1945 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE DE CLASSES Organe de l'Union Communiste (IVème Internationale). |
LA LUTTE DE CLASSES nº 45
20 mars 1945
La misère derrière un plastron impérialiste
"Subirons-nous la famine ?" telle était la question que nous posions le 8 juillet 1944 quand, un mois après le débarquement des "Alliés", Radio-Londres se mettait brusquement à parler du ravitaillement de la France uniquement par ses ressources locales. Certes, les ressources du pays même avec une production amoindrie, suffiraient tant bien que mal à l'alimentation de la population. Mais pour que les régions excédentaires consentent à un échange avec les villes et les régions déficitaires, il faut un système économique sain. "Il est inévitable", répondions-nous, "que le même système (celui de Vichy) : – réquisitions, inflation, taxes, "répartiteurs", intermédiaires – donne, dans un pays appauvri, le même résultat, c'est-à-dire la famine."
Les opérations militaires de l'été dernier vinrent s'ajouter à cette situation, en détruisant une partie importante des forces productives de la France. Mais ces destructions et la pourriture du système capitaliste ne sont pas seuls à peser sur l'économie du pays.
Car cette économie anémiée doit supporter encore de nouvelles charges imposées par le gouvernement De Gaulle, en vue de reconstituer l'ancienne armée des capitalistes français de participer à la guerre, et à une politique impérialiste active. Le budget de guerre pour 1945 est de 200 milliards, soit environ un quart de plus que les prélèvements allemands sous l'occupation.
Le gouvernement bourgeois cache le sens aventuriste de cette politique à l'aide de nos social-chauvins ; mais regardons la Hollande, nous verrons ainsi la véritable image de la France impérialiste : les trois-quarts du pays sont sous l'eau, mais le gouvernement hollandais de Londres (appel de la reine) déclare mettre toutes ses forces et ses richesses en jeu pour libérer... les Indes Néerlandaises, où les capitalistes hollandais exploitaient 60.000.000 d'esclaves coloniaux !
Mais si la Hollande est sous les flots de l'Océan, en France, ce sont les digues économiques qui sont rompues et les flots de la catastrophe commencent à monter.
Les conséquences de l'anarchie capitaliste
Quelle est la situation économique de la France ?
Les rapports entre la ville et la campagne se sont définitivement réduits au marché noir et aux réquisitions (destinées surtout à la nouvelle armée impérialiste). L'avilissement du franc et le manque complet de produits industriels nécessaires aux paysans (production de guerre et non production de paix) sont les causes principales de cet état de choses.
D'autre part, le mode capitaliste d'échange fait que moins les produits sont abondants, plus le nombre de parasites qui spéculent et s'enrichissent sur la misère des masses est grand.
La situation financière de l'Etat a poussé celui-ci, pour faire face à ses dépenses actuelles (budget de guerre) ainsi qu'aux charges accumulées par six années de conflit (2.000 milliards sont nécessaires à la reconstruction), à continuer l'émission massive de papier-monnaie. Incapable d'employer vis-à-vis des spéculateurs et des capitalistes les moyens de contrainte (contrôle des revenus, abolition du secret commercial, expropriations), le gouvernement bourgeois en est réduit à des expédients qui enrichissent les spéculateurs (l'emprunt De Gaulle 3%) sans soulager l'Etat. D'autre part, pour permettre aux capitalistes de rejeter tout le poids de l'inflation sur les masses, il leur donne main libre de faire face à la ruine de la monnaie par une politique de ruine des salaires.
Le blocage des prix devait empêcher que la hausse du prix de vente ne remette en question les salaires bloqués à un niveau extrêmement bas. Mais pratiquement le pouvoir d'achat des travailleurs a rapidement diminué au cours de la guerre, tandis que les gros industriels ont vu leurs profits considérablement augmentés. Le gouvernement De Gaulle avait reconnu par ses promesses du début qu'une augmentation minimum de 40%, sur la base du maintien des prix, était nécessaire. Mais la majoration des salaires depuis septembre, qui d'après les chiffres officiels serait de 35% (et pas pour tous les secteurs), n'a nullement amélioré la situation des travailleurs car la hausse des prix a été encore plus forte. Bien entendu la bourgeoisie tire la conclusion qu'il est inutile de réclamer une majoration des salaires, puisqu'elle n'a d'autre effet que de provoquer "la course infernale des prix et des salaires" ; parce que, dit le ministre de l'économie nationale, "si on voulait décider une nouvelle élévation des salaires sans avoir consenti à l'élévation des prix, le désordre serait redoutable".
Où serait le désordre si les salaires étaient relevés et les prix bloqués ? Le niveau de vie de la classe ouvrière s'améliorerait et la course infernale ne se déclencherait pas. Seuls les profits des capitalistes auraient une situation "redoutable". Mais comme le gouvernement bourgeois n'est que le Comité exécutif de la classe capitaliste, "la contrainte des prix ne sera pas maintenue" et Mendès-France vient précisément de déclencher la course infernale (pour les masses) des prix et des salaires, au profit des capitalistes.
L'avilissement de la monnaie avait également provoqué la ruine de larges couches petites-bourgeoises. Avec l'inflation cette ruine va s'aggraver et s'étendre.
Les social-chauvins et les nationalisations
Pour éviter la catastrophe il n'y avait qu'une solution : la refonte complète du système bancaire, de la grosse industrie et de toutes les branches essentielles de la vie économique. Mais l'Etat bourgeois ne pouvait pas s'engager dans cette voie : "L'Etat bourgeois règle la vie économique de façon à en faire UN BAGNE POUR LES OUVRIERS (et en partie pour les paysans) et UN PARADIS POUR LES BANQUIERS ET LES CAPITALISTES" (Lénine). Et la meilleure façon pour lui de saboter la refonte économique (ou les "nationalisations") c'est de la reconnaître en principe, pour en revendiquer l'application à sa manière et en faire une tromperie (nationalisation des pertes, comme pour les Houillères du Nord, grosses indemnités, direction assurée par les capitalistes).
Seuls les représentants de la classe ouvrière pouvaient être des défenseurs sans restrictions des mesures de nationalisation. Mais pratiquant la politique de collaboration de classes, les représentants officiels éludèrent la question. Le 21 janvier, au nom du Comité central du PCF, Thorez affirmait : "Nous ne formulons pas présentement des exigences de caractère socialiste ou communiste... Une seule chose nous préoccupe... gagner la guerre au plus vite... Comme sous l'occupation, nous voulons... nous entendre avec tous les bons français ouvriers, employés, PATRONS, intellectuels, paysans".
Cependant, en dépit de la volonté des chefs vautrés dans l'union sacrée, les ouvriers ont été poussés par leur situation économique à lutter contre la bourgeoisie qui les affame.
Cette lutte a déjà pris un caractère de conflit ouvert entre patronat et ouvriers en tant que classes, comme l'ont montré la grève générale des imprimeries et celle du spectacle. Ainsi l'équilibre politique entretenu par l'espoir d'une amélioration de la situation par la "libération" a été rompu. La bourgeoisie se prépare à utiliser contre la classe ouvrière les bandes fascistes, dont elle entretient et réveille l'activité, et dont la propagande essaie de trouver un aliment dans le mécontentement général.
La constatation que "la réaction et le fascisme relèvent insolemment la tête" (Huma) et que le danger est à nouveau suspendu sur leur tête aussi, a poussé les social-chauvins à des appels d'union contre le fascisme "de partout".
C'est cette situation aussi qui les a déterminés, pour sauvegarder leur popularité dans les masses, à sortir le 2 mars un manifeste signé PS et PC, pour "la nationalisation immédiate des grandes banques, la nationalisation rapide des principales sources de matières premières et d'énergie, des industries-clés, des transports et des assurances", en soulignant que les "confiscations des biens des traîtres" ne sauraient remplacer les nationalisations de "secteurs autonomes, homogènes et viables, comprenant L'ENSEMBLE des grandes exploitations d'une même spécialité". D'après ce manifeste, nationaliser c'est "RETIRER la propriété d'une société ou d'une entreprise au CAPITALISME PRIVE".
La différence entre ce manifeste et le discours de Thorez est évidente. Les "socialistes" et les staliniens avaient déclaré la lutte de classes abolie ; mais la lutte de classes les a obligés à se prononcer pour L'EXPROPRIATION DES CAPITALISTES.
Cependant Duclos, pour se défendre contre les critiques de la presse bourgeoise, déclare : nous n'avons pas changé puisque les nationalisations exigées le 2 mars ne sont toujours pas des mesures socialistes ou communistes que repoussait Thorez, mais des mesures démocratiques.
"Peut-on aller de l'avant si l'on a peur d'aller vers le socialisme ? "
En insistant sur le caractère démocratique des mesures d'expropriation, les staliniens veulent souligner qu'il ne s'agit pas d'une attaque contre le régime capitaliste (dans la voie du socialisme), mais de réformes acceptables pour tous, dans le cadre du système capitaliste.
Mais "soustraire à la domination des trusts l'ensemble des grandes exploitations d'une même spécialité" (des grandes banques, des sources de matières premières, des industries-clés, etc.), "retirer leur propriété au capitalisme privé", n'est-ce pas découronner tout le système capitaliste ? Nationaliser les institutions de crédit et les monopoles de fait, n'est-ce pas enlever toute puissance au capitalisme ?
Car le secteur non nationalisé, c'est-à-dire la petite et moyenne production, dépendant entièrement du crédit et de la grande industrie, serait de ce fait entièrement soumis au secteur nationalisé. Si les nationalisations ont un sens progressif par rapport à la situation actuelle où les 200 familles disposent avec l'aide de l'Etat de la vie de la nation, ce progrès ne peut donc être qu'une marche vers la transformation totale du système, une marche vers le socialisme.
Comme nous l'avons vu plus haut, les "nationalisations" dans le cadre du système capitaliste, accomplies par l'Etat bourgeois qu'il s'appelle "démocratique" ou autrement, ne sont qu'une tromperie. "L'Etat bourgeois règle la vie économique de façon à en faire un bagne pour les ouvriers et un paradis pour les banquiers et les capitalistes".
Il n'y a pas de milieu. Ou aller de l'avant parce qu'on est décidé d'aller vers le socialisme, ou être complice des tromperies bourgeoises.
Si les social-chauvins définissent les "nationalisations" comme des mesures "démocratiques" c'est avant tout pour justifier leur collaboration de classes : mesures "démocratiques", c'est-à-dire mesures qui doivent recueillir les suffrages de tous et qui peuvent être accomplies grâce à une majorité électorale par l'Etat actuel. "Il faut créer un climat de confiance entre le peuple et le gouvernement" (des trusts), répètent les staliniens.
De ce point de vue il est significatif que le manifeste du 2 mars parle de dédommager les capitalistes expropriés en leur versant un revenu pour eux et leurs enfants. Bien entendu, si les capitalistes acceptaient d'être dépossédés pacifiquement, le socialisme ne perdrait rien en versant pendant un certain temps un tribut aux capitalistes expropriés.
Mais les industries et les institutions nationalisables représentent le cœur même du capitalisme. La bourgeoisie mobilisera pour sa défense, son Etat, son Parlement, ses bandes fascistes. Et si seule la lutte peut trancher, n'est-ce pas tromper le peuple sur les véritables intentions de ses ennemis en proposant des dédommagements, en parlant de mesures "démocratiques" et en prêchant l'entente entre le gouvernement bourgeois et le peuple ?
Dès 1936, beaucoup de politiciens se déclaraient partisans des nationalisations. Cependant la IVème Internationale disait aux ouvriers : "Nous prévenons les masses contre les charlatans du Front Populaire qui, proposant la nationalisation en paroles, restent en fait les agents du Capital. NOUS APPELONS LES MASSES A NE COMPTER QUE SUR LEUR FORCE REVOLUTIONNAIRE".
Mais sur le terrain de la véritable démocratie, c'est-à-dire de la mobilisation des ouvriers et des masses travailleuses contre leurs exploiteurs, les social-chauvins révèlent leur véritable nature de larbins du Capital.
Les social-chauvins sont pour la collaboration de classes ; ils ont peur de se détacher de "démocrates" tels que De Gaulle, Bidault et autres du même calibre. Accomplir quelque grande réforme que ce soit, n'est possible qu'en mobilisant les masses travailleuses sous la bannière de leurs propres intérêts ; mais cette mobilisation elle-même n'est possible que "dans un esprit d'hostilité irréconciliable envers les classes exploiteuses" et leurs politiciens.
Vouloir aboutir aux nationalisations, c'est entamer une action réfléchie, graduelle, basée sur la volonté des travailleurs d'en finir avec le capitalisme.
Vouloir les nationalisations, c'est commencer par organiser contre les industriels monopoleurs, la résistance des ouvriers dans les usines, et non pas leur prêcher la soumission.
Vouloir les nationalisations, c'est organiser les ouvriers, les employés, les femmes travailleuses, les paysans pauvres en associations, en Comités, pour exercer leur contrôle sur le ravitaillement, sur la production, sur les opérations bancaires, afin d'exercer la terreur envers les gros industriels et les banquiers, qui cyniquement mènent le pays à sa perte.
Vouloir les nationalisations, c'est faire sentir une pression matérielle et efficace aux capitalistes et aux politiciens véreux qui voudraient saboter la volonté du peuple ; c'est donc armer les travailleurs, en organisant les Milices ouvrières d'usine et de quartier, et non pas en les dissolvant, pour s'en remettre à la police (comme le fit le PCF).
Vouloir les nationalisations, c'est s'appuyer sur le peuple et non pas sur le gouvernement affameur ; c'est démissionner du gouvernement des trusts et œuvrer pour un gouvernement du peuple, un gouvernement des ouvriers et des paysans.
C'est aller vers le socialisme.
Mais les social-chauvins ont peur d'aller vers le socialisme parce qu'ils sont plus préoccupés de leur collaboration avec les Pleven, les Teitgen, les Ramadier et les Mendès-France (gros capitalistes et agents des trusts), plus préoccupés de leur politique de sabotage de l'action ouvrière et de leur propagande chauvine pour la guerre impérialiste, que de diriger les ouvriers et les paysans pour leur contrôle sur les capitalistes, dans leur guerre avec ces derniers.
C'est pour cela que leur demande platonique des nationalisations ne restera qu'un chiffon de papier que le gouvernement classera dans ses archives.
L'expropriation au service du peuple travailleur des grandes banques, des principales sources de matières premières et d'énergie, des industries-clé et des transports, le contrôle ouvrier sur la production et le contrôle des masses travailleuses sur les échanges et la consommation ne seront réalisés que par la lutte et la résistance organisée des travailleurs. Seul l'appui qu'offrent à ceux-ci le programme et les cadres révolutionnaires de la IVème Internationale mèneront la classe ouvrière de l'avant, car seule la IVème Internationale lutte pour le socialisme !
"LES DESTINEES HISTORIQUES DE LA DOCTRINE"
(Lénine 1913)
Le trait essentiel de la doctrine de Marx, c'est la mise en relief du rôle historique mondial du prolétariat, comme édificateur de la société socialiste.
Au commencement de la première période (de la révolution de 1848 à la Commune de Paris), la doctrine de Marx n'est pas dominante. Elle n'est que l'une des très nombreuses tendances, l'un des courants du socialisme. Sont en vogue celles des formes du socialisme qui, par le fond, s'apparentent à notre mouvement narodnik (populiste) : incompréhension de la base matérialiste du progrès historique, incapacité de discerner le rôle et l'importance de chacune des classes de la société capitaliste, camouflage de la nature bourgeoise des réformes démocratiques à l'aide de phrases diverses, dites socialistes, sur le "peuple", la "justice", le "droit", etc...
La révolution de 1848 porte un coup mortel à toutes ces formes bigarrées, bruyantes et tapageuses du socialisme antérieur à Marx. Dans tous les pays, la révolution montre les diverses classes de la société à l'œuvre. Le massacre des ouvriers parisiens par la bourgeoisie républicaine, dans les journées de juin 1848, atteste à jamais la qualité socialiste du seul prolétariat. La bourgeoisie libérale redoute cent fois plus que la pire réaction, l'action indépendante de cette classe.
Toutes les doctrines concernant un socialisme et une politique hors-classes s'avèrent de pures balivernes.
...La deuxième période (1872-1904) se distingue de la première par son caractère "pacifique", par l'absence de révolutions. L'Occident en a fini avec les révolutions bourgeoises. L'Orient n'est pas encore mûr pour elles.
L'Occident entre dans l'époque de la préparation "pacifique" des réformes à venir. Partout se forment des partis socialistes, prolétariens dans leur base, qui apprennent à tirer parti du parlementarisme bourgeois, à créer leur presse quotidienne, leurs établissements d'éducation, leurs syndicats, leurs coopératives. La doctrine de Marx remporte une victoire complète et prend de l'extension.
...La dialectique de l'histoire est telle que la victoire du marxisme dans le domaine de la théorie oblige ses ennemis à se déguiser en marxistes. Le libéralisme, pourri à l'intérieur, tente de revivre sous la forme de l'opportunisme socialiste. Il interprète la période de la préparation des forces pour les grandes batailles, dans le sens de la renonciation à ces batailles. Il commente l'amélioration de la condition des esclaves pour la lutte contre l'esclavage salarié, comme si les esclaves vendaient cinq sous leurs droits à la liberté. Il prêche lâchement la "paix sociale" (c'est-à-dire la paix avec l'esclavage), le reniement de la lutte de classe et ainsi de suite. Les opportunistes ont beaucoup de partisans parmi les parlementaires socialistes, les divers fonctionnaires du mouvement ouvrier et les intellectuels "sympathisants".
A peine les opportunistes ont-ils fini de glorifier la "paix sociale" et la possibilité d'éviter les tempêtes dans la "démocratie", que s'ouvre, en Asie, la source nouvelle des plus grandes conflagrations mondiales. La révolution russe est suivie des révolutions turque, persane, chinoise. ...Les révolutions d'Asie ont attesté... la même importance exceptionnelle de l'action indépendante des masses démocratiques, la même différenciation nette entre le prolétariat et toute la bourgeoisie.
...Depuis l'apparition du marxisme, chacune des trois grandes époques de l'histoire universelle lui a apporté de nouvelles confirmations et de nouveaux triomphes. Mais l'époque historique qui va s'ouvrir apportera au marxisme, doctrine du prolétariat, un triomphe plus éclatant encore.
Le marxisme triompha dans la Révolution russe d'Octobre 17. En luttant aujourd'hui pour un "Octobre 17" mondial, la IVème Internationale lutte pour le triomphe définitif du marxisme.