1946 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE de CLASSES Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n°63 – 4ème année |
LA LUTTE DE CLASSES nº 63
12 juin 1946
Le résultat des élections, qui ne modifie guère la figure de l'Assemblée telle qu'elle était depuis le 21 octobre, fait dire au Monde (5 juin) : "Voilà qui doit atténuer les appréhensions que les trois Partis ont éprouvées en affrontant le verdict du suffrage universel. Voilà qui ne devrait retenir ni l'un ni l'autre de ces Partis de collaborer demain au pouvoir. Le tripartisme est acquitté..."
Ainsi, malgré le mécontentement des masses travailleuses devant 18 mois d'une politique gouvernementale d'impuissance et de faillite, selon l'arithmétique parlementaire cette politique se trouve sanctionnée.
Cependant, les millions de travailleurs qui ont voté pour le P.C.F., n'ont pas voté pour la continuation de la politique menée jusqu'à présent, mais seulement dans la mesure où les Partis ont présenté les élections comme une lutte contre le communisme, ou contre la réaction. Pour les ouvriers, leur vote était un mandat d'opposition aux Partis bourgeois. Mais reflété à travers la politique des dirigeants, ce mandat se transforme en un acquittement de leur politique de collaboration, et en la possibilité de le continuer.
En votant donc pour le P.C.F. ou pour le P.S., les travailleurs n'ont pas fait échec à la réaction, avec laquelle les Partis "ouvriers" continueront à collaborer au gouvernement ; ils n'ont fait que sauver les sièges de députés et les portefeuilles ministériels des renégats.
Que les ouvriers se souviennent : hier, quand "Communistes" et "Socialistes" avaient la majorité parlementaire, ils prétextaient de la présence d'une forte droite qui entravait leurs bonnes intentions (redressement économique et financier, lutte contre la spéculation, meilleure répartition, etc...). Le mot d'ordre était : gagner encore plus de voix, avoir encore plus de sièges au Parlement.
Mais en attendant, ils étaient les otages du gouvernement bourgeois et couvraient le redressement et le renforcement de l'Etat-cagoule. Le résultat a été non pas le renforcement de la classe ouvrière, mais de la bourgeoisie.
Après avoir aidé De Gaulle à prendre le pouvoir, en baptisant son gouvernement de "démocratique", les organisations se réclamant de la classe ouvrière marquaient, aux élections municipales d'avril 1945, une grande victoire électorale, tandis que les Partis bourgeois se camouflaient encore dans de multiples organisations de la "Résistance". Mais, déjà, après les élections d'octobre, La Lutte de Classes (n°54) pouvait écrire : "...les chefs du P.C.F. ont crié "victoire" en raison du nombre de leurs députés. Mais, en réalité, le fait nouveau révélé par les élections a été non pas le succès communiste, mais l'apparition d'un grand Parti de droite, le M.R.P.". Aujourd'hui, il se renforce de nouvelles voix (dont beaucoup n'osaient pas paraître hier), tandis que remonte à la surface le personnel pourri de la IIIe République, les Daladier et les Reynaud, et que le P.R.L. marque une forte avance à Paris.
La bourgeoisie se félicite du succès du M.R.P. et Combat écrit (6 juin) : "...l'avance conquérante d'un mouvement démocrate représente une bien autre promesse que l'éphémère et fragile pouvoir de la camarilla de Vichy."
L'Aube du M.R.P. confirme : "Les compromissions de la droite avec la révolution nationale de Pétain ont entraîné l'extension du communisme depuis la libération." Mais, permettant à la droite réactionnaire et fasciste de se couvrir du masque social et démocrate, la collaboration des Partis "ouvriers" avec l'Etat totalitaire de la bourgeoisie a eu comme conséquence inévitable le renforcement de celle-ci.
C'est cette politique des dirigeants "ouvriers" qui entraîne des femmes ouvrières à dire, en dépit de tant d'expériences amères (et quoiqu'elles votent à gauche) : "Les bourgeois feront peut-être mieux au Gouvernement..."
Tandis que les ouvriers continuent à voter pour leurs Partis traditionnels, ceux-ci trouvent le moyen de prétexter de "l'insuffisance" des voix pour ne pas agir en faveur des travailleurs.
Mais le résultat de la lutte électorale est-il le reflet réel du rapport de forces entre les classes ?
Sur le terrain du Parlement bourgeois la voix de l'ouvrier, la voix du travailleur, vaut celle du petit-bourgeois dupé, celle du curé, celle du spéculateur, celle du fasciste, celle de l'ennemi du peuple. Le peuple cherche des représentants dignes de lui, mais grâce à l'arithmétique parlementaire bourgeoise, ce sont les Daladier et les Reynaud qui nous reviennent. Les ouvriers n'ont plus confiance dans des dirigeants qui les ont trahis, mais la loi électorale bourgeoise ne leur donne pas la possibilité de choisir des représentants dans leur propre sein.
Mais que les ouvriers se rappellent 1934 et 1936. C'est l'action dans les usines qui révéla le nombre et la force de la classe travailleuse, son importance décisive dans l'économie et sa capacité de mener un combat. C'est son activité indépendante contre le patronat qui lui permit de devenir le point de ralliement des masses laborieuses de la ville et de la campagne, écrasées par les impôts et la spéculation capitaliste ; car il ne s'agissait plus de mots ou de promesses électorales, mais d'actes.
D'une discussion avec un ouvrier communiste, une camarade tire la conclusion suivante : le camarade est entièrement d'accord avec moi, mais il espère encore un redressement du P.C.F. face à la réaction et au fascisme renaissant.
Cet espoir est suggéré aux ouvriers communistes par les dirigeants du P.C.F. qui, comme Frachon dans L'Humanité du 30 mai, pendant la campagne anti-communiste, déclare en sub-stance : "Puisque la bourgeoisie n'a pas récompensé nos efforts, nous allons réclamer pour les ouvriers une augmentation de salaires."
Ou, comme s'exprime encore plus clairement Le Monde (1er juin) : "Par sa volte-face opportune, le parti communiste vise à s'alléger du passif que lui a valu, devant les travailleurs déçus, sa collaboration gouvernementale au service d'une politique de sévérité financière."
Mais les ouvriers n'ont que faire de "volte-face opportunes", de parlottes et de tromperies. Comme le disait le même ouvrier communiste : "Bien sûr, du jour où on a des ministres au gouvernement, ils ne peuvent que marcher avec les autres s'ils veulent faire ce travail ; le jour où ils (les Thorez) sont entrés aux ministères, les ouvriers auraient dû comprendre qu'ils n'avaient plus rien de commun avec eux."
En effet, hors d'une action ouvrière décidée, les masses n'ont pas d'issue. Les capitalistes nous ont appris chèrement qu'il faut combattre et non pas se payer de mots.
C'est pourquoi, c'est seulement en entamant une action résolue pour la défense de leurs revendications – échelle mobile, le contrôle ouvrier – que les ouvriers pourront sortir de l'ornière parlementaire et de la collaboration avec les Partis bourgeois (à laquelle le P.C.F. se déclare à nouveau prêt), et commencer la vraie lutte d'émancipation des travailleurs.
Il y a à peine un mois, les boutiques étaient vides et la ménagère, malgré tous ses efforts, ne parvenait pas à composer les repas nécessaires à entretenir sa famille. Mais au fur et à mesure que le gouvernement autorise la vente libre d'un produit, on le voit apparaître sur le marché, mais à des prix voisins de ceux du noir, et inaccessibles à la bourse des ouvriers. Tant que les œufs ont été rationnés et taxés, "il n'y en avait pas" ; depuis qu'ils se vendent 14 fr. pièce, ils arrivent par caisses. Maintenant, il y a des légumes et des fruits, mais la confection d'une simple soupe de légumes devient un luxe pour les familles ouvrières. Quant aux produits encore taxés et rationnés, ils continuent à être absents des étalages. De-puis des mois, les rations de viande fraîche ne sont plus honorées ; mais pour 300 à 400 fr. le kilo, on peut s'en procurer dans n'importe quelle arrière-boutique de boucher. Que demain la vente de la viande devienne libre, et brusquement les étalages se rempliront de ce que les arrière-boutiques contiennent. Seulement, tout comme pour les œufs, les prix resteront ce qu'ils étaient dans l'arrière-boutique.
Ce qui se passe aujourd'hui pour les denrées alimentaires s'est déjà produit depuis plusieurs mois dans d'autres secteurs du marché. Pendant longtemps, les bons de textiles, de chaussures ou d'articles ménagers délivrés par les mairies ont été des chèques sans provision. Mais ceux qui pouvaient se permettre d'acheter "sans bon" n'ont jamais eu de difficulté à se procurer ce dont ils avaient besoin. Depuis quelques mois, les vitrines se sont remplies, mais la mère de famille nombreuse voit ces articles lui échapper tout de même, leur prix les rendant inaccessibles à sa bourse.
De larges couches de la population se sont trouvé ainsi peu à peu, sans bien s'en rendre compte, exclues du marché industriel.
Aujourd'hui, la même chose les menace pour le marché alimentaire. Seulement, là le danger est plus direct. Il y va de la vie même de millions d'individus, menacés de famine alors que les produits existent en suffisance. Et les exploités réalisent brusquement que, dans le régime de la "liberté", il leur sera impossible, avec leurs salaires actuels, de maintenir même le train de vie misérable que rationnement et taxation leur permettaient. L'espoir que la fin du rationnement ramènerait la bonne vie d'avant guerre est détruit.
Mais d'où vient cette situation ? Il semble invraisemblable qu'une marchandise, du fait même qu'elle est en abondance, augmente de valeur, et d'une manière si disproportionnée. C'est qu'en réalité le problème est tout autre.
La guerre, en permettant aux classes possédantes de brasser d'excellentes affaires avec l'Etat, a ruiné par là même la classe ouvrière, obligée de supporter seule tout le poids de l'inflation et, par le canal des impôts de plus en plus lourds, de financer l'immense machine de guerre. Par conséquent, il devenait impossible aux travailleurs de lutter avec leurs salaires contre l'accaparement par les riches de la masse d'objets de consommation de plus en plus réduite jetée sur le marché.
Pour l'Etat bourgeois il était nécessaire d'assurer à la classe ouvrière le minimum indispensable à son entretien : le rationnement fut institué. Mais, pour éviter les luttes revendicatives, il était encore plus nécessaire d'empêcher les ouvriers de prendre conscience de leur appauvrissement. Pour masquer aux travailleurs l'amenuisement de leurs ressources réelles, il fallait que la quantité de produits mise à leur disposition puisse être acquise à des prix correspondant aux salaires que la bourgeoisie leur imposait. Pour cela, le gouvernement a maintenu le prix de certaines denrées bien au-dessous de leur valeur réelle, par le système des taxes. La différence entre le prix payé par les consommateurs, fixé par la taxe, et le prix exigé par les capitalistes, était comblée par l'Etat sous forme de subventions. Par ce système, on laissait aux classes pauvres l'illusion d'un pouvoir d'achat, réduit sans doute – la guerre n'expliquait-elle pas toutes les misères ? – mais existant.
Et de Pétain à nos dirigeants actuels, tous les gouvernements qui se sont succédé ont continué à assumer cette charge.
Mais au fur et à mesure que le fossé devient plus grand entre le pouvoir d'achat des travailleurs et celui des classes riches, il s'avère de plus en plus difficile de maintenir ce système draconien et coûteux. Comment l'Etat peut-il prélever sur un budget déjà surchargé par l'armée, la police et toute une bureaucratie ruineuse, les sommes chaque jour plus lourdes exigées par les subventions. Le gouvernement bourgeois se trouve donc aujourd'hui devant ce dilemme : continuer à assurer un minimum à la classe ouvrière, pour ne pas la mettre brusquement en face de son dénuement, ce qui ne manquerait pas de la faire réagir ; mais d'autre part, comment l'Etat, instrument de la société capitaliste, peut-il empêcher les capitalistes de fixer librement leurs profits ? Incapable, par son essence même de trouver une solution, il se voit contraint de rendre à la liberté, c'est-à-dire à leur prix réel, certains produits – et leur réapparition en abondance s'accompagne d'une hausse rapide et systématique. Mais il tente, parallèlement, de maintenir un marché taxé.
Quel est le résultat de cette situation ? Dans le secteur "libre" on assiste à une spéculation éhontée. Les prix n'ont aucun frein. Ceux qui détiennent les marchandises – les grossistes tout-puissants – en règlent le débit d'arrivée sur le marché en fonction de leurs intérêts : maintenir une offre toujours inférieure à la demande, afin de s'assurer le maximum de marge bénéficiaire. S'il s'agit de denrées périssables, que leur importe les stocks restants ! Les assurances en couvrent la perte. Et l'on voit tous les jours, aux Halles, la voirie enlever des tonnes de légumes et de fruits pourris, alors que les foyers ouvriers sont de plus en plus affamés.
En maintenant par ailleurs la taxation, l'Etat augmente encore le chaos. Les taxes faussent complètement le jeu du système capitaliste. C'est ainsi qu'il avait été tenté de rétablir la vente libre du pain, mais en conservant les prix taxés. L'anarchie qui s'en est suivie était due, d'une part au refus des minotiers de vendre avec un profit insuffisant, d'autre part au fait que, les paysans achetant le pain moins cher qu'ils ne vendaient le grain, nourrissaient leurs bêtes avec du pain. Il a fallu revenir au rationnement.
Le problème du ravitaillement n'est donc plus une question technique, mais UNE QUESTION D'INTERETS CONTRAIRES ENTRE PROLETARIAT ET BOURGEOISIE. Il faut que l'une des deux classes paie les frais de la guerre et du replâtrage du régime capitaliste. La classe ouvrière ne peut attendre aucune amélioration de son sort par l'Etat capitaliste. L'intérêt d'une poignée de magnats exige le sacrifice de millions de familles.
Seule, la classe des producteurs peut en finir avec ces contradictions. N'ayant à tenir aucun compte d'intérêts particuliers, le prolétariat organisé est seul capable d'instituer un système de ravitaillement en faveur des masses laborieuses. Il s'agit de donner à ces dernières la possibilité de prendre une part plus grande sur la masse de produits existants. Et cela, non pas en lâchant, puis en retenant, puis en lâchant de nouveau les salaires, mais en réduisant l'écart qu'il y a entre leur pouvoir d'achat et le pouvoir d'achat des classes riches. Il faut donc augmenter les salaires sans qu'en même temps les revenus des classes possédantes s'accroissent, c'est-à-dire prendre ces augmentations sur les marges bénéficiaires. Car autrement, il n'y aurait qu'un changement dans les chiffres et non dans la réalité. Parce que, devant la masse de produits inchangée, les bourgeois auraient toujours la possibilité de s'approprier la plus grosse part.
Par ses comités d'usines et de quartiers, la classe ouvrière contrôlera elle-même l'établissement des prix et la répartition des produits, en exigeant l'ouverture des livres de comptes des capitalistes.
BEHEL
Le 31 mai à nouveau, mais non pas pour la première fois, L'Humanité donne des détails, comme l'ont déjà fait souvent tous les journaux, sur la collaboration des occupants alliés en Allemagne avec les cadres nazis et le maintien de ceux-ci à tous les postes de commande.
Les seuls qui s'opposent à cet état de choses, ce sont les ouvriers allemands. Mais, nous dit L'Humanité du 31-5, "quand les mineurs de Dortmund signalent le cas du directeur de mines Wurster, ancien dirigeant du syndicat charbonnier de la Ruhr et nazi actif, les autorités d'occupation leur répondent qu'ils n'ont pas à s'occuper de cette question". De même que "les ingénieurs et responsables syndicaux de la North Western Coal Control ont été prévenus que quiconque dénoncera des membres du personnel dirigeant d'être un ancien responsable nazi sera mis en prison".
Cette situation est celle de toutes les zones d'occupation.
On se demande dans ce cas comment L'Humanité ose encore, devant les ouvriers français, défendre la politique de l'occupation de l'Allemagne par les "Alliés"... pour extirper le fascisme ! Si les ouvriers allemands, selon ses propres aveux, sont les seuls antifascistes, ne serait-ce pas plutôt l'évacuation de l'Allemagne à commencer par la zone française où se passent les mêmes choses, qu'il faut réclamer ?
Car de même que Hitler avait déclaré la guerre contre "ceux du traité de Versailles" et s'est parfaitement bien entendu avec Pétain (vainqueur de Versailles) mais a écrasé les ouvriers français, les Alliés qui ont fait "la guerre au fascisme" s'entendent aujourd'hui avec ses tenants, mais écrasent le prolétariat allemand en même temps que les ouvriers de leurs propres pays.
Tous les prétextes que les dirigeants invoquent sont donc nuls. Il reste que les ouvriers allemands voient les "démocrates" fraterniser contre eux avec les hitlériens, tandis que les ouvriers des autres pays restent muets.
C'est pour cela qu'avec les ouvriers révolutionnaires américains qui demandent l'évacuation de l'armée américaine, avec nos camarades anglais qui demandent l'évacuation de la zone anglaise, les ouvriers français réclameront avec nous le retrait des troupes françaises d'occupation.
"Il a fallu qu'un danger menace leurs propres positions pour qu'ils (les dirigeants P.C.F. et P.S.) se mettent à reconnaître des vérités que depuis un an et demi il était facile de voir, et que nous n'avons cessé de défendre devant les travailleurs". (Lutte de Classes, 14-2). Ceci était dit au moment où le nouveau gouvernement Gouin, après le départ de De Gaulle, promettait de changer de politique.
Il y a deux semaines, en pleine campagne électorale anti-communiste, les Frachon demandent soudain l'augmentation des salaires et écrivent (Huma, 30-5) : "Nous déclarons très tranquillement, mais très fermement, que nous combattrons pour que l'effort et les sacrifices des ouvriers ne servent pas à fournir des verges à leurs ennemis."
Les parvenus "ouvriers" sont tellement "au-dessus" de leur classe, qu'il faut qu'ils soient menacés eux-mêmes, dans leurs places, pour constater que l'effort et les sacrifices des ouvriers, sous la direction capitaliste, ne fait que "fournir des verges à leurs ennemis".
Mais quand les verges ne frappaient que les ouvriers, Frachon et ses compères les appelaient à tirer plus fort sur les brancards. La clairvoyance de ces gens grandit avec leur peur.
Vont-ils au moins aujourd'hui tenir leur parole ? Déjà ces "leaders" montrent le bout de l'oreille, et tout en menaçant la bourgeoisie, la rassurent en même temps : il ne s'agit pas de l'échelle mobile et le salaire doit rester lié au rendement.
Mais alors, qu'y aura-t-il de changé ? L'augmentation des salaires sera le prétexte aux patrons pour réaliser des surprofits, grâce à une hausse des prix générale, que les travailleurs ne pourraient entraver que par l'échelle mobile, justement.
On nous dit : "il ne doit pas y avoir de hausse de prix, au contraire". Les travailleurs sont payés pour ne pas croire ces gens-là sur parole. Quelles mesures pratiques entendent-ils prendre ? Ont-ils été capables, depuis un an, d'enrayer la hausse des prix ? Ces prétendus dirigeants ont donné leur mesure... Coincés aujourd'hui entre les besoins des travailleurs et l'offensive de la bourgeoisie, ils ne savent que braire en croyant rugir. L'action directe des masses pour une revalorisation générale des salaires et l'échelle mobile ouvrira seule une issue à la situation.
LUCIEN
"De Gaulle se vante d'avoir conquis l'indépendance du peuple français...", écrivions-nous le 24 décembre 1945. "Mais si les dirigeants de l'Allemagne vaincue n'ont plus de moyens militaires pour asservir le peuple français, une pression, sinon aussi immédiatement barbare, en tous cas aussi efficace, ne s'appesantit-elle pas en ce moment sur la France ?"
Thorez pour son compte assurait la classe ouvrière que le fruit de "l'effort commun de tous les Français de bonne volonté" permettrait "la grandeur et la souveraineté du pays".
En dépit des phrases de De Gaulle ou de Thorez, nous voyons une réalité toute différente : "l'ambassadeur" Blum revient des Etats-Unis après avoir vendu le pays au plus offrant...
Déjà au sujet de l'emprunt contracté par l'Angleterre fin 1945, les dirigeants anglais déclaraient : "Ne pas accepter le prêt américain, c'est se résoudre à la famine." Et nous disions : "même un enfant comprend que par un prêt accordé dans de telles conditions, le gouvernement américain obtient un moyen formidable de contrôle économique et politique."
Comment accorder crédit aux déclarations "d'indépendance" d'un Blum sur un accord négocié dans le plus grand secret, et dont rien ne transpire que les déclarations que veulent bien nous faire les agents du haut capital qui l'ont négocié ? "Souhaitons que la répercussion de ces accords ne se révèle pas trop dangereuse pour notre production...", écrit Le Monde.
Ayant, à la suite de cette guerre, battu si largement leurs rivaux impérialistes, les capitalistes américains n'avaient plus de partenaires au jeu des échanges internationaux. Ils ne peuvent trouver des acheteurs à qui vendre leurs produits, qu'en reconstituant la force de leurs anciens concurrents qu'ils avaient détruit ou affaibli et revenir ainsi... au point de départ. Ce qui promet par la suite une nouvelle concurrence aboutissant à une nouvelle guerre.
Mais si ce cycle infernal des destructions, constructions, qu'engendre le régime capitaliste n'apporte aux classes opprimées de tous les pays que sang et pleurs, il arrange particulièrement les affaires de l'oligarchie financière internationale.
Ce n'est pas la présence au gouvernement de ministres "communistes" et "socialistes", qui ont été incapables de réaliser l'expropriation des gros profiteurs de guerre et d'utiliser leurs milliards gagnés au travers des destructions, qui pourra empêcher les mêmes (la haute finance) de drainer à leur seul profit les emprunts contractés par l'Etat pour la reconstruction.
Mais par contre nous savons qui, en régime capitaliste, devra payer. Le Monde (30-5) déclare : "Les pays débiteurs ne pourront régler leurs dettes qu'à condition de disposer de surplus, c'est-à-dire de ne pas relever abusivement (sic) leur niveau de vie."
Les larbins des exploiteurs, dans leurs commentaires, raisonnent comme si le régime capitaliste pouvait établir des relations à longue échéance. Hitler aussi voulait adapter l'industrie française pour 1.000 ans à l'exportation capitaliste allemande. Et quand un Truman ou un Gouin se félicitent et dans une déclaration commune nous disent : "Le bien-être des peuples de toutes les nations peut être accru par un développement du commerce international qui mette chaque pays en mesure d'atteindre un niveau de production plus élevé et un niveau de vie supérieur", - nous devons leur répondre : "Si le bien-être de peuples dépend du développement du commerce et de l'industrie, comment se fait-il qu'aux Etats-Unis, pays où la technique est ultra-moderne, les ouvriers soient obligés, pour maintenir leur niveau de vie, de se heurter en des grèves gigantesques au gouvernement capitaliste rempart le plus puissant de leurs exploiteurs ?"
Pour nous, classe ouvrière française, il n'y a en Amérique qu'un seul allié, c'est le prolétariat actuellement au premier plan de la lutte ouvrière internationale.
Avec lui, sous le drapeau du socialisme international, les producteurs français procéderont non pas au règlement des dettes que nos exploiteurs ont contracté, mais à de véritables échanges économiques au profit de tous.
R. DENIS
Chez Renault, les murs des W.-C. sont couverts d'inscriptions. Ceci n'est pas nouveau, mais ce qui frappe le plus, c'est qu'on trouve à côté de quelques insanités d'ailleurs assez peu nombreuses, une foule de mots d'ordre de lutte : "Salaire au rendement, égale bas salaire", "samedi repos", et d'autres du même genre qui expriment nettement ce que ressentent et ce que veulent les ouvriers. D'autres inscriptions, telles que "C.G.T., société pour s'engraisser sur le dos des ouvriers", "P.C.F.-P.S.-M.R.P.-P.R.L. tous dans le même sac", montrent le désarroi idéologique de certains ouvriers, qui repoussent les organisations de droite et sont dé-goûtés des organisations de gauche, sans apercevoir d'autre issue.
Mais pourquoi ces ouvriers, les uns hostiles à la politique "ouvrière" actuelle, les autres désorientés, en sont-ils réduits à exprimer leur mécontentent dans les W.-C. ?
C'est qu'en fait ils n'ont aucune possibilité de s'exprimer librement. Si Frachon, dans un meeting au Vel' d'Hiv', et Croizat dans une allocution aux ouvriers de chez Renault, peuvent se féliciter de ce que la démocratie existe parce qu'ils peuvent, au nom de la classe ouvrière, se faire les avocats de la politique bourgeoise (produire, salaire au rendement, etc., etc.) les ouvriers, eux, n'ont aucune possibilité de dire ce qu'ils pensent.
En effet, dans les assemblées syndicales, le simple fait de critiquer la politique des bonzes, suffit à se faire traiter d'hitlérien ou d'agent du patronat ; et les ouvriers le savent si bien qu'ils sont de plus en plus nombreux à déserter les réunions syndicales. C'est ainsi que dans un secteur, sur un millier d'ouvriers dont plus de 900 syndiqués, on comptait seulement 35 présents à l'assemblée générale.
Les ouvriers ne peuvent pas non plus s'exprimer dans la presse "ouvrière" officielle. Chacun sait que seuls peuvent écrire ceux qui défendent la "ligne" officielle.
Bien plus, lorsqu'un ouvrier, chez Renault, a été "surpris" à diffuser un tract protestant contre la suppression du vin aux ouvriers des forges, il s'est vu dénoncé à la direction par un dirigeant syndical, mis à la porte de l'usine et s'est fait molester par des provocateurs staliniens parce que le tract ne portait pas la signature d'une organisation officielle.
Cependant, dans la rue, dans les meetings, dans la presse, on essaie de persuader les ouvriers que nous sommes en démocratie, que nous avons la liberté. Nous avons le droit de vote (truqué), nous avons le droit de réunion (droit d'écouter les chefs), la liberté de la presse (droit de lire ce que les dirigeants bourgeois ou leurs valets veulent bien écrire). Et nombre d'ouvriers se laissent prendre à ces slogans sur la "démocratie" qui en fait n'est qu'une duperie. Mais quel contraste entre les affirmations officielles et la réalité : à l'usine, sur le lieu d'action de la classe ouvrière, les travailleurs n'ont pour s'exprimer "librement" que les W.-C.
C'est pourquoi, plutôt que de se laisser berner par des slogans sur les avantages de la démocratie bourgeoise (qui n'existe même pas), les ouvriers doivent commencer par nettoyer leur propre maison, c'est-à-dire imposer la démocratie au sein même de leurs propres organisations. Ils doivent exiger la possibilité de s'exprimer librement sans être en butte aux brimades des "responsables", ils doivent exiger la possibilité de dire ce qu'ils pensent ailleurs que dans les W.-C.
Vive la démocratie prolétarienne !
VAUQUELIN
GNOME & RHONE
Un ouvrier inconscient avait été surpris à coller, avant les élections, des papillons du P.R.L. Ayant été traité de provocateur fasciste par des membres du P.C.F., certains ouvriers, en en discutant avec leurs camarades, ont pris sa défense au nom de la "liberté démocratique" de chacun.
En calomniant sans cesse les ouvriers révolutionnaires qui ne sont pas d'accord avec la politique de collaboration de classe du P.C.F., les staliniens faussent l'esprit des travailleurs et les empêchent de discerner ceux qui, réellement, font le jeu de leurs ennemis de classe. Si toutes les tendances ouvrières pouvaient s'exprimer librement, sans être en but à la répression stalinienne, les ouvriers pourraient et sauraient d'eux-mêmes juger exactement ceux qui doivent être traités en fascistes.
(Transmis par des camarades de chez Kellermann)
CHEZ CARNAUD
Mécontents de ne pas avoir le boni auquel ont droit les ouvriers de la chaîne, les manœuvres sont allés trouver la déléguée (le mercredi 25 mai) qui leur a répondu : "Montez vous-mêmes à la direction." Celle-ci promit de "faire le nécessaire". Mais le vendredi matin, le chef d'atelier demanda celui qui avait réclamé pour les autres, et la direction, faisant "le nécessaire" mute cet ouvrier combatif, le change d'étage. La crainte d'être mutés décourage les autres. C'est là une des méthodes classiques de la direction pour briser un mouvement ; de plus, elle avait beau jeu devant un groupe d'ouvriers isolés non soutenus par le syndicat. Mais en s'organisant à la base, les ouvriers en lutte pousseront leurs représentants et feront aboutir leurs revendications.
CHEZ RENAULT
Les ouvriers travaillent au boni individuel dans certains endroits. Les temps sont très courts et dans la plupart des cas les ouvriers sont coulés. La direction le sait et pour ne pas créer trop de mécontentement, "arrange" la paye des ouvriers en leur délivrant des bons jaunes. En principe, les ouvriers font de 33 à 34 fr.30 de l'heure. A la dernière paye, les bons jaunes faisant défaut, les ouvriers ont été réglés à 30 et même 29 francs de l'heure.
Voilà où conduit le salaire au rendement. Avec le boni maximum les ouvriers touchent 34 fr.30, et au prix où est la vie c'est déjà un salaire de famine. Mais lorsque pour des causes fortuites, ils n'arrivent pas à réaliser le boni maximum, ils doivent accepter un salaire dérisoire, car jusqu'à concurrence du taux de base (24 frs.20) ils n'ont aucun recours légal.
Extrait du Bulletin de l'Opposition syndicale Thomson – Favorites (2 juin) :
"Une certaine confusion semble se faire jour dans l'esprit des responsables de notre section syndicale... dans leurs rapports avec notre opposition syndicale.
"Nous n'avons nullement l'intention de jeter le moindre discrédit sur le dévouement et la sincérité de ces camarades. Notre unique but est de leur faire sentir la fausse situation où les place, vis-à-vis de tous leurs camarades, l'application des mots-d'ordre venus des "bonzes" syndicaux qui n'agissent pas dans le sens voulu par la classe ouvrière.
"Ils sont d'ailleurs parfois les premiers à reconnaître qu'il y a beaucoup à critiquer dans la politique actuelle de la C.G.T. : ils la déplorent mais ce n'est pas assez, il faut la combattre.
"La lutte intérieure qu'ils mènent entre leur discipline de responsables et leur conscience révolutionnaire, leur amertume devant les assemblées désertées, de plus en plus squelettiques, leur découragement devant l'inaction relative des travailleurs, de tout cela leur "suivisme" ... n'en est-il pas la cause ?"
A la veille des élections du 2 juin, la bureaucratie dirigeante de la C.G.T., appuyée par le P.C.F., a décidé de réviser le cours antérieur de sa politique, en demandant le déblocage et la revalorisation des salaires de 25%.
La C.G.T., le P.S. et le P.C.F. qui étaient hier les partisans les plus acharnés du blocage des salaires en réclamant au gouvernement de la bourgeoisie la "stabilisation des prix", constatent aujourd'hui LA FAILLITE DU BLOCAGE DES PRIX, dans un régime où tous les problèmes de la politique gouvernementale se réduisent à trouver le meilleur moyen de rejeter sur les masses travailleuses les charges d'une politique de brigandage et de spéculation.
Après avoir déversé un flot de calomnies sur les ouvriers qui dénonçaient les méfaits de la politique du "produire d'abord", après avoir présenté comme fauteurs de troubles et de "vie chère" les ouvriers rotativistes et tous les travailleurs qui passaient à l'action pour la défense de leurs salaires, C.G.T. et P.C.F. sont unanimes à reconnaître que l'effort de la classe ouvrière a servi à alimenter les caisses des partis de la réaction (Humanité, 30 mai), que spéculation et bénéfices illicites sont la règle plus que jamais depuis la guerre et l'invasion (Humanité 7 juin).
Mais les travailleurs sont-ils en droit d'être satisfaits de la revendication posée par la C.G.T. ? N'est-il pas plutôt dérisoire de justifier par le "raisonnable" une augmentation aussi minime, alors que le coût de la vie a officiellement augmenté de 85%.
Mais, n'est-il pas vrai qu'au dernier réajustement des salaires, du mois de mai 1945, la C.G.T. avait réclamé un taux de base horaire de 23 francs, pour obtenir, à la suite de parlottes capitulardes, sans s'appuyer sur l'action des travailleurs, 21 francs seulement ? Voilà ce qui permet justement aux représentants des capitalistes (voir Le Monde) de se rassurer : que la question de principe est posée, mais qu'il ne s'agit pas de l'échelle mobile, et qu'il pourrait dans la discussion y avoir des modifications... Les 25% réclamés leur semblent abusifs et pourraient entraver la reprise économique. Mais c'est Le Monde aussi qui reconnaît par ailleurs que pour des intérêts privés, la production a été dirigée vers la fabrication de produits non consommables (matériel de guerre, objets de luxe, etc...).
Les agents du capital déclarent publiquement qu'ils se placent au-dessus de l'intérêt de la population pour la sauvegarde et la fructification de leur marge bénéficiaire. Qu'avons-nous donc à faire, nous travailleurs, avec la production des capitalistes ? C'est du point de vue de la classe ouvrière que doit se placer la C.G.T. pour ne pas accepter que se perde dans des discussions stériles l'augmentation de nos salaires. La politique des demi-mesures prépare la catastrophe ; en nous faisant accorder l'augmentation la plus minime, les capitalistes profiteront pour aller de l'avant dans la hausse des prix et en porter responsables devant les classes moyennes, les revendications ouvrières.
Qu'y aura-t-il de changé si les salaires restent liés au rendement ? Les capitalistes continueront à augmenter les prix, et les travailleurs à s'exténuer dans l'usine.
Contre les manœuvres patronales de vie chère, les ouvriers n'ont qu'un moyen : L'ECHELLE MOBILE DES SALAIRES, mesure urgente entièrement justifiée et indispensable, car elle tend à imposer aux capitalistes de restreindre leurs bénéfices et aussi au gouvernement de ne pas rejeter tous ses faux frais et ses dépenses sur le dos des masses laborieuses.
En Belgique, par crainte des grèves ouvrières, le gouvernement a "décrété" la baisse des prix. Mais tandis que l'indice des salaires est de 200 et celui des prix de 450 (l'indice réel étant supérieur), la baisse des prix décrétée a été de 10%. Les ouvriers belges sont donc obligés de recourir à la grève pour L'AUGMENTATION DES SALAIRES, comme nous le prouvent leurs mouvements.
Les travailleurs ne sont pas contre le blocage des prix, au contraire, c'est à cela qu'ils veulent aboutir. Mais n'est-ce pas en présence des représentants "socialistes" et "communistes" au gouvernement que les capitalistes ont réalisé des profits, au moment même où tous les jours "socialistes" et "communistes" dénonçaient ces scandales "en haut lieu".
Puisque la stabilisation des prix s'avère impossible pour un gouvernement qui dépend de l'Etat et de l'administration des capitalistes, cette solution ne peut devenir une réalité que quand à l'intérieur des usines les ouvriers, en bâtissant leurs propres organismes, pourront faire ouvrir leurs livres de compte aux capitalistes pour constater comment ils calculent leurs prix, quelle est la part des salaires et celle des profits, réduire la marge de ceux-ci et mettre fin à leurs spéculations sur la misère publique.
La stabilisation des prix ne deviendra donc une réalité qu'au moment où les ouvriers arriveront à imposer par la lutte leur contrôle sur la production et la répartition.
Pour déjouer les manœuvres des capitalistes qui, faisant monter les prix tous les jours et réduisant les masses à un état de pauvreté et de dénuement complet, veulent prendre prétexte d'une AUGMENTATION INSUFFISANTE des salaires pour continuer leur politique de spéculation éhontée, la classe ouvrière doit exiger de la C.G.T. un délai pour obtenir un salaire décent pour vivre, garanti par l'échelle mobile ; au delà de ce délai, L'ACTION UNANIME DE LA CLASSE OUVRIERE doit imposer aux capitalistes nos justes revendications.
Renard