1965


Jacques Droz

L�Internationale Ouvri�re de 1864 � 1920

XVI. Le 4 ao�t 1914

1965

LE 4 AOUT 1914

 

C�est le 4 ao�t 1914 que se sont effondr�s les espoirs de l�Internationale, car au cours de cette journ�e, aussi bien au Reichstag allemand qu�� la Chambre des D�put�s fran�aise, les d�put�s socia-listes ont vot� les cr�dits militaires. C��tait l��chec des tentatives des partis socialistes et de l�Internationale pour emp�cher la guerre. Comment en est-on venu l� ? Il faut examiner d�abord l��volution du c�t� fran�ais, puis du c�t� allemand, et voir ensuite ce qu�a tent� au dernier moment l�organisation m�me de l�Internationale.

Le c�t� fran�ais d�abord. Un congr�s extraordinaire du parti socialiste fran�ais se tint vers le milieu du mois de juillet 1914 pour prendre position � l��gard du projet Keir Hardie-Vaillant, qui avait �t� mis en avant lors du congr�s de B�le. Ce congr�s extraordinaire, qui se situe, on le voit, apr�s le meurtre de Sarajevo, mais avant l�ultimatum autrichien � la Serbie, par cons�quent avant le moment o� la crise a pris son extension et sa gravit�, - ce congr�s a adopt� � l��gard du probl�me de la guerre une position extr�mement prononc�e. Par 1690 voix contre 1174 (qui repr�sentaient les voix guesdistes), il s�est d�clar�, en cas de guerre, en faveur de la gr�ve g�n�rale. Le texte qui fut vot�, est le suivant : " Entre tous les moyens employ�s pour pr�venir et emp�cher la guerre et pour imposer aux gouvernements le recours � l�arbitrage, le congr�s consid�re comme particuli�rement efficace la gr�ve g�n�rale ouvri�re simultan�ment et internationalement organis�e dans les pays int�ress�s, ainsi que l�action et l�agitation populaires sous les formes les plus diverses ". Au cours de ce congr�s, Jaur�s que l�on consid�rait comme l��l�ment mod�rateur, s�est port� volontairement � l�extr�me gauche du parti. Il �tait soucieux essentiellement, en adoptant cette attitude, de garder l�accord des syndicats ouvriers, et surtout des anarcho-syndicalistes. Naturellement, l�attitude de Jaur�s a provoqu� un toll� dans la presse bourgeoise. En prenant cette position, le parti socialiste fran�ais se rapprochait en effet tr�s nettement du point de vue de la C.G.T., qui depuis plusieurs ann�es, et en particulier aux congr�s de Marseille (1908) et de Paris (1912), avait pr�conis� la gr�ve g�n�rale insurrectionnelle en cas de guerre. Cette propagande antimilitariste et en faveur de la gr�ve g�n�rale �tait orchestr�e par les journaux syndicalistes, en particulier par La Voix du Peuple et La bataille Syndicaliste.

Cependant � et il faut ouvrir ici une parenth�se �, on peut se demander si les masses ouvri�res fran�aises, qui �prouvaient une hostilit� incontestable � l��gard de l�arm�e et s��taient prononc� par leurs votes en 1914 contre la prolongation du service militaire � trois ans, �taient v�ritablement entra�n�es par l�id�ologie antipatriotique. Il semble que les masses ouvri�res fran�aises aient �t� beaucoup plus sensibles � l�id�ologie du patriotisme jacobin qu�� l�antipatriotisme syst�matique d�un Herv�. Quant aux cadres, ils sont extr�mement sceptiques sur la possibilit� d�une gr�ve internationale : ils �prouvent d�ailleurs depuis tr�s longtemps une vive m�fiance � l��gard de leurs coll�gues allemands. En fait, ils n�ont rien pr�vu de pr�cis en cas de guerre ; ils s�en remettent � la spontan�it� prol�tarienne, � l�initiative de la base, et, tout en r�clamant leur adh�sion � l�id�e de la gr�ve insurrectionnelle, ils ne savent pas tr�s bien comment ils pourront la provoquer. (1)

Quoi qu�il en soit, et ces r�serves faites, il n�est pas douteux que la C.G.T., et en particulier son organe La Bataille Syndicaliste, manifeste une tr�s grande activit� pendant la crise de juillet 1914. Elle organise, � partir du 23 juillet, des manifestations dans les grandes villes fran�aises contre la guerre. Ces manifestations ont culmin� le 27 juillet � Paris dans un heurt redoutable entre les masses prol�tariennes et la police.

Cependant, � mesure qu��volue la crise, et surtout � partir du 26 juillet, on voit Jaur�s modifier progressivement son attitude. Les articles de L�Humanit�, qu�il �crit � partir de cette date, passent sous silence l�id�e de la gr�ve g�n�rale insurrectionnelle, et pr�conisent au contraire le sang-froid. Il admet que le gouvernement fran�ais d�sire sinc�rement la paix. " Nous, socialistes fran�ais, nous n�avons pas � imposer � notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique. J�ai le droit de dire � l�heure actuelle que le gouvernement fran�ais veut la paix " (2). Et il se contente de d�clarer que la lutte contre la guerre doit continuer � �tre men�e essentiellement sur le plan international. " C�est l�intelligence des peuples, dit-il, qui doit conjurer les p�rils ". Or, Jaur�s finit par conqu�rir la C.G.T. � ses vues. Le 31 juillet, La Bataille Syndicaliste se contente de pr�coniser l�union de toutes les forces pacifiques. Le point de vue de Jaur�s, � savoir qu�un combat devait �tre livr� sur le plan international et que l�id�e d�une gr�ve insurrectionnelle sur le plan fran�ais devait �tre abandonn�e, s�est donc progressivement impos� � la C.G.T. (3). On peut se demander en effet dans quels sentiments est mort, le 31 juillet 1914, Jaur�s, assassin� par un nationaliste irresponsable. Il y a, � cet �gard, deux interpr�tations. Un journaliste qui a vu de pr�s Jaur�s dans les jours pr�c�dents, Dupuy, a d�clar� qu�il avait en poche au moment de sa mort un article intitul� En Avant, qui devait �tre publi� le lendemain dans L�Humanit� et o� il se ralliait totalement � la th�se de la d�fense nationale et de l�union sacr�e. En revanche, une autre th�se, � savoir que Jaur�s estimait que la France �tait la victime des intrigues russes, que le gouvernement fran�ais, en acceptant le point de vue de la Russie, �tait pour sa part �galement responsable de la guerre, a �t� soutenue par Abel Ferry, alors sous-secr�taire d�Etat. Abel Ferry (qui a �t� tu� lui-m�me pendant la guerre) a laiss� dans ses Cahiers une note d�clarant que Jaur�s consid�rait, au moment de sa mort, que le minist�re des Affaires Etrang�res fran�ais �tait la victime d�une intrigue russe, et qu�il fallait par suite poursuivre la lutte contre la guerre. D�apr�s Abel Ferry, Jaur�s n�aurait jamais adh�r� � l�union sacr�e.

C�est le point de vue �galement de Cl�menceau. On peut �videmment sp�culer � l�infini, puisqu�on ne sait pas ce qui se passait dans l�esprit de Jaur�s pr�cis�ment au moment o� il est mort. Ce qui est certain, c�est que sa mort a scell� l�union sacr�e. Celle-ci a d�ailleurs �t� facilit�e par l�attitude du gouvernement qui a r�solu de ne pas appliquer les mesures d�incarc�ration aux inscrits sur le carnet B, c'est-�-dire � un certain nombre de militants syndicalistes, au nombre de trois ou quatre mille, qui, en cas de mobilisation, auraient d� �tre imm�diatement arr�t�s. Cette d�cision a �t� conseill�e au gouvernement par Malvy, ministre de l�Int�rieur, qui entretenait des relations constantes avec de nombreux militants syndicalistes et a r�pondu devant le gouvernement de leur patriotisme.

La doctrine de l�union sacr�e fut affirm�e par Jouhaux, alors secr�taire g�n�ral de la C.G.T., dans le discours qu�il pronon�a le 4 ao�t au matin, sur la tombe de Jaur�s, et o� il mit en cause l�imp�rialisme allemand qui �tait, d�apr�s lui, la cause profonde de la guerre. " Ce n�est pas sa faute " (� Jaur�s) " si la paix n�a pas triomph�. Cette guerre, nous ne l�avons pas voulue. Ceux qui l�ont d�cha�n�e, des pestes aux visages sanguinaires, aux r�ves d�h�g�monie criminelle, devront en payer le ch�timent. Non seulement le r�le des mourants, les clameurs de souffrance des bless�s, monteront vers eux comme une r�probation universelle, mais l��clair de haine qui s�allumera dans le regard des m�res, des orphelins et des veuves, devra faire jaillir des entrailles des peuples, le cri de r�volte qui condamne, pr�c�dant l�action qui r�alise la condamnation. Accul�s � la lutte, nous nous l�verons pour repousser l�envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de civilisation et d�id�ologie g�n�reuse que nous a l�gu� l�histoire ". Et l�union sacr�e a �t� �tablie dans cette m�me journ�e du 4 ao�t par le vote � l�unanimit� (donc par l�ensemble de la repr�sentation socialiste) des cr�dits de guerre, et l�entr�e quelques jours apr�s de deux socialistes dans le gouvernement.

Pour ce qui est de l�Allemagne, c�est tardivement que les masses ont pris conscience du danger de guerre. Pendant tout le mois de juillet, le grand organe socialiste, le Vorw�rts, et la presse socialiste allemande dans son ensemble, n�ont accompli que tr�s mal leur devoir d�information. Les leaders sociaux-d�mocrates sont convaincus que la guerre est impossible et que la crise se r�soudra pacifiquement. La pr�sentation par le Vorw�rts de la crise austro-serbe, � la suite du meurtre de Sarajevo, est en g�n�ral hostile � la Serbie. Le danger qui menace l�Europe est le danger panslave, donc le danger russe. Ce n�est qu�� la suite de l�ultimatum du 23 juillet adress� par l�Autriche � la Serbie, que la position du journal se modifie. Le 25 juillet, para�t dans le Vorwarts un Manifeste qui stigmatise " la frivole provocation de guerre " du gouvernement austro-hongrois, et qui rappelle qu� " � ce d�sir de puissance des dirigeants autrichiens et aux int�r�ts imp�rialistes du profit, ne devra �tre sacrifi�e aucune goutte de sang d�un soldat allemand ". C�est dans ce sens �galement que s�exprime la direction du parti, qui s�est r�unie � Berlin le 25 juillet et organise au cours des jours suivants (parall�lement, on le voit, � celles qui se d�roulent en France) toute une s�rie de manifestations de masse, destin�es � montrer la volont� de paix des couches laborieuses allemandes. Le mouvement culmine le 28 o�, dans tout le Reich, manifestent les organisations ouvri�res.

Mais, en m�me temps que se multiplient ces manifestations dans la derni�re semaine de juillet, il est � remarquer que la presse socialiste ne met pas en cause le gouvernement allemand et admet au contraire, d�une fa�on g�n�rale, sa volont� de paix. Le Vorw�rts, le 30 juillet, �crira que " dans toute circonstance, Guillaume II s�est montr� l�ami de la paix internationale ". Il y a certes une camarilla qui pousse � la guerre. Mais on ne peut pas mettre en doute les efforts du gouvernement allemand pour sauver la paix. Rosa Luxembourg, elle-m�me, qui �tait � la gauche du parti, d�cerne � Guillaume II un " brevet de pacifisme ". La presse socialiste pr�sente le conflit comme une affaire austro-russe, et il est bien �vident que pour les sociaux-d�mocrates est essentielle la haine du tsarisme. De plus en plus, le ton antirusse pr�vaut dans la presse socialiste allemande. En m�me temps, le gouvernement allemand r�ussit � prendre contact avec les leaders de la sociale-d�mocratie et � les convaincre, dans des conversations personnelles, de son d�sir de paix. Le 29 juillet, le leader socialiste S�dekum a �t� re�u personnellement par le chancelier B�thmann Hollweg, qui a voulu s�entretenir avec lui de la situation internationale. Et le 30 juillet, celui-ci peut affirmer � ses coll�gues que la social-d�mocratie lui a d�j� donn� des assurances qu�en cas de guerre il n�y aurait ni gr�ve, ni sabotage. D�s le 31 juillet, il appara�t en effet que la direction du parti n�est pas d�accord, en son sein m�me, pour savoir si elle votera les cr�dits militaires. Et le 2 ao�t � ce qui est encore plus important � s�est tenue une s�ance de la Commission directrice des syndicats, qui a d�cid� de ne rien faire pour s�opposer � la guerre qu�elle juge dor�navant in�vitable, et a m�me suspendu les gr�ves en cours.

Il reste maintenant � voir ce qui a �t� tent� par l�Internationale elle-m�me.

Dans la journ�e du 29 juillet, s�est r�uni � Bruxelles le Bureau de l�Internationale. A cette r�union assiste les personnalit�s les plus consid�rables du monde socialiste d�alors : du c�t� de la France, Jaur�s et Guesde ; du c�t� de l�Autriche, Adler ; du c�t� de l�Allemagne, Kautsky, Haase, Rosa Luxembourg ; du c�t� belge, Vanderveelde ; du c�t� anglais, Keir Hardie. La d�cision est prise d�avancer le congr�s de l�Internationale qui doit se tenir � Vienne, et de le fixer au 9 ao�t, c'est-�-dire une dizaine de jours plus tard, � Paris. Mais l�Internationale n�a pas, malgr� tout, pris position en faveur de mesures pr�cises pour organiser des manifestations destin�es � arr�ter la guerre. Keir Hardie a fait allusion, au cours des d�bats de Bruxelles, � la gr�ve g�n�rale ; mais on n�a gu�re donn� suite � son id�e. A vrai dire � et c�est l� surtout ce qu�il faut retenir �, ce qui est �tonnant dans cette r�union du 29 juillet, c�est que la plupart des d�l�gu�s ne croient pas encore � la possibilit� de la guerre. Seul v�ritablement Adler, l�Autrichien, estime qu�il est trop tard et qu�il n�y a plus rien � faire. L�immense majorit� des d�l�gu�s gardent un certain optimisme sur l�issue de la crise. Des hommes comme Haase, Jaur�s, Keir Hardie, pensent que les gouvernements reculeront au dernier moment devant l��ventualit� du conflit, et que la menace pourra �tre �cart�e en temps utile si les partis ouvriers et socialistes maintiennent une lutte conjointe, une pression continue sur ces gouvernements. Les �normes manifestations contre la guerre, qui ont eu lieu dans la soir�e du 29 � Bruxelles de la part des foules ouvri�res belges, ont affirm� l�optimisme des membres du bureau de l�Internationale.

Une derni�re tentative de l�Internationale aura lieu le 1er ao�t, et elle sera effectu�e du c�t� allemand par Hermann M�ller, d�put� socialiste (qui sera dans la p�riode d�entre les deux guerres, chancelier du Reich). Hermann M�ller est venu � Paris, accompagn� par le secr�taire de l�Internationale, Camille Huysmans, et par un interpr�te le socialiste belge De Man, pour sonder la position des socialistes fran�ais devant le vote �ventuel des cr�dits de guerre. Au moment o� il d�barque � la gare du Nord, Jaur�s vient d��tre assassin�, et l��tat de guerre proclam� en Allemagne, tandis que la mobilisation est ordonn�e en France. M�ller rencontre ses coll�gues fran�ais et leur fait part de l�opinion des sociaux-d�mocrates allemands qui sont, dit-il, divis�s. Les d�put�s socialistes fran�ais r�pondent qu�ils sont convaincus de la volont� de paix du gouvernement fran�ais et ne peuvent voter contre les cr�dits de guerre. Cependant M�ller et les socialistes fran�ais, sans prendre une d�cision ferme, se sont entendu sur la possibilit� d�une abstention commune, c'est-�-dire que les socialistes allemands et fran�ais se seraient abstenus au moment du vote des cr�dits de guerre. Seulement, quand M�ller rentra � Berlin, le 3 ao�t, il trouva l�opinion des socialistes allemands enti�rement renvers�e : par 78 voix contre 14, la fraction sociale-d�mocrate au Reichstag avait d�cid�, dans la matin�e du 3 ao�t, de voter les cr�dits de guerre. Certes, il y avait eu une opposition, repr�sent�e par des hommes comme Karl Liebknecht, Haase et Ledebour ; mais cette opposition avait c�d� et d�clar� que, puisque la majorit� se pronon�ait pour les cr�dits de guerre, elle les voterait �galement.

C�est dans ces conditions que le 4 ao�t, au Reichstag comme � la Chambre des D�put�s, les cr�dits de guerre ont �t� vot�s � l�unanimit� par les socialistes fran�ais et allemands. La justification �tait des deux c�t�s la m�me : nous menons une guerre d�fensive ; nous ne pouvons pas abandonner � l�heure du p�ril notre patrie en danger. Les partis socialistes peuvent se tenir quittes, puisque, malgr� les efforts qu�ils ont entrepris, ils n�ont pas pu emp�cher le conflit. Bien plus, la guerre pris pour chacun des bellig�rants le visage d�une guerre d�fensive, donc juste et l�gitime dans la terminologie socialiste elle-m�me.

Comment expliquer cette d�route de l�Internationale ? On a fait valoir parfois les menaces polici�res, la pression gouvernementale. Bien davantage, semble-t-il, il faut faire valoir le sentiment g�n�ral de l�impuissance. La pression du chauvinisme, le fait national, �taient trop forts pour que les socialistes pussent r�sister. Le syndicaliste fran�ais Monatte d�clara : " Je ne ferai pas au Bureau Conf�d�ral le reproche de n�avoir pas d�clench� la gr�ve g�n�rale devant la mobilisation. Nous avons �t� impuissant les uns et les autres quand la vague a pass� ". Frossard, d�put� socialiste, d�clara : " La v�rit�, c�est que le 31 juillet 1914, si nous avions voulu essayer de r�sister, nous aurions �t� emport�s par le torrent de chauvinisme qui d�ferlait � ce moment l� sur le pays ". Et Merrheim, un autre leader syndical d�clara : " A ce moment, la classe ouvri�re, soulev�e par une vague formidable de nationalisme, n�aurait pas laiss� aux agents de la force publique le soin de nous fusiller ; elle nous aurait fusill�s elle-m�me ". En fait, la France, objet d�une attaque de l��tranger, avait l�impression qu�elle volait au secours de la patrie en danger. M�me sentiment chez les socialistes allemands ; mais, cette fois, c�est contre le p�ril russe, panslave, et le r�gime tsariste, que l�on prend les armes. La crainte d�une victoire des arm�es russes d�cide les socialistes allemands. C�est ce que Haase a d�clar� � la tribune du Reichstag : " L�enjeu est pour nous d��carter le p�ril qui menace maintenant la culture et l�ind�pendance de notre patrie ". M�me sentiment chez les socialistes autrichiens qui estimaient impossible de r�agir contre la vague d�hostilit� qui d�ferlait en Autriche contre la Serbie depuis l�attentat de Sarajevo.

On voit par cons�quent que, pliant devant la peur � la France se sentant menac�e par le militarisme allemand, l�Allemagne et l�Autriche par l�empire des tsars �, les socialistes n�ont pas cru devoir s�opposer au d�ferlement du sentiment national. La guerre �tait sortie de l�opposition des imp�rialismes qui mettaient au fond � leur service les passions nationales d�cha�n�es. C�est dire que le socialisme n�avait conquis encore qu�une tr�s faible partie du monde ouvrier. Si l�on tient compte en effet du fait que, m�me en Allemagne, ce n��tait qu�une fraction de la classe ouvri�re qui �tait syndicalis�e et qui votait socialiste, on peut mesurer la faiblesse r�elle du mouvement. La social-d�mocratie avait engag� une lutte contre le temps, et elle l�avait perdue. La solidarit� internationale de classe n�avait pas eu le temps ou le moyen de se former encore. Elle a succomb� devant les passions nationales d�cha�n�es.

Le r�sultat avait �t� entrevu d�j� par quelques esprits plus perspicaces. C��tait le cas par exemple pour Trotsky, qui terminait alors son livre La Guerre et l�Internationale (qui para�tra � Z�rich en 1914) et s��tait parfaitement rendu compte que, sit�t la mobilisation proclam�e, les sociaux d�mocrates seraient r�duits � la d�fensive, et qu�au sein d�un pays emport� par la vague patriotique, l�action r�volutionnaire ne serait pas possible ; ce n�est qu�en utilisant la fatigue de la guerre, qu�une telle action r�volutionnaire pourrait plus tard se d�velopper. Et c�est l� �galement le sentiment de L�nine.

On voit quelles ont �t� les raisons de l��chec de l�Internationale. Il reste � examiner les conclusions qui en ont �t� tir�es pendant la premi�re guerre mondiale et leurs cons�quences sur l�avenir m�me de l�Internationale.

 

Notes

(1) Sur les positions des milieux syndicaux avant 1914, cf. l�article de J. Julliard dans la revue Le Mouvement Social, oct. � d�c. 1964.

(2) L�Humanit�, 30 juillet 1914, article de Jaur�s.

(3) Sur cette �volution, cf. A. Kriegel, 1914. La Guerre et le mouvement ouvrier fran�ais (Kiosque, 1964).

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