1988

" Pendant 43 ans, de ma vie consciente, je suis rest� un r�volutionnaire; pendant 42 de ces ann�es, j'ai lutt� sous la banni�re du marxisme. Si j'avais � recommencer tout, j'essaierai certes d'�viter telle ou telle erreur, mais le cours g�n�ral de ma vie resterait inchang� " - L. Trotsky.

P. Brou�

Trotsky

V - Un homme seul ? [1]

Plus que tout autre, Trotsky a v�cu comme un cauchemar le IIe congr�s du P.O.S.D.R. Les lendemains ne sont pas moins hallucinants pour lui. Champion de l'unit� et du maintien de l'ancien comit� de r�daction de l'Iskra, il n'a pas le loisir de go�ter la revanche que devrait, en toute logique, constituer pour lui la restauration de l'�quipe dont il a vainement d�fendu le maintien.

Il revient certes � l'Iskra, avec V�ra Zassoulitch, Martov et leurs amis, mais dans une position de second plan o� le maintiennent l'hostilit� ent�t�e de Pl�khanov, le m�contentement de nombre de lecteurs contre le ton du Rapport et surtout le fait qu'il n'a plus le soutien d'un homme aussi influent que L�nine. Plus grave, quelques mois plus tard, il doit � son tour quitter l'Iskra.

L'initiative est venue de Pl�khanov. Les raisons ne lui manquent pas. L'hostilit� de l'ancien n'a pas d�sarm� contre le jeune homme, qui vient en outre de d�montrer avec �clat qu'il ne recule pas devant les violences verbales dans la pol�mique interne. Le pr�texte qu'il saisit est l'article de Trotsky, � Notre campagne " militaire " �, dans l'Iskra du 15 mars 1904. Trotsky a examin� de fa�on tr�s critique l'attitude du parti vis-�-vis de la guerre russo-japonaise qui vient d'�clater. Les attaques contre les bolcheviks ne peuvent enti�rement dissimuler qu'il s'agit en r�alit� d'une critique s�v�re de la propagande des comit�s du parti, de son incapacit� � vert�brer une v�ritable campagne, de l'abus qu'elle fait des clich�s et des g�n�ralit�s et ses inexactitudes factuelles et incertitudes th�oriques [2].

Fid�le � la tactique du coup de poing, Pl�khanov exige tout simplement du comit� de r�daction l'engagement de ne plus publier d'article de Trotsky dans l'Iskra. Tirant pr�texte des attaques contre lui dans le Rapport et de ce qu'il appelle � l'insolence � de Trotsky � son �gard, il met sa d�mission dans la balance, assurant qu'il tient pour � r�pugnant moralement � d'�tre le responsable d'un p�riodique auquel ce dernier collabore [3]. L'�tat-major des mencheviks est dans une situation difficile. Trotsky est incontestablement des leurs et, dans la p�riode de crise, il vient d'�tre l'un de leurs principaux porte-parole, alors que Pl�khanov, alli� � L�nine, cautionnait leur �limination. Mais c'est � Pl�khanov qu'ils doivent leur retour, la position reconquise � l'Iskra. Il semble qu'ils aient d'abord tent� de r�sister et d�clin� fermement la proposition de Trotsky de quitter la sc�ne de l'�migration en revenant en Russie. Martov clame que la question est � hautement principielle � et qu'il faut tenir bon. Mais il c�de, et Trotsky doit cesser sa collaboration. Premi�re br�che entre les mencheviks et lui, c'est la premi�re d�chirure sur la voie d'une rupture qui est formalis�e peu apr�s [4].

En r�alit�, la pens�e politique du jeune homme dans cette p�riode �volue d'une fa�on � certains �gards contradictoire. Plus que jamais convaincu que le prol�tariat constitue la classe qui exprime les int�r�ts de l'ensemble des travailleurs, il consid�re – et �crit dans l'Iskra – que la bataille essentielle du prol�tariat est livr�e pour son ind�pendance de classe et qu'il doit la livrer au moins aux trois quarts contre la � d�mocratie bourgeoise [5] �, ce qui le coupe des mencheviks qui veulent s'allier � cette derni�re. En m�me temps, l'approche de la r�volution ouvri�re, qu'il sent en gestation dans l'empire russe, rend urgente � ses yeux la r�unification du parti social-d�mocrate, et renforce son hostilit� � L�nine et aux bolcheviks qui sont selon lui les responsables de la scission.

C'est ainsi que le champion de l'unification se retrouve finalement isol�. Mais c'est aussi pourquoi cet isolement n'a pas pour r�sultat de le paralyser. Au contraire. On peut tenir pour vraisemblable que c'est pr�cis�ment cette ind�pendance de fait qui l'incite � s'exprimer plus librement, donc plus compl�tement qu'il ne l'avait fait jusqu'� pr�sent, et � se d�finir publiquement par rapport aux probl�mes du parti. L'occasion est bonne d'�laborer de fa�on syst�matique son analyse personnelle de la crise du parti – diagnostic et rem�des. Il n'est gu�re surprenant non plus qu'il ait voulu situer son travail dans la perspective d'une �tude historique du d�veloppement du parti au cours de ses premi�res ann�es, et que cela ait signifi� une r�vision de ce qu'avaient �t� ses impressions premi�res, avec d'importantes retouches � l'image de l'Iskra qu'il avait jusqu'alors con�ue et d�fendue.

C'est ce travail qu'il veut r�aliser dans une brochure qu'il pr�pare pendant la premi�re moiti� de 1904 et qui para�t finalement � Gen�ve au mois d'ao�t. Nos T�ches politiques est sans doute, de tous les �crits de Trotsky, celui dont le destin fut le plus �trange et la signification la plus contest�e. Analyse et pol�mique, d�bat d'id�es et pamphlet, r�quisitoire et le�on �rudite d'histoire de la R�volution fran�aise, elle manque totalement son but, la r�unification ou, du moins, la pr�paration de ses conditions. Ecrite au moment o� m�rit sa rupture avec les mencheviks, elle est en m�me temps le signe de cette �clatante rupture politique avec L�nine qui le poursuivra sa vie durant. Et sa physionomie politique ne se borne pas � son impact imm�diat : tandis que la plupart de ceux qui se r�clament de la pens�e de Trotsky �vitent aujourd'hui avec g�ne de la commenter, d'autres, qui sont ses adversaires politiques, y voient une g�niale pr�monition du stalinisme.

* * *

Les premiers chapitres, essentiellement d'analyse historique, de Nos T�ches politiques semblent traduire de la part de l'auteur une certaine distance, un recul personnel, � travers une tentative, indiscutablement solide, d'analyser le d�veloppement du Parti social-d�mocrate russe depuis son origine. Trotsky consid�re en effet que le parti a �t� conditionn� par la lutte et par une n�cessit� pressante. Il s'agissait pour lui de concilier sur le plan des principes et de coordonner sur le plan pratique les t�ches � r�volutionnaires-d�mocratiques � et les t�ches socialistes, issues de deux courants historiques ind�pendants l'un de l'autre, mais pos�es simultan�ment par l'histoire aux r�volutionnaires russes.

C'est, selon lui, sur cette contradiction que le populisme s'est bris�. Pl�khanov, d�s 1899, a indiqu� nettement la direction g�n�rale dans laquelle ce probl�me serait r�gl�, avec sa fameuse formule du congr�s de l'Internationale : � Le mouvement r�volutionnaire russe triomphera comme mouvement ouvrier ou ne triomphera pas [6].  � Pour Trotsky, l'id�e qui a domin� dans le parti depuis le d�but du si�cle, avec l'alternance des tendances, l'�re � �conomiste � suivie de l'�re � iskriste �, a �t� que la social-d�mocratie russe � veut consciemment �tre et rester � le mouvement de la classe ouvri�re. Reconsid�rant, � la lumi�re de son exp�rience dans l'�migration, son appr�ciation du r�le de l'Iskra, il pense qu'elle est loin d'avoir jou� le r�le qu'elle s'�tait fix� ; l'Iskra a en effet avant tout contribu� de fa�on tr�s importante � la diff�renciation politique � l'int�rieur de l'intelligentsia d�mocratique, mais son influence n'est gu�re all�e plus loin.

Trotsky met � l'actif de l'Iskra d'avoir �clair� la conscience de l'intelligentsia sur les int�r�ts et le r�le historique du prol�tariat. Mais il souligne qu'elle n'a nullement contribu� � � d�limiter politiquement � le prol�tariat lui-m�me, notamment parce qu'elle n'a jamais propos� de normes tactiques destin�es � faciliter ce qu'il appelle � la politique autonome de classe du prol�tariat  � et le d�veloppement de sa conscience � travers son exp�rience [7]. C'est l� une s�rieuse critique de fond du bilan et des conceptions de l'ancienne Iskra qu'il formule, sans pol�miquer vraiment :

� Le parti n'est pas compos� simplement de lecteurs assidus de l'Iskra, mais d'�l�ments actifs du prol�tariat qui manifestent quotidiennement leur pratique collective [...]. C'est pour susciter cette activit� collective, pour la faire progresser, pour la coordonner et pour lui donner forme, que nous avons besoin d'une organisation souple, mobile, capable d'initiative, d'une � organisation de r�volutionnaires professionnels �, non pas de colporteurs de litt�rature, mais de dirigeants politiques du parti [8]. �

Pour lui, l'ancienne Iskra n'a pas r�pondu – et n'a pas cherch� � r�pondre – � ce besoin. Elle a en particulier splendidement ignor� toutes les t�ches qui devraient pr�cis�ment aider le d�veloppement de l'activit� autonome du prol�tariat au m�me rythme que sa conscience. S'appuyant sur des lettres et rapports de Russie, il d�montre que � le journal organisateur � et son r�seau d'� agents � n'ont pas su – et sans doute pas voulu – organiser et mener les campagnes syst�matiques d'agitation, dans la classe ouvri�re et � partir d'elle, qui s'imposaient dans la p�riode r�cente par exemple pour l'�tablissement du suffrage universel ou contre la guerre russo-japonaise.

Il souligne en outre la disparition des pr�occupations, des dirigeants comme du journal, de ce qu'il appelle � les questions de tactique politique � sur lesquelles les travailleurs doivent devenir capables de se prononcer concr�tement : d�sormais, ce sont � les comit�s � qui fournissent une orientation toute pr�te et �ventuellement la modifient et, dans ses relations avec les autres organisations sociales, le parti fait appel � la force abstraite des int�r�ts de classe du prol�tariat, � non � la force r�elle du prol�tariat conscient de ses int�r�ts de classe  �.

Pour Trotsky, l'ancienne Iskra, par ses conceptions g�n�rales de travail, a instaur� dans le parti ce qu'il appelle le � substitutisme �, la pratique qui consiste � penser pour le prol�tariat et � sa place, � se substituer politiquement � lui [9]: on renonce ainsi � construire � un parti qui l'�duque politiquement et le mobilise �. S'appuyant sur quelques exemples emprunt�s � la correspondance russe, il accuse, assurant que � le trait caract�ristique de la p�riode [...], c'est l'�mancipation des " r�volutionnaires professionnels " de toutes obligations, non seulement morales mais aussi politiques, envers les �l�ments conscients de la classe au service de laquelle nous avons d�cid� de consacrer notre vie [10] �. La conclusion, sur ce point, rev�t les accents d'un verdict s�v�re :

� Les comit�s ont perdu le besoin de s'appuyer sur les ouvriers dans la mesure o� ils ont trouv� appui sur les " principes " du centralisme [11]. �

Reliant l'exp�rience des � iskristes � � celle des � �conomistes �, qui l'avait pr�c�d�e, Trotsky formule ce qui lui para�t l'explication commune de leur �chec aux uns et aux autres :

� Tout comme " l'auto-d�termination " des " �conomistes ", le substitutisme politique de leurs antipodes n'est rien d'autre qu'une tentative du jeune parti social-d�mocrate de " ruser " avec l'histoire. [...] Si les " �conomistes " ne dirigent pas le prol�tariat parce qu'ils se tra�nent derri�re lui, les " politiques " ne dirigent pas le prol�tariat parce qu'ils remplissent eux-m�mes ses propres fonctions [12]. �

Trotsky se livre ensuite � une critique serr�e des principes d'organisation mis en avant par L�nine dans la p�riode de l'Iskra, particuli�rement de la division du travail qui aboutit � ce que L�nine appelle le � militant parcellaire �, coup� du travail formateur. Il y voit la manifestation de � la banqueroute des id�aux " manufacturiers " en mati�re d'organisation [13]  �, Il s'insurge �galement contre l'identification, souvent faite par L�nine, entre � la discipline de la fabrique � et ce qu'il appelle, lui, � la discipline politique et r�volutionnaire du prol�tariat  �. Il faut, �crit-il, tourner dor�navant le dos � ce qu'a �t� l'activit� de l'Iskra, que l'on peut r�sumer par la formule : � Se battre pour le prol�tariat, pour ses principes, pour son but final [...] dans le milieu de l'intelligentsia r�volutionnaire [14]. � La garantie de la stabilit� du parti ne se trouve, selon lui, dans la p�riode qui vient, ni dans la division du travail ni dans le respect d'une � discipline de fabrique �, mais dans la base qu'il lui faudra conqu�rir � travers l'adh�sion consciente d'un prol�tariat actif et capable d'agir de fa�on autonome.

Au fur et � mesure que la brochure progresse et que l'auteur approche des pol�miques r�centes, les allusions � L�nine se multiplient sous forme pol�mique. Il l'accuse de � d�magogie d�brid�e [15] �, de � cynisme � � l'�gard du patrimoine id�ologique du prol�tariat [16]  �, d'ignorance de la dialectique qu'il � ravale au rang de la sophistique [17] � et de m�pris � l'�gard de ses propres partisans. Ces notations acerbes sont pourtant encore �parses dans la d�monstration serr�e de Trotsky � partir de son analyse de la situation du parti.

Tout change avec l'avant-dernier chapitre, enti�rement dirig� contre la formule de L�nine, employ�e dans � Un Pas en avant, deux pas en arri�re � et selon laquelle � le jacobin li� indissolublement � l'organisation du prol�tariat devenu conscient de ses int�r�ts de classe [...] c'est justement le social-d�mocrate r�volutionnaire [18] �.

Trotsky se d�cha�ne. En historien d'abord, et m�me, d'une certaine fa�on, en �rudit, il fait le proc�s de l'assimilation ainsi pratiqu�e par L�nine entre jacobinisme et social-d�mocratie, une d�monstration �tincelante, malgr� son indiscutable p�dantisme, et que rythme, comme un refrain, son affirmation : � Deux mondes, deux doctrines, deux tactiques, deux mentalit�s, s�par�s par un ab�me [19].  �

Puis il s'empare des traits de ce � jacobinisme  �, revendiqu� par L�nine dans le cours de sa pol�mique, pour faire le proc�s de l'ancienne Iskra, dont il assure que la sagesse politique se ramenait � l'aphorisme : � Je ne connais que deux partis, celui des bons et celui des mauvais citoyens �, grav�, dit-il, � dans le cœur de Maximilien L�nine [20]  �. Les affirmations et les caract�risations rigoureuses s'accumulent. � La pratique du soup�on et de la m�fiance � caract�risait l'ancienne Iskra dont la t�che consistait � � terroriser th�oriquement � l'intelligentsia. L�nine se croit entour� de machinations et d'intrigues ; ses adversaires agissent, � sournoisement � et doivent �tre � mis hors d'�tat de nuire � : c'est pourquoi il a instaur� dans le parti � le r�gime de l'�tat de si�ge � et de la � terreur �. Ce � m�taphysicien politique � se � d�tache de la logique historique du d�veloppement du parti �, et c'est ce qui nourrit chez lui une � m�fiance, malveillante et moralement p�nible, plate caricature [...] de l'intol�rance tragique du jacobinisme  �.

� Chef de l'aile r�actionnaire du parti �, L�nine a donn� de la social-d�mocratie, en l'assimilant au jacobinisme, une � d�finition qui n'est autre qu'un attentat th�orique contre le caract�re de classe [21] � de ce parti : Trotsky estime qu'il s'agit en effet l� d'un attentat non moins dangereux que le r�visionnisme de Bernstein, puisqu'il identifie la social-d�mocratie � la variante jacobine du lib�ralisme. Il termine en sommant L�nine de choisir :
� Ou bien jacobinisme, ou bien socialisme prol�tarien !
� Ou bien vous abandonnez la seule position de principe que vous ayez r�ellement prise en luttant contre la "minorit�", ou bien vous abandonnez le terrain du marxisme que vous avez d�fendu apparemment contre la " minorit� " [22]. �

Souvent confondu par les commentateurs avec l'avant-dernier, le dernier chapitre est consacr�, au moins formellement, � la critique de comit�s de l'Oural, influenc�s par les bolcheviks, et de leur d�fense des positions de L�nine. Analysant un de leurs textes, Trotsky souligne que ces militants se repr�sentent la dictature du prol�tariat sous la forme d'une dictature sur le prol�tariat, exerc�e par � une organisation forte et puissante �, r�gnant sur la soci�t� tout enti�re et ayant pour t�che d'assurer le passage au socialisme. Il poursuit :

� Pour pr�parer la classe ouvri�re � la domination politique, il est indispensable de d�velopper et de cultiver son auto-activit�, l'habitude de contr�ler activement, en permanence, tout le personnel ex�cutif de la r�volution. Voil� la grande t�che politique que s'est fix�e la sociald-�mocratie internationale. Mais, pour les " jacobins social-d�mocrates ", pour les intr�pides repr�sentants du substitutisme politique, l'�norme t�che sociale et politique qu'est la pr�paration d'une classe au pouvoir d'�tat, est remplac�e par une t�che organisationnelle-tactique, la fabrication d'un appareil de pouvoir [23]. �

Or une telle � fabrication � ne peut se traduire, dans le parti lui-m�me, que par une s�lection d'ex�cutants disciplin�s et l'�limination m�canique de tous ceux qui ne r�pondent pas � ce mod�le. C'est une conception qui rejoint celle de l'� �tat de si�ge � � l'int�rieur du parti, pr�conis� et inspir� par L�nine.

S'effor�ant alors d'�lever le d�bat jusqu'au r�gime m�me de la � dictature du prol�tariat � et entreprenant de r�pondre aux gens de l'Oural sur les causes de la d�faite de la Commune de Paris, Trotsky �crit :

� Si nous imaginons quelque peu les t�ches colossales (non pas les t�ches d'organisation, les probl�mes de conspiration, mais les taches socio-�conomiques et socio-politiques) que met en avant la dictature du prol�tariat, ouvrant une nouvelle �poque historique ; si, en d'autres termes, la dictature du prol�tariat n'est pas pour nous une phrase creuse, qui couronne notre " orthodoxie " formelle dans les luttes � l'int�rieur du parti, mais une notion vivante, qui d�coule de l'analyse de la lutte sociale toujours plus large et plus aigu� du prol�tariat contre la bourgeoisie, alors nous ne tirons pas comme les Ouraliens la conclusion stupide que la Commune a �chou� faute de dictateur, alors nous ne l'accusons pas d'avoir comport� " trop de disputes et trop peu d'action " et nous ne lui recommandons pas, a posteriori, d'�liminer les disputailleurs (les intrigants, les d�sorganisateurs, les adversaires malveillants) par la " dissolution " et la " privation des droits ". Les t�ches du nouveau r�gime sont si complexes qu'elles ne pourront �tre r�solues que par la comp�tition entre diff�rentes m�thodes de construction �conomique et politique, que par de longues " discussions ", que par la lutte syst�matique, lutte non seulement du monde socialiste avec le monde capitaliste, mais aussi lutte des divers courants et des diverses tendances � l'int�rieur du socialisme : courants qui ne manqueront pas d'appara�tre in�vitablement d�s que la dictature du prol�tariat posera par dizaines, par centaines, de nouveaux probl�mes, insolubles � l'avance. [...] La classe ouvri�re [...] devra absolument � l'�poque de sa dictature – comme il le faut maintenant – nettoyer sa conscience des fausses th�ories, des modes de pens�e bourgeois, et expulser de ses rangs les phraseurs politiques et tous ceux dont les cat�gories de pens�e sont surann�es. Mais on ne peut op�rer une substitution de cette t�che complexe en mettant au-dessus du prol�tariat un groupe bien s�lectionn� de personnes ou, mieux, une seule personne nantie du droit de dissoudre et de d�grader. [...] La Commune justement [...] a montr� que la seule base pour une politique sociale non aventuriste ne peut �tre que le prol�tariat autonome, et non une classe � laquelle on insuffle un " �tat d'esprit " en faveur d'une organisation forte et puissante au-dessus d'elle [24]. �

Trotsky est ainsi sans doute le seul socialiste au monde � se pr�occuper � cette date des probl�mes de la future � dictature du prol�tariat � ... qu'il aura l'occasion d'explorer plus concr�tement quelques ann�es plus tard.

La place de Nos T�ches politiques dans la biographie de Trotsky reste encore � d�montrer ; nous reviendrons sur cette question. Cette diatribe follement excessive contre L�nine – qui, apr�s tout, n'avait exclu et a fortiori fait ex�cuter personne – a constitu� plus tard, pour un Trotsky ralli� en 1917 aux conceptions d'organisation de L�nine, un document terriblement g�nant au sujet duquel, dans le reste de sa vie, il a observ� une grande discr�tion. Par ailleurs, l'attaque qu'il a men�e alors contre les m�thodes qui, selon lui, conduisent � l'organisation du parti � " se substituer " au parti, le comit� central � l'organisation du parti et finalement le dictateur � se substituer au comit� central � peut �tre tenue – et est effectivement tenue par certains – comme une prescience de ce qu'allait �tre le stalinisme, ce qui donne � Nos T�ches politiques une dimension qu'il faudrait beaucoup de parti pris pour lui contester, au moins a priori.

Sur le moment, elle ne pouvait que contribuer � aggraver les antagonismes et m�me � envenimer la discussion. Isaac Deutscher pense que, dans sa pol�mique contre L�nine avec cette brochure, Trotsky a d�pass� le caract�re, tacitement admis jusque-l�, de limitation de la diatribe personnelle et qu'il a employ� des �pith�tes qui n'ont pu que choquer, puisqu'elles �taient adress�es � un homme qualifi� au m�me moment de � camarade �. Dans l'imm�diat, en tout cas, et dans le contexte de la pol�mique interne dans le cadre de la crise du parti, c'est contre la politique de r�conciliation pr�conis�e par Trotsky qu'elle a jou�. Il n'est en effet pas douteux que Nos T�ches politiques a creus� le foss� avec les bolcheviks, ainsi mis en accusation – en quels termes! –, et fait appara�tre Trotsky comme l'ultra des mencheviks au moment o�, pourtant, il allait proposer la dissolution de leur fraction.

Cette brochure de combat contre L�nine est en effet pr�c�d�e d'une pr�face dans laquelle la question de la crise du parti est trait�e avec un incontestable optimisme. Au point qu'on doit se demander pourquoi, dans une telle situation, Trotsky n'a pas renonc� � sa publication. Il constate en effet que � la phase la plus aigu� est pass�e � et que � les partisans de l'unit� du parti peuvent regarder devant eux avec assurance �. Parvenu � � un tournant de son �volution interne �, le parti devrait rapidement voir se r�aliser � une concentration sur des t�ches communes �. Il �crit m�me :

� Cet apaisement, auquel aspirent tous les �l�ments sains du parti, signifie la mort, en tant que force organisationnelle, de ce qu'il est convenu d'appeler la " minorit� ". […] La fin du r�gime (de " l'�tat de si�ge ") dans le Parti signifie en m�me temps la mort organisationnelle de notre minorit� [25]. �

Mais l'opinion de Trotsky ne suffisait pas pour que la minorit� menchevique d�cr�te sa propre disparition. La discussion commence un mois apr�s la parution de la brochure. Trotsky souhaite un accord avec le comit� central bolchevique en vue de la cr�ation d'un nouveau centre, stable, du parti. Le d�bat se termine par un compromis boiteux. Trotsky obtient satisfaction avec la d�cision formelle, pas encore publique, des mencheviks, de dissoudre leur fraction, � leur parti dans le parti �. Lui-m�me, semble-t-il, gr�ce aux efforts de P.B. Akselrod, recommence sa collaboration � l'Iskra, qu'ils contr�lent. Le r�sultat pratique est tout diff�rent. La fraction menchevique subsiste, Trotsky est bel et bien seul entre deux fractions. Et par-dessus le march�, sa collaboration, par des � Notes politiques � � l'Iskra, fait de lui, aux yeux des militants, le menchevik qu'il n'est plus [26] …

* * *

C'est cette m�me ann�e que Trotsky, devenu une sorte de franc-tireur dans le parti, rencontre un autre franc-tireur, du mouvement international, Aleksandr Israelovitch Helphand. L'homme est, comme lui, originaire d'une famille juive du sud de la Russie, comme lui devenu militant � l'universit�, comme lui �migr�. Il a douze ans de plus que lui. La rencontre a une tr�s grande importance dans la biographie personnelle et politique de Trotsky [27]. Helphand est en quelque sorte � l'intersection des mouvements allemand et russe, l'interm�diaire qui tire toute sa force de cette situation. Sa maison, dans le faubourg des artistes de Munich, Schwabing, est un lieu de rencontre. Bien des r�fugi�s y ont v�cu, pass�. L�nine y a rencontr� Rosa Luxemburg, et elle abrite une grosse presse � imprimer. Journaliste et �conomiste marxiste reconnu, collaborateur de la revue th�orique Die neue Zeit, animateur du bulletin de presse Aus der Weltpolitik, connu sous les pseudonymes litt�raires militants de Molotov, puis Parvus, l'homme est consid�r� comme d'extr�me gauche dans le parti allemand. Avec lui et sous sa direction, Trotsky s'introduit dans la vie artistique, la vie de boh�me du Munich litt�raire, se lie aux dessinateurs et aux chroniqueurs du prestigieux Simplicissimus [28].

On discutera sans doute longtemps la question de savoir lequel des deux hommes influen�a le plus l'autre dans ce compagnonnage et cette amiti� nou�s en 1904, et aussi le caract�re privil�gi� de cette influence. L'Australien Nicholas S. Weber, dans un article r�cent, a soulign� combien l'influence des id�es de Karl Kautsky et de Rosa Luxemburg sur la pens�e de Trotsky en ces ann�es n'est pas loin d'�galer celle de Parvus-Helphand. Trotsky, en tout cas, lui rend dans Ma Vie un int�ressant hommage :

� Parvus �tait [...] en pleine possession de la m�thode de Marx, voyait largement, se tenait au courant de tout ce qui se passait d'important sur l'ar�ne mondiale et, avec l'exceptionnelle hardiesse de sa pens�e, son style viril, muscl�, fit de lui un �crivain v�ritablement remarquable. Ses travaux d'antan m'avaient conduit aux questions de r�volution sociale et, par lui, j'arrivai � me repr�senter la conqu�te du pouvoir par le prol�tariat non comme une " finale " � distance astronomique, mais comme la t�che pratique de notre temps [29]. �

En 1903, dans la crise du parti, Helphand avait pris parti pour les mencheviks sans pour autant se d�partir d'une certaine position d'arbitre. Maintenant il apportait � Trotsky sa vision mondiale, l'id�e que la guerre russo-japonaise marquait le d�but d'une s�rie de crises, ouvrait la perspective de la r�volution russe et d'une guerre mondiale. C'est un peu avant l'arriv�e de Trotsky chez lui que Parvus avait �crit pour l'Iskra une s�rie intitul�e � Guerre et r�volution �, consacr�e pr�cis�ment au d�but de la guerre russo-japonaise, � aube sanglante de grands �v�nements � venir �. Convaincu qu'elle sonnait le glas de la stabilit� europ�enne et de la fin de l'�re de l'�tat-nation, il y voyait le d�but d'un cycle de guerres provoqu�es par la r�action des forces productives contre l'�treinte �touffante des barri�res douani�res la recherche du nouveaux march�s � coups de canon. Il entrevoyait les troubles politiques en Russie, leur influence sur les Etats capitalistes occidentaux, et la � r�volution russe �. Il �crivait cette phrase, stup�fiante � l'�poque :

� La r�volution russe secouera les fondements politiques du monde capitaliste et le prol�tariat russe jouera le r�le d'avant-garde de la r�volution sociale [30]. �

C'�tait vraisemblablement la premi�re fois qu'un �crivain marxiste abordait la question de la r�volution russe, non pas seulement comme le r�sultat d'un d�veloppement exclusivement russe, mais comme reflet en Russie des contradictions sociales mondiales, liant ainsi r�volution russe et lutte des classes dans le monde. Trotsky ne pouvait qu'�tre sensible � cette m�thode, une fa�on de penser, une ouverture qu'il recherchait et dont il exprimait le besoin dans tous ses pronostics et ses analyses. L'influence probable d'Helphand, sa longue familiarit� avec le sujet ne pouvaient qu'approfondir ses divergences avec les mencheviks, moins que quiconque port�s � tester les possibilit�s d'�clatement de la r�volution en Russie.

Or ces divergences vont �tre encore aggrav�es par les d�veloppements politiques qui s'acc�l�rent en Russie. Les revers militaires face au Japon conduisent � la crise politique. En juillet 1904, l'homme qui avait incarn� la r�pression depuis des ann�es, le comte Plehve, est assassin� par l'organisation de combat socialiste-r�volutionnaire. Son successeur, le prince Sviatopolk-Mirsky, ancien commandant de la gendarmerie, nomm� quelques semaines plus tard, gagne, en lib�rant quelques prisonniers politiques et en mettant fin � l'exil de quelques d�port�s, la r�putation d'un homme de compromis. En novembre se tient ce qui n'est officiellement qu'une � conf�rence priv�e � d'un certain nombre de d�l�gu�s des zemstvos, mais qu'une opinion impatiente et abus�e baptise � congr�s des zemstvos �. Cette agitation des lib�raux se poursuit dans le pays par une campagne de banquets en laquelle les �l�ments lib�raux – avec leurs r�centes recrues, les � marxistes l�gaux � de Strouv� – et m�me les mencheviks, placent beaucoup d'espoirs ; de leur c�t�, les bolcheviks, d'une part, Trotsky, de l'autre, persuad�s que les lib�raux sont terroris�s par la menace de la r�volution, pensent qu'ils sont en r�alit� � la recherche d'un compromis avec le tsarisme.

En novembre et en d�cembre 1904, Trotsky se consacre � un travail d'analyse de la situation russe � laquelle il accorde toute son attention. Il souligne la l�chet� dont les lib�raux font preuve vis-�-vis du gouvernement tsariste en guerre, allant jusqu'� parler de � notre monarque � et de � notre guerre �. Il ironise sur le pr�tendu � printemps � du prince Sviatopolk-Mirsky et l'affirmation de ce dernier que son gouvernement a confiance... dans le peuple. Il souligne fortement que le � congr�s des zemstvos � s'est prudemment abstenu de revendiquer le suffrage universel, voire simplement une constitution. Convaincu de la faiblesse et de la l�chet� politique des lib�raux, pr�ts � trahir leurs propres principes sans la moindre vergogne, il conclut que tout, dans la situation russe, d�montre que seuls les ouvriers, les prol�taires des usines, sont en mesure de porter au tsarisme un coup d�cisif [31]. C'est � partir de l� qu'il faut �laborer la politique social-d�mocrate, affirme-t-il.

Il sort de ces mois de travail une brochure tout enti�re impr�gn�e du � pressentiment de l'imminence de la r�volution [32] � : � L'incroyable devient r�el, l'impossible devient probable [33] �, �crit-il. La soci�t� russe secoue ses cha�nes. Trotsky entrevoit le chemin de cette r�volution qu'il pressent. Il la d�crit se mat�rialisant dans les d�brayages, les gr�ves, les meetings de masse, les manifestations de rue, la gr�ve g�n�rale, avec une exactitude fulgurante qui se manifestera avec �clat en octobre 1905 et en f�vrier 1917, mais qui n'avait � l'�poque aucun pr�c�dent.

Convaincu que c'est dans les villes industrielles que se d�roulera le combat r�volutionnaire, il souligne �galement l'importance de la paysannerie, de ses �normes ressources d'�nergie. Il pense que la classe ouvri�re, dont le r�le est d�terminant, ne doit pas compter sur la bourgeoisie et, en revanche, veiller � ne pas se couper de la paysannerie. C'est directement sous cet angle qu'il aborde la question cl� de l'arm�e, d�cisive pour la r�pression contre le mouvement ouvrier. Il d�montre que les social-d�mocrates doivent mener une intense agitation aupr�s des paysans sous l'uniforme afin qu'ils ne puissent pas, le moment venu, �tre utilis�s pour �craser la gr�ve g�n�rale et l'insurrection ouvri�re.

La brochure n'�tait pas encore publi�e – et les mencheviks de Gen�ve h�sitaient beaucoup � le faire – quand se produisit � Saint-P�tersbourg le fameux � dimanche rouge  �, la fusillade devant le Palais d'Hiver o� des milliers d'ouvriers en famille, portant ic�nes et portraits du tsar, �taient venus derri�re le syndicaliste � jaune � et informateur de la police, le p�re Gapone, pr�senter au monarque leurs revendications. Trotsky raconte :

� Le 10 (23) janvier au matin, je rentrais � Gen�ve d'une tourn�e de conf�rences, fatigu�, bris� par la nuit pass�e sans dormir en wagon. Un gamin me vendit un journal qui datait de la veille. On parlait d'une manifestation d'ouvriers qui devait se diriger vers le Palais d'Hiver, mais on en parlait au futur. Je conclus que la manifestation n'avait pas eu lieu.
� Une heure ou deux apr�s, je passai � la r�daction de l'Iskra. Martov �tait dans tous ses �tats.

"Elle n'a pas eu lieu ? lui dis-je.

- Comment pas eu lieu", s'�cria-t-il, s'�lan�ant vers moi. "Nous avons pass� toute la nuit au caf� � lire les derniers t�l�grammes. Mais vous ne savez donc rien ? Tenez, tenez, tenez !"
� Il me tendait un num�ro du jour. Je parcourus les dix premi�res lignes d'un compte rendu t�l�graphique sur le dimanche sanglant. Un flot sourd et br�lant me monta � la t�te.

� Je ne pouvais plus rester � l'�tranger [34].  �

Dans le cours de ses pr�paratifs de d�part, il revient chez Helphand pour lui demander conseil et lui fait lire les �preuves de la brochure qu'il se propose maintenant de titrer Avant le 9 janvier, et que retiennent toujours les h�sitations des mencheviks. Passionn� par cette lecture, Helphand r�dige en quelques semaines une pr�face dans laquelle il souligne que la manifestation du 9 janvier, bien qu'elle se soit d�roul�e derri�re un pope, a constitu� la premi�re gr�ve g�n�rale politique et que la r�volution russe prend le chemin de la gr�ve g�n�rale. Il ajoute cette id�e tout � fait neuve � l'�poque :

� Seuls les ouvriers peuvent mener � bien le changement r�volutionnaire en Russie. Le gouvernement provisoire r�volutionnaire en Russie sera un gouvernement de d�mocratie ouvri�re. Si la social-d�mocratie se place � la t�te du mouvement r�volutionnaire du prol�tariat russe, alors ce gouvernement sera social-d�mocrate. Si, dans son initiative r�volutionnaire, la social-d�mocratie se s�pare du prol�tariat, elle deviendra une fraction sans importance [35].

Ces conclusions ne sont pas celles de Trotsky, bien qu'il n'en soit pas tr�s �loign�. Elles vont �tre �prement discut�es dans la presse social-d�mocrate de toutes les tendances. Les mencheviks refusent la participation �ventuelle � un gouvernement provisoire qui, selon eux, ne saurait �tre que bourgeois, dans le cadre d'une r�volution bourgeoise. Les bolcheviks, convaincus que la bourgeoisie est domin�e par sa peur de la r�volution, ne refuseraient pas d'entrer dans un gouvernement r�volutionnaire o� pr�domineraient des �l�ments d�mocratiques, mais ils consid�rent que l'id�e d'Helphand risque de semer des illusions dangereuses sur la possibilit� d'apparition d'un gouvernement social-d�mocrate.

Dans deux lettres politiques de mars 1905, Trotsky pr�cise sa propre position. Commentant les d�faites des arm�es tsaristes, l'�branlement du r�gime, la mont�e de l'insurrection populaire, il d�finit les probl�mes d'organisation de la r�volution et de sa victoire. Le prol�tariat a r�v�l� une masse � d'�nergie r�volutionnaire et de t�nacit� r�volutionnaire � qui lui a permis d'en arriver � � ce prologue de la Grande R�volution russe �. Les mots d'ordre qu'il pr�conise sont la convocation d'une assembl�e constituante, le d�sarmement de la r�action, l'armement de la r�volution et la mise sur pied d'un gouvernement provisoire. L'Iskra menchevique marque ses r�serves vis-�-vis de cette politique...

Trotsky va revenir, une op�ration qu'il faut organiser minutieusement car le risque est important. Il la pr�pare donc m�ticuleusement sur le plan technique. Il la pr�pare aussi politiquement, dans des notes insistant sur la lutte implacable qu'il faut mener contre le lib�ralisme, sur le r�le dirigeant du prol�tariat dans la r�volution. Il se pose, des mois avant que le d�veloppement historique ne les soul�ve, les probl�mes de l'armement du prol�tariat, de la fraternisation avec les militaires, tous les probl�mes de la technique r�volutionnaire qui deviendront dans quelques mois des probl�mes concrets et ne semblent pour le moment que des r�veries d'�migr�.

Ainsi, en quelques semaines, l'homme seul qu'il �tait devenu se plonge-t-il, tant par son analyse que par son imagination, dans le mouvement des masses qui commence � bouillonner en Russie et dans lequel il va totalement s'immerger. Natalia Ivanovna est partie en avant-garde pour pr�parer le point de chute et les liaisons n�cessaires. Quelques jours plus tard, Trotsky refait en sens inverse le chemin qu'il a parcouru � l'automne 1902, deux ans et demi plus t�t, apr�s son d�part de Verkholensk. Rien d'�tonnant si sa derni�re �tape � europ�enne � se situe � Vienne, toujours chez Victor Adler, o� un coiffeur lui � fait une autre t�te [36] �. Le respectable dirigeant du Parti social-d�mocrate autrichien donne quelques informations � cet homme jeune qui n'est plus du tout le provincial fugitif qu'il a accueilli deux ans auparavant. Dans l'intervalle, il a �t� au cœur des luttes fractionnelles de la social-d�mocratie russe en �migration.

Mais il leur tourne r�solument le dos pour aller rejoindre les masses en mouvement dans l'empire du tsar.

R�f�rences

[1] A la brochure Nos t�ches politiques, Paris, 1970, il faut ajouter ici la biographie de Parvus par Z.B. Zeman et W.B. Scharlau, The Merchant of Revolution. The Life of Aleksandr Israelovitch Helphand (Parvus), 1867-1924, Londres, 1965, ainsi que la communication de G, Migliardi � La Rivoluzione Rusa del 1905 �, Pensiero e Azione…, pp. 133-146.

[2] Iskra, 15 mars 1904.

[3] Pisma Akselroda, op, cit., pp, 101-104.

[4] Ibidem, pp. 110-111.

[5] � Pisma obo svem �, Iskra, n� 55, 15 d�cembre 1903, &  n� 59, 18 f�vrier 1904.

[6] Nos t�ches politiques (N.T.P.), p. 48.

[7] Ibidem, p. 69.

[8] Ibidem, p. 93.

[9] Ibidem, p. 103.

[10] Ibidem, p. 147.

[11] Ibidem.

[12] Ibidem, pp. 126-127.

[13] Ibidem, p. 144.

[14] Ibidem, p. 148.

[15] Ibidem, p. 159.

[16] Ibidem, pp. 159-160.

[17] Ibidem, p. 163.

[18] Cit� ibidem, p. 183.

[19] Ibidem, pp. 187-189.

[20] Ibidem, p. 190.

[21] Ibidem, p. 192.

[22] Ibidem, p. 195.

[23] Ibidem, pp. 198-199.

[24] Ibidem, pp. 201-203.

[25] Ibidem, pp. 40 & 42.

[26] Adam B. Ulam. The Bolsheviks, New York, 1965, �d. 1968, p. 197.

[27] N.S. Weber. � Parvus. Luxemburg and Kautsky on the 1905 Russian Revolution : The Relationship with Trotsky �, Australian Journal of Politics and History, n� 3, 1975, pp. 39-53.

[28] Zeman & Scharlau, op. cit., p. 66.

[29] M.V., I, p. 261.

[30] Iskra. n� 82, 1� janvier 1905.

[31] Deutscher, op. cit., II, p. 157.

[32] Il s'agit de la brochure qui sera finalement titr�e Do deviatogo Janvar. Gen�ve, 1905.

[33] Trotsky, Sotch. II, p. 3.

[34] M.V., I, p. 259.

[35] Pr�face de Do deviatogo  Janvar, p. IX.

[36] M.V., I, p. 262.

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