1980

"Le rassemblement au grand jour des opprim�s contre les oppresseurs"
Un expos� de formation publi� dans "La V�rit�" n�592 (Juin 1980)


La gr�ve g�n�rale et la question du pouvoir

St�phane Just


1
La Gr�ve G�n�rale est‑elle la panac�e universelle ?

La Gr�ve G�n�rale � arme absolue � contre la guerre

Les anarchistes, les anarcho-syndicalistes ont fait de la � gr�ve g�n�rale � une panac�e, un mythe, l'� arme absolue � de la classe ouvri�re.

En apparence contradictoirement, les r�formistes ont bien souvent r�pandu �galement cette illusion. Dans la Premi�re Internationale, la gr�ve g�n�rale sera d�j� brandie comme moyen de lutte contre la guerre, position qui sera reprise par les anarcho-syndicalistes et �galement par Jaur�s au cours des ann�es 1890 et 1900.

Au III� Congr�s de l'Association internationale des travailleurs, qui se tient � Bruxelles du 6 au 13 septembre 1868, la premi�re question � l'ordre du jour est: � Quelle doit‑�tre l'attitude des travailleurs dans le cas d'une guerre entre les puissances europ�ennes ? � Dans son � Histoire du mouvement ouvrier (1830‑1871) �, Edouard Doll�ans rapporte :

� Tolain, au nom des d�l�gu�s parisiens, pr�sente cette r�solution :
" Consid�rant ( ... ) que la guerre n'a jamais �t� que la raison du plus fort, et non pas la sanction du droit; qu'elle est un moyen de subordination des peuples par les classes privil�gi�es ou les gouvernements qui les repr�sentent; qu'elle fortifie le despotisme, �touffe la libert� ( ... ); que, dans l'�tat actuel de l’Europe, les gouvernements ne repr�sentent pas les int�r�ts l�gitimes des travailleurs (...), D�clare protester avec la plus grande �nergie; invite toutes les sections de l’ Association � agir avec la plus grande �nergie pour emp�cher, par la pression de l'opinion publique, une guerre de peuple � peuple qui, aujourd'hui, ne pourrait �tre consid�r�e que comme une guerre civile parce que, faite entre producteurs, elle ne serait qu'une lutte entre fr�res et citoyens. "
Le congr�s vote �galement une autre r�solution, pr�sent�e par Charles Longuet :
" Le congr�s recommande aux travailleurs de cesser tout travail dans le cas o� une guerre viendrait � �clater dans leurs pays respectifs. " �

Ensuite, Doll�ans s'�tonne :

� Cette d�cision, qu'ont reprise plus tard tous les congr�s internationaux ouvriers, choque pourtant Marx. Dans sa lettre � Engels, le 16 septembre, il ironise et parle de la "sottise belge de vouloir faire la gr�ve contre la guerre". �

C’est l'�tonnement de Doll�ans qui est �tonnant. Aussi bien la r�solution de Tolain que celle de Longuet sont de pures abstractions. Celle de Tolain est creuse : � La guerre n'a jamais �t� que la raison du plus fort et non pas la sanction du droit. � Selon l'expression de Clausewitz, � la guerre est un des moyens de la politique �, l'une des expressions des antagonismes et contradictions �conomiques, sociales et politiques entre les classes et � l'int�rieur des classes, et un des moyens de les r�gler. Elle peut �tre aussi l'expression de l'impasse d'une soci�t�. Quant au � droit �, il n'est pas �ternel, mais �galement une expression des rapports �conomiques, sociaux et politiques; et se modifie avec ceux‑ci. Il est des guerres progressives d'un c�t� et r�actionnaires de l'autre, et des guerres r�actionnaires des deux c�t�s.

Les formules de Tolain sont substitu�es � une analyse concr�te des rapports europ�ens du moment. L'Europe �tait encore en pleine �poque de d�veloppement capitaliste et, en particulier, au moment de la formation de nations sur la base de ce d�veloppement. C'�tait notamment le cas de l'Allemagne et de l'Italie, qui n'avaient pas encore r�alis� leur unit� nationale. La constitution de nations, la r�alisation de leur unit� et de leur ind�pendance, �taient hautement progressives historiquement, comme cadre au d�veloppement des forces productives. La r�alisation de cette unit� et de cette ind�pendance mettait en cause les rapports et les �quilibres en Europe. Apr�s l'Autriche, la France de Napol�on III se dressait ainsi qu'un obstacle � la r�alisation de l'unit� de l'Allemagne et de l'Italie. Porter un jugement indiff�renci� et tenir abstraitement la balance �gale entre la France, l'Allemagne et l'Italie revenait � soutenir l'�tat de choses existant, c'est‑�‑dire � s'opposer � l'unit� et � l'ind�pendance de l'Allemagne et de l'Italie. Or, celles‑ci ne pouvaient se r�aliser que par la guerre, et ne se sont effectivement r�alis�es que par les guerres de la Prusse contre l'Autriche en 1866 et contre la France en 1870.

La position de Marx et d'Engels jusqu'au d�but de la guerre franco-allemande �tait d�termin�e par ces consid�rations. Que ce soit la bureaucratie et les hobereaux prussiens qui, sous la direction de Bismarck et du roi de Prusse, aient dirig� la guerre n'emp�chait pas que cette guerre �tait, dans sa premi�re phase, une guerre nationale du c�t� de l'Allemagne. En revanche, apr�s la d�faite de Napol�on III � Sedan et le renversement du Second Empire, en raison de la volont� de Bismarck et du roi de Prusse d'annexer l'Alsace et la Lorraine et d'imposer une �norme contribution de guerre � la France, la guerre devenait une guerre d'oppression et de pillage du c�t� de l'Allemagne et une guerre nationale du c�t� de la France.

Que des guerres justes et n�cessaires se transforment en guerres d'oppression et de pillage est un ph�nom�ne li� � ce que la soci�t� est divis�e en classes. M�me lorsqu'elles jouent un r�le progressif, les classes exploiteuses restent des classes exploiteuses et se livrent � l'oppression et au pillage. M�me les guerres de la r�volution fran�aise, sans parler de celles de Napol�on I�, n'ont pas �chapp� � ces contradictions.

Mais c'est d'une autre fa�on encore que les r�solutions de Tolain et de Charles Longuet (que devaient reprendre plus tard les anarchistes, les anarcho‑syndicalistes et �galement certains r�formistes, dont Jaur�s) sont creuses. Quelques d�cennies plus tard, l'�poque progressive du mode de production capitaliste �tait pass�e. Une nouvelle �poque de ce mode de production s'ouvrait, celle que L�nine a caract�ris�e comme l'�poque de l'imp�rialisme, stade supr�me du capitalisme, celle du capitalisme pourrissant, r�action sur toute la ligne. D�s les ann�es 1890‑1900, les grandes puissances capitalistes, devenues imp�rialistes au sens marxiste du terme, se sont partag� le monde.

Les guerres entre les puissances imp�rialistes commen�aient avec les guerres entre les �tats‑Unis et l'Espagne, le Japon et la Russie. Ni d'un c�t� ni de l'autre, ces guerres n'avaient plus rien de progressif. La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens. Les guerres inter‑imp�rialistes ne sont que la cons�quence de la domination des imp�rialismes, de leur lutte pour se partager l'exploitation du monde entier au profit du capital financier de chaque m�tropole imp�rialiste, ou se le repartager. La longue paix arm�e entre les grandes puissances europ�ennes tendait manifestement � sa conclusion d�s la fin du XIX� si�cle. Le militarisme devenait de plus en plus, non seulement une n�cessit� politique, mais une exigence �conomique. De nouvelles alliances se constituaient, esquissant les camps imp�rialistes qui se pr�paraient � s'affronter en Europe : d'un c�t� la Triple Entente (France, Russie et Angleterre), de l'autre la Triplice (Allemagne, Autriche‑Hongrie, Italie), pour la domination de l'Europe et, au‑del�, du monde, tandis que les �tats‑Unis et le Japon s'appr�taient � jouer entre les camps imp�rialistes en lutte pour leur propre compte, et �galement pour la domination du march� mondial. C'est dans ces conditions que se dressait, dans les ann�es 1890‑1900, la menace d'une guerre europ�enne et mondiale, � laquelle le mouvement ouvrier international organis� devait faire face.

En 1889, le congr�s de Paris, qui se tient rue Petrelle, pose la premi�re pierre de la construction de la Deuxi�me Internationale. Le congr�s s'est efforc� d'unir en une m�me internationale, comme l'avait fait la Premi�re Internationale (l'Association internationale des travailleurs), le mouvement politique du prol�tariat et le mouvement syndical. Mais la s�paration ne va pas tarder � s'�tablir. En 1896 se tient � Londres le IV� Congr�s de la Deuxi�me Internationale. Liebknecht y propose une r�solution qui impose, pour participer au prochain congr�s, qui se tiendra � Paris en 1900, la reconnaissance de l'action politique et parlementaire ‑ r�solution adopt�e. Du coup, sont �cart�s de ce congr�s les anarchistes, les anarcho-syndicalistes et les syndicalistes � purs �. A l'initiative de la CGT se tient � Paris une sorte de pr�-conf�rence qui convoque une conf�rence syndicale internationale. Elle se tiendra � Copenhague en ao�t 1901. De l� date l'Internationale syndicale qui sera connue sous le nom d'Internationale d'Amsterdam. Mais l'Internationale syndicale est rapidement domin�e par les syndicats � direction socialiste, et Karl Legien, secr�taire de la centrale syndicale allemande, devient �galement secr�taire de l'Internationale syndicale. Au congr�s de Christiana, en septembre 1907, une r�solution d�finit, en r�ponse � la CGT, les rapports entre les deux Internationales :

� La conf�rence consid�re que les questions du militarisme et de la gr�ve g�n�rale appartiennent � celles qui ne sont pas � r�soudre par une conf�rence de fonctionnaires syndicaux, mais exclusivement par la repr�sentation de l'ensemble du prol�tariat international, par les congr�s socialistes internationaux se tenant r�guli�rement ( ... ). La conf�rence adresse au prol�tariat fran�ais l'invitation pressante de d�battre les questions en cause conjointement avec l'organisation politique de la classe ouvri�re de son propre pays, de coop�rer au r�glement de ces questions en participant aux congr�s socialistes internationaux ( ... ). �

D�s le congr�s de Zurich, en ao�t; 1893, la question de la lutte contre la guerre est soulev�e. Le Hollandais Demela Nieuvwenhim, soutient la proposition de gr�ve g�n�rale et de la gr�ve militaire en cas de guerre. Cependant, c'est au congr�s de l'Internationale socialiste de Stuttgart en 1907 et � celui de Dresde que, en raison de la menace de plus en plus pressante d'une guerre europ�enne, se pose de fa�on br�lante la question de l'attitude des partis socialistes en cas de guerre. Lors de ce congr�s, Jaur�s reprend la position opposant � la menace de guerre la � gr�ve g�n�rale et simultan�e �.

C'est cette m�me position que d�fend la CGT en France. Le congr�s conf�d�ral de Marseille, qui se tient en 1908, vote la r�solution que nous publions ci contre.


1908: La CGT, la guerre et la Gr�ve G�n�rale

� Le congr�s conf�d�ral de Marseille, rappelant et pr�cisant la d�cision d'Amiens,
• consid�rant que l'arm�e tend de plus en plus � remplacer � l'usine, aux champs, � l'atelier, le travailleur en gr�ve quand elle n'a pas pour r�le de le fusiller, comme � Narbonne, Raon‑l'Etape et Villeneuve‑Saint‑Georges;
• consid�rant que l'exercice du droit de gr�ve ne sera qu'une duperie tant que les soldats accepteront de se substituer � la main-d’œuvre civile et consentiront � massacrer les travailleurs;
le Congr�s, se tenant sur le terrain purement �conomique, pr�conise l'instruction de jeunes pour que du jour o� ils auront rev�tu la livr�e militaire, ils soient bien convaincus qu'ils n'en restent pas moins mem�bres de la famille ouvri�re et que, dans les conflits entre le capital et le travail, ils ont pour devoir de ne pas faire usage de leurs armes contre leurs fr�res les travailleurs. Consid�rant que les fronti�res g�ographiques sont modifiables au gr� des poss�dants, les travailleurs ne reconnais�sent que les fronti�res �conomiques s�parant les deux classes ennemies : la classe ouvri�re et la classe capita�liste. Le congr�s rappelle la formule de l'Internationale : les travailleurs n'ont pas de patrie ! Qu'en cons�quence, toute guerre n'est qu'un attentat contre la classe ouvri�re, qu'elle est un moyen sanglant et terri�ble de diversion � ses revendications. Le congr�s d�clare qu'il faut, au point de vue international, faire l'ins�truction des travailleurs, afin qu'en cas de guerre entre puissances les tra�vailleurs r�pondent � la d�claration de guerre par une d�claration de gr�ve g�n�rale r�volutionnaire. �

Cette position est r�affirm�e au congr�s de Toulouse en 1910.

La r�solution du congr�s conf�d�ral de Marseille de la CGT affirme ne reconna�tre que � les fronti�res �conomiques s�parant les deux classes ennemies : la classe ouvri�re et la classe capitaliste �.

Si effectivement la division de la soci�t� en classes � l'�poque du plein d�veloppement capitaliste est domin�e par l'antagonisme entre la classe ouvri�re et la bourgeoisie, elle ne se r�duit pas � cette division. D'autres classes et couches sociales existent qui, � partir de l'antagonisme fondamental entre le prol�tariat et la bourgeoisie, ont une importance consid�rable. Mais surtout sont compl�tement �limi�n�s de cette r�solution la lutte des classes vivante, r�elle, mouvante, les rap�ports politiques entre les classes et � l’int�rieur des classes, au profit d'une vision m�canique creuse de la lutte des classes, proclamatoire et d�clama�toire.

La guerre a des origines �conomi�ques et sociales. A l'�poque de l'imp�rialisme les guerres inter‑imp�rialistes ont comme cause fondamentale l'impasse du mode de production capitaliste la lutte pour la domination du march� mondial, l'ouverture de nouveaux d�bouch�s pour les capitaux et les marchandises. Pourtant, le d�clenchement de guerres imp�rialistes d�pend des rapports politiques entre les classes et � l'int�rieur des classes, aux �chelles nationale et internatio�nales. Sans que ce soit un absolu, les exemples des deux guerres mondiales inter-imp�rialistes d�montrent qu'elles ne sont en g�n�ral possibles qu'autant que la bourgeoisie ma�trise les rap�ports entre les classes et que le capital financier domine les rapports politi�ques au sein de la bourgeoisie. L'�clatement de telles guerres est en soi une d�faite de la classe ouvri�re et des masses exploit�es. En r�alit� les d�clarations les plus radicales appelant � r�pondre � � la d�claration de guerre par une d�claration de gr�ve g�n�rale r�volutionnaire � n'ont fait que pr�parer la capitulation devant la guerre imp�rialiste. M�me lorsqu'elles �manent de militants syndicalistes, elles ne font qu'exprimer l'id�alisme petit-bourgeois, ignorant du cours r�el de la lutte des classes et se changeant rapidement en son contraire au feu des �v�nements. En posant ainsi le probl�me, la plupart des partisans de r�pondre � l'�clatement de la guerre par une d�claration de � gr�ve g�n�rale r�volutionnaire � conditionnaient, explicitement ou implicitement, consciemment ou inconsciemment, la � gr�ve g�n�rale � dans leur pays � la � gr�ve g�n�rale � dans le pays ennemi. Ce qui est une fa�on comme une autre de se pr�parer � la � d�fense de la patrie �.

Le 16 juillet 1914 se r�unissait � Paris un congr�s du Parti socialiste. Jaur�s faisait un rapport et le congr�s adoptait une r�solution qui estime particuli�rement efficace � la gr�ve ouvri�re simultan�ment et internationalement organis�e dans les pays int�ress�s �. Dans son � Histoire du mouvement ouvrier �, Doll�ans rapporte :

� Le 23 juillet au soir, l'ultimatum du gouvernement autrichien est remis � Belgrade et publi� le 24. Le 26 juillet, La Bataille syndicaliste d�clare "Nous ne voulons pas de guerre." Elle rappelle la r�solution vot�e par la conf�rence extraordinaire du 11, octobre 1911 : "Le cas �ch�ant, la d�claration de guerre doit �tre pour chaque travailleur le mot d'ordre pour la cessation imm�diate du travail... A toute d�claration de guerre, les travailleurs doivent sans d�lai r�pondre par la gr�ve g�n�rale r�volutionnaire." �

Au jour de la d�claration de guerre, aucune des directions des partis socialistes et des syndicats n'a appel� � la � gr�ve simultan�ment et internationalement �. Puisque les autres n'appelaient pas � la � gr�ve g�n�rale �, il ne restait plus qu'� participer � I’ � union sacr�e � au nom de la � d�fense de la patrie �.

La Gr�ve G�n�rale � arme absolue � pour r�soudre la question sociale

Arme absolue contre la guerre, la � gr�ve g�n�rale � devait �galement �tre l'� arme absolue � de l'�mancipation sociale. Rosa Luxemburg cite Engels qui, en 1873, critique Bakounine et sa fabrique de r�volutions en Espagne :

� La gr�ve g�n�rale est, dans le programme de Bakounine, le levier employ� � inaugurer la r�volution sociale. Un beau matin, tous les ouvriers de tous les ateliers d'un pays ou m�me du monde entier abandonnent leur travail et par l� forcent en quatre semaines au plus les classes poss�dantes ou � capituler ou � se d�cha�ner contre les ouvriers, en sorte que ceux‑ci ont alors le droit de se d�fendre et par l� m�me l'occasion d'en finir avec la vieille soci�t� tout enti�re. �

Au congr�s des � alliancistes �, qui venaient de rompre avec l'Association internationale des travailleurs � Gen�ve en septembre 1873, la m�me id�e �tait reprise, � sauf qu'on reconnut de tous les c�t�s qu'il fallait, pour la faire, une organisation compl�te de la classe ouvri�re et une caisse pleine �. Par la suite, anarchistes et anarcho-syndicalistes devaient s'en faire les propagateurs. Briand, avant que de devenir d�put�, ministre et pr�sident du conseil, et de r�primer les gr�ves, se fera le porte-parole de la � gr�ve g�n�rale � pour r�soudre la � question sociale �. Au congr�s de Marseille, le V� Congr�s de la F�d�ration des syndicats, qui se tient du 19 au 23 octobre 1892, il pr�sente un rapport sur la gr�ve g�n�rale. Mais, tant aux congr�s de la F�d�ration des Bourses du travail, fond�e le 7 f�vrier 1892, qu'� ceux de la Conf�d�ration g�n�rale du travail, fond�e au congr�s de Limoges de la F�d�ration des syndicats et groupes corporatifs, qui se tient en septembre 1895, qu'� ceux qui se tiendront � la suite de l'int�gration de la F�d�ration des Bourses du travail dans la CGT au congr�s de Montpellier du 22 au 26 septembre 1902, il sera r�affirm� que la gr�ve g�n�rale est l'arme absolue pour r�soudre la � question sociale �.

Apr�s Marx, Engels combat avec acharnement cette conception. Il est indispensable de pr�ciser pourquoi et comment. D'abord et avant tout parce que cette conception de la gr�ve g�n�rale se situe hors du temps et de l'espace. Apr�s la d�faite de la Commune, la dissolution de la Premi�re Internationale, Marx et Engels estimaient que suivrait une p�riode de construction du mouvement, de ses organisations politiques et syndicales. Le moment n'�tait pas venu pour le prol�tariat de s'engager dans la lutte finale pour renverser la bourgeoisie tomme classe et d�truire son �tat.

Il n'est que de consid�rer le programme que Marx r�digea en commun avec Guesde, et sur lequel se constitua en 1880 le Parti ouvrier fran�ais. Une premi�re partie peut �tre consid�r�e comme fixant l'objectif final :

� Consid�rant,
• que l'�mancipation de la classe productrice est celle de tous les �tres humains ‑ sans distinction de sexe, ni de race,
• que les producteurs ne sauraient �tre libres qu'autant qu'ils seront en possession des moyens de production (terre, usines, navires, banques, cr�dit, etc.),
• qu'il n'y a que deux formes sous lesquelles les moyens de production peuvent leur appartenir :
1. la forme individuelle, qui n'a jamais exist� � l'�tat de fait g�n�ral et qui est �limin�e, de plus en plus, par le progr�s industriel;
2. la forme collective, dont les �l�ments mat�riels et intellectuels sont constitu�s par le d�veloppement m�me de la classe capitaliste;
Consid�rant,
• que cette appropriation collective ne peut sortir que de l'action r�volutionnaire de la classe productive (ou prol�tariat) organis�e en parti politique distinct,
• qu'une pareille organisation doit �tre poursuivie par tous les moyens dont dispose le prol�tariat, y compris le suffrage universel (transform� ainsi d'instrument de duperie, qu'il a �t� jusqu'ici. en instrument d'�mancipation),
• les travailleurs socialistes fran�ais, en donnant pour but � leurs efforts l'expropriation politique et �conomique de la classe capitaliste et le retour � la collectivit� de tous les moyens de production, ont d�cid� comme moyen d'organisation et de lutte d'entrer dans les �lections avec les revendications imm�diates suivantes. �

Ensuite vient un programme de revendications imm�diates :

� A ‑ Partie politique
1. Abolition de toutes les lois sur la presse, les r�unions et les associations et surtout de la loi contre l'Association internationale des travailleurs. Suppression du livret, cette mise en carte de la classe ouvri�re, et de tous les articles du Code �tablissant l'inf�riorit� de l'ouvrier vis‑�‑vis du patron et de l'inf�riorit� de la femme vis‑�-vis de l'homme.
2. Suppression du budget des cultes et retour � la nation "des biens dits de mainmorte, meubles et immeubles appartenant aux corporations religieuses" (d�cret de la Commune du 2 avril 1871), y compris toutes les annexes industrielles et commerciales de ces corporations.
3. Suppression de la dette publique.
4. Abolition des arm�es permanentes et armement g�n�ral du peuple.
5. La Commune ma�tresse de son administration et de sa police.
� B ‑ Partie �conomique
1. Repos d'un jour par semaine ou interdiction l�gale pour les employeurs de faire travailler plus de 6 jours sur 7. R�duction l�gale de la journ�e de travail � 8 heures pour les adultes. Interdiction du travail des enfants dans les ateliers priv�s au-dessous de 14 ans et, de 14 � 18 ans, r�duction de la journ�e de travail � 6 heures.
2. Surveillance protectrice des apprentis par les corporations ouvri�res.
3. Minimum l�gal des salaires d�termin� chaque ann�e d'apr�s le prix local des denr�es par une commission de statistique ouvri�re.
4. Interdiction l�gale aux patrons d'employer des ouvriers �trangers � un salaire inf�rieur � celui des ouvriers fran�ais.
5. Egalit� de salaire � travail �gal pour les travailleurs des deux sexes.
6. Instruction scientifique et professionnelle de tous les enfants mis pour leur entretien � la charge de la soci�t� repr�sent�e par l'�tat et par la Commune.
7. Mise � charge de la soci�t� des vieillards et des invalides du travail.
8. Suppression de toute immixtion des employeurs dans l'administration des caisses ouvri�res de secours mutuels, de pr�voyance, etc., restitu�e � la gestion exclusive des ouvriers.
9. Responsabilit� des patrons en mati�re d'accidents, garantie par un cautionnement vers� par l'employeur dans les caisses ouvri�res et proportionn� au nombre des ouvriers employ�s et aux dangers que pr�sente l'industrie.
10. Intervention des ouvriers dans les r�glements sp�ciaux des divers ateliers : suppression du droit usurp� par les patrons de frapper d'une p�nalit� quelconque leurs ouvriers, sous forme d'amendes ou de retenues sur les salaires (d�cret de la Commune du 17 avril 1871).
11. Annulation de tous les contrats ayant ali�n� la propri�t� publique (banques, chemins de fer, mines, etc.) et exploitation de tous les ateliers de l'�tat confi�e aux ouvriers qui y travaillent.
12. Abolition de tous les imp�ts indirects et transformation de tous les imp�ts directs en un imp�t progressif sur les revenus d�passant 3 000 F. Suppression de l'h�ritage en ligne collat�rale et de tout h�ritage en ligne directe d�passant 20 000 francs. �

Ainsi donc, dans ce programme qui sera adopt� par le Parti ouvrier fran�ais en son congr�s du Havre de 1880, deux parties sont � distinguer : l'une fixe les objectifs g�n�raux du parti; l'autre est une charte des revendications politiques et �conomiques imm�diates. C'est en affirmant ses objectifs fondamentaux ‑ l'expropriation du capital ‑ et en combattant imm�diatement pour ce programme minimum que le parti ouvrier peut se construire et se pr�parer � prendre le pouvoir une autre �tape.

Anarchistes et anarcho-syndicalistes qui voient dans la gr�ve g�n�rale le moyen supr�me pour r�soudre la � question sociale � rejettent l'action politique et notamment la participation aux �lections et l’agitation parlementaire. Ils bornent l'action du prol�tariat aux moyens purement � �conomiques �, dont la � gr�ve g�n�rale �. Ce faisant, ils se dressent ainsi qu'un obstacle sur la voie de la construction d'un mouvement ouvrier se d�veloppant sur tous les terrains de la vie sociale et politique. Ils nient que le prol�tariat ait � s'emparer du pouvoir politique. S'ils sont pour la destruction en principe de l'�tat bourgeois, ils refusent n�anmoins que le prol�tariat s'en donne les moyens, et surtout que sur les d�combres de l'�tat bourgeois il constitue son propre pouvoir, il construise son propre �tat. S'ils comm�morent la Commune de Paris, ils rejettent son enseignement, � savoir la n�cessit� de la r�alisation de la dictature du prol�tariat. Leur apologie de la gr�ve g�n�rale n'est au fond qu'un moyen de couvrir leur carence politique, de masquer leurs limites en utilisant une phras�ologie � gauchiste �. Dans ces conditions, la � gr�ve g�n�rale � n'est qu'un rideau de fum�e qui masque l'abandon du terrain d�cisif de la lutte des classes � la bourgeoisie : le terrain politique. La phrase gauche couvre cette capitulation et en pr�pare d'autres.

L’�poque de l'organisation du prol�tariat comme classe

La fureur d'Engels et des marxistes, qui estiment que l'�poque est � � l'organisation du prol�tariat en parti � pour se pr�parer � la lutte pour le pouvoir, qui estiment que le combat pour les libert�s d�mocratiques est indispensable � � l'organisation du prol�tariat en parti �, qui estiment titre toutes les possibilit�s que la soci�t� bourgeoise offre au prol�tariat pour ce faire doivent �tre utilis�es, est parfaitement justifi�e. C'est l'�poque o� Engels �crit sa fameuse pr�face � la r��dition de 1895 de la brochure de Karl Marx : � Les luttes de classe en France �.

� La guerre de 1871 et la d�faite de la Commune avaient, comme Marx l'avait pr�vu, transf�r� pour un temps le centre de gravit� du mouvement ouvrier europ�en de France en Allemagne. En France, il va de soi qu'il avait besoin d'ann�es pour se remettre de la saign�e de mai 1871. En Allemagne, par contre, o� l'industrie, favoris�e en outre par la manne des milliards fran�ais, se d�veloppait vraiment comme dans une serre chaude de plus en plus vite, la social-d�mocratie grandissait avec une rapidit� et un succ�s plus grands encore. Gr�ce � l'intelligence avec laquelle les ouvriers allemands utilis�rent le suffrage universel, institu� en 1866, l'accroissement �tonnant du parti appara�t exactement aux yeux du monde entier dans des chiffres indiscutables. En 1871, 100 000, en 1874, 352 000, en 1877, 492 000 voix social-d�mocrate. Ensuite, survint la reconnaissance des ces progr�s par les autorit�s sup�rieures sous la forme de la loi contre les socialistes. Le parti fut momentan�ment dispers�. Le nombre des voix tomba � 312 000 en 1881. Mais ce coup fut rapidement surmont�, et d�s lors c'est seulement sous la pression de la loi d'exception, sans presse, sans organisation ext�rieure, sans droit d'association et de r�union, que l'extension rapide va vraiment commencer. 1884 : 550 000 voix, 1887 : 763 000, 1890 : 1 427 000 voix. Alors, la main de l'�tat fut paralys�e. La loi contre les socialistes disparut. Le nombre de voix socialistes monta � 1 787 000, plus du quart de la totalit� des voix exprim�es. �

(Il faut se rendre compte que le suffrage universel n'�tait que relativement universel. Toutes les femmes en �taient exclues. Les nombreuses conditions pour �tre �lecteur r�duisaient consid�rablement la port�e de ce suffrage universel. S. J.)

� Le gouvernement et les classes dominantes avaient �puis� tous leurs moyens, sans utilit�, sans but, sans succ�s. Les preuves tangibles de leur impuissance ‑ devant lesquelles les autorit�s, depuis le veilleur de nuit jusqu'au chancelier, avaient d� s'incliner ‑ et cela de la part d'ouvriers m�pris�s, ces preuves se comptaient par millions. L'�tat �tait au bout de son latin. Les ouvriers �taient au commencement du leur.
( ... ) Mais les ouvriers allemands avaient, apr�s le premier service que constituait leur simple existence en tant que Parti socialiste, parti le plus fort, le plus disciplin� et qui grandissait le plus rapidement, rendu � leur cause un autre grand service. En montrant � leurs camarades de tous les pays comment on se sert du suffrage universel, ils leur ont fourni une nouvelle arme, une arme des plus ac�r�es.
Depuis longtemps d�j�, le suffrage universel avait exist� en France, mais les urnes �taient tomb�es en discr�dit par suite du mauvais usage que le gouvernement bonapartiste en avait fait. Apr�s la Commune, il n'y avait pas de parti ouvrier pour l'utiliser. En Espagne aussi, le suffrage universel existait depuis la R�publique. Mais, en Espagne, l'abstention aux �lections fut de tout temps la r�gle chez tous les partis d'opposition s�rieux. Les exp�riences faites ensuite avec le suffrage universel �taient tout, except� un encouragement pour un parti ouvrier. Les ouvriers r�volutionnaires des pays romains s'�taient habitu�s � regarder le droit de suffrage comme un pi�ge, comme un instrument d'escroquerie gouvernementale. En Allemagne, il en fut autrement. D�j�, le Manifeste communiste avait proclam� la conqu�te du suffrage universel, de la d�mocratie, comme une des premi�res et des plus importantes t�ches du prol�tariat militant, et Lassalle avait repris ce point. Lorsque Bismarck se vit contraint d'instituer ce droit de vote comme le seul moyen d'int�resser les masses populaires � ses projets, nos ouvriers prirent aussit�t cela au s�rieux et envoy�rent Auguste Bebel au premier Reichstag constituant. Et, � partir de ce jour‑l�, ils ont utilis� le droit de vote de fa�on � �tre r�compens�s de mille mani�res, de servir d'exemple aux ouvriers de tous les pays. Ils ont transform� le droit de vote, selon les paroles du programme du parti marxiste fran�ais, de moyen de duperie qu'il avait �t� jusqu'ici en instrument d'�mancipation. �

(Ici, Engels cite le programme du Parti ouvrier fran�ais �labor� par Marx et cit� plus haut ‑ S.J.)

� Et, si le suffrage universel ne nous avait pas donn� d'autres b�n�fices que de nous permettre de nous compter tous les trois ans, que d'accro�tre, par la mont�e r�guli�re constat�e, la rapidit� inattendue du nombre de voix, la certitude chez les ouvriers, dans la m�me mesure que l'effroi chez les adversaires, de devenir ainsi notre meilleur moyen de propagande, de nous renseigner exac�tement sur notre propre force ainsi que sur celle de tous les partis adverses, de nous fournir ainsi pour pro�portionner notre action un crit�re sup�rieur � tout autre, nous pr�servant ainsi d'une pusillanimit� inopportune aussi bien que d'une hardiesse folle, tout aussi inopportune, si c'�tait cela le seul b�n�fice que nous ayons tir� du droit de suffrage, ce serait d�j� bien et plus que suffisant. Mais il a encore fait bien davantage : dans l'agitation �lectorale, il nous a fourni un moyen qui n'a pas son �gal pour entrer en con�tact avec les masses populaires. Par cette utilisation efficace du suffrage universel, un tout nouveau mode de lutte du prol�tariat a �t� mis en oeuvre, et il se d�veloppa rapidement.
On trouva que les institutions d'�tat, o� s'organise la domination de la bourgeoisie, fournissent encore de nouveaux tours de main au moyen desquels la classe ouvri�re peut combattre ces m�mes institutions. On participa aux �lections aux diff�rentes Di�tes, aux conseils municipaux, aux conseils des prud'hommes, on disputa � la bourgeoisie chaque poste � l'occupation duquel une partie suffisante du prol�tariat avait son mot � dire. Et c'est ainsi que la bourgeoisie et le gouvernement en arriv�rent avoir plus peur de l'action l�gale que de l'action ill�gale du parti ouvrier, des succ�s des �lections que de ceux de la r�bellion. �

Les marxistes et la gr�ve g�n�rale

Les marxistes n'ont cependant jamais condamn� le recours � la gr�ve g�n�rale. Le Premier congr�s de la Deuxi�me Internationale d�cidait de r�aliser le 1� mai une manifestation internationale pour les revendications ouvri�res. L'American federation of labor avait d�j� d�cid� de faire du 1� mai 1890 une manifestation interna�tionale pour les revendications ouvri�res, pour la journ�e de 8 heures, en comm�moration du 1� mai 1886 o� la police avait tir� sur les ouvriers de Chi�cago en gr�ve pour la journ�e de 8 heures. Le guesdiste Raymond Lavi�gne avait propos� la r�solution sui�vante :

� il sera organis� une grande mani�festation internationale � date fixe, de mani�re que, dans tous les pays et toutes les villes � la fois, les travail�leurs mettent le m�me jour les pouvoirs publics en demeure de r�duire l�galement la journ�e de travail � huit heures et d'appliquer les autres r�solutions du congr�s international de Paris. �

Bebel et Liebknecht faisaient ajou�ter l'amendement suivant :

� Les travailleurs des diverses nations auront � accomplir cette manifestation dans les conditions qui leur sont impos�es par la situation sp�ciale de leur pays. �

L� est l'origine du 1� mai, journ�e internationale de lutte de la classe ouvri�re pour ses revendications. En de nombreux pays, en particulier en France, les centrales et les partis ouvriers appelaient � une journ�e de gr�ve g�n�rale le 1� mai. Souvent, le 1� mai a �t� une journ�e de durs affrontements entre la classe ouvri�re, la bourgeoisie et son �tat. Les gr�vis�tes risquaient d'�tre renvoy�s de leur travail. Les manifestations �taient violemment r�prim�es et parfois de fa�on sanglante. Ainsi, le 1� mai 1891, le gouvernement faisait tirer la troupe � Fourmies.

Cependant, ce type de gr�ve g�n�rale est particulier : limit�e dans le temps, elle exprime les aspirations de la classe ouvri�re et sa combativit�; elle affirme le prol�tariat comme classe, son unit� et sa solidarit� nationale et internationale. De ce point de vue, le 1� mai a eu une grande importance politique. La bourgeoisie et ses gouvernements l'ont bien compris, qui ont durement r�prim� les gr�ves et les manifestations du 1� mai, avant que de d�samorcer cette journ�e de lutte internationale, exprimant les rapports entre le prol�tariat et la bourgeoisie, en la transformant avec la complicit� des dirigeants des organisations ouvri�res en � f�te du travail �.

Dans les premi�res ann�es de la Deuxi�me Internationale, les partis membres de l'Internationale ouvri�re ont impuls� de v�ritables gr�ves g�n�rales, notamment en Belgique, et aussi en Autriche, pour arracher le suffrage universel. Rosa Luxemburg �crit dans un article dat� du 23 avril 1902, dans � Neue Zeit � :

� Dans la lutte men�e de 1886 � l'heure actuelle pour le suffrage universel, la classe ouvri�re belge fit usage de la gr�ve de masse comme du moyen politique le plus efficace. C'est � la gr�ve de masse qu'elle doit en 1891, la premi�re capitulation du gouvernement et du Parlement : les premiers d�buts de la r�vision de la Constitution; c'est � elle qu'elle doit, en 1893, la seconde capitulation du parti dirigeant : le suffrage universel au vote plural. �

Ensuite Rosa Luxemburg explique Ie m�canisme des gr�ves g�n�rales belges de 1891 et 1893 :

� Dans la situation politique particuli�re, l'application de la gr�ve g�n�rale en Belgique est un probl�me nettement d�termin�. Par sa r�percussion �conomique directe, la gr�ve agit avant tout au d�savantage de la bourgeoisie industrielle et commerciale, et dans une mesure bien r�duite seulement au d�triment de son ennemi v�ritable, le parti cl�rical. Dans la lutte actuelle, la r�percussion politique de la gr�ve de masse sur les cl�ricaux au pouvoir ne peut donc �tre qu'un effet indirect exerc� par la pression que la bourgeoisie lib�rale, g�n�e par la gr�ve g�n�rale, transmet au gouvernement cl�rical et � la majorit� parlementaire. En outre, la gr�ve g�n�rale exerce aussi une pression politique directe sur les cl�ricaux, en leur apparaissant comme l'avant‑coureur, comme la premi�re �tape d'une v�ritable r�volution de rue en gestation. Pour la Belgique, l'importance politique des masses ouvri�res en gr�ve r�side toujours, et aujourd'hui encore, dans le fait qu'en cas de refus obstin� de la majorit� parlementaire elles sont �ventuellement pr�tes et capables de dompter le parti au pouvoir par des troubles, par des r�voltes de rue. �

Ainsi la lutte pour le suffrage universel, objectif politique, am�ne � la mobilisation et � l'action r�volutionnaire des masses, ouvre la voie au travers de la gr�ve g�n�rale � la r�volution : � La gr�ve g�n�rale est l'avant-coureur comme premi�re �tape d'une v�ritable r�volution de rue en gestation. �

Non seulement son objectif et son contenu sont politiques, mais en outre elle ne se d�clenche pas de fa�on arbitraire, elle correspond aux aspirations et � la maturation politique des masses. Dans un autre article, Rosa Luxemburg donne les indications suivantes :

� En 1891, la premi�re courte gr�ve de masse avec ses 125 000 ouvriers a suffi pour imposer l'institution de la commission pour la r�forme du droit de vote. En avril 1893, il a suffi d'une gr�ve spontan�e de 250 000 ouvriers pour que la Chambre de prononce, en une seule longue s�ance, sur la r�forme du droit de vote qui croupissait depuis deux ans dans la commission. �

Les marxistes, et en premier lieu Engels, consid�rent que l'heure de la r�volution prol�tarienne n'a pas encore alors sonn�. Ils estiment que le capitalisme est encore en mesure de d�velopper � l'�chelle mondiale les forces productives. Mais la lutte pour les r�formes, l'utilisation des campagnes �lectorales, des �lections, de la tribune parlementaire, et la lutte sur le terrain et selon les m�thodes propres au prol�tariat, qui sont par nature r�volutionnaires, ne s'opposent pas, elles font partie d'une m�me action politique : l'organisation du prol�tariat comme classe, la pr�paration de la r�volution prol�tarienne et de la prise du pouvoir. La gr�ve g�n�rale doit �tre consid�r�e en rapport � cette action politique et comme un de ses moyens. Dans sa brochure � Le Chemin du pouvoir �, qui date de 1909, Kautsky rappelle que, dans la lutte pour la d�mocratie, aux moyens employ�s pr�c�demment,

� il faut ajouter la gr�ve g�n�rale que nous avons adopt�e en principe vers 1893 (Engels vivait encore) et dont l'efficacit� dans certaines circonstances a �t� �prouv�e depuis � plusieurs reprises. �

D�j� l’opportunisme � l’œuvre

Mais il est vrai que, se couvrant derri�re l'utilisation des �lections et du Parlement, derri�re la lutte pour les r�formes sociales et politiques, le r�visionnisme allait p�n�trer et s'emparer de la Deuxi�me Internationale et de ses partis r�put�s les plus � marxistes �. D�s les ann�es 1897‑1900, le r�visionnisme avait son th�oricien dans la social‑d�mocratie allemande : Bernstein. Dans une s�rie d'articles parus dans le � Neue Zeit � et dans un livre publi� en fran�ais sous le titre � Socialisme th�orique et socialisme pratique �, il expliquait :

L'aboutissant du r�visionnisme se concr�tise le plus clairement d'abord en France. En 1899, le � socialiste � Millerand entrait au gouvernement Waldeck‑Rousseau. Pour la premi�re fois depuis 1848, un � socialiste � participe � un gouvernement bourgeois. Jaur�s, Briand, Viviani se prononcent pour. La question est pos�e : un socialiste peut‑il participer � un gouvernement bourgeois ? Jaur�s justifie cette participation en pr�tendant que

� tout en se dressant en r�volutionnaires contre l'�tat bourgeois, ce n'est pas de loin qu'on combattra, c'est en s'installant au cœur m�me de la citadelle �.

Pour lui la participation � un gouvernement bourgeois, comme le vote du budget, est une question de circonstance, la participation minist�rielle est compl�mentaire et de m�me nature que l'utilisation du Parlement.

En principe, le r�visionnisme et le � minist�rialisme � sont condamn�s, d'abord par la social‑d�mocratie allemande, ensuite par la Deuxi�me internationale. Mais si la social‑d�mocratie allemande maintient la n�cessit� de combattre pour la prise du pouvoir politique, elle se situe en r�alit� enti�rement sur le terrain parlementaire. La r�solution adopt�e au congr�s de la Deuxi�me Internationale qui se tient �, Paris en 1900 condamne le � minist�rialisme � tout en lui ouvrant la porte :

� L'entr�e d'un socialiste isol� dans un gouvernement bourgeois ne peut �tre consid�r�e comme le commencement normal de la conqu�te du pouvoir politique, mais seulement comme un exp�dient forc�, transitoire, exceptionnel. �

Toute la pratique de la Deuxi�me Internationale et de ses partis devient r�formiste et r�visionniste. Elle m�nera � la capitulation, en ao�t 1914, de chaque parti de la Deuxi�me internationale devant sa propre bourgeoisie (sauf le Parti bolchevique). La pratique opportuniste et r�visionniste des partis de la Deuxi�me Internationale nourrit �videmment l'anarchisme, l'anarcho‑syndicalisme, le rejet de la lutte politique, le recours � la phrase � r�volutionnaire � et � l'invocation de la � gr�ve g�n�rale � ainsi qu'une panac�e. Cependant, en France par exemple, les anarcho‑syndicalistes se rallieront en m�me temps que les socialistes de toutes nuances � l'� Union sacr�e �, au moment o� la Deuxi�me Guerre mondiale se d�cha�nera. Ce qui prouve que ce n'est pas l'utilisation des �lections, du Parlement, l'action politique, qui en est la cause. Elle r�side, ainsi que L�nine l'a expliqu�, en ce que, � partir de l'existence d'une aristocratie ouvri�re, les appareils des partis socialistes et des centrales syndicales se sont adapt�s � la soci�t� bourgeoise, ils sont devenus des appareils bourgeois � l'int�rieur du mouvement ouvrier, � les lieutenants ouvriers de la classe bourgeoise �.

L'adaptation de ces appareils � la soci�t� bourgeoise commence � se dessiner justement, alors que se noue la crise du syst�me imp�rialiste qui va exploser dans la Premi�re Guerre mondiale : au d�but du XX� si�cle. Rosa Luxemburg le remarque au moment de la gr�ve g�n�rale belge de 1902, dont l'objectif est toujours d'arracher le suffrage universel plein et entier. Dans l'article cit� plus haut, elle �crit :

� Si la d�fense des cl�ricaux fut d�sesp�r�e d�j� dans la derni�re d�cennie du si�cle pass�, lorsqu'il ne s'agissait que du commencement des concessions, elle devait, selon toute apparence, devenir une lutte � mort maintenant qu'il est question de livrer le reste, la domination parlementaire elle-m�me. Il �tait �vident que les discours bruyants � la Chambre ne pouvaient rien obtenir. Il fallait la pression maximum des masses pour vaincre la r�sistance maximum du gouvernement.
En face de cela, les h�sitations des socialistes � proclamer la gr�ve g�n�rale, l'espoir secret mais �vident, ou tout au moins le d�sir de l'emporter, si possible, sans avoir recours � la gr�ve g�n�rale, apparaissent d�s l'abord comme le premier sympt�me affligeant du reflet de la politique lib�rale sur nos camarades, de cette politique qui, de tout temps, on le sait, a cru pouvoir �branler les remparts de la r�action au son des trompettes de la grandiloquence parlementaire.
( ... ) En imposant d'avance, sous la pression des lib�raux, des limites et des formes l�gales � sa lutte, en interdisant toute manifestation, tout �lan de la masse, ils dissipaient la force politique latente de la gr�ve g�n�rale, qui ne voulait de toutes mani�res �tre autre chose qu'une gr�ve pacifique. Une gr�ve g�n�rale encha�n�e d'avance dans les fers de la l�galit� ressemble � une d�monstration de guerre avec des canons dont la charge aurait �t� auparavant jet�e � l'eau, sous les yeux des ennemis. M�me un enfant ne s'effraie pas d'une menace � les poings dans les poches �, ainsi que Le Peuple le conseillait s�rieusement aux gr�vistes, et une classe au pouvoir luttant � la vie et � la mort pour le reste de sa domination politique s'en effraie moins encore. C'est pr�cis�ment pour cela qu'en 1891 et 1893 il a suffi au prol�tariat belge d'abandonner paisiblement le travail pour briser la r�sistance des cl�ricaux, qui pouvaient craindre que la paix ne se change�t en trouble et la gr�ve en r�volution. Voil� pourquoi, cette fois encore, la classe ouvri�re n'aurait peut-�tre pas eu besoin de recourir � la violence, si les dirigeants n'avaient pas d�charg� leur arme d'avance, s'ils n'avaient pas fait de l'exp�dition de guerre une parade dominicale et du tumulte de la gr�ve g�n�rale une simple fausse alerte.
Mais, en second lieu, l'alliance avec les lib�raux a an�anti l'autre effet, l'effet direct de la gr�ve g�n�rale. La pression de la gr�ve sur la bourgeoisie n'a d'importance politique que si la bourgeoisie est oblig�e de transmettre cette pression � ses sup�rieurs politiques, aux cl�ricaux qui gouvernent. Mais cela ne se produit que si la bourgeoisie se sent subitement assaillie par le prol�tariat et se voit incapable d'�chapper � cette pouss�e.
Cet effet se perd d�s que la bourgeoisie se trouve dans une situation commode qui lui permet de reporter sur les masses prol�tariennes � sa remorque la pression qu'elle subit, plut�t que de la transmettre aux gouvernements cl�ricaux, et de se d�barrasser ainsi d'un poids embarrassant par un simple mouvement d'�paule. La bourgeoisie belge se trouvait pr�cis�ment dans cette situation au cours de la derni�re campagne : gr�ce � l'alliance, elle pouvait d�terminer les mouvements des colonnes ouvri�res et faire cesser la gr�ve g�n�rale en cas de besoin. C'est ce qui arriva, et, d�s que la gr�ve commen�a � importuner s�rieusement la bourgeoisie, celle-ci lan�a l'ordre de reprendre le travail. Et c'en fut fait de la � pression � de la gr�ve g�n�rale.
Ainsi la d�faite finale appara�t comme la cons�quence in�vitable de la tactique de nos camarades belges. Leur action parlementaire est rest�e sans effet parce que la pression de la gr�ve g�n�rale � l'appui de cette action fit d�faut. Et la gr�ve g�n�rale resta sans effet parce que, derri�re elle, il n'y avait pas le spectre mena�ant du libre essor du mouvement populaire, le spectre de la r�volution.
En un mot, l'action extraparlementaire fut sacrifi�e � l'action parlementaire, mais pr�cis�ment � cause de cela toutes les deux furent condamn�es � la st�rilit� et toute la lutte � l'�chec. � (Sur la gr�ve g�n�rale.)

La gr�ve g�n�rale et la r�volution de 1905

Mais la gr�ve g�n�rale conquiert des lettres de noblesse comme arme de combat du prol�tariat au cours de la premi�re r�volution russe en 1905. Les lecteurs doivent se reporter � la brochure de Rosa Luxemburg � Gr�ve g�n�rale (ou gr�ve de masse), parti et syndicats �, ainsi qu'au livre de Trotsky � 1905 �. Cet article ne peut que se borner � souligner l'essentiel. La gr�ve g�n�rale du d�but de l'ann�e 1905 ouvre la premi�re r�volution russe. Mais la gr�ve g�n�rale de janvier‑f�vrier 1905 vient de loin. Rosa Luxemburg �crit :

� La p�riode actuelle, pour ainsi dire officielle, de la r�volution russe, est avec raison dat�e du soul�vement du prol�tariat de Saint‑P�tersbourg, le 22 janvier 1905, de ce d�fil� de 200 000 ouvriers devant le palais du tsar, qui se termina par un terrible massacre. La sanglante fusillade de Saint‑P�tersbourg fut, comme on sait, le signal de l'explosion de la premi�re s�rie gigantesque de gr�ves en masse s'�tendant en peu de jours sur toute la Russie et, de Saint-P�tersbourg, portant dans tous les coins de l'empire et les couches les plus �tendues du prol�tariat le rappel de la r�volution. Mais ce soul�vement de Saint‑P�tersbourg au 22 janvier n'�tait que le point culminant d'une gr�ve en masse qui avait embrass� tout le prol�tariat de la capitale des tsars en janvier 1905. Or, cette gr�ve de janvier � Saint‑P�tersbourg eut lieu incontestablement sous l'influence imm�diate de la gigantesque gr�ve g�n�rale qui avait �clat� peu auparavant, en d�cembre 1904, dans le Caucase, � Bakou, et tint longtemps toute la Russie haletante. Mais, � leur tour, les �v�nements de d�cembre � Bakou n'�taient qu'un dernier et vigoureux rejeton des grandes gr�ves qui, en 1903 et 1904, avaient, comme un tremblement de terre p�riodique, �branl� tout le midi de la Russie, et dont le prologue fut la gr�ve de Batoum, dans le Caucase, en mars 1902. Enfin, ce premier mouvement de gr�ve en masse dans la cha�ne continue des �ruptions r�volutionnaires actuelles n'est lui-m�me s�par� que par cinq ou six ann�es de la gr�ve g�n�rale des ouvriers textiles de Saint‑P�tersbourg, en 1896 et 1897. Et si le mouvement d'alors semble s�par� de la r�volution d'aujourd'hui par quelques ann�es de calme apparent et de r�action �nergique, tout homme qui conna�t l'�volution politique int�rieure du prol�tariat russe jusqu'au degr� actuel de conscience de classe et d'�nergie r�volutionnaire fera commencer l'histoire de la p�riode pr�sente de luttes en masse avec ces gr�ves g�n�rales de Saint‑P�tersbourg. Elles ont, entre autres, pour le probl�me de la gr�ve en masse, cette importance qu'elles contiennent d�j� en germe tous les �l�ments principaux des gr�ves en masse qui suivirent. �

Tout ce processus est �videmment ins�parable du d�veloppement de tous les rapports �conomiques, sociaux et politiques qui ont lieu en Russie au cours de cette p�riode. Le vieil empire des tsars est d�j� profond�ment min�, brutalement int�gr� au capitalisme mondial au moment o� celui‑ci parvient � son stade imp�rialiste. Les contradictions explosives de l'�poque de imp�rialisme se nouent � celles du vieil empire, le d�stabilisent compl�tement. La guerre contre le Japon et la d�faite d�montrent l'extr�me faiblesse de la Russie des tsars et pr�cipitent la r�volution. Quant� la gr�ve g�n�rale de janvier 1905,

� l� encore, l'occasion fut, comme on sait, minime. Deux ouvriers des chantiers Poutilov avaient �t� renvoy�s parce qu'ils appartenaient � l'association � l�gale � de Zoubatov. Cette mesure de rigueur provoqua, le 16 janvier une gr�ve de solidarit� de tous les ouvriers de ces chantiers, au nombre de 12 000. Les social-d�mocrates commenc�rent, � l'occasion de la gr�ve, une vive agitation pour l'extension des revendications, pos�rent celles de la journ�e de huit heures, du droit de coalition , de la libert� de parole et de la presse, etc. La fermentation des ateliers Poutilov gagna rapidement les autres prol�taires et, en peu de jours, 140 000 ouvriers �taient en gr�ve. Des d�lib�rations en commun et des discussions orageuses conduisirent � l'�laboration de cette charte prol�tarienne des libert�s civiques, portant t�te la journ�e de huit heures, et avec laquelle, le 22 janvier, 200 000 ouvriers, conduits par le pr�tre Gapone, d�fil�rent devant le palais du tsar. En une semaine, le conflit des deux ouvriers renvoy�s des chantiers de Poutilov s'est transform� en prologue de la plus grosse r�volution temps modernes.
Les �v�nements qui suivirent sont connus : le massacre de Saint‑P�tersbourg provoquait en janvier et f�vrier, dans tous les centres industriels et les villes de Russie, de Pologne, de Lituanie, des provinces baltiques, du Caucase, de la Sib�rie, du Nord au Sud, de l'Est � l'Ouest, de gigantesques gr�ves en masse et gr�ves g�n�rales. Mais, si l'on y regarde de plus pr�s, les gr�ves en masse se produisent d�s lors sous d'autres formes que dans la p�riode pr�c�dente. Cette fois, les organisations social-d�mocrates prirent partout les devants par des appels, partout c'est la solidarit� r�volutionnaire avec le prol�tariat de Saint‑P�tersbourg qui fut express�ment marqu�e comme le motif et le but de la gr�ve g�n�rale, partout il y eut aussit�t des manifestations, des discours, des combats avec la troupe. Pourtant, l� non plus, il ne fut question ni de plan pr�alable, ni d'action organis�e, car les appels des partis pouvaient � peine aller du m�me pas que les soul�vements spontan�s de la masse; � peine les dirigeants avaient‑ils le temps de formuler les mots d'ordre de la foule des prol�taires se ruant en avant.
Autre diff�rence : les gr�ves en masse et g�n�rales ant�rieures avaient leur origine dans le concours de diverses luttes pour les salaires, lesquelles, dans la tendance g�n�rale de la situation r�volutionnaire et sous l'impulsion de l'agitation des social-d�mocrates, devenaient vite des manifestations politiques; l'�l�ment �conomique et la dispersion syndicale �taient le point de d�part, l'action de classe combin�e et la direction politique �taient le r�sultat final. Ici, le mouvement se fait � rebours. Les gr�ves g�n�rales de janvier‑f�vrier �clat�rent tout d'abord comme action r�volutionnaire unie, sous la direction de la social‑d�mocratie; mais cette action se rompit bient�t en une infinit� de gr�ves locales, parcellaires, �conomiques, dans diverses r�gions, villes, professions, usines.
Durant tout le printemps de 1905 jusqu'au plein �t�, fermenta dans l'empire g�ant une lutte �conomique infatigable de tout le prol�tariat contre le capital, lutte qui gagna par en haut les professions lib�rales et petites‑bourgeoises, employ�s de commerce, de banque, ing�nieurs, com�diens, artistes, et p�n�tra par en bas jusque chez les gens de maison les agents subalternes de la police jusque m�me dans les couches du � lumpenproletariat �, d�bordant en m�me temps de la ville dans les campagnes et frappant m�me aux portes des casernes. �

Le massacre du dimanche sanglant (le 9 janvier selon le calendrier russe, le 22 janvier selon notre calendrier) impulsait le d�veloppement d'une gr�ve g�n�rale qui s'annon�ait. En octobre 1905 une nouvelle gr�ve g�n�rale d�ferlait

� comme r�ponse au projet de Douma Boulyguine, la seconde gr�ve g�n�rale �tendue � tout l'empire et dont les travailleurs des chemins de fer donnent le mot d'ordre. Cette seconde grande action r�volutionnaire du prol�tariat pr�sente d�j� un caract�re essentiellement diff�rent de la premi�re, celle de janvier. L'�l�ment de conscience politique y joue un bien plus grand r�le. A la v�rit�, ici encore, la premi�re occasion de gr�ve en masse a �t� secondaire et en apparence fortuite : c'est le conflit des cheminots avec l'administration � propos de la caisse des retraites. Mais le soul�vement g�n�ral du prol�tariat industriel qui suivit est soutenu par une claire id�e politique. Le prologue de la gr�ve de janvier avait �t� une supplique au tsar pour la libert� politique; le mot d'ordre de la gr�ve d'octobre �tait : Finissons‑en avec la com�die constitutionnelle du tsarisme ! Et, gr�ce au r�sultat imm�diat de la gr�ve g�n�rale : le manifeste du tsar du 30 octobre, le mouvement ne rentre pas en lui-m�me, comme en janvier, pour aller retrouver les commencements de la lutte de classe �conomique; il d�borde au-dehors dans une ardente activit� de la libert� politique nouvellement conquise. Manifestations, r�unions, une jeune presse, des discussions politiques au grand jour et des massacres sanglants comme fin de chanson, l�-dessus nouvelles gr�ves g�n�rales et nouvelles manifestations ‑ tel est l'orageux tableau que pr�sentent les journ�es de novembre et d�cembre.
En novembre, � l'appel de la social‑d�mocratie, s'organise � Saint-P�tersbourg la premi�re gr�ve en masse de d�monstration, pour protester contre les massacres et l'�tablissement de l'�tat de si�ge en Livonie et en Pologne. La fermentation qui suit le court r�ve constitutionnel et le cruel r�veil m�ne finalement, en d�cembre, � l'explosion de la troisi�me gr�ve g�n�rale en masse dans tout l'empire. Cette fois encore, le cours et l'issue en sont tout autres que dans les deux premiers cas. L'action politique ne se tourne plus en action �conomique, comme en janvier, mais elle n'obtient pas non plus une victoire rapide, comme en octobre. La camarilla tsariste ne renouvelle pas les essais tent�s avec la v�ritable libert� politique ( ... ). Par l'�volution logique interne des �v�nements qui se d�roulent, la gr�ve en masse se transforme cette fois en r�volte ouverte, en lutte arm�e de rue et de barricades � Moscou. Les journ�es de d�cembre � Moscou terminent la premi�re ann�e de la r�volution, si laborieuse, comme point culminant de la ligne ascendante de l'action politique et du mouvement de gr�ve en masse. �

Apr�s elles s'amorce le reflux de la r�volution.

Rosa Luxemburg d�finit remarquablement le contenu de la gr�ve g�n�rale :

� Gr�ves politiques et �conomiques, gr�ves en masse et partielles, gr�ves de d�monstration et de combat, gr�ves g�n�rales d'une ville, luttes pacifiques pour les salaires et batailles de rue, combats de barricades ‑ tout cela se croise, se c�toie, se traverse, se m�le : mer de ph�nom�nes �ternellement mouvante et changeante. Et la loi du mouvement de ces ph�nom�nes devient claire : elle n'est pas dans la gr�ve en masse elle-m�me, ni dans ses caract�res techniques, mais bien dans les rapports politiques et sociaux des forces de la r�volution. La gr�ve en masse n'est que la forme rev�tue par la lutte r�volutionnaire et toute modification dans les rapports des forces aux prises, dans le d�veloppement du parti et dans la s�paration des classes, dans la position de la contre‑r�volution, agit imm�diatement, par mille voies invisibles et incontr�lables, sur l'action de la gr�ve. Mais avec cela cette action m�me ne cesse presque pas un instant. Elle est la pulsation vivante de la r�volution et en m�me temps son plus puissant ressort. En un mot, la gr�ve en masse, telle que nous la montre la r�volution russe, n'est pas un moyen ing�nieux, invent� pour donner plus de force � la lutte prol�tarienne; elle est le mode de mouvement de la masse prol�tarienne, la forme de manifestation de la lutte prol�tarienne dans la r�volution. �

Archives Trotsky Archives Internet des marxistes
D�but Pr�c�dent Haut de la page Sommaire Suite Fin