1891 |
L'une des premi�res �tudes marxistes sur la question, par le "pape" de la social-d�mocratie allemande. |
La femme et le socialisme
II: La femme dans le pr�sent
Dans les diverses situations que nous venons de d�crire, il s'est form� chez la femme, � c�t� de qualit�s caract�ristiques, des d�fauts qui, transmis par l'h�r�dit� de g�n�ration en g�n�ration, ont pris un d�veloppement toujours plus consid�rable. Les hommes s'arr�tent volontiers � ce fait, oubliant qu'ils en sont eux-m�mes la cause et qu'ils y ont, par leur mani�re d'agir, pr�t� la main. � ces d�fauts de la femme appar�tiennent, ce qu'on lui reproche tant, sa volubilit� de langage, sa manie de cancaner, sa disposition � tenir des conversations interminables sur les choses les plus vides et les plus insignifiantes, sa pr�occupation de tout ce qui est purement ext�rieur, sa passion de la toilette et de la coquetterie, son faible qui en r�sulte pour toutes les folies de la mode, enfin sa facilit� � prendre de l'ombrage ou de la jalousie de ses cong�n�res.
Ce sont l� des d�fauts qui, se faisant d�j� remarquer chez le sexe f�minin, bien qu'� des degr�s diff�rents, d�s l'�ge le plus tendre, peuvent �tre consid�r�s comme essentiellement h�r�ditaires, et que notre syst�me d'�ducation contribue encore � d�velopper. Qui a �t� �lev� d'une fa�on absurde ne peut pas �lever les autres d'une mani�re sens�e.
Si l'on veut se rendre un compte exact des causes originelles et du d�veloppement ult�rieur des qualit�s et des d�fauts des sexes ou m�me de peuples entiers, il faut employer la m�me m�thode, en r�f�rer aux m�mes lois qu'appliquent les sciences physiques et naturelles modernes dans leurs recherches sur l'origine et le perfection�nement des genres et des esp�ces et sur leurs propri�t�s caract�ristiques dans le monde organique. Ces lois, g�n�ralement appel�es, du nom de leur principal inven�teur, lois de Darwin, sont tir�es des conditions mat�rielles respectives de la vie, de l'h�r�dit�, de l'adaptation, ou de la culture et de l'�ducation.
L'homme ne saurait faire exception aux lois qui r�gissent tous les �tres vivants, dans la nature enti�re ; il n'est pas en dehors de celle-ci, et consid�r� au point de vue physiologique, il n'est que l'animal le plus perfectionn�. Mais l'on ne veut gu�re encore, aujourd'hui, admettre cette d�finition de l'homme. Dans cet ordre d'id�es, les anciens, il y a des milliers d'ann�es, et bien qu'ils ne connussent rien des sciences naturelles modernes, avaient dans nombre de choses touchant � l'humanit� des fa�ons de voir bien plus sens�es que nous, et - c'est l� le point essentiel - ils mettaient en pratique leurs id�es bas�es sur l'exp�rience. On entend si souvent parler aujourd'hui, avec une admiration enthousiaste, de la grande beaut� et de la vigueur des hommes et des femmes libres de la Gr�ce. Et l'on ne voit pas que l'heureux climat et la nature enchanteresse du pays baign� par la mer aux mille ports ne furent pas seuls � influer sur la vie et le d�veloppement de la population, mais qu'� leur action bienfaisante se joignait encore et surtout celle des principes de perfectionnement physique et d'�du�cation appliqu�s avec logique, et par loi de l'�tat, � tous les �tres n�s libres, principes calcul�s tous de mani�re � unir la beaut�, la vigueur et l'agilit� physiques � l'�lasticit� et � la finesse de l'esprit. Et si, en ce qui concernait l'�ducation intellectuelle, la femme �tait fort n�glig�e comparativement � l'homme, il n'en �tait pas de m�me au point de vue du d�veloppement physique [1]. � Sparte, par exemple, o� on alla le plus loin dans le perfectionnement physique des deux sexes, gar�ons et filles allaient tout nus jusqu'� ce qu'ils fussent nubiles, et se livraient en commun aux exercices du corps, aux jeux et � la lutte. L'exposition constante de la nudit� du corps humain, la fa�on naturelle dont on en usait avec les choses naturelles, avaient aussi l'avantage d'emp�cher de se produire cette surexcitation sensuelle que fait artificiellement na�tre aujourd'hui, d�s l'enfance, la s�paration dans les rapports des deux sexes. La consti�tution physique et le fonctionnement des organes particuliers de chacun des deux sexes n'�taient pas un secret pour l'autre. Il n'y avait donc l� aucune place pour les gravelures. La nature restait la nature. Un sexe se r�jouissait des beaut�s de l'autre. Et il faut que l'humanit� en revienne � la nature et au commerce naturel des sexes, il faut qu'elle rejette loin d'elle les malsaines conceptions spiritualistes de l'�tre humain qui priment aujourd'hui.
Ce sont des id�es diam�tralement oppos�es, surtout en ce qui concerne l'�ducation de la femme, qui l'emportent chez nous en ce moment. Que la femme doive, elle aussi, avoir de la force physique, du courage et de la r�solution, on le tient encore couramment pour une h�r�sie, pour quelque chose � d'anti-f�minin �, bien que per�sonne ne puisse nier que, gr�ce � de pareilles qualit�s, la femme pourrait se prot�ger contre une foule d'injustices et de d�sagr�ments, grands et petits. Au contraire, on s'efforce d'entraver la femme dans son d�veloppement physique aussi bien que dans son d�veloppement intellectuel. La s�paration rigoureuse des sexes dans les rapports sociaux et � l'�cole, une m�thode d'�ducation qui repose enti�rement sur les id�es spiritualistes que le christianisme a profond�ment implant�es en nous pour tout ce qui a trait � la nature humaine, favorisent ces errements.
Il est impossible que la femme, dont le d�veloppement physique est rest� incom�plet, dont on a fauss� les facult�s intellectuelles dans leur perfectionnement, qu'on a confin�e dans le cercle d'id�es le plus �troit et qui n'a de relations qu'avec les �tres de son sexe qui lui tiennent de plus pr�s, s'�l�ve au-dessus des banalit�s des habitudes quotidiennes. Son horizon intellectuel reste �ternellement born� aux �troites limites des choses du m�nage, aux occupations domestiques et � tout ce qui s'y rattache. Il en r�sulte n�cessairement une tendance � bavarder, � disserter � perte de vue sur les choses les plus insignifiantes, car les qualit�s intellectuelles qui vivent en elle tendent � se faire jour et � s'exercer, de quelque mani�re que ce soit. Et l'homme, que tout cela emp�tre souvent dans des affaires d�sagr�ables et met au d�sespoir, se r�pand en mal�dictions et en anath�mes contre des d�fauts dont il a, lui, le � roi de la cr�ation �, le plus lourd sur la conscience.
La femme �tant rattach�e au mariage par toutes les fibres de son existence, il est fort naturel que tout ce qui touche � l'union conjugale tienne dans sa conversation et dans ses aspirations une place si importante. D'autre part, faible qu'elle est et subor�donn�e � l'homme par les mœurs et par les lois, la langue est la seule arme qu'elle puisse employer, et elle en use, cela va de soi. Il en est absolument de m�me pour sa coquetterie et son amour de la toilette dont on lui fait tant de reproches, qui ont atteint, dans les folies de la mode, un degr� si effrayant, et font le d�sespoir des p�res et des maris, sans que ceux-ci puissent rien de s�rieux contre ces d�fauts.
L'explication, dans ce cas encore, est facile.
La femme est aujourd'hui, pour l'homme, avant tout un objet de jouissance ; subordonn�e au point de vue �conomique, il lui faut consid�rer dans le mariage sa s�curit� ; elle d�pend donc de l'homme, elle devient une parcelle de sa propri�t�. Sa situation est rendue plus d�favorable encore par ce fait que, en r�gle g�n�rale, le nombre des femmes est sup�rieur � celui des hommes - un chapitre sur lequel nous aurons a revenir. Cette disproportion num�rique excite la concurrence des femmes entre elles, concurrence rendue plus �pre encore par suite de ce que nombre d'hom�mes, pour toute sorte de raisons, ne se marient pas. C'est ainsi que la femme est oblig�e, en donnant � son ext�rieur l'allure la plus avantageuse possible, d'entamer avec toutes celles de ses cong�n�res du m�me rang qu'elle la � lutte pour l'homme �.
Que l'on consid�re maintenant que toutes ces disparit�s entre les deux sexes ont dur� pendant des centaines de g�n�rations, et l'on ne s'�tonnera plus de ce que, suivant les lois de l'h�r�dit� et de l'�volution, et les m�mes causes ayant toujours produit les m�mes effets, les ph�nom�nes que nous avons expos�s aient fini par rev�tir leur forme extr�me d'aujourd'hui. Ajoutez qu'� aucune �poque pr�c�dente les femmes ne se firent entre elles, pour trouver un mari, une concurrence aussi acharn�e qu'aujourd'hui : cela tient en partie aux causes que nous aurons � exposer ult�rieure�ment et qui ont toutes contribu� � rendre plus consid�rable que jamais la sup�riorit� du nombre des femmes par rapport � celui des hommes � marier. Enfin les difficult�s que l'on trouve � s'assurer des moyens suffisants d'existence, ainsi que les n�cessit�s sociales, renvoient plus qu'� aucune autre �poque la femme au mariage comme � une � institution de refuge. �
Les hommes se complaisent volontiers dans cette situation et en retirent tous les avantages. Il plait � leur orgueil, � leur �go�sme, � leur int�r�t, de jouer le r�le du plus fort et du ma�tre, et, comme tous les despotes, ils se laissent difficilement influencer par des motifs puis�s dans la raison. L'int�r�t qu'ont les femmes � s'agiter pour arriver � un �tat de choses qui les d�livre d'une situation indigne d'elles n'en est que plus �vident. Elles n'ont pas plus � compter sur les hommes que les travailleurs n'ont � compter sur la bourgeoisie.
Si l'on examine en outre le caract�re que rev�t, sur d'autres terrains, le terrain industriel par exemple, la lutte pour la pr�pond�rance ; si l'on consid�re les moyens vils et souvent criminels qui sont employ�s quand plusieurs entrepreneurs sont en pr�sence et comment s'�veillent les passions de la haine, de l'envie, de la calomnie, on trouve l'explication de ce fait que la � lutte pour l'homme � men�e par les femmes entre elles rev�t un caract�re absolument analogue. C'est ainsi que, comparativement, les femmes peuvent bien moins se supporter entre elles que les hommes, et que m�me les meilleures amies se prennent facilement de querelle quand il s'ag�t de questions comme leur prestige aupr�s de l'homme, du plus ou moins d'attraits de leur personne, etc. On peut �galement constater que, partout o� deux femmes se rencontrent, m�me si elles ne se connaissent ni Eve ni d'Adam, elles se d�visagent toujours comme deux ennemies, et que, d'un seul coup d'œil, chacune a imm�diatement d�couvert si l'autre a employ� une couleur mal assortie, chiffonn� un nœud de travers, commis enfin dans sa toilette quelque faute capitale de ce genre. Dans leurs deux regards se lit malgr� elles le jugement que l'une porte sur l'autre. C'est comme si chacune voulait dire � l'autre : � je me suis tout de m�me mieux entendu que toi � me parer et � d�tourner les regards sur moi �.
Le caract�re tr�s passionn� de la femme, qui trouve sa vilaine expression dans la furie, mais qui se r�v�le aussi dans son profond esprit de sacrifice et de d�vouement (que l'on songe seulement avec quelle abn�gation vraiment h�ro�que la m�re lutte pour son enfant et la veuve livr�e � elle-m�me prend soin de ses petits), ce caract�re passionn� a son origine dans les conditions de son existence et de son �ducation, essentiellement dirig�e en vue d'encourager la vie int�rieure.
Tout ce que nous avons expos� jusqu'ici ira pas encore �puis� l'�num�ration des obstacles et des difficult�s que rencontre le mariage. Aux r�sultats produits par une �ducation intellectuelle fauss�e viennent se joindre les effets non moins consid�rables d'une �ducation physique mal comprise ou incompl�te en ce qui concerne le r�le assign� � la femme par la nature. Tous les m�decins sont d'accord pour constater que la pr�paration de la femme � ses fonctions de m�re et d'�ducatrice laisse beaucoup � d�sirer. � On exerce le soldat au maniement de son arme et l'ouvrier � celui de ses outils ; tout emploi exige ses �tudes ; le moine lui-m�me a son noviciat. Seule, la femme n'est pas dress�e � l'accomplissement de ses graves devoirs maternels � [2]. Les neuf dixi�mes des jeunes filles qui ont le mieux l'occasion de se marier, entrent dans la vie conjugale avec une ignorance absolue de la maternit� et de ses devoirs [3]. La crainte incompr�hensible dont nous avons d�j� parl� et qu'ont les m�res elles-m�mes d'entretenir leurs filles, arriv�es � leur complet d�veloppement, des fonctions si im�portantes des sexes, laisse celles-ci dans l'ignorance la plus compl�te de leurs devoirs envers elles-m�mes et envers leurs maris. En entrant dans le mariage, la jeune fille p�n�tre dans un pays qui lui est totalement inconnu ; elle s'en est fait le plus souvent par les romans, et par les moins recommandables, une image fantaisiste qui rime avec la r�alit� comme hallebarde et mis�ricorde . Je ne veux parler que pour m�moire du manque de connaissances domestiques, qui sont pourtant n�cessaires � la femme au point ou les choses en sont encore aujourd'hui et bien qu'on l'ait soulag�e, pour des raisons que j'ai d�j� expos�es en partie, de certains travaux dont on trouvait tout naturel de la charger jadis. C'est un fait ind�niable que nombre de femmes, sans qu'il y ait souvent de leur faute, et par suite de causes sociales g�n�rales, entrent dans le mariage sans avoir la moindre notion de leurs devoirs, ce qui constitue un fond suffisant au d�saccord du m�nage.
Un autre motif qui emp�che pas mal d'hommes de remplir le but du mariage ressort de la constitution physique de nombre de femmes. Une �ducation absurde, de tristes conditions sociales dans leur genre de vie, leur logement, leur travail, cr�ent des �tres f�minins qui ne sont pas m�rs pour les devoirs physiques du mariage. Ces femmes sont faibles de corps, pauvres de sang, d'une extr�me nervosit�. Il en r�sulte pour elles des menstruations difficiles, et des maladies des diff�rents organes qui se rapportent aux fonctions sexuelles, maladies qui vont jusqu'� les rendre impropres � la procr�ation ou � l'allaitement, sauf au p�ril de leur vie. Au lieu d'une compagne en bonne sant� et de belle humeur, d'une m�re f�conde, d'une �pouse veillant � tous les besoins du m�nage, l'homme n'a qu'une femme malade, aux nerfs surexcit�s, pour laquelle le m�decin ne sort pas de la maison, qui ne peut supporter un courant d'air ni le moindre bruit. Je ne veux pas m'�tendre davantage sur cette situation. Chacun de mes lecteurs - et toutes les fois que dans ce livre je parle du lecteur, je m'adresse naturellement aussi � la lectrice - a, dans le propre cercle de ses connaissances, assez d'exemples sous les yeux pour pouvoir s'en faire � lui-m�me un tableau plus complet.
Des m�decins exp�riment�s affirment que la grande moiti� des femmes mari�es, surtout dans les villes, se trouvent dans des conditions physiques plus ou moins anormales. Selon le degr� du mal et le caract�re des conjoints, de pareilles unions sont n�cessairement malheureuses et elles donnent au mari, dans l'opinion publique, le droit de se permettre des libert�s extra-conjugales qui, bien que connues de la fem�me, ne doivent rien enlever de la bonne entente et du bonheur du m�nage. Souvent aussi la compl�te diff�rence dans les app�tits sexuels cr�e dans un couple des dissen�timents profonds sans que la s�paration, si souhaitable dans ce cas, soit possible, par suite de consid�rations de toute nature.
Nous avons donc pass� en revue jusqu'ici une foule de raisons qui, dans la plupart des cas, ne permettent pas � la vie conjugale de nos jours d'arriver � �tre ce qu'elle doit : une alliance entre deux �tres de sexe diff�rent, ne s'appartenant qu'en vertu d'un amour et d'une estime r�ciproques et qui, selon l'expression frappante de Kant, for�ment seulement � eux deux l'�tre humain complet.
C'est donc � tous �gards une proposition d'une efficacit� douteuse que celle de ces gens, m�me savants, qui croient en finir avec les tendances �mancipatrices de la femme en la revoyant � cette vie de m�nage, � cette union conjugale qui, comme nous le d�montrerons davantage encore, devient toujours de plus en plus un leurre, en raison de notre �tat social, et qui r�pond de moins en moins � son v�ritable but.
Mais une semblable proposition, inconsciemment applaudie par la plupart des hommes, tourne � la plaisanterie la plus am�re quand ces donneurs de conseils et leurs claqueurs ne font eux-m�mes rien pour procurer � chaque femme un mari. Schopenhauer, le fameux philosophe, n'a pas non plus la moindre compr�hension de la femme et de sa situation. La fa�on dont il s'exprime est non-seulement impolie, elle est encore souvent banale. C'est ainsi qu'il dit : � la femme n'est pas destin�e aux grands travaux. Sa caract�ristique n'est pas d'agir, mais de souffrir. Elle paie sa dette � la vie par les douleurs de l'enfantement, par les soins � donner � ses petits, par sa soumission � l'homme. Les manifestations les plus intenses de la force vitale et du sentiment lui sont interdites. Sa vie doit �tre plus silencieuse et plus insignifiante que celle de l'homme. La femme est destin�e � soigner et � �lever l'enfance, parce que, pu�rile elle-m�me, elle reste pendant toute sa vie un grand enfant, une sorte d'inter�m�diaire entre l'enfant et l'homme, qui lui, est le v�ritable �tre humain... Les jeunes filles doivent �tre �lev�es en vue de la vie domestique et de la soumission... Les femmes sont les � Philistins � les plus enracin�s et les plus ingu�rissables �.
Il me semble que Schopenhauer, en pronon�ant cette condamnation de la femme, s'est montr� bien moins philosophe que � Philistin � lui-m�me, et le plus enracin� de tous. Ce genre de philosophie, on le cherche chez un �picier et non chez un phi�losophe, qui doit avant tout �tre un sage. Schopenhauer n'a, non plus, jamais �t� mari� ; il n'a donc pas contribu� par lui-m�me pour sa part � ce qu'une femme de plus pay�t � la vie la dette qu'il leur assigne. Et nous en venons ici au revers de la m�daille, qui n'en est � aucun titre le plus beau c�t�.
Beaucoup de femmes ne se marient pas parce qu'elles ne le peuvent pas, chacun le sait. La coutume leur interdit d�j� de choisir et de s'offrir ; il leur faut se laisser rechercher, c'est-�-dire choisir ; elles n'ont pas le droit de rechercher elles-m�mes. Aucun pr�tendant ne se trouve-t-il ? la femme entre alors dans la grande arm�e de ces malheureux qui ont manqu� le but de leur vie et qui, faute d'une situation mat�rielle assur�e, sont livr�s au besoin, � la mis�re, et trop souvent � la honte. Ceux qui savent les causes de la disproportion num�rique des sexes sont la minorit� et n'en connais�sent m�me pas toute l'importance r�elle. La majorit� a de suite � la bouche, pour r�ponse, que l'on procr�e trop de filles, et beaucoup concluent que si le mariage est pour la femme le seul but de sa vie, il faut introduire la polygamie. Ceux qui pr�ten�dent qu'il na�t plus de filles que de gar�ons sont mal renseign�s. Et ceux qui, oblig�s de reconna�tre le caract�re contre-nature du c�libat, et voyant le grand nombre de femmes exclues du mariage, en viennent � penser que, dans ces conditions, il ne reste plus, que ce soit un bien ou un mal, qu'� introduire la polygamie, ceux-l� ne voient pas quelle est la v�ritable proportion num�rique des sexes. Sans nous arr�ter � la fa�on dont nos mœurs, qui ne pourront jamais se concilier avec la polygamie, nous font envisager les choses, disons que la polygamie constitue pour la femme, dans toutes les conditions, une d�ch�ance. Ce qui n'a pas emp�ch� Schopenhauer, dans son d�dain et son m�pris de la femme, de d�clarer tout net que � la polygamie est un bienfait pour le sexe f�minin fout entier �. La polygamie se perd par les obstacles que la nature m�me lui oppose.
Beaucoup d'hommes ne se marient pas, parce qu'ils croient ne pas pouvoir entre�tenir convenablement une femme. Pour la m�me raison, l'immense majorit� des hom�mes mari�s ne pourraient pas en entretenir une seconde. Quant au tr�s petit nombre de ceux qui le peuvent, il n'y a pas � s'en occuper ; ils ont d�j� pour la plupart deux femmes et m�me davantage, une l�gitime et une ou plusieurs de la main gauche. Privil�gi�s par leur fortune, ceux-ci ne se laissent pas plus arr�ter par les lois que par les consid�rations morales pour faire ce qu'il leur pla�t. M�me en Orient, o� la polygamie est, depuis des millions d'ann�es, reconnue par les mœurs et par les lois, les hommes qui ont plus d'une femme forment la minorit�. Ainsi, l'on parle souvent, et avec raison, de l'action d�moralisatrice de la vie de harem en Turquie, et de la d�g�n�rescence de la race qui en r�sulte. Mais on oublie que cette vie de harem n'est possible qu'� une partie infime de la population masculine, et encore exclusivement aux classes dirigeantes, tandis que la masse du peuple vit, comme l'Europ�en, dans la monogamie. En 1869, il n'y avait � Alger, sur 18.282 hommes mari�s, pas moins de 17.311 monogames, tandis qu'on ne comptait que 888 bigames et seulement 75 polygames. On peut admettre que Constantinople, la capitale de l'empire turc, ne donnerait pas de r�sultat sensiblement diff�rent. Parmi la population des campagnes, en Turquie, la proportion est encore plus favorable � la monogamie. L� comme chez nous ce sont des consid�rations d'ordre mat�riel qui obligent la plupart des hommes � se contenter d'une seule femme. Et m�me si les conditions mat�rielles de l'existence �taient les m�mes pour tous les hommes, la polygamie n'en serait pas davantage applicable, parce qu'alors il n'y aurait pas assez de femmes dans la population. Dans des conditions normales, le nombre d'individus de chacun des deux sexes �tant presque �gal, la monogamie est tout indiqu�e. Nous le d�montrerons d'une fa�on plus compl�te.
Les chiffres ci-dessous, et les �claircissements qui en ressortent, prouveront qu'en principe il n'y a pas de diff�rence bien appr�ciable dans le nombre des individus des deux sexes, et surtout qu'elle n'est pas au d�savantage du sexe f�minin. Voici quelles �taient au total, et d�nombr�es par sexe, les populations des divers pays.
Ann�e |
Pays |
Population totale |
Hommes |
Femmes |
En plus |
|
Hommes |
Femmes |
|||||
1875 |
Allemagne |
42752554 |
21005461 |
21787093 |
- |
741632 |
1872 |
France |
36102021 |
17982511 |
18120410 |
- |
137899 |
1871 |
Italie |
26801154 |
13472262 |
13328892 |
143378 |
- |
1869 |
Autriche-Hongrie |
35904435 |
17737175 |
18167270 |
- |
430095 |
1871 |
Grande-Bretagne et Irlande |
31845379 |
15584132 |
16261247 |
- |
677115 |
1870 |
�tats-Unis |
38558371 |
19493565 |
19064806 |
428759 |
- |
1870 |
Suisse |
2670345 |
1305670 |
1364675 |
- |
59005 |
1869 |
Pays-Bas |
3309128 |
1629035 |
1680093 |
- |
51058 |
1866 |
Belgique |
4827833 |
2419639 |
2408194 |
11445 |
- |
1860 |
Espagne |
15673481 |
7765508 |
7907973 |
- |
142465 |
1864 |
Portugal |
4188410 |
2005540 |
2182890 |
- |
197330 |
1864 |
Su�de et Norv�ge |
5850513 |
2880339 |
2980164 |
- |
99825 |
Totaux |
248484524 |
123270837 |
125213687 |
583574 |
2536424 |
Il ressort donc pour les �tats ci-dessus mentionn�s et pour une population totale de 248.484.524 individus, une diff�rence en trop de 2.000.000 en chiffres ronds, au d�triment du sexe f�minin, de telle sorte que, pour 100 hommes, il y a 101,22 femmes. On le voit, cette diff�rence est faible, mais elle se modifie beaucoup � l'avantage du sexe f�minin, si l'on consid�re que dans les chiffres cit�s la plupart des �tats n'ont pas compris leurs marins, quelle que f�t la distance � laquelle ils se trouvaient du pays. Cette partie de la population n'est entr�e en ligne de compte que pour l'Italie et l'Angleterre, mais est aussi en forte proportion pour tous les autres �tats, notamment pour l'Am�rique du Nord et l'Allemagne. D'autre part, ne sont pas compt�es dans ces chiffres les troupes entretenues aux colonies par les diverses puissances. Les marins, qui n'ont pas �t� compt�s, et ces troupes r�unis donnent bien � peu pr�s cent mille hommes. Il y a encore lieu de remarquer que la population m�le prend plus de part que la population f�minine � l'�migration europ�enne pour tous les pays du monde ; c'est l� un fait nettement d�montr� par l'exc�dent d'hommes que pr�sentent les �tats-Unis.
Quelques autres chiffres vont nous le prouver encore. En 1878, dans la colonie de Victoria, sur une population de 863.370 individus, le sexe masculin comptait environ cent mille t�tes de plus que le sexe f�minin, soit une disproportion de plus de 20 % au d�triment des hommes. La population de Queensland se composait en 1877 de 203.084 habitants, sur lesquels 126.900 du sexe masculin et 76.100 du sexe f�minin, soit encore une forte disproportion au d�savantage du premier. La colonie de la Nouvelle-Z�lande, abstraction faite des indig�nes et de 4.300 Chinois, comportait 414.171 habitants, dont 230.898 hommes et seulement 183.373 femmes. Au P�rou, il n'y a que 98 femmes pour 100 hommes. Bref, ces chiffres d�montrent que si l'on totalisait exactement par sexe la population de la terre, le nombre des hommes d�pas�serait tr�s vraisemblablement celui des femmes, et que le contraire est impossible. Et maintenant il y a lieu de tenir compte encore d'une foule de circonstances par suite desquelles, dans des conditions sociales plus favorables, le nombre des hommes en viendrait facilement � d�passer d'une fa�on sensible celui des femmes, comme nous allons le voir plus loin.
Il est int�ressant de comparer entre eux les chiffres du tableau ci-dessus pour chaque �tat s�par�ment. Il en ressort une forte disproportion des sexes dans tous les pays qui ont eu la guerre ou qui souffrent d'une �migration consid�rable, et, � la v�rit�, c'est cette derni�re circonstance qui y influe le plus puissamment. Les �tats de race germanique, l'Allemagne, la Suisse, l'Autriche, l'Angleterre, fournissent les diff�rences les plus �lev�es. Les pays de race latine ou mixte, tels que la Belgique et l'Italie, ont m�me un exc�dent de population masculine. Pour la France, dont l'�mi�gration est presque nulle, la proportion n'est devenue mauvaise qu'� la suite de la guerre de 1870-71. En 1866, la France ne comptait qu'un exc�dent de 26.000 femmes, mais en 1872, la diff�rence s'�levait � 137.899. Le grand exc�dent que l'on remarque pour l'Espagne et le Portugal a son explication dans les vastes colonies de ces deux pays, colonies o� �migre la population masculine. En ce qui concerne l'Espagne, il y a � cet �tat de choses une raison de plus, qui d�coule des nombreux troubles int�rieurs qui l'ont afflig�e, et de la situation mis�rable du peuple.
Par contre, les �tats-Unis offrent un spectacle tout diff�rent. En raison de la forte immigration, compos�e en immense majorit� d'individus du sexe masculin, on y constate en faveur de la femme une diff�rence qui compense dans une certaine mesure la p�nurie d'hommes en Europe. Si l'on connaissait les chiffres de la popu�lation europ�enne du Cap, de l'Australie, de l'Am�rique du Sud et de toutes les autres possessions europ�ennes des diverses parties du monde, il est probable qu'il en ressortirait m�me un exc�dent de m�les d'origine europ�enne, et si chaque homme se mariait effectivement, il ne pourrait pas rester une seule femme non mari�e. Si tous tes hommes voulaient avoir une femme, il pourrait donc se faire qu'au lieu de parler d'introduire la polygamie on en vint � se demander si la polyandrie ne serait pas n�cessaire.
La statistique des naissances est �galement d'accord avec cette id�e. Il est �tabli que, dans tous les pays o� ont �t� faits des recensements des naissances par sexe, il na�t de 105 � 107 gar�ons pour 100 filles. D'autre part il est �galement constat� que, notamment dans la premi�re ann�e de la vie, il meurt proportionnellement plus de gar�ons que de filles, de m�me qu'on compte jusqu'� 138 mort-n�s masculins pour 100 f�minins.
Les publications concernant le rapport proportionnel des sexes dans les naissances pour la Ville de Paris en 1877, sont pleines d'int�r�t pour la question qui nous occupe. Il en ressort qu'il naquit 27.720 gar�ons et 27.138 filles ; par contre, le chiffre des d�c�s, sans consid�ration d'�ge, s'�levait � 24.508 pour les hommes et 22.835 pour les femmes. L'exc�dent des naissances �tait donc pour le sexe masculin de 528, celui des d�c�s de 1788. On constate aussi une diff�rence remarquable dans les chiffres des d�c�s caus�s chez les deux sexes par la phtisie. Il mourut, en effet, de cette maladie, � Paris, 4.768 hommes et 3.815 femmes. La cause de cette mortalit� consid�rable du sexe masculin, plus frappante dans les villes qu'� la campagne, se trouve �videmment dans son genre de vie plus n�glig� et plus malsain. C'est ainsi que, d'apr�s Quetelet, il meurt plus d'hommes entre 18 et 21 ans que de femmes entre 18 et 25. Une seconde raison de ce fait consiste encore en ce que le genre d'occupations des hommes (travail de fabrique, navigation, voyages) est plus dangereux pour la vie que celui des femmes.
On cherche la raison de la proportion �lev�e des mort-n�s masculins dans ce fait qu'en raison de la grosseur relativement plus consid�rable de leur t�te, ils viennent plus p�niblement au jour et sont surtout d'une gestation plus difficile, c'est-�-dire qu'ils souffrent plus que les filles de la faiblesse de constitution de la m�re [4].
On essaie de donner � ce fait ind�niable que partout il na�t plus de gar�ons que de filles cette explication que, selon la plus grande vraisemblance, la naissance d'un gar�on d�pend de ce que l'homme est g�n�ralement sup�rieur � la femme en �ge, en vigueur et en �nergie. On affirme que, dans un m�nage, il y a d'autant plus de nais�sances masculines qu'il y a plus de diff�rence d'�ge entre l'homme et la femme, mais que cependant une jeune femme l'emporte sur un vieillard. D'apr�s cela on pourrait consid�rer comme une loi que, de deux conjoints, c'est celui qui a la nature la plus vigoureuse qui influe essentiellement sur le sexe de l'enfant.
Il r�sulte de tout cela, d'une fa�on pour ainsi dire certaine, que partout o� la femme se d�veloppe physiquement et moralement suivant un syst�me d'�ducation et un genre de vie conformes � la nature, le chiffre des mort-n�s et celui de la mortalit� des jeunes gar�ons diminuent. Il on ressort encore d'autre part que, par le d�velop�pement des forces intellectuelles et physiques de la femme, et par le choix raisonn� de l'homme en ce qui concerne l'�ge, il serait parfaitement possible de r�gulariser le chiffre des naissances des deux sexes, et il est vraisemblable que, dans de saines conditions sociales, on arriverait � un bon r�sultat.
En Prusse, on comptait, on 1864, 3.722.770 gar�ons au-dessous de 14 ans ; mais seulement 3.688.985 filles du m�me age. Il y avait donc 33.721 gar�ons de plus. Cependant, il ressortit du recensement g�n�ral de la population qu'il y avait 313.383 femmes de plus que d'hommes. La disproportion ne commen�ait donc que pour un �ge plus avanc� et r�sultait d'ailleurs principalement, comme nous l'avons d�j� remarqu�, de la guerre et de l'�migration. Imm�diatement apr�s les guerres de 1864, 1866 et 1870, l'�migration allemande prit des proportions consid�rables, tant parmi les jeunes gens qui allaient seulement avoir � faire leur service militaire que parmi ceux qui, revenus de la guerre comme r�servistes ou soldats de la landwehr, ne voulaient pas s'exposer une seconde fois au danger d'un appel sous les drapeaux et aux sacrifices qui en d�coulent. C'est donc principalement la partie la plus saine et la plus vigoureuse de la nation qui �migre, emp�chant ainsi des centaines de mille femmes allemandes de remplir dans le mariage le but de leur vie.
D'apr�s les renseignements officiels sur le recrutement en 1876 dans l'empire allemand, sur 1.149.042 soumis au service militaire, on en comptait 35.625 impropres au service, 109.956 manquaient � l'appel sans excuse, 15.293 condamn�s pour avoir �migr� sans autorisation et 14. 934 sous le coup de poursuites pour la m�me cause. Ces chiffres se passent de commentaires. Mais les femmes qui liront ce que nous exposons ici comprendront � quel haut degr� elles sont int�ress�es � l'�tat de notre situation politique et militaire.
La dur�e du service militaire sera-t-elle prolong�e ou restreinte ? l'arm�e sera-t-elle augment�e ou diminu�e ? suivons-nous une politique pacifique ou belliqueuse ? la fa�on dont on traite nos soldats est-elle digne d'hommes ou non, et le chiffre des d�sertions et des suicides dans l'arm�e s'en accro�t-il ou diminue-t-il ? Ce sont l� toutes questions qui int�ressent la femme tout autant que l'homme. Le second peut bien plus facilement que la premi�re se soustraire � cet �tat de choses. Les hommes ont encore une autre fa�on de se consoler. Ils croient que lorsque, par suite des tristes conditions indiqu�es, leur nombre d�cro�t dans le pays, le salaire de ceux qui restent s'en augmente [5]. Mais pour la femme grandit encore davantage, par ce fait m�me, le danger de ne pouvoir atteindre son but naturel et elle a une tr�s large part dans tous les inconv�nients qui ont pour origine les arm�es nombreuses, les guerres et les p�rils qu'elles engendrent.
En somme le sexe masculin, si haut qu'il ait port� le perfectionnement des lois de l'�tat, n'a pas fait preuve d'une sagesse, d'un discernement particuliers, sans quoi les conditions sociales actuelles ne seraient pas aussi d�sastreuses. La grande majorit� des hommes s'est jusqu'� pr�sent laiss� opprimer et exploiter comme un simple b�tail par une faible minorit�. Cela soit dit surtout pour r�pondre � cette opinion que la politique ne regarde pas les femmes.
Une des causes qui ne contribuent pas le moins � d�terminer une diff�rence au d�triment de la femme dans la force num�rique des sexes, est le nombre des accidents de l'industrie qui se multiplient au fur et � mesure que progresse le machinisme, sans qu'il soit pris des mesures de protection suffisantes. Il est vrai, d'ailleurs, que le sexe f�minin fournit, lui aussi, son contingent � ces accidents, parce qu'il trouve chaque jour davantage � s'employer dans toutes les branches de l'industrie.
D'apr�s la statistique officielle des accidents survenus en Prusse dans l'industrie et dans l'exploitation agricole, il y a eu, en 1809, 4.709 cas de mort, dont 4.215 pour les hommes, et 524 pour les femmes ; le chiffre des femmes tu�es, par rapport � celui des hommes, �tait donc, en chiffres ronds, de 12,5 %. En 1876, le total des morts s'�levait � 6141, et celui des accidents non mortels � 7.059. 5.749 des premiers portaient sur le sexe masculin, 663 sur le sexe f�minin ; celui-ci fournissait donc un peu plus de 12 % du total des victimes. Pour 6693 hommes bless�s, on comptait 366 femmes, soit 5,5 %. D'autre part, la statistique �tablit qu'il meurt beaucoup plus de femmes que d'hommes entre 24 et 36 ans ; il faut en chercher la cause dans les fi�vres puerp�rales, les couches p�nibles et les maladies qui tiennent � la vie sexuelle de la femme ; par contre, ce sont les hommes qui meurent le plus, pass� quarante ans.
Les accidents mortels sont plus nombreux encore dans la population maritime que dans l'industrie. Je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais le nombre �lev� des veuves, universellement constat� chez les populations qui vivent du travail sur mer, est la cons�quence des dangers du m�tier. Toutefois, toutes ces conditions d�sas�treuses r�unies ne parviendraient pas � disproportionner le chiffre des sexes au d�savantage de la femme, si nous n'avions pas � compter encore avec l'�migration, et tous les maux dont nous venons de parler sont, sans exception, moins f�cheux que ce dernier.
D�s que la situation sociale de l'homme s'am�liore d'une fa�on r�elle, ses vues s'�largissent, il prend plus de respect de la vie humaine, la grande mortalit� des enfants diminue, des mesures de pr�caution g�n�rales permettent de ne presque plus tenir compte du danger des machines, du travail dans les mines, etc., et il en va de m�me du travail sur mer. � ce dernier point de vue, on se livre aujourd'hui � des agissements inexcusables. Il est un fait maintenant connu de toute l'Angleterre, gr�ce � M. Plimsoll, c'est que de nombreux armateurs, dans leur criminelle �pret� au gain, jettent sans scrupules en proie aux plus minces temp�tes, avec leurs �quipages, des navires impropres � la navigation et assur�s � haut prix, dans le but de toucher de fortes indemnit�s ; et certains armateurs allemands ne doivent pas non plus �tre des mod�les de conscience. D'autre part, les mesures de protection pour le sauvetage des naufrag�s sur les c�tes sont encore fort rares et de peu d'efficacit�, parce que leur adoption est presque exclusivement livr�e � l'initiative priv�e. L'�tat passe presque indiff�rent � c�t� de cette question du salut annuel de centaines et de milliers de ses sujets. Il est d�solant d'envisager ici o� en est le sauvetage des naufrag�s sur les c�tes peu connues. Un �tat qui ferait de la recherche du bien-�tre �gal de tous son unique devoir et son plus �lev�, pourrait am�liorer les conditions de la vie et des voyages sur muer et les entourer de telles mesures de pr�voyance, que ces d�sastres deviendraient des cas absolument exceptionnels. Mais le syst�me d'industrie actuel, v�ritable pira�terie, qui ne compte avec les hommes, comme avec les chiffres, que pour en retirer le plus de b�n�fice possible, tient la vie d'un homme pour z�ro quand il doit en ressortir un �cu de profit.
L'am�lioration radicale des conditions sociales supprimerait aussi les arm�es permanentes, les crises industrielles, et mettrait fin � l'�migration, en tant que celle-ci tient � ces deux causes.
D'autres raisons encore qui mettent obstacle au mariage sont les suivantes. Une quantit� consid�rable d'hommes sont emp�ch�s par l'�tat de se marier librement. Et l'on se met � g�mir, on ne songe qu'� jeter les yeux sur l'immoralit� du c�libat du clerg� catholique, sans avoir un mot de bl�me pour ce fait qu'un bien plus grand nombre de soldats y sont condamn�s. Les officiers n'ont pas seulement besoin du consentement de leurs sup�rieurs, ils sont encore consid�rablement g�n�s dans le libre choix d'une femme, en ce sens qu'il leur est prescrit que celle-ci doit poss�der une certaine fortune, assez �lev�e. Voil� qui nous donne une id�e tr�s nette de la fa�on dont l'�tat envisage le mariage. Les sous-officiers rencontrent des exigences et des emp�chements analogues lorsqu'il s'agit pour eux de se marier ; il leur faut une autorisation, qu'on ne leur accorde qu'avec la plus grande mauvaise volont�, et encore dans des proportions restreintes. Pour la grande masse de ce qu'on appelle le � commun des mortels �, le mariage n'est m�me pas en question ; on le leur refuse, simplement.
L'opinion publique est g�n�ralement d'accord qu'il ne faut pas pr�coniser le mariage pour les jeunes hommes au-dessous de 24 ou de 25 ans ; 25 ans est �galement l'age que la loi de l'Empire sur le mariage civil consid�re comme la majo�rit� maritale pour l'homme. C'est, il est vrai, en consid�ration de ce que l'ind�pen�dance civique n'est atteinte qu'� cet �ge. Ce n'est que pour les gens qui se trouvent dans l'heureux cas de n'avoir pas � se cr�er avant tout une situation ind�pendante - comme les princes, par exemple - que � l'opinion publique �trouve dans l'ordre que l'homme se marie d�s 18 ou 19 ans, la jeune fille d�s 15 ou 16. C'est aussi d�s sa dix-huiti�me ann�e que le prince est d�clar� majeur et tenu pour capable de gouverner l'empire le plus �tendu et le peuple le plus nombreux. Les mortels ordinaires atteignent la capacit� de g�rer eux-m�mes leur propre bien � l'�ge de vingt-un ans. Cette diff�rence dans la mani�re de juger l'�ge o� il convient de se marier �tablit que l'opinion publique ne base le droit au mariage que sur la position sociale du moment, et que son jugement ne tient pas plus compte de l'homme comme �tre naturel que de ses instincts. Mais l'instinct sexuel ne d�pend ni de certaines conditions sociales d�termin�es, ni de la fa�on de voir et de juger les choses qui en r�sultent. D�s que l'�tre humain a atteint sa maturit�, il se fait valoir avec toute l'�nergie qui caract�rise chez lui l'instinct le plus fort, le plus puissant. Il est l'incarnation de la vie humaine et exige imp�rieusement d'�tre satisfait, sous peine des douleurs physiques et morales les plus cruelles.
L'�poque de la maturit� sexuelle diff�re suivant les individus, le climat et le genre de vie. Dans les pays chauds, elle se produit en g�n�ral, chez les �tres du sexe f�minin, d�s dix ou onze ans ; on y trouve des femmes qui, � cet �ge, portent d�j� sur leurs bras leur premier enfant, mais qui, aussi, sont fan�es d�s 25 ou 30. Sous les climats du Nord, la femme est g�n�ralement nubile entre 15 et 16 ans, et plus tard encore dans bien des cas. L'�ge de la pubert� n'est pas non plus le m�me pour les femmes des campagnes et celles des villes. Chez les saines et robustes filles des champs, qui vivent en plein air et travaillent ferme, la menstruation se produit en moyenne un an plus tard que chez nos demoiselles des villes, amollies, �nerv�es, vaporeuses. Pour les premi�res, la pubert� se d�veloppe, en g�n�ral, normalement, avec de rares perturbations ; pour les secondes, le d�veloppement normal est plut�t l'exception ; il se produit chez celles-ci une foule de sympt�mes morbides qui font le d�sespoir du m�decin parce que les pr�jug�s et les mœurs l'emp�chent de prescrire et d'appliquer les rem�des qui seuls peuvent amener le salut. Que de fois les m�decins ne sont-ils pas oblig�s de faire comprendre � nos dames de la ville, p�les, nerveuses, oppress�es de la poitrine, que le rem�de le plus radical, outre un changement dans la mani�re de vivre, est le mariage ? Mais ce rem�de, comment l'appliquer ? Cette proposition rencontre des obstacles insurmontables, et certes on ne peut faire aucun reproche � l'homme qui y regarde � deux fois avant d'�pouser un �tre qui, dans le mariage, n'est qu'une sorte de cadavre ambulant, et court le danger de succomber � ses premi�res couches ou aux maladies qui en proviennent ?
Tout cela montre � nouveau le point o� il faut introduire des modifications, c'est-�-dire qu'il est n�cessaire de refondre enti�rement l'�ducation, de donner � celle-ci comme but la formation tant intellectuelle que physique de l'�tre humain, en chan�geant radicalement les conditions de l'existence et du travail, - toutes choses qui ne sont possibles que par un remaniement fondamental de l'ordre social.
C'est cet �tat de contradiction entre l'homme, envisag� comme �tre naturel et sexuel, et l'homme pris comme �tre social, - contradiction qui ne s'est manifest�e � aucune �poque d'une fa�on aussi frappante qu'aujourd'hui - qui est la cause de tous les maux aussi nombreux que dangereux dont nous venons de parler. Lui seul occasionne une foule de maladies dans le d�tail desquelles je ne veux pas entrer ici, mais qui frappent surtout le sexe f�minin. D'abord parce que l'organisme de la femme est bien plus �troitement li� que celui de l'homme � ses fonctions sexuelles, qu'elle sub�t beaucoup plus l'influence de celles-ci, notamment dans le retour p�riodique de ses r�gles, et ensuite parce que c'est surtout la femme qui trouve le plus d'obstacles � satisfaire d'une fa�on naturelle ses instincts naturels les plus vivaces. Cette contra�diction entre l'instinct naturel et les contraintes sociales m�ne aux agissements contre nature, aux vices et aux d�pravations intimes, en un mot aux jouissances artificielles qui tuent compl�tement tout organisme qui n'est pas d'une vigueur � toute �preuve.
Depuis quelques arm�es, c'est de la fa�on la plus honteuse que, sous les yeux m�me des gouvernants, on favorise ces app�tits contre-nature, surtout pour le sexe f�minin, j'entends par l� la pr�conisation dissimul�e de certains artifices que l'on trou�ve recommand�s dans les plus grands journaux et principalement dans les annonces des journaux amusants qui p�n�trent dans l'intimit� de la famille. Ces r�clames sont sp�cialement � l'adresse de la partie la plus haut plac�e de la soci�t�, car les prix des produits dont nous parlons sont si �lev�s que les gens peu fortun�s ne peuvent s'en payer la fantaisie. � cot� de ces annonces sans pudeur se trouve, plus ouvertement �tal�e encore, l'offre d'images obsc�nes, principalement de s�ries enti�res de photo�graphies, � l'usage des deux sexes, de po�sies et d'ouvrages en prose dont les titres seuls sont calcul�s pour exciter les sens et qui demanderaient � �tre poursuivis par la police et le minist�re public. Mais ceux-ci ont pour la plupart d�j� trop � faire avec les d�mocrates-socialistes, ces perturbateurs de la � civilisation, de la morale, du mariage et de la famille �. Une notable partie de notre litt�rature de romans travaille dans le m�me sens. Dans ces conditions, il faudrait vraiment s'�tonner si l'excitation et la d�pravation des sens ne se manifestaient pas de la fa�on la plus dangereuse et la plus malsaine, jusqu'� prendre les proportions d'une calamit� sociale. La vie indolente et luxueuse que m�nent tant de femmes des classes riches, la surexcitation des nerfs par l'emploi des parfums les plus raffin�s, l'abus de la musique, de la po�sie, du th��tre, bref de tout ce qui porte le nom de jouissances artistiques et se cultive pour certains genres en serre chaude : toutes ces choses, le sexe f�minin qui souffre � un si haut degr� d'une hypertrophie des sens et des nerfs, les consid�re comme le moyen le plus distingu� de r�cr�ation et d'�ducation ; tout cela porte � l'extr�me l'excitation sexuelle et pousse n�cessairement aux exc�s.
Chez les pauvres, il existe certains genres d'occupations fatigantes, notamment des travaux s�dentaires, qui favorisent l'accumulation du sang dans le bas-ventre et qui, par la compression des organes du si�ge, d�terminent l'excitation sexuelle. L'une des occupations les plus dangereuses dans ce sens est le travail � la machine � coudre, aujourd'hui si r�pandue. Celle-ci excite et perturbe les nerfs et les sens � tel point qu'un travail de dix � douze heures par jour suffit pour ruiner en peu d'ann�es le meilleur organisme. L'excitation exag�r�e des sens est �galement due au s�jour prolong� dans des ateliers constamment tenus � une haute temp�rature, comme par exemple les raffineries de sucre, les teintureries, les imprimeries sur �toffes. Les m�mes effets sont produits encore par le travail de nuit � la lumi�re du gaz dans des ateliers encombr�s et souvent m�me au milieu de la promiscuit� des deux sexes.
Nous venons donc d'�tablir une s�rie de faits qui jettent un jour �clatant sur ce que notre situation sociale actuelle a de malsain et d'insens�. Mais de pareils maux, ayant des racines aussi profondes dans l'organisation de notre soci�t�, ne se gu�rissent ni par des sermons de morale ni par les palliatifs dont les charlatans sociaux et religieux des deux sexes sont si prodigues.
C'est dans la racine m�me du mal qu'il faut donner de la cogn�e. Il faut chercher � cr�er une saine m�thode de vie et de travail, un syst�me d'�ducation le plus large possible, � satisfaire d'une fa�on naturelle les instincts naturels et sains ; hors de l�, pas de salut
Une foule de consid�rations dont la femme a � se pr�occuper n'existent pas pour l'homme. En vertu de sa situation pr�dominante, il a le droit absolu de choisir librement ses amours, en tant que les barri�res sociales ne lui font pas obstacle. Le caract�re d'institution de pr�voyance donn� au mariage, la proportion exag�r�e du nombre d'�tres f�minins, les mœurs enfin emp�chent la femme de d�clarer � son gr� ses sentiments ; il lui faut attendre d'�tre recherch�e et s'arranger en cons�quence. En g�n�ral, elle s'empresse de saisir l'occasion de trouver un � entreteneur � qui la sauve de l'abandon, de cette sorte de mise au ban de la soci�t� qui est le lot de ce pauvre �tre qu'on appelle une � vieille fille �. Et il n'est pas rare de lui voir hausser les �paules en jetant un regard d�daigneux sur celles de ses compagnes qui ont eu assez le sentiment de leur dignit� d'�tres humains pour ne pas se vendre au premier venu pour une sorte de prostitution conjugale et pr�f�rent s'en aller seules par le chemin de la vie, sem� d'�pines.
Mais lorsque l'homme veut atteindre dans le mariage la satisfaction de ses besoins amoureux, il est li�, lui aussi, aux obstacles sociaux. Il lui faut, tout d'abord, se poser cette question : Peux-tu nourrir une femme et quelques enfants � venir, et peux-tu les nourrir de telle sorte que le poids des soucis, ces destructeurs de ton bonheur, ne t'�crase pas ? Plus il envisage noblement le mariage, plus il s'en fait une conception id�ale, plus il est d�termin� � n'�pouser que par seul et pur amour une femme sympathisant avec lui, et plus il lui faut se poser s�rieusement la question ci-dessus. Y r�pondre affirmativement, dans les conditions actuelles de l'industrie et de la pro�pri�t�, est pour beaucoup chose impossible, et ils aiment mieux rester c�libataires. D'autres, moins scrupuleux, ob�issent � des consid�rations diff�rentes. Des milliers de jeunes gens des classes moyennes n'arrivent que relativement tard � une position ind�pendante, en rapport avec leurs pr�tentions, mais ils ne sont en mesure de faire tenir son rang � une femme que dans le cas o� celle-ci poss�de une fortune consid�rable. Tant�t un grand nombre de ces jeunes gens se font de ce que l'on appelle � tenir son rang � dans le mariage une id�e qui ne s'accorde pas avec leurs ressources : il leur faut alors, par suite de l'�ducation fondamentalement fausse de la plupart des femmes que nous avons d�peinte, se r�soudre, de ce c�t� aussi, � des exigences qui d�passent de beaucoup leurs forces. Les femmes bien �lev�es, ayant des pr�tentions mod�r�es, ne viennent pas en foule � leur rencontre ; celles-l� se tiennent � l'�cart et ne se rencontrent pas l� ou l'on a petit a petit pris coutume de se chercher une �pouse. Les femmes qui vont, au-devant d'eux sont souvent de celles qui cherchent � attraper un homme par leur ext�rieur brillant, en dissimulant sous un �clat factice leurs d�fauts personnels et notamment leur situation mat�rielle, sur lesquels elles veulent donner le change. Plus ces dames viennent � l'�ge o�, pour se marier, il faut se presser, plus elles emploient des moyens de s�duction de toute nature. Une femme de ce genre r�ussit-elle � faire la conqu�te d'un mari, alors elle est tellement habitu�e a la repr�sentation, aux futilit�s, aux colifichets et aux plaisirs co�teux qu'elle veut retrouver aussi tout cela dans le mariage. Il s'ouvre l� pour les hommes un ab�me tel que beaucoup d'entre eux pr�f�rent laisser tranquille la fleur qui s'�panouit au bord et qui ne peut �tre cueillie qu'au risque de se rompre le cou. Ils vont leur chemin tout seuls et se cherchent des distractions et des plaisirs en conservant leur libert�.
Dans les classes inf�rieures, moins fortun�es, de nombreux obstacles au mariage proviennent de ce que les jeunes filles sont oblig�es d'embrasser une profession, com�me ouvri�res, vendeuses, etc. pour subvenir � leur entretien et souvent aussi � celui de la famille, de telle sorte qu'il ne leur reste ni le temps ni l'occasion de faire leur apprentissage de m�nag�res. Souvent encore la m�re n'est m�me pas en mesure de donner � sa fille, en ces mati�res, l'�ducation n�cessaire, parce qu'elle est elle-m�me surcharg�e de travaux industriels, et dans bien des cas occup�e en dehors de la maison.
Le nombre des hommes qui, pour toutes ces raisons, sont tenus � l'�cart du mariage, croit dans une proportion effrayante. Comme, d'apr�s le recensement de 1875, pour 1.000 hommes �g�s de 20 � 80 ans on compte 1.054 femmes, et comme on peut calculer qu'au moins 10 % des hommes restent c�libataires, il en d�coule que sur 100 femmes il y en a 84 seulement qui peuvent songer au mariage. Cette proportion se montre bien plus d�favorable encore dans certains endroits et pour certaines positions. C'est pr�cis�ment dans les situations �lev�es que les hommes se marient en moins grand nombre, d'abord parce que les exigences du mariage sont trop consi�d�rables et ensuite parce que les hommes appartenant � ces milieux trouvent ailleurs leurs plaisirs et leurs distractions. D'autre part la proportion dont nous parlons est particuli�rement d�sastreuse pour les femmes dans les endroits o� s�journent de nombreux �trangers avec leurs familles, mais peu de jeunes gens. Dans ces endroits, le chiffre des filles qui ne trouvent pas de mari s'�l�ve facilement jusqu'� 30 et 40 %. Le d�faut de candidats au mariage frappe donc le plus cette cat�gorie de filles qui, par leur �ducation, par la position sociale de leur p�re, sont habitu�es � de hautes exigen�ces, mais ne peuvent rien donner, en dehors de leur personne, au pr�tendant qui a la fortune en vue, et qui ne sont pas faites pour un homme de situation inf�rieure pour lequel elles n'ont m�me que du d�dain. Cela s'applique surtout � une grande partie des membres f�minins de ces familles qui vivent de forts traitements, respectables au point de vue social, mais d�pourvues de ressources au point de vue �conomique. L'existence des femmes de cette classe est relativement la plus triste de celles de leurs compagnes d'infortune. Les pr�jug�s sociaux les obligent � se tenir � l'�cart d'une foule d'occupations par lesquelles elles pourraient peut-�tre se cr�er un sort plus doux. C'est au profit de cette classe de femmes qu'ont �t� calcul�s surtout les efforts faits de nos jours par les associations pour le rel�vement du travail f�minin, sous le patronage de grandes et de tr�s grandes dames. C'est l� un travail de Sisyphe, comme celui de ces soci�t�s coop�ratives du syst�me de Schulze qui doivent am�liorer le sort des travailleurs. On obtient des r�sultats en petit ; les obtenir en grand est chose impossible. Le patronage des grands a en outre pour inconv�nient d'exercer une pres�sion morale qui �touffe imm�diatement toute aspiration � un changement fondamen�tal, qui ne tol�re pas qu'il s'�l�ve le moindre doute au sujet de la r�gularit� des bases de notre organisation politique ou sociale, toutes id�es mises hors la loi comme crimes de haute trahison. Les travailleurs ont eu de la peine a s'arracher � la tutelle de leurs amis les grands seigneurs ; les femmes en ont bien davantage encore. Jusqu'� pr�sent ces associations sont donc aussi rest�es � l'abri de ce que l'on appelle les tendances subversives : c'est pourquoi elles n'ont aucune signification pour la v�ritable �mancipation de la femme.
Il est difficile d'�tablir combien grand est le nombre des femmes qui, par suite des circonstances que nous avons expos�es, doivent renoncer � la vie conjugale. Il y a cependant quelques donn�es sur lesquelles on peut s'appuyer. En �cosse, vers 1870, le nombre des filles non-mari�es au-dessus de 20 ans �tait de 43 % de celui des femmes du m�me �ge, et on comptait 110 femmes pour 100 hommes. En Angleterre, et il faut entendre par l� l'Angleterre seule, sans le pays de Galles, on comptait 1.407.228 femmes de plus que d'hommes entre 20 et 40 ans et 359.969 femmes non-mari�es pass� cet age. Sur 100 femmes, il y en avait 42 qui n'�taient pas mari�es. Que disent de cela les gens qui, dans leur l�g�ret�, d�nient � la femme le droit d'aspirer � une situation ind�pendante, �gale en droits � celle de l'homme, en la renvoyant au mariage et � la vie domestique ? Ce n'est pas la mauvaise volont� des femmes qui fait que tant d'entre elles ne se marient pas, et quant � ce qu'il en est du bonheur conjugal, nous l'avons suffisamment d�peint d�j�.
Et qu'advient-il de ces victimes de notre situation sociale ? La nature, outrag�e et bless�e, imprime sa vengeance sur les traits m�me du visage et du caract�re par lesquels ce que l'on appelle les vieilles filles comme les vieux gar�ons se diff�rencient des autres �tres humains dans tous les pays et sous tous les climats. Ils sont le vivant t�moignage de l'influence puissante et pernicieuse qu'exerce la compression de l'instinct naturel. Il est �tabli que des hommes fort remarquables, comme Pascal, Newton, Rousseau, ont d� � ces causes de souffrir dans les derniers jours de leur vie de cruelles alt�rations de leurs facult�s morales et intellectuelles. Ce qu'on appelle la nymphomanie chez les femmes, aussi bien que les nombreux genres d'hyst�rie, d�coule des m�mes sources. Dans le mariage �galement l'absence de jouissance, avec un mari qui n'est pas aim�, conduit � des crises d'hyst�rie et cause souvent aussi la st�rilit�.
Voil� ce qu'il en est de notre vie conjugale actuelle et de ses cons�quences. Nous voyons donc que le mariage est, de nos jours, une institution �troitement li�e � l'�tat social existant ; il vit et meurt avec lui ; lui faire subir, au sein de ce m�me �tat social, des modifications telles que ses c�t�s sombres disparaissent, est impossible, et toutes les �tudes qui ont ce point de d�part n'ont aucune chance d'aboutir. Le monde bourgeois ne peut ni donner au mariage une forme satisfaisante, ni pourvoir � la satisfaction de ceux qui ne se marient pas.
Notes
[1] C'est ainsi que Platon, dans sa � R�publique �, demande que les femmes soient �lev�es de la m�me fa�on que les hommes, et il r�clame pour les chefs de son �tat id�al une soigneuse s�lection. Il connaissait donc ce qu'une semblable s�lection produisait de r�sultats sur le d�veloppement des �tres humains. Aristote pose en principe fondamental de l'�ducation que � le corps doit �tre fa�onn� d'abord, l'esprit ensuite. �
[2] � La mission de notre si�cle �. �tude sur la question des femmes, par Irma de Troll-Borostyani (Presbourg et Leipzig). C'est un ouvrage solidement �crit, �nergiquement pens�, et dont les revendications vont assez loin.
[3] Alexandre Dumas fils raconte, dans � Les femmes qui tirent et les femmes qui votent �, qu'un membre haut plac� du clerg� catholique lui disait au cours d'une conversation que sur cent jeunes filles de ses p�nitentes qui se mariaient, quatre vingt au moins venaient � lui au bout d'un mois et lui avouaient qu'elles �taient d�go�t�es du mariage et regrettaient d'y �tre entr�es. Cela parait tr�s vraisemblable. La bourgeoisie voltairienne de France croit pouvoir accorder avec sa conscience de faire �lever ses filles dans les couvents ; elle part de ce point de vue que la femme ignorante est plus facile � mener que la femme instruite. Des conflits et des d�sillusions en r�sultent forc�ment. Laboulaye conseille m�me directement de maintenir la femme dans une ignorance relative, lors�qu'il �crit : � notre empire est d�truit, si l'homme est reconnu �.
[4] Il est digne de remarque que les femmes des peuples sauvages ou � demi-barbares accouchent avec une facilit� extraordinaire et vaquent de nouveau, pour la plupart, � leurs occupations domes�tiques peu de temps apr�s leurs couches. De m�me chez nous, les femmes de nos classes inf�rieu�res, qui travaillent dur, et particuli�rement celles des campagnes, accouchent bien plus facilement que celles des classes �lev�es.
[5] Ce que cette mani�re de voir a d'absurde se d�montre de la fa�on la plus frappante si l'on tire les cons�quences d'une pareille opinion. Les salaires seraient donc d'autant plus r�mun�rateurs que les arm�es permanentes seraient plus nombreuses et les guerres plus fr�quentes. Les sacrifices im�menses qu'il faut r�aliser chaque ann�e pour entretenir par le travail du peuple des centaines de milliers d'hommes oisifs, les ruines caus�es par les guerres et leurs dangers, les pertes qui en r�sultent pour l'industrie, rien de tout cela ne doit, r�guli�rement, entrer en ligne de compte pour les d�fenseurs de cette id�e absurde. D'apr�s leur principe, les salaires devraient �tre r�duits au plus bas dans les pays qui n'ont pas d'arm�e permanente ou qui n'en entretiennent qu'une tr�s faible, en Suisse, en Angleterre, aux �tats-Unis il est de notori�t� publique que c'est le contraire qui a lieu. Si l'entretien d'une arm�e permanente nombreuse influait favorablement sur le salaire des travailleurs, il faudrait �galement consid�rer comme tr�s utile que l’�tat augmente dans d'�normes proportions l'arm�e de ses fonctionnaires. Mais ce que co�tent et d�pensent les arm�es de soldats et d'employ�s, ce sont les travailleurs qui sont oblig�s de le produire ; c'est bien clair.
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