Discours au Congr�s de l'Internationale communiste sur les conditions d'admission � l'I.C.

A. Bordiga

1920

Je vais vous soumettre quelques observations que je propose d'ajouter � l'introduction aux th�ses pr�sent�es par le Comit�, et une proposition de modification au point 16 [15 dans le texte d�finitif ], qui d�clare :

� Les partis qui conservent jusqu'� ce jour les anciens programmes social-d�mocrates ont pour devoir de les r�viser sans tarder et d'�laborer un nouveau programme communiste, adapt� aux conditions sp�ciales de leur pays et con�u dans le sens de l'Internationale Communiste. Comme r�gle g�n�rale, les programmes des partis affili�s � la III� Internationale sont ratifi�s par un congr�s mondial ou par le Comit� Ex�cutif. En cas de refus par ces derniers de les ratifier, le parti en cause est en droit de faire appel au Congr�s de l'Internationale Communiste �.

Ce Congr�s a une importance capitale; il doit d�fendre et assurer les principes essentiels de la IIIe Internationale. Lorsqu'en avril 1917, je crois, le camarade L�nine revenait en Russie et qu'il esquissait les lignes principales du nouveau programme du Parti Communiste, il nous parlait de la reconstruction de l'Internationale. Il disait que ce travail devait avoir deux bases essentielles: qu'il fallait �carter d'un c�t�, les social-patriotes et de l'autre, les social-d�mocrates, ces socialistes de la II� Internationale qui voyaient la possibilit� de l'�mancipation du prol�tariat, sans une lutte de classes pouss�e jusqu'au recours aux armes, sans la n�cessit� de r�aliser la dictature du prol�tariat apr�s la victoire, dans la p�riode insurrectionnelle.

La r�alisation r�volutionnaire de Russie nous ramenait ainsi sur le terrain du marxisme, et le mouvement r�volutionnaire qui avait �t� sauv� des ruines de la II� Internationale s'orientait sur ce programme. Et le travail qui commen�ait donnait lieu � la constitution officielle d'un nouvel organisme mondial. Je pense que dans la situation actuelle - qui n'a rien de fortuit, mais qui est d�termin�e par la marche de l'histoire, nous courons le danger de voir s'introduire parmi nous des �l�ments, tant de la premi�re que de la seconde cat�gorie, que nous avions �loign�s.

Apr�s que le mot d'ordre �r�gime des soviets� fut lanc� dans le monde par le prol�tariat russe et le prol�tariat international, on a vu la vague r�volutionnaire remonter tout d'abord, apr�s la fin de la guerre, et le prol�tariat du monde entier se mettre en marche. Nous avons vu dans tous les pays les anciens partis socialistes se s�lectionner et donner naissance � des partis communistes qui ont engag� la lutte r�volutionnaire contre la bourgeoisie.

Malheureusement, la p�riode qui a suivi a �t� une p�riode d'arr�t, car les r�volutions allemande, bavaroise et hongroise ont �t� �cras�es par la bourgeoisie.

La guerre est maintenant loin dans le pass�. Le probl�me de la guerre et de la d�fense nationale ne se pose plus d'une fa�on imm�diate, et il est tr�s simple de nous dire maintenant que dans une prochaine guerre on ne retombera pas dans les anciennes erreurs, c'est-�-dire dans les fautes de l'union sacr�e et de la d�fense nationale. Dans la pens�e des centristes, la r�volution est loin dans l'avenir, elle ne se pose pas comme un probl�me imm�diat: et ils d�clarent accepter les th�ses de la III� Internationale: le pouvoir des soviets, la dictature du prol�tariat, la terreur rouge.

Ce serait donc un grand danger pour nous, si nous commettions la faute d'accepter ces gens dans nos rangs.

La III� Internationale ne peut acc�l�rer le cours de l'histoire. Elle ne peut pas cr�er la r�volution ni la susciter par la force. Nous ne pouvons que pr�parer le prol�tariat. Mais il faut, camarades, que notre mouvement garde l'avantage que lui donne l'exp�rience de la guerre et de la R�volution Russe. C'est � cela, je pense, qu'il faut porter la plus grande attention.

Les �l�ments de droite acceptent nos th�ses, mais d'une fa�on insuffisante. Ils les acceptent avec des r�ticences; nous autres, communistes, nous devons exiger que cette acceptation soit enti�re et sans restriction, tant dans le domaine de la th�orie que dans celui de l'action.

Nous avons vu la premi�re grande application de la m�thode et de la th�orie marxiste en Russie, c'est-�-dire dans un pays o� le degr� de d�veloppement des classes n'�tait pas �lev�. Cette m�thode doit donc �tre appliqu�e avec encore plus de nettet� et de rigueur dans l'Europe Occidentale, o� le capitalisme est mieux d�velopp�.

On vient de faire la distinction entre �r�formistes� et �r�volutionnaires�. C'est un langage surann�. Il ne peut plus y avoir de r�formistes, parce que la crise bourgeoise emp�che tout travail de r�formes. Les socialistes de droite le savent, ils se d�clarent pour une crise de r�gime, ils s'appellent �r�volutionnaires�, mais esp�rent que le caract�re de cette lutte ne sera pas le m�me qu'en Russie. Je pense, camarades, qu'il faut que l'Internationale Communiste soit intransigeante et qu'elle maintienne fermement son caract�re politique r�volutionnaire.

Contre les social-d�mocrates il faut dresser des barri�res infranchissables.

Il faut obliger ces partis � une d�claration de principes sans �quivoque. Il faudrait avoir un programme commun � tous les partis communistes du monde, ce qui n'est malheureusement pas possible, � l'heure actuelle. La III� Internationale n'a pas de moyens pratiques pour s'assurer que ces gens suivront le programme communiste. Toutefois, la condition que je propose d'ajouter est la suivante:

Lorsqu'on dit, � la th�se 16 [15]: �Les Partis qui conservent jusqu'� ce jour les anciens programmes social-d�mocrates ont pour devoir de les r�viser sans tarder et d'�laborer un nouveau programme communiste adapt� aux conditions sp�ciales de leur pays...�, apr�s les mots: ��laborer un nouveau programme communiste�, il faudrait supprimer les mots �adapt� aux conditions sp�ciales de leur pays et con�u dans le sens de l'Internationale Communiste� et les remplacer par les mots �dans lequel les principes de l'Internationale Communiste soient expos�s d'une fa�on non �quivoque et enti�rement conforme aux r�solutions des congr�s internationaux. La minorit� du parti qui se d�clarera contre ce programme, devra par ce fait m�me �tre exclue du parti. Les partis qui, tout en ayant adh�r� � la III� Internationale, n'ont pas accompli cette condition, doivent imm�diatement r�unir un congr�s extraordinaire pour s'y conformer.�

Il faut poser clairement cette question des minorit�s de droite, sur laquelle je n'ai pas entendu se prononcer les repr�sentants du Parti Socialiste Fran�ais, qui n'ont pas dit qu'ils chasseront de leur parti les Renaudel et autres. Ceux qui voteront contre le nouveau programme doivent sortir du parti. Sur le programme, il n'y a pas de discipline: on l'accepte ou non; si c'est non, on se retire du parti. Le programme est une chose commune � tous, ce n'est pas une chose qui est �tablie par la majorit� des militants du parti. C'est cela qui doit �tre impos� aux partis qui veulent �tre admis dans la III� Internationale. Enfin, c'est seulement aujourd'hui qu'on vient d'�tablir qu'il y a une diff�rence entre le d�sir d'entrer dans la III� Internationale et le fait d'y �tre accept�.

Je pense qu'il faut, apr�s ce Congr�s, donner au Comit� Ex�cutif le temps de faire ex�cuter toutes les obligations impos�es par la III� Internationale. Apr�s cette p�riode d'organisation, pour ainsi dire, la porte devrait �tre close, il n'y devrait �tre autre voie d'admission que l'adh�sion personnelle au Parti communiste du pays.

Je propose que la motion du camarade L�nine qui a �t� retir�e soit r�admise, c'est-�-dire que les partis qui demandent � �tre admis aient une certaine proportion de communistes dans les organes de direction de ces partis. Je pr�f�rerais les voir tous communistes.

Il faut combattre l'opportunisme partout. Mais cette t�che sera rendue tr�s difficile si, au moment o� l'on prend des mesures pour �purer la III� Internationale, on ouvre les portes pour faire rentrer ceux qui sont rest�s dehors.

Au nom de la gauche du Parti Socialiste Italien, je d�clare que nous nous engageons � combattre et � chasser les opportunistes en Italie, mais nous ne voudrions pas que s'ils sortent de chez nous, ils rentrent dans la III� Internationale par un autre chemin. Nous vous disons: ayant ici travaill� ensemble, nous devons rentrer dans nos pays et former un front international unique contre les socialistes tra�tres, contre les saboteurs de la R�volution Communiste.