1893 |
Les fabiens étaient un courant réformiste typiquement anglais. Engels caractérise... |
Lettre à F.-A. Sorge
18 janvier 1893
Londres, le 18 janvier 1893
(…) les fabiens [1], ici à Londres, sont une bande d'arrivistes qui ont assez d'intelligence pour apercevoir le caractère inévitable de la révolution sociale, mais qui, trouvant impossible de confier ce travail de géant au prolétariat immaturé tout seul, ont par suite l'obligeance de se mettre à sa tête. La peur de la Révolution est leur principe fondamental. Ils sont les « cultivés » par excellence ; leur socialisme est un socialisme municipal ; la commune, et non la nation, doit être, au moins provisoirement, propriétaire des moyens de production. Ce socialisme qui est le leur est alors exposé comme une extrême, mais inévitable conséquence du libéralisme bourgeois, et de là s'ensuit leur tactique : ne pas combattre résolument les libéraux comme des adversaires, mais les pousser à des conséquences socialistes, ergo (c'est‑à‑dire) coqueter avec eux, to permeate liberalism with socialism [imbiber le libéralisme de socialisme], ne pas opposer aux libéraux de candidats socialistes, mais d'en faire des auxiliaires, des adeptes au besoin des dupes. Qu'à ce jeu ils soient eux-mêmes dupés et trompés ou dupent le socialisme, ils ne s'en aperçoivent naturellement pas.
Ils ont avec un grand zèle, au milieu de toute sorte de pacotille, donné aussi plus d'un bon écrit de propagande, et même réellement le meilleur de ce que les Anglais ont donné sous ce rapport. Mais dès qu'ils en arrivent à leur tactique spécifique : estomper la lutte des classes, cela se gâte. De là aussi leur haine fanatique contre Marx et contre nous tous ‑ à cause de la « lutte de classe ».
Ces gens ont naturellement bien des adhésions bourgeoises, et partant de l'argent. (…)
Notes
[1] Les fabiens appartenaient à la Société fabienne, du nom du général romain Fabius conducator, célèbre pour sa tactique face à Annibal : le refus de toute bataille frontale décisive. Ses principaux leaders étaient Beatrice et Sydney Webb. Les fabiens s’opposaient à la lutte de classes, donc au marxisme et défendaient la théorie du passage graduel au socialisme en s’appuyant sur le « socialisme municipal ».