Jacques Droz
L’Internationale Ouvrière de 1864 à 1920
IX. Les débuts de la Seconde Internationale
1965
LES DEBUTS DE LA SECONDE INTERNATIONALE
Deux congrès simultanés se sont tenus du 14 au 21 juillet 1889, à l’occasion du centenaire de la prise de la Bastille. Ces réunions ont été provoquées par des initiatives diverses. La première est venue des possibilistes français, des partisans de Brousse, qui avait déjà organisé en France à deux reprises des congrès internationaux de travailleurs, et étaient, à cette occasion, entrés en rapport avec les trade-unions britanniques. Les trade-unions anglais et les possibilistes français ont prévu pour 1889 un congrès de leaders syndicalistes auquel étaient invités également un certain nombre de socialistes des deux pays. Là-dessus, fort mécontents de cette initiative, les guesdistes décidèrent d’organiser un contre-congrès. Pour éviter que siègent en même temps deux congrès rivaux, la sociale-démocratie allemande a tenté une médiation : Liebknecht convoqua à La Haye, pour essayer de les mettre d’accord, les représentants des organisations hostiles. Cette médiation ayant échoué, deux congrès rivaux et parallèles se réunirent : le congrès des possibilistes dans une salle de la rue Lancry, et le congrès des marxistes dans une salle de la rue Pétrelle. Bien que le nombre des participants du premier congrès fut plus grand (il y avait 612 participants dont 521 français), c’est le second congrès, celui de la rue Pétrelle, qui a le plus d’importance, car c’est de lui que sortira la Seconde Internationale. Il comprenait 400 délégués appartenant à vingt pays et représentant des éléments extrêmement divers. La délégation française, de loin la plus importante (221 membres) puisque le congrès se tenait à Paris, comprenait un certain nombre de marxistes, comme Guesde et les deux gendres de Marx, Longuet et Lafargue. Il comprenait aussi des éléments blanquistes avec Vaillant, et des éléments anarchistes comme Sébastien Faure. L’Allemagne était, après la France, le pays le plus représenté, avec 81 délégués élus, et parmi eux, essentiellement, Liebknecht qui a été la figure centrale du congrès. Il jouissait alors d’une réputation considérable dans les milieux socialistes, et était entouré d’une série de personnalités sociales-démocrates allemandes de premier plan, comme par exemple Edouard Bernstein. L’Angleterre était représentée par 22 membres, dont un certain nombre de personnalités illustres, comme le leader syndicaliste Keir Hardie, l’écrivain William Morris, fondateur de La Ligue Socialiste, l’une des filles de Marx, Eléonore Marx Eveling, qui avait à ce moment-là un rôle assez considérable dans le mouvement socialiste anglais. De Belgique était venu Cesar de Paepe qui représentait la tradition de la Première Internationale. D’Italie étaient venues également des personnalités, soit socialiste comme Andrea Costa, soit anarchistes comme Saverio Merlino. D’Espagne étaient venus des marxistes comme Iglesias, et un certain nombre d’anarchistes ; d’Autriche, Victor Adler, dont on sait le rôle considérable dans la réorganisation du socialisme autrichien. On voit qu’il y avait là des personnages extrêmement divers. Il y avait là, comme on le faisait remarquer Victor Adler, " des hommes, dont les uns sortaient de prison et les autres y étaient attendus, un très grand nombre de condamnés à mort, et un plus grand nombre de proscrits ". De nombreux Etats secondaires, dont le rôle jusqu’à présent n’avait pas été considérable sur le plan socialiste, étaient représentés. Il faut signaler des délégations russes et américaines.
Il faut remarquer que le congrès de Paris de 1889 n’a pas donné naissance à un organisme international. L’Internationale qui va naître à ce congrès, n’a encore aucun secrétariat, aucune commission permanente ; aucuns statuts, pas même un nom, car ce nom de Seconde Internationale ne lui sera donné que beaucoup plus tard. Ce n’est qu’en 1896 au congrès de Londres, et surtout en 1900 à un nouveau congrès à Paris, que l’on verra s’établir une ébauche d’organisation internationale. C’est en 1900 que sera créé le Bureau Socialiste International (le B.S.I.) siégeant à Bruxelles et constituant l’organe centralisateur de l’Internationale. Mais rien de pareil en 1889 et pendant les premières années du mouvement. Ce n’était d’ailleurs nullement dans les intentions d’Engels, qui joua dans les coulisses du congrès un rôle de tout premier plan, de voir se reconstituer une Internationale ; Engels estimait essentiel encore à cette époque d’organiser solidement des partis nationaux.
Ce congrès va voir se développer un certain nombre de polémiques qui sont capitales pour l’avenir du mouvement ouvrier et du socialisme international. Trois questions essentielles ont été traitées.
1. LA QUESTION DE LA LEGISLATION SOCIALE. Est-il souhaitable que les socialistes essaient d’obtenir de leur gouvernement une législation limitant les heures de travail et accordant aux ouvriers un certain nombre d’avantages ? Cette question était d’autant plus à l’ordre du jour que l’empereur Guillaume II, qui était monté l’année précédente sur le trône d’Allemagne, avait prévu en signe de joyeux avènement (il s’appelait lui-même l’ "empereur des gueux ") la réunion d’un congrès international à Berlin pour discuter de la question sociale. Le problème qui, aux yeux des socialistes, se posait surtout, était celui de la réduction des heures de travail que l’on souhaitait voir assez uniformément réduites à huit heures. A ce voeu d’une législation du travail s’opposent les anarchistes, qui sont absolument hostiles à toute espèce de législation sociale, quelle qu’elle soit.
2. LA DEUXIEME QUESTION QUI A ETE DISCUTEE EST CELLE DU SUFFRAGE UNIVERSEL, qui devait permettre, là où il existait, de faire pression sur les gouvernements, ou qui devait devenir l’objet d’une revendication constante de la part des socialistes là où il n’existait pas encore, par exemple en Autriche ou en Belgique. Ici encore, comme sur la question de la législation sociale, le voeu de conquérir le suffrage universel s’oppose aux conceptions des anarchistes qui estiment absolument vaine toute espèce d’action parlementaire. Cette thèse a été développée en particulier au congrès de Paris par des hommes comme Merlino pour l’Italie, Sébastien Faure pour la France, Nieuwenhuis pour la Hollande, qui repoussent toute espèce de participation de la classe ouvrière aux élections parlementaires. Il y eut d’ailleurs à ce sujet de très violentes altercations au congrès de Paris. Il fallut par la force obliger les anarchistes à quitter la tribune qu’ils occupaient pendant des heures.
3. LE TROISIEME POINT SUR LEQUEL A PORTE LA DISCUSSION EST LA FACON DONT LA CLASSE POPULAIRE POURRAIT SUR LE PLAN INTERNATIONAL COORDONNER SON ACTION. C’est cette idée d’une coordination des mouvements ouvriers qui a provoqué la revendication du 1er mai chômé. L’idée d’un 1er mai chômé internationalement et devenu fête du travail (et ceci essentiellement pour l’obtention de la journée de huit heures) a été soulevée dans des congrès syndicaux américains dès 1884. Elle a été systématisée au cours d’un congrès syndicaliste américain et européen qui se tint à Saint Louis aux Etats-Unis, en décembre 1888, sur l’initiative du président de l’American Federation of Labour, Samuel Gompers, une des personnalités considérables du mouvement des travailleurs aux Etats-Unis. Elle a été reprise enfin au congrès de Paris en 1889 par un syndicaliste français, Raymond Lavigne, qui avait joué un rôle assez considérable dans la réorganisation du mouvement socialiste. Mais l’idée de Lavigne fut à peine discutée faute de temps. Il fut seulement décidé que dans chaque pays les travailleurs organiseraient leur manifestation lors du 1er mai suivant (c’est-à-dire le 1er mai 1890) d’une façon compatible avec les conditions de leurs pays respectifs.
Tels ont été les thèmes principaux développés lors du congrès de Paris. On voit que deux problèmes essentiels vont dominer l’histoire de l’Internationale pendant les années 90 : la question du 1er Mai et la lutte contre les anarchistes.
La question du 1er Mai (1)
Pourquoi cette date du 1er Mai ? Le 1er Mai 1531 avait eu lieu une révolte des ouvriers de la soie à Lucques en Italie. Certains ont avancé cette raison pour le choix du 1er Mai. Cette hypothèse n’a aucune valeur. La raison, c’est que dans certains Etats des Etats-Unis, en particulier dans l’Etat de New-York, le Premier Mai était la date où étaient établis certains baux, contrats, locations, d’où l’on faisait par conséquent partir l’année de travail, l’année ouvrière. Cette date correspondait, si on veut, pour les transactions économiques et pour les contrats de travail, à la Saint Jean des campagnes françaises.
Dès que les délégués au congrès de Paris eurent réintégré leurs Etats respectifs, ils se demandèrent comment organiser les mouvements de masse du 1er Mai 1890. Les Français et les Autrichiens décidèrent de faire du 1er Mai un jour de grève totale. Les Allemands et les Anglais se contenteraient, eux, de manifester le dimanche suivant le 1er Mai. On voit que les interprétations ont été diverses. Malgré ces divergences et malgré l’opposition générale des anarchistes qui reprochaient à cette manifestation son caractère pacifique et le recours aux pouvoirs publics qu’impliquait la loi limitant à huit heures la journée de travail (puisque c’était en vue de cette limitation que le 1er Mai était essentiellement organisé), - malgré ces divergences et malgré cette opposition, le 1er Mai 1890 a constitué une manifestation grandiose et pacifique de la solidarité internationale de la classe ouvrière.
En France, la grève toucha 138 villes et affecta même un certain nombre de bassins miniers, tels ceux de l’Allier, du Gard et de la Loire. A Paris, centre le plus actif du mouvement ouvrier, la manifestation du 1er Mai, imposante (environ 100 000 travailleurs y participaient) et accompagnée d’un pétitionnement au Palais Bourbon, eut lieu dans le calme. Et cela, malgré une incroyable propagande gouvernementale mise sur pied par le ministre de l’Intérieur, Constans, et destinée à présenter le 1er Mai comme le prélude au " chambardement universel du grand soir ", " préparant l’âme de la bourgeoisie au jour du Jugement dernier ", - malgré également d’incroyables provocations policières. Il n’y eut, ce 1er Mai en France, de violence qu’à Vienne (Isère) par suite de l’intervention de quelques éléments anarchistes. Dans d’autres villes d’Europe les manifestations furent aussi considérables. En Belgique il y eut 340 000 manifestants, 100 000 à Barcelone, 120 000 à Stockholm. A Hyde Park, à Londres, malgré le peu de chaleur des trade-unions anglais pour la grève, il y eut des démonstrations de masse imposantes. Mais de loin la manifestation du 1er Mai 1890 la plus considérable fut celle qui eut lieu à Vienne en Autriche. Le 1er Mai y fut entièrement chômé. L’empereur avait réuni un conseil de la Couronne, la veille, pour envisager des contre-mesures. Des troupers croates et bosniaques avaient été cantonnées dans la ville. La journée d’ailleurs fut suivie d’un lock-out pour tous ceux qui avaient participé au mouvement. Il n’en reste pas moins que le 1er Mai viennois a été une des grandes dates du mouvement ouvrier européen. Ces mouvements ont contrasté avec la faiblesse de l’agitation en Allemagne où l’on s’est contenté d’une manifestation dans les grandes villes industrielles, dans la soirée du 1er Mai.
Les choses se renouvelèrent à peu près de la même façon l’année suivante. Pour ce qui est de la France, les manifestations s’étendirent à un plus grand nombre de localités qu’en 1890 et provoquèrent à Fourmies, ville industrielle du Nord, un véritable massacre organisé par les forces de l’ordre, au cours duquel dix personnes furent tuées, en particulier des femmes et des enfants. A la suite de cet événement, des poursuites furent intentées contre Lafargue qui fut condamné à un an de prison, " l’iniquité d’une condamnation s’ajoutant à l’horreur d’un massacre ", comme l’écrivait un journal socialiste. Ce n’est pas d’ailleurs l’effet du hasard si l’émotion provoquée par le massacre de Fourmies a été suivie, quinze jours plus tard, de la publication par Léon XIII de l’Encyclique Rerum Novarum qui apportait une solution chrétienne au problème social.
Si les manifestations du 1er Mai 1891 ont pris en Europe une très grande extension, en Allemagne le 1er Mai ne fut pas chômé. Cela mécontenta les autres partis qui décidèrent, lors du congrès suivant de l’Internationale à Bruxelles en 1891, de rappeler les Allemands à l’ordre. Toutefois il fut impossible au cours des années suivantes d’obtenir que ceux-ci modifient leur attitude, bien que Victor Adler, à chaque occasion, dans ses conversations avec les leaders allemands, essayât de les entraîner. La thèse défendue par les Allemands pour justifier leur attitude, est que la sociale-démocratie en Allemagne est plus particulièrement menacée par la réaction et qu’elle ne peut se permettre aucune provocation. De fait, la loi sur les socialistes en Allemagne, cette vieille loi mise sur pied par Bismarck, n’a été retirée qu’en octobre 1890. Et, même après son retrait, les socialistes n’étaient pas sans savoir que certains membres du gouvernement impérial espéraient revenir sur l’institution du suffrage universel. La sociale-démocratie estimait qu’elle n’était pas, dans ces conditions, en mesure de tenter une épreuve de force contre le gouvernement. Celui-ci, dans cette condition de la grève et en raison des gênes qu’elle impliquait, était soutenu par l’immense majorité de la bourgeoisie. Au congrès de l’Internationale à Zürich, en 1893, la décision fut prise officiellement de faire du 1er Mai une date chômée ; cependant, même cette décision ne vint pas à bout de la résistance des Allemands. Cette résistance a entraîné au cours des années suivantes un certain déclin de la fête du 1er Mai, dont l’éclat ne reparaîtra que plus tard.
La lutte contre les anarchistes
C’est le deuxième point qui illustre l’histoire des débuts de la Seconde Internationale.
Au congrès de Paris, en 1889, avaient participé un très grand nombre d’anarchistes. La question de leur présence n’avait pas été résolue. On n’était venu à bout de leur opposition qu’en leur interdisant par la force l’accès à la tribune. Le problème anarchiste ne fut pas non plus résolu au congrès de Bruxelles en 1891, où l’on se contenta de considérer les mandats des anarchistes comme non valables, ce qui entraîna l’exclusion d’un certain nombre d’entre eux. Ce fut le congrès de Zürich en août 1893 qui prit la première résolution doctrinale destinée à rendre la présence des anarchistes impossible aux congrès de l’Internationale. Sans condamner formellement d’ailleurs l’anarchisme, le congrès déclara que serait admis dorénavant les syndicats professionnels ouvriers, ainsi que ceux des partis ou associations socialistes qui reconnaissaient la nécessité de l’organisation ouvrière et de l’action politique. Par " action politique " le congrès entendait, selon la définition donnée par Bebel, que les mouvements ouvriers s’engageaient à utiliser l’appareil législatif pour obtenir certains avantages que le prolétariat était en droit d’espérer. On voit que ces décisions excluaient les anarchistes puisque ceux-ci n’avaient jamais consenti à recourir à l’appareil législatif. Cette définition donnée par le congrès de Zürich provoqua de très violentes discussions, l’opposition d’un certain nombre d’anarchistes allemands, comme par exemple l’écrivain Gustave Landauer qui d’ailleurs parlait à titre personnel (Landauer devait être tué par la Reichswehr en 1919 lors de la répression du mouvement socialiste bavarois), l’opposition également d’un certain nombre de délégués français et polonais. Finalement, la définition donnée par Bebel qui faisait appel à l’idée de l’appareil législatif, fut votée par 14 nations contre 2. Mais les anarchistes refusèrent de se soumettre et ils revinrent en force trois ans plus tard en 1895, au congrès de Londres. C’est à ce congrès qu’il devait appartenir de régler définitivement la question anarchiste. Ce congrès de Londres avait été organisé par les trade-unions anglais, et il a dépassé de beaucoup l’importance des autres congrès : 776 délégués y représentaient plus de 20 nations. Des phénomènes nouveaux étaient apparus dans le monde ouvrier, qui ont contribué à donner à ce congrès une physionomie différentes des précédents.
Il s’était constitué en effet une aile gauche dans le mouvement syndical français. Elle s’était développée dans les bourses du travail et s’était groupée autour d’un certain nombre de personnalités dont les plus représentatives étaient Pelloutier, Pouget et Tortelier. Ces tendances des bourses du travail étaient fort proches de ce que l’on appelle dorénavant en France l’anarcho-syndicalisme. De fait, Pelloutier, le principal organisateur des bourses du travail, voit, non pas dans les partis politiques, mais dans les syndicats, les cellules de la société de l’avenir, et il veut préparer à l’idée de la grève générale les éléments destinés à détruire la société bourgeoise. Son idéal était celui d’une société sans Etat qui reposerait sur une fédération de syndicats représentant les producteurs. Ses idées étaient exposées essentiellement dans la revue Les Temps Nouveaux qui s’était peu à peu substituée aux revues anarchistes qui n’avaient pas survécu aux attentats commis entre 1892 et 1894 : attentat de Ravachol qui avait fait sauter plusieurs immeubles à Paris ; attentat d’Auguste Vaillant qui avait jeté une bombe dans la Chambre des Députés ; assassinat du Président Carnot à Lyon. Le mouvement anarcho-syndicaliste s’était progressivement substitué, après 1894, à l’anarchisme simple. La thèse de Pelloutier était exposée de la façon suivante (2) : " Laboratoire d’études économiques, détaché des compétitions électorales, favorable à la grève générale avec toutes ses conséquences, s’administrant anarchiquement, le syndicat est bien l’organisation à la fois révolutionnaire et libertaire qui pourra seul contrebalancer et arriver à détruire la néfaste influence des politiciens collectivistes ". D’autre part, l’idée même de la grève générale développée par les anarcho-syndicalistes s’est trouvée renforcée par les événements qui ont eu lieu en Belgique. La thèse de la grève générale (3) avait été développée dès 1886 par un certain nombre de syndicalistes belges. Et si les grèves de 1886 et 1888 avaient échoué, celles de 1893 avaient déterminé l’Assemblée constituante désignée à cet effet, à accorder le suffrage universel, quoique celui-ci fût limité dans ses avantages pour la classe ouvrière par l’existence d’un vote plural.
Que se passe-t-il donc au congrès de Londres ? On se trouve en présence de trois positions tranchées. Celle tout d’abord des anarchistes venus nombreux au congrès, avec l’Italien Malatesta, le Hollandais Nieuwenhuis, la Française Louise Michel, l’ardente combattante de la Commune. Ces anarchistes étaient soutenus par les syndico-anarchistes français dirigés par Tortelier qui déclarait que la classe ouvrière n’avait rien à attendre d’un Parlement et qu’il fallait préparer, comme moyen d’action, la grève générale. La deuxième tendance était représentée par les sociaux-démocrates allemands, en particulier par Bebel qui estimait que seuls la vie politique et le régime parlementaire permettraient à la sociale-démocratie, un jour ou l’autre, de conquérir le pouvoir. Les sociaux-démocrates allemands, soutenus par les marxistes français, demandaient l’exclusion immédiate des anarchistes. Une troisième tendance enfin était représentée par un certain nombre de délégués anglais, d’ailleurs dans leur propre mouvement minoritaires, qui étaient favorables, non pas à l’anarchisme, mais à une tolérance réciproque. Ils estimaient qu’il ne fallait exclure aucune opinion, quelle qu’elle soit, de l’Internationale. C’est la thèse développée par exemple par Keir Hardie. Quoi qu’il en soit, lorsqu’on en vint au vote, 17 nations se prononcèrent pour l’exclusion des anarchistes, 2 seulement contre. Et encore ces deux dernières se prononcèrent-elles à très faible majorité: l’une, la France, avait voté contre par 57 voix contre 56, et la seconde, la Hollande, par 9 voix contre 5 ; tandis que l’Italie s’abstenait. Ce vote a terminé l’action des anarchistes au sein de la Seconde Internationale. A partir de ce moment les anarchistes n’ont plus envisagé de pénétrer dans le mouvement.
Cependant, si le problème anarchiste se trouve enfin réglé en 1896, le problème soulevé par les anarcho-syndicalistes, c’est-à-dire le problème des rapports des partis et des syndicats, n’est pas encore résolu. Les syndicats doivent-ils avoir dans les congrès des organisations spéciales ? Doivent-ils être placés sous la direction des partis ? Les partis doivent-ils être seuls représentés ? Voilà les questions qui se posent et qui pèseront lourdement sur les délibérations de l’Internationale au cours des sessions suivantes.
Notes
(1) Il existe sur Le 1er Mai un ouvrage de M. Dommanget. Cet ouvrage, s’il est bon sur le 1er Mai français, est à peu près inexistant sur les pays étrangers.
(2) On trouvera de nombreux renseignements sur la question dans la thèse de M. MAITRON sur l’anarchisme français.
(3) Cf. plus bas, le cours consacré à l’idée de grève générale.