuli�re aux math�matiques, aux sciences naturelles, � la g�ographie �conomique, � l'�tude des projets �conomiques ou � l'histoire du travail. Ces temps derniers on organise dans tous les chefs-lieux de gouvernement des �coles du Parti et des travailleurs sovi�tiques ayant une importance particuli�re pour l'�tablissement du r�gime sovi�tique dans les diff�rents endroits de la Russie.
Il faut dire quelques mots particuliers sur l'universit� Sverdlov de Moscou dans laquelle sont faits des cours du Parti et d'�ducation sovi�tique et o� viennent des milliers de jeunes travailleurs ; de m�me des facult�s d'Etat ouvri�res, des �coles professionnelles techniques, ainsi que des cours pour les adultes.
Pour ce qui est des biblioth�ques, celles-ci se d�veloppent assez intensivement. Dans tous les lieux ou ont pass� les blancs ceux-ci ont an�anti les biblioth�ques en br�lant certaines compl�tement. Quelques gouvernements, comme par exemple celui de Koursk, jusqu'� ce jour n'ont encore pu r�parer ce vandalisme des barbares. Il est en effet difficile de r�parer de telles destructions �tant donn� l'extr�me insuffisance de livres sur le march�. Seulement dans les derniers temps les entreprises d'�dition de l'Etat ont commenc� � travailler avec beaucoup plus d'application. Il est vraisemblable qu'il faudra faire imprimer d'un seul coup des biblioth�ques enti�res.
Et cependant, malgr� toutes ces conditions peu favorables, le nombre des biblioth�ques dans la Russie sovi�tiste s'accro�t. Dans quelques gouvernements, par exemple celui de Toula, leur nombre en 1920 a d�cupl� par rapport � 1919. Dans les gouvernements d'Astrakhan, de Briansk, de Perm, il a septupl� ; dans 4 gouvernements il a tripl�, etc.
Dans certains gouvernements le nombre absolu de biblioth�ques est satisfaisant, ainsi par exemple :
Le gouvernement de Tver poss�de 879 biblioth�ques, 2 150 isbas de lecture, soit 3 029 biblioth�ques ;
Le gouvernement de Viatka poss�de 2 437 biblioth�ques ;
Le gouvernement de Perm poss�de 1 887 biblioth�ques, plus 211 isbas de lecture, soit 2.098 biblioth�ques ;
Le gouvernement de Iaroslavl poss�de 1 828 biblioth�ques ;
Le gouvernement de Saratov poss�de 835 biblioth�ques, plus 930 isbas de lecture, soit 1 765 biblioth�ques ;
Le gouvernement de Smolensk poss�de 1 625 biblioth�ques ;
Le gouvernement de Samara poss�de 478 biblioth�ques, plus 702 isbas de lecture, soit 1 180 biblioth�ques ;
Le gouvernement de Kostroma poss�de 1 171 biblioth�ques, plus 936 isbas de lecture, soit 2 107 biblioth�ques ;
Le gouvernement de Kalouga poss�de 1 103 biblioth�ques.
Les autres gouvernements poss�dent chacun moins de 1 000 biblioth�ques. Le nombre total des biblioth�ques pour 42 gouvernements, sans compter le Caucase du Nord, l'Ukraine, le bassin du Donetz et sans compter les biblioth�ques des coop�ratives et des syndicats, se montait a 32 166. En 1919 pour 32 gouvernements, il y avait 13 506 biblioth�ques. Dans ces m�mes gouvernements, il y en a, en 1920, 26 118, ce qui veut dire que le nombre de ces biblioth�ques dans ces gouvernements a doubl�. A Petrograd, depuis la r�volution, il y avait, outre les biblioth�ques publiques, 23 biblioth�ques avec 140 000 volumes. Il y a maintenant 59 biblioth�ques avec 800 000 volumes. Dans les 3 mois de travail de ces biblioth�ques, il y avait 156 000 gros volumes et 257 000 livres pr�t�s. Les �ditions des Cent Noirs sont exclues des biblioth�ques, de m�me que les livres de morale religieuse, lesquels sont remplac�s par des livres traitant de questions politiques, etc... Dans les sections biblioth�caires, on trouve des diagrammes caract�ristiques montrant comment au d�but le nombre des volumes avait diminu� par suite de l'�puration faite, et comment ensuite il avait augment� de plus du double. La technique des biblioth�ques s'est aussi consid�rablement perfectionn�e. Dans beaucoup de biblioth�ques et m�me dans des biblioth�ques relativement petites, on a introduit le syst�me d�cimal ; le nombre des biblioth�ques ambulantes a consid�rablement augment�, les isbas de lecture sont devenues des points importants de lecture � haute voix. Il y a longtemps d�j� le Conseil des Commissaires du Peuple a �mis un d�cret relatif � la lecture � haute voix de journaux et de brochures populaires dans les villages .et dans les campagnes. Mais comme ce d�cret n'a pas �t� ex�cut� par le Commissariat du Peuple de l'Instruction Publique, il ne fut pas appliqu� avec une suffisante efficacit�. A pr�sent, la section de propagande du Commissariat de l'Instruction publique vient d'�tre charg�e d'appliquer ce d�cret, et il le sera d�sormais dans les administrations de ce dernier Commissariat. Cette question est �troitement li�e � celle de la fourniture des livres dans les campagnes les plus obscures et un grand travail est fait dans cette direction.
Le nombre des clubs est difficile � �tablir. Il n'a pas encore figur� sur une liste : il y a des clubs du Parti, des clubs de l'Arm�e Rouge de tous les types, des clubs de la jeunesse, des travailleurs de diff�rentes industries, des sections de l'instruction publique, des clubs du Proletcult, etc. Dans la Russie sovi�tique, les clubs ne jouent pas le r�le qu'ils ont jou� par exempte en France � l'�poque de la grande R�volution ou de la r�volution de 48. La direction politique appartient en Russie non point au club, mais au Parti Communiste. Les clubs r�pondent aux besoins g�n�raux. C'est l� que l'on fait des cours, des concerts-meetings, des r�unions de d�l�gu�s et des spectacles.
Dans les villages chaque ann�e on cr�e de nouvelles et de plus nombreuses maisons du peuple, o� sont concentr�es d'habitude les administrations d'instruction publique des endroits respectifs : biblioth�ques, �coles, cours professionnels, clubs, bureaux d'information, petits cercles, auto-culture, ch�urs, spectacles et expositions.
Dans les chefs-lieux de district on a install� des maisons dites � paysannes � avec de petits restaurants, des caf�s, des halls pour soir�es et des �curies pour les chevaux.
Dans ces maisons descendent les voyageurs des campagnes. Le soir, on y fait des lectures � haute voix de journaux, de brochures, des entretiens y ont lieu, suivis de spectacles, de chants, etc... Les maisons paysannes ont, une importance de propagande consid�rable. Dans le seul gouvernement de Gomel il y en a 60.
Parall�lement aux institutions fixes d'instruction, on augmente de plus en plus abondamment les formes et moyens mobiles d'instruction. Des bateaux et des trains de propagande emportant des expositions, des cin�matographes, des propagandistes, quelques musiciens circulent un peu partout. Ils s'arr�tent dans les campagnes et dans les villages et attirent les foules. Des wagons de propagande, des chars rouges et des expositions ambulantes portent l'instruction dans les coins les plus obscurs.
Pendant les f�tes, des repr�sentations populaires �veillent la pens�e des habitants des campagnes et �largissent son horizon.
Toutes ces institutions d'instruction publique provoquent le d�veloppement culturel de la masse illettr�e. Les derniers temps, en rapport avec la r�solution du sixi�me congr�s du Parti Communiste Russe sur l'organisation �conomique, on a impos� aux travailleurs de l'instruction publique encore d'autres t�ches, � savoir : �duquer dans les masses le go�t et la conscience du travail, de l'organisation �conomique et des questions de production. Ce travail d�j� commenc� sera �largi dans tous les domaines.
Beaucoup a d�j� �t� fait en mati�re d'instruction publique des masses, mais il en reste encore infiniment plus � faire. Afin de cr�er la vie sur des bases communistes les masses doivent �tre arm�es de tous les moyens cr��s par le savoir.
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