1946 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 79 – 5ème année – Hebdomadaire (B.I.) le n° 3 francs |
LA LUTTE DE CLASSES nº 79
14 décembre 1946
Après la mise en scène des candidatures battues d'avance de Thorez et de Bidault, au poste de Président du Gouvernement, les négociations laborieuses pour la formation d'un nouveau Gouvernement ont montré à la fois la profondeur de la crise et l'impuissance de l'Assemblée à y porter remède.
En apparence, tout le monde a parlé de la difficulté de s'entendre sur un programme, alors que les mesures techniques sont depuis longtemps décidées "en haut lieu", c'est-à-dire par les maîtres de la Banque, dont les véritables porte-parole sont les Jean Monnet, les Robert Schuman, etc... Mais qui prendrait officiellement la responsabilité de ce programme ? Voilà les raisons de toutes les discussions et manœuvres.
L'élection quasi-unanime de Léon Blum à la Présidence du Conseil, et les commentaires de la presque totalité de la presse, ont ensuite bien montré qu'il ne s'agissait pas de programme, mais de la difficulté de trouver un responsable pour l'appliquer. Car malgré l'empressement apparent des chefs de parti de mettre en avant leurs formules gouvernementales et leurs programmes, il n'y a, en réalité, qu'un seul programme qu'ils peuvent METTRE EN PRATIQUE : celui des 200 familles.
Seul le P.C.F., tenu par ses promesses électorales, continue à jouer l'innocence et à exiger un gouvernement de gauche : "Le Bureau Politique décide de voter pour Léon Blum en donnant à ce vote... la double signification d'une opposition irréductible à toute formation équivoque de prétendue unanimité nationale, et d'attachement à une politique d'union des forces ouvrières et démocratiques."
Mais au moment où ils se décidaient à voter pour un Blum de gauche, celui-ci avait déjà déclaré qu'il n'acceptait d'être candidat qu'à la condition que tous les groupes soient d'accord pour sa candidature. C'est un Blum "union nationale" que les chefs staliniens ont feint d'élire Président du Conseil "de gauche". D'ailleurs, avant que le P.C.F. lui-même ne fasse ses propositions au P.S. pour un candidat socialiste, c'est l'organe des 200 familles, Le Monde, qui mettait Blum en avant. En votant pour l'homme de la "pause", à qui toute la bourgeoisie et la réaction font confiance, les chefs staliniens démasquent leurs prétentions au sujet d'un Gouvernement "démocratique de gauche" comme autant de mensonges, comme un alibi pour cacher la faillite de leurs formules et de leur politique.
Pourquoi les futures mesures de gouvernement seraient-elles "impopulaires" ? se demande naïvement L'Humanité. "N'y a-t-il pas des mesures qui s'imposent, tout en étant populaires ?" Comme si on pouvait travailler à la fois au bénéfice des capitalistes et dans l'intérêt des ouvriers. "Publication du rôle des impôts sur le revenu et établissement du bilan de la confiscation des biens des traîtres", demande L'Humanité. Est-ce là tout le programme du prochain Gouvernement, alors que le pays est au bord de la faillite ? Alors qu'il n'y a pas de milieu entre l'expropriation des capitalistes, et le renforcement de l'exploitation de la classe ouvrière pour la réduire définitivement à la merci, en finir avec les revendications, etc., quelles que soient par ailleurs les mesures "techniques" ?
Blum a été accueilli, après Pétain et De Gaulle, comme l'homme providentiel. Il a renouvelé le geste de Pétain : à 75 ans, il "fait don de sa personne à la France" ; c'est ainsi qu'on peut résumer très fidèlement les commentaires dithyrambiques des journalistes. Le secret des hommes providentiels se trouve ainsi expliqué, non pas par leur personnalité soi-disant exceptionnelle, qui sauve la situation, mais par les besoins constants d'un régime malade, impuissant, pourri, se survivant à lui-même dans le monde entier, qui, s'il ne les trouve pas, les invente à chaque moment. Les représentants débiles de ce régime ont eu besoin de l'homme providentiel pour faire accepter l'armistice aux travailleurs de France en 1940, ils ont eu besoin de De Gaulle pour rentrer frauduleusement en France derrière son "prestige" qu'ils avaient eux-mêmes créé, ils ont maintenant trouvé Léon Blum. Il devient certain qu'un beau jour, "l'homme providentiel", derrière lequel ils éprouvent constamment le besoin de se cacher, finira, comme Hitler, Mussolini et tant d'autres, à s'ériger avec leur aide en maître du pays tout entier.
Spectacle touchant que la réunion du Conseil municipal de Paris du 4 décembre ! Une pièce de théâtre, La Putain respectueuse , y a soulevé une vive discussion provoquée par M. F. Dupont. Ce n'est cependant pas le titre, qui aurait autrefois mobilisé contre lui toute la gent des vieilles filles des deux sexes, qui a été l'objet de la discussion.
M. F. Dupont, respectable protecteur des mœurs bourgeoises qui couvrent du vernis de l'hypocrisie une pratique qui n'a rien de respectable, s'est défendu de "jouer le rôle des pères la Pudeur et de mettre en cause la morale publique"...
N'est-ce pas touchant de constater que la civilisation nous a définitivement délivrés non seulement du bûcher moyenâgeux que réclamaient les ancêtres de M. F. Dupont contre les sacrilèges envers la morale publique, mais encore a émancipé les Dupont modernes au point qu'ils renoncent à toute vindicte sociale en matière littéraire ?
Mais, si les intérêts sacro-saints de la morale officielle n'exigent plus les bûchers, d'autres intérêts sont devenus encore plus sacro-saints et plus respectables : "J'ai cru que cette pièce, traitant un sujet racial particulièrement délicat, était de nature à blesser nos amis des Etats-Unis. Je ne demande pas qu'on la retire de l'affiche, mais je prie mes collègues de s'associer à ma protestation et d'exprimer de nouveau l'amitié et la reconnaissance que nous devons porter à la grande démocratie alliée", déclare F. Dupont.
Cependant, la pièce l'échappe belle, car "il ressort que les Américains sont les premiers à reconnaître la liberté d'expression par le livre, le théâtre et la radio".
On ne peut pas être plus royaliste que le roi. La liberté de l'artiste parisien se trouve justifiée et sauvegardée par la tolérance du gouvernement américain envers ses propres citoyens artistes aux Etats-Unis.
Cependant, la civilisation bourgeoise décadente et les libertés du citoyen sont depuis longtemps séparées.
Cette démocratie dans les salles de spectacle fréquentées surtout par les riches, le fait qu'à New-York on tolère la discussion littéraire à la radio, sont autant de choses pour faire oublier que le lynchage des Noirs, le matraquage des grévistes, la politique raciale et anti-ouvrière à la
Jim Crow, sont plus que jamais des faits quotidiens.
Alors que le 4 décembre on décidait, au Conseil municipal de Paris, de laisser jouer une pièce au nom de la liberté, le 7 décembre, un meeting, organisé par le P.C.I. sur les événements d'Indochine, était interdit à la dernière minute ; et les ouvriers français et indochinois, venus pour y assister, étaient reçus à coups de matraques par une police ayant des ordres dans ce sens.
"Il faut qu'on sache la vérité sur les événements d'Indochine", affirmait hautement Le Monde. Mais les travailleurs français et indo-chinois, venus pour l'écouter au meeting de la salle Wagram, c'est à coups de matraque qu'on estimait pouvoir le mieux la leur enseigner. Pour les travailleurs qui ne sont pas d'accord avec la vérité du gouvernement, de d'Argenlieu, du Monde, c'est la répression policière qui incarne cette vérité.
Ainsi, une fois de plus, la bourgeoisie nous montre quel contenu réel elle donne aux mots démocratie et liberté.
Liberté, pour elle, de discuter de la parution d'une pièce de théâtre. Mais interdiction, par la force, aux travailleurs, aux opprimés de connaître les véritables buts qu'elle poursuit aux colonies. Liberté pour la bourgeoisie d'asservir des millions d'hommes.
A Nuremberg, devant le tribunal "allié", après les quelques chefs nazis, comparaissent maintenant 23 médecins allemands accusés, selon l'agence United Press, d'avoir "dirigé une organisation de meurtres scientifiques, torturant et gazant des centaines de milliers d'hommes et de femmes..." Le détail de ces "meurtres scientifiques" défie toute imagination normale et dépasse en horreur les cauchemars les plus atroces.
L'Agence américaine, cependant, tait que ces expériences avaient pour but la poursuite de la guerre dont elles constituaient le complément. Il n'est pas difficile de découvrir la raison du silence de l'Agence américaine. En effet, une telle déclaration aurait inévitablement retourné l'accusation contre le Gouvernement américain lui-même. Car, si les dessous de la guerre allemande sont connus grâce à l'expérience mortelle qu'en ont fait les victimes des dirigeants nazis, les dessous de la guerre "alliée", bien que moins connus, ont néanmoins suffisamment été éclairés par les expériences atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Effectivement les deux bombes ont été lancées non dans un but immédiatement militaire, mais dans un but purement expérimental et politique – non pour mettre le Japon hors de combat (il l'était déjà) –, mais pour connaître les effets d'un bombardement atomique sur de grandes agglomérations humaines, d'une part, et, d'autre part, pour donner une excuse aux dirigeants japonais, contraints de capituler, vis-à-vis de leur peuple. C'est ce but politique qu'il y a un an, dans La Lutte de Classes n° 50, du 3 septembre 1945, nous avons révélé sur la base d'une déclaration du ministre américain Byrnes. Or, aujourd'hui, cet aveu vient d'être confirmé, à la Chambre des Communes, par M. Attlee : "Une offre de paix a été faite par le Japon le 22 juillet 1945, et la bombe atomique sur Hiroshima a été lancée seulement le 10 août". Une telle déclaration, au moment où on fait passer en jugement 23 médecins allemands pour leurs expériences criminelles sur des êtres humains, risquait d'ouvrir les yeux aux populations trompées par M. Attlee et l'impérialisme allié. C'est pourquoi la presse s'est empressée de démentir le Premier Ministre et de prétendre qu'il y avait eu "une erreur de sténographie". Mais le but expérimental du lancement de la seconde bombe n'en reste pas moins évident. Une seule bombe aurait suffi à rendre le Japon conscient de "l'inutilité de la poursuite de la lutte", si tel avait été le but réel. Mais, en réalité, la bombe atomique a été expérimentée sur Hiroshima et Nagasaki, tuant des centaines de milliers d'êtres humains sans distinction d'âge et de sexe, de la même façon qu'elle l'a été à Bikini, au-dessus et à la surface de la mer.
L'Agence américaine sait tout cela. Elle sait que tout cela peut être retourné facilement contre les gouvernements alliés ; aussi essaie-t-elle de tromper le publlic en élevant le débat à "l'éternelle controverse de la limitation des recherches scientifiques par la conscience sociale". L'un des résultats du procès sera d'établir juridiquement, pour le monde entier, jusqu'où peuvent aller les expériences sur les êtres humains sans devenir criminelles. Ce n'est là qu'une manière, pour la bourgeoisie, de masquer ses responsabilités et ses buts dans la guerre.
La science n'est autre chose que l'effort victorieux de l'homme sur la nature. Elever la science au-dessus de l'homme, c'est trouver un moyen de dissimuler l'utilisation de la science par une classe de possédants qui ne reculent devant rien pour maintenir leur domination.
Car, si ces expériences servaient à la poursuite de la guerre, quelles en étaient cependant les victimes ? Non pas les Blum, Herriot, et autres "grands déportés" bourgeois, traités, au contraire, avec des égards, mais des ouvriers, des paysans, des exploités de toutes nationalités, opprimées et autres. Ainsi, pour écraser la classe ouvrière, les peuples coloniaux, tous les ennemis de sa domination, la bourgeoisie utilise la science. Elle en fait philosophiquement un dieu au-dessus de l'homme et, comme au dieu chrétien moyenâgeux autrefois, elle prétend sacrifier l'homme à la science, aujourd'hui.
Les trotskystes américains, qui trouvent un écho croissant dans les masses ouvrières de leur pays, ont dénoncé le crime que constituait le lancement des bombes atomiques sur le Japon de même qu'ils dénoncent tous les jours les méthodes de l'impérialisme américain dans le monde entier.
Avec les ouvriers américains, les prolétaires de tous les pays accusent les gouvernements alliés d'avoir commis les mêmes crimes contre l'humanité que les dirigeants nazis. Seulement, ce n'est pas le tribunal de Nuremberg qui peut juger ces crimes. Ce seront les travailleurs qui mettront en accusation les dirigeants capitalistes de tous les pays pour leurs crimes contre l'humanité.
L'effort de "travail et de discipline", qui depuis deux ans est demandé et imposé à la classe ouvrière, a été justifié non seulement par la propagande de "l'intérêt général" et de la nécessité de "produire", mais aussi par un prétendu plan de redressement de l'économie au sortir de la guerre.
En effet, la France sort de la deuxième guerre mondiale entièrement ruinée. Son économie est paralysée non pas tant en raison des destructions – avec la technique actuelle, celles-ci pourraient être rapidement réparées – mais surtout parce que, au moment de progrès décisifs de la technique, l'outillage de l'économie française est usé et arriéré.
Le redressement technique de l'économie, la modernisation de son outillage est une question de vie ou de mort pour le pays. Avec une économie arriérée, nous sommes condamnés à un niveau de vie bas et arriéré, à une régression culturelle progressive. La production industrielle par habitant est tombée en France de l'indice 100 à 50, tandis qu'elle est montée aux Etats-Unis de 191 à 403.
A la propagande des social-traîtres, les Duclos, Thorez, Blum, etc..., qui voulaient nous faire croire qu'un relèvement était possible par l'effort croissant des ouvriers et l'exploitation accrue de leur force de travail, sans que l'élimination des capitalistes de la direction de l'économie soit indispensable, nous n'avons cessé d'opposer que la direction capitaliste de l'économie ne pouvait que consommer davantage la ruine du pays et rejeter sur les masses un fardeau de plus en plus lourd : depuis deux ans l'expérience l'a prouvé. Mais continuant le même travail de tromperie, ce sont encore eux qui mettent en avant aujourd'hui le plan Monnet, auquel la C.G.T. accorde son appui.
"Le plan Monnet n'a pu être dressé qu'en escomptant un grand et noble effort des travailleurs", écrit L'Humanité le 3-12. Mais que disent les représentants de la bourgeoisie de leur "plan" ? Le Monde, qu'on ne peut soupçonner de vouloir dénigrer l'œuvre du "grand homme d'affaires" qu'est Monnet, écrit : "La presse, par des allusions mystérieuses, a entretenu ces derniers temps l'illusion que le plan Monnet était un plan complet de redressement économique. Il importe de dissiper cette erreur."
En effet, le mot "plan", accolé au nom de Monnet, n'est qu'une supercherie destinée à tromper les travailleurs qui doivent en supporter tous les frais.
Thorez prétendait, il y a quelque temps, que les jeunes devaient travailler pour que les vieillards puissent se reposer. Or le "plan" prévoit l'utilisation dans la production non seulement des vieux, mais même des déficients (malades, infirmes). Ce n'est pas parce que la main-d'œuvre manque, mais parce que, pour la bourgeoisie, celle-ci représente avant tout un moyen de concurrence et non de production.
Le "plan" n'est pas un plan de redressement par l'utilisation rationnelle de toutes les ressources nationales adaptées aux besoins de la population : "La raison du plan Monnet était de montrer à nos prêteurs américains que nous étions en mesure de faire de leurs crédits un emploi productif." Il s'agit donc, de l'aveu officiel, de s'entendre avec les capitalistes américains, de leur donner des garanties. Le ministre du Commerce anglais a, lui aussi, déclare : "En ce moment, la Grande-Bretagne vit dans une large mesure sur les prêts des Etats-Unis. Si l'équilibre n'était pas rétabli quand les crédits américains seront épuisés, la situation de la Grande-Bretagne serait très grave." Il a appelé les industriels a augmenter les exportations. Cette situation oblige les capitalistes à recourir à des ententes provisoires pour partager les sphères d'influence, à des "plans" qui, s'ils tiennent compte des besoins de la concurrence, n'ont rien à voir avec un plan de relèvement systématique de l'économie.
Chaque expérience nouvelle montre la nécessité d'une solution ouvrière et tous les jours qui sont ainsi gaspillés, parce que les ouvriers attendent encore qu'une solution vienne des Thorez, sont autant de jours gagnés par la bourgeoisie au profit de sa consolidation sur le dos des ouvriers.
Le "plan" Monnet démontre aussi pour la France, comme pour tous les autres pays, qu'un véritable relèvement n'est possible que dans la coopération internationale. Sur qui baser cette coopération ? Sur les capitalistes américains, qui pèsent sur les destinées des nations. Mais les capitalistes poursuivent des buts néfastes aux peuples. Les ouvriers de tous les pays ont les mêmes intérêts ; mais sont-ils assez forts pour vaincre la bourgeoisie ? Nous avons vu qu'une grève de 400.000 mineurs américains a pu, en mettant en danger le commerce international, mettre en échec toute la bourgeoisie mondiale. Les véritables maîtres de la situation, ce sont en vérité les ouvriers et non les capitalistes. Seulement ceux-ci ont une conscience de classe, alors que la classe ouvrière ne l'a pas encore définitivement acquise. Mais, à travers tant de souffrances auxquelles la bourgeoisie nous condamne, nous serons obligés de l'acquérir, car la marche même des événements nous prouvera tous les jours qu'il n'y a pas d'autre solution.
La C.G.T. mène campagne pour la remise en vigueur des conventions collectives. Les projets de ces conventions ne comportent rien de précis quand à la fixation des salaires et L'Humanité, il y a quelque temps, déclarait : "Il est possible qu'en raison de la situation économique, la fixation des salaires ne soit pas incluse dans les conventions collectives."
Mais le niveau de vie des travailleurs baisse chaque jour en raison de l'augmentation constante du coût de la vie (augmentation du sucre, de la confiture, des loyers, des transports, etc..).
C'est pourquoi la C.G.T., en vue d'éviter les mouvements ouvriers qu'une telle situation ne manquerait pas de créer, change d'orientation et réclame maintenant la fixation du salaire minimum vital.
On continue à rejeter catégoriquement la revendication échelle mobile du salaire qu'un nombre toujours croissant d'ouvriers adoptent comme mot d'ordre devant la faillite de toutes les combinaisons patronales et cégétistes.
Au début de 1945, la C.G.T. nous a déjà berné avec l'histoire du salaire minimum vital. Elle revendiquait 23 francs de l'heure comme salaire de base minimum du manœuvre ainsi que la stabilisation du coût de la vie. En fait de 23 francs de l'heure, nous avons obtenu 20 francs et la C.G.T. s'est félicitée de cette "victoire". Quant à la stabilisation que la C.G.T., "forte de 5.000.000 d'adhérents, affirmait être en mesure d'imposer au gouvernement", nous en avons constaté les effets. En prenant comme base les 23 francs salaire horaire du manœuvre, un O.S. 2ème catégorie aurait dû gagner 29,21 frs de l'heure. Le coefficient du coût de la vie étant passé de 100 à 264 de mars 1945 au mois d'octobre dernier (depuis la vie a encore augmenté), si nous avions eu l'échelle mobile, un O.S. deuxième catégorie devrait gagner 77,11 frs de l'heure (ceci sans les primes ni le boni). Or, un O.S. 2ème catégorie a son minimum vital fixé actuellement à 34,30 frs. C'est-à-dire qu'un ouvrier ne touche même pas LA MOITIÉ de ce qui était considéré en 1945 par la C.G.T. comme le minimum vital.
En période de relative stabilité économique, une augmentation de salaire pouvait garantir pour un certain temps le pouvoir d'achat des salariés. Mais en période d'inflation, la montée constante des prix oblige la bourgeoisie à revaloriser périodiquement les salaires pour éviter les conflits avec la classe ouvrière. Autrement dit, l'échelle mobile est appliquée, mais à RETARDEMENT, ce qui permet au patronat d'agrandir constamment le fossé entre les salaires et les prix et de réduire ainsi progressivement notre standard de vie.
"Si le salaire vital est fixé pour une longue période, deux ans par exemple, ainsi que le prévoit le statut de la fonction publique, les RISQUES de l'échelle mobile sont écartés", dit le Monde du 8-12-46. Ainsi l'organe du Comité des Forges envisage la possibilité d'établir un minimum vital pour une longue période pendant laquelle les prix continueront à monter, tandis que les salaires seront stabilisés : que devient le minimum vital ? Si le patronat n'est pas obligé de relever les salaires au fur et à mesure que le coût de la vie augmente, il n'y a plus de minimum vital !
C'est parce qu'il envisage de garder l'initiative dans la question des salaires (ceux-ci n'étant relevés que périodiquement quand la vie a augmenté dans de trop grandes proportions) et qu'il refuse de se lier les mains pour spéculer sur chaque hausse des prix que le patronat rejette l'application de l'échelle mobile.
Mais pour quelles raisons la C.G.T. repousse-t-elle, elle aussi, l'échelle mobile ?
C'est que l'échelle mobile n'est pas une revendication applicable sur chaque patron pris individuellement, mais une revendication d'ordre général. Or, dans cette question, c'est l'Etat qui sert de paravent aux capitalistes :
"Nous ne pouvons pas vous augmenter, disent les patrons, car l'Etat nous oblige à respecter les prix de vente qu'il nous assigne." "Toute discussion entre patrons et ouvriers est donc vaine, puisque les patrons n'ont aucune compétence à ce sujet", dit un directeur régional du travail (Le Monde, 15-12-46).
C'est la peur d'avoir à rentrer en conflit avec l'Etat protecteur des patrons qui fait repousser l'échelle mobile par les dirigeants syndicaux, car ils sont liés avec cet Etat par les responsabilités qu'ils y ont prises (Croizat, ministre du Travail ; Marcel Paul, ministre de la Production Industrielle, etc...).
On l'a d'ailleurs bien vu lors de la revendication des 25%. Lorsque les dirigeants ont vu que leur intransigeance risquait de compromettre la bonne entente entre les ministres "ouvriers" et bourgeois, ils ont tout simplement abandonné les 25% qu'ils affirmaient au début être un minimum audessous duquel on ne pouvait pas aller et ont invité les sections syndicales à revendiquer ce qu'elles pouvaient auprès de leurs patrons individuels. Le résultat a été que les augmentations ont varié de 15% à 35%, ce qui n'a pas empêché nos bonzes d'affirmer avoir obtenu un "victoire sans précédent".
L'échelle mobile des salaires est une garantie contre une nouvelle diminution du pouvoir d'achat que le patronat a l'intention d'imposer aux travailleurs.
L'échelle mobile est un moyen d'unifier la lutte pour les salaires et d'éviter que les augmentations soient laissées au gré des employeurs (écart de 15 à 35% lors des 25%), au détriment, en premier lieu, des travailleurs les plus faibles économiquement.
L'échelle mobile est une défense permanente contre l'attaque permanente que la bourgeoisie nous impose par l'inflation.
UN CADEAU DE PLUS
La loi des accidents du travail de 1898 sera modifiée par celle du 25 octobre 1946 applicable à partir du 1er janvier 1947. Voici, à ce sujet, la circulaire que la Direction de la R.N.U.R. a affichée :
Avis n° 1177 : Accidents du travail.
– A de nombreuses reprises, l'attention du personnel a été
attirée sur les risques graves qu'il court en n'utilisant pas d'une
manière complète et continue les appareils et accessoires
de protection (systèmes de sécurité sur presses, bonnets,
lunettes, etc...) destinés à prévenir les accidents.
"Ne donne lieu à aucune prestation ou indemnité en vertu de la présente loi, l'accident résultant de la faute intentionnelle de la victime, en application de cette clause restrictive, pourra donc, en cas d'infrac-tion, entraîner la perte de tout droit aux prestations et indemnités."
Le 26-10-46 ; La Direction : Lefaucheux
Ainsi, après nous avoir imposé le salaire au rendement combattu de tout temps par les organisations syndicales, par souci d'accroître la production, M. Croizat, toujours par souci d'accroître la production, donne aux patrons la possibilité légale de contester les accidents du travail.
En effet, comment prouver qu'un accident a été fait intentionnellement ou non si la simple négligence ou omission de l'emploi d'un appareil de sécurité peut être considérée comme faute intentionnelle ?
Nous constatons une fois du plus que le ministre "ouvrier" Croizat est beaucoup plus prompt à servir la bourgeoisie que ceux qu'il représente, car si la loi du 25 Octobre 1946 est passée, nous attendons toujours le réajustement de nos pensions qu'il nous a promis.
Un mutilé du travail, Marc
UNE ASSEMBLEE SYNDICALE
La séance débute par les élections à la Commission exécutive et aux différents comités.
Puis, un responsable rappelle qu'on est à la fin de l'année et qu'il faudrait songer à reprendre les cartes. "Je sais bien, dit-il, que tout le monde n'est pas content, mais cela ne doit pas être un prétexte pour laisser tomber le syndicat. Au contraire, il faut venir aux assemblées générales, discuter, présenter des motions."
On demande ensuite si des camarades ont des questions à poser. Un camarade critique le projet des conventions collectives qui consacre des modes de rémunération toujours combattus par les organisations syndicales (salaire au rendement) et qui n'apportent rien de concret en ce qui concerne le problème des salaires. Il conclut en déposant une motion réclamant notamment l'échelle mobile. Comme par hasard, pour répondre à ses critiques, c'est le "responsable" local qui intervient. Un ouvrier murmure : "ils ont appelé du renfort". Le "responsable" commence par affirmer qu'il ne suffit pas d'apporter des critiques, mais qu'il faut proposer des solutions. "Qu'on lise la motion, interrompt l'ouvrier, les solutions y sont". Le bonze prend la motion et lit en bredouillant pour lui-même, puis il la pose et affirme : "les 40 heures que le camarade a prétendu n'exister que sur le papier sont bien accrochées et il n'y a aucun danger de les voir disparaître". Puis, il reprend la motion et recommence à bredouiller.
Le camarade interrompt : "ne serait-il pas plus simple de lire la motion ?" Il répond par une moue significative et, sur un ton méprisant, dit: "J'ai déjà vu ces arguments dans certaine presse."
C'est une provocation qui tend à aiguiller la discussion sur un sujet politique. Personne ne répond. Tout en continuant à lire il développe les mots d'ordre de la C.G.T. (plus que jamais il faut produire, etc...).
Très en colère, un ouvrier se lève et s'écrie : "Mais enfin, cette motion, vous ne pouvez pas la lire." Plusieurs ouvriers appuient cette protestation et, à contre cœur, le bonze passe la motion au président de séance qui la lit. Après la lecture, il essaie de réfuter les arguments qu'elle contient, mais une discussion animée s'engage entre lui et plusieurs ouvriers qui défendent le principe de l'échelle mobile.
"Vous nous dites qu'il faut produire davantage pour augmenter nos salaires, mais depuis qu'on produit à outrance, nos salaires ont augmenté, certes, mais notre pouvoir d'achat a diminué sans cesse."
De nombreux camarades attaquent les mots d'ordre de produire et de salaire au rendement en appuyant par leur exemple personnel. "Dans notre coin, dit un ouvrier, on nous règle trop haut et les chronos descendent." Le bonze rétorque que ce n'est pas normal, le plafond est supprimé (sans doute, mais cela n'empêche pas les chronos de sabrer les temps).
Comme la discussion s'égare, quelques ouvriers demandent le vote de la motion. Là, le bonze entend expliquer son point de vue et redemande la parole. Il est déjà tard et beaucoup d'ouvriers quittent la salle. Il est interrompu de nombreuses fois par quelques camarades, et comme ses arguments ne convainquent personne, il pose la question de confiance : "Il s'agit de savoir si on est avec la C.G.T. ou avec la réaction." L'ouvrier qui a déposé la motion bondit "C'est du chantage, vous n'avez pas le droit d'agir ainsi." Et un autre, rouge de colère, se lève pour l'invectiver : "Autrefois, la C.G.T. était là pour exécuter les mots d'ordre de la base ; aujourd'hui, vous voulez nous imposer vos mots d'ordre." Le bonze perd pied : "Mais on est ici pour discuter, si vous n'êtes pas d'accord, vous avez le droit de le dire." "C'est ce qu'on fait, alors, pourquoi posez-vous la question de confiance."
La discussion reprend. Les invités de la cellule stalinienne commencent leur travail. L'un bougonne "Il y a une bande de trotskystes là-dedans, c'est temps qu'on les vire." Provocation à laquelle personne ne répond. Puis, un autre murmure : "Ils viennent foutre la pagaïe." Un ouvrier intervient : "Comment, la pagaïe, alors si on ne dit pas amen à toutes vos c..., on fout la pagaïe !"
Il reste une quarantaine d'ouvriers. On procède au vote. Mais la plupart de ceux qui approuvaient la motion sont partis. Beaucoup d'autres n'osent pas se prononcer encore ouvertement. La motion obtient 5 voix. Il y a une abstention d'un ouvrier qui n'est pas d'accord, mais est néanmoins partisan de l'échelle mobile.
Nos dirigeants syndicaux parlent sans cesse de démocratie. Mais ils entendent par démocratie et droit de s'exprimer tout ce qui est louange de leur politique de trahison. Ne passent que les motions en faveur de la production. Que la moindre opposition se fasse sentir, qu'un ouvrier ose dire tout haut ce que la majorité pense, aussitôt ces démocrates en paroles l'injurient et le menacent. On comprend, dans ces conditions, que la plupart des ouvriers n'osent se prononcer ouvertement.
C'est pourtant par là qu'il faut commencer.
TRÉFILERIES ET LAMINOIRS DU HAVRE
Aux "Tréfileries et Laminoirs du Havre", à SaintMaurice, chaque mois, l'Assistante Sociale doit faire un rapport à la réunion du Comité d'Entreprise. Mais ce rapport est lu et censuré auparavant par la direction. C'est ainsi que, le mois dernier, l'Assistante, ayant noté : la mauvaise tenue du service social et de l'infirmerie au point de vue hygiène, et l'insuffisance des salaires, se vit "prier" de supprimer le paragraphe concernant l'insuffisance des salaires, sous prétexte que cela n'était pas de son ressort. Quant au paragraphe concernant l'hygiène de l'infirmerie, on toléra qu'elle le lût tout en lui faisant remarquer que de tels reproches ne devaient plus être adressés à la Direction devant les membres du Comité d'Entreprise. Evidemment, il ne faut pas que les ouvriers qui en font partie aient les yeux ouverts sur les "torts" de la Direction envers eux. Ou bien on doit faire le silence sur les procédés éhontés d'exploitation du patronat, ou bien les couvrir par des mensonges tels que l'alibi facile de la pénurie générale qu'est obligée d'invoquer l'Assistante Sociale qui ne peut donner leurs bleus de travail aux ouvriers munis de bons, parce qu'en réalité c'est la Direction qui a négligé de renouveler les stocks en temps voulu.
Voilà à quoi se réduit le rôle des Assistantes Sociales en absence d'un Syndicat dévoué aux intérêts des ouvriers qui, par son soutien, leur permettrait d'exprimer librement la vérité sur les conditions de travail dans les usines.
CHEZ HISPANO
La maison Hispano compte dans ses frais de production 8 francs de la minute comme frais de main-d'œuvre. Or, l'ouvrier productif qui effectue le travail est payé de 0,60 à 0,80 de la minute. Où passe le reste ? Ce sont les improductifs qui l'accaparent.
La maison Hispano n'est pas la seule à entretenir des "nourrissons" et c'est pour payer les improductifs qu'on exige des productifs une cadence toujours plus vive et une journée de travail toujours plus longue.