1942 |
LA LUTTE de CLASSES - n° 6
|
"1918" ? La victoire d'un
camp impérialiste sur l'autre, comme perspective du présent
conflit, signifierait l'éternisation de la guerre et l'effondrement
de la civilisation. |
La croyance que seul un 2ème front allié, en donnant le coup de grâce à Hitler, mettrait fin au cauchemar de la guerre, s'avère une grossière illusion soigneusement entretenue par les alliés capitalistes (Etats-Unis et Angleterre) pour maintenir les masses, exploitées et opprimées par Hitler, suspendues à leurs opérations militaires et pour les utiliser, passives et ignorantes, pour leur politique de guerre.
Plus d'un mois s'est écoulé depuis le débarquement, à grand renfort de réclame, de l'impérialisme américain et anglais au Maroc et en Algérie, débarquement qui devait être le prélude de la "libération" finale du peuple français (la "libération est maintenant proche" déclarait le speaker de Radio-Londres).
Et que voyons-nous ? Au lieu d'un nettoyage rapide de l'Afrique du Nord, qui aurait pu faire croire qu'un des foyers de la guerre fût circonscrit, nous assistons à une extension des opérations militaires avec leurs contre-coups inévitables sur le niveau de vie des masses de tous les pays. Et le Président Roosevelt de déclarer : "la production de guerre américaine atteindra son plein rendement en 1944"...
Cette illusion est aussi entretenue par la bureaucratie soviétique. Les forces de la seule Armée Rouge dans un monde impérialiste (5/6 du globe) ne pouvaient pas remporter une victoire décisive sur un groupe impérialiste. Même si elle avait été assez forte pour cela, les autres impérialismes se seraient regroupés de manière à faire d'une pierre deux coups : affaiblir et leurs rivaux impérialistes en guerre contre l'URSS et le 1er Etat ouvrier. Munich a renforcé Hitler contre l'URSS, et l'alliance anglo-soviétique fait de l' URSS le soldat des "démocraties". La défense de l'Union Soviétique ne pouvait être menée à bien que par une politique révolutionnaire : il aurait fallu mener la guerre en tant que guerre révolutionnaire prolétarienne et s'appuyer sur la lutte des peuples coloniaux (Chine, Inde) contre l'impérialisme, et sur les prolétariats des pays impérialistes (Allemagne, Italie, Angleterre, France, etc...). Mais pour cela la bureaucratie soviétique aurait dû renoncer à sa domination politique incontrôlée de l'Union Soviétique. Le moyen décisif de la stratégie et de la politique révolutionnaire ayant été abandonné par la bureaucratie stalinienne, les dirigeants soviétiques ne peuvent plus qu'implorer l'aide de Churchill et de Roosevelt, et, dans ce but ils proclament révolue la contradiction fondamentale entre bourgeois et prolétaires dans les pays capitalistes et enchaînent les ouvriers à la politique de leur propre bourgeoisie.
C'est à ce "front unique" contre l'énergie révolutionnaire des masses que nous devons l'explosion, à l'occasion des derniers événements, d'espoirs trompeurs et de chauvinisme "mangeur de boches", non seulement dans les boutiques, mais aussi dans les usines. Espoirs une fois de plus déçus, chauvinisme étalé en pure perte faisant ainsi ressortir leur propre impuissance : voilà ce qui reste aux masses trompées par les agents et par les avocats de la libération anglo-saxonne.
Il y a pire. La démagogie stalinienne et gaulliste ne s'est pas fait scrupule de promettre aux masses, et la fin de la guerre, et la "victoire", en inscrivant sur les murs : "1918". Mais il y a en France quelqu'un duquel dépend précisément au plus haut degré le sort de cette guerre : c'est le soldat allemand. Hitler a réussi à s'imposer au peuple allemand, par la violence, avec l'aide des petits-bourgeois, fanatisés dans l'idée que ce n'était pas le capitalisme allemand, avant tout, qui a été la cause des maux soufferts par l'Allemagne depuis l'armistice de 1918, mais le traité de Versailles.
Pour le paysan "soldat-allemand", fatigué par la dictature national-socialiste et par les années de guerre, le fatidique "1918" est le rappel de ses souffrances et humiliations après Versailles, qui le rejettent dans les bras de ses officiers. Pouvait-on rendre meilleur service à Hitler ?
La guerre étant mondiale, les belligérants disposant des ressources du globe et d'une technique extrêmement élevée même par rapport à 14-18, il ne peut y avoir de victoire d'un camp impérialiste sur l'autre, que par l'épuisement complet des richesses accumulées au cours des siècles, et le "vainqueur", vainqueur parce qu'ayant tenu le dernier quart d'heure serait aussi ruiné que le vaincu... l'échec des plans de Hitler ne signifie nullement la victoire des plans de l'impérialisme anglo-saxon et encore moins une échéance quelconque à la durée de la guerre" écrivions-nous au moment même où Rommel fuyait vers l'Ouest et les armées alliées débarquaient au Maroc et en Algérie (n° 4, 16 novembre 1942).
Quelle est sur ce point la leçon de la 1ère guerre mondiale ? Comment a-t-elle pris fin ? Par la "victoire" alliée ? Mais au moment de sa capitulation, l'impérialisme allemand avait derrière lui une longue suite de victoires et n'avait subi aucune défaite décisive.
La machine de guerre allemande se désagrégea en novembre 1918 de l'intérieur, comme s'était désagrégée auparavant la machine de guerre russe à partir de 1917. Ce sont donc les bolchéviks qui, en transformant la guerre impérialiste en guerre civile, engagèrent les peuples sur des voies nouvelles. La révolution prolétarienne dans un camp (Russie), loin de provoquer la victoire de l'"ennemi", a provoqué dans l'autre camp (Allemagne) la victoire des idées révolutionnaires parmi les soldats ouvriers et paysans et les a dressés contre leur propre Etat-major et ses plans impérialistes.
Si un Parti révolutionnaire avait alors existé en Occident, la révolution prolétarienne victorieuse en France et en Allemagne aurait pour toujours mis fin au capitalisme et aux guerres. Mais les partis "socialistes", comme aujourd'hui le parti "communiste" étaient sur des positions "jusqu'au-boutistes" et nationalistes-chauvines. Malgré tout, l'extension des idées révolutionnaires parmi les soldats alliés, contraignit d'abord l'Etat-major allemand à capituler et fit ensuite échec à la volonté des capitalistes vainqueurs (France, Angleterre, Etats-Unis, Japon) de continuer la guerre contre les Soviets et même entre eux (Conférence navale de Washington, 1922).
La situation stratégique de l'Allemagne dans la 2ème guerre mondiale est incomparablement meilleure que dans la première, l'Europe entière se trouve sous sa domination, et le Japon et l'Italie sont dans son camp.
Mais même en cas d'effondrement d'une ou de toutes les puissances de l'Axe, la guerre ne prendrait fin : dans le camp allié, l'URSS et la Chine, indispensables militairement dans la phase actuelle de la guerre, seraient la source de conflits militaires immédiats. Non pas que ces conflits doivent éclater seulement après l'effondrement de l'Axe ; nous ne faisons que rappeler les principaux antagonismes qui rendent toute stabilité ("paix") impossible à l'époque du capitalisme impérialiste, du premier Etat ouvrier, et des guerres d'émancipation nationale (Inde, Chine, etc...).
En fait, la perspective impérialiste d'un nouveau "1918" éterniserait cette guerre et provoquerait l'effondrement de la civilisation : "Abandonnée à sa propre logique, la guerre mondiale serait, dans les conditions actuelles de la technique, une méthode compliquée et très coûteuse de suicide de l'humanité. On pourrait obtenir les mêmes résultats d'une manière bien plus simple, c'est-à-dire en enfermant l'humanité dans une cage de la grandeur d'environ un kilomètre cube et en plongeant cette cage dans un des Océans. La technique moderne serait tout à fait à même d'accomplir ce "coup bref et décisif" ; il serait bien moins cher que le programme militaire de l'une quelconque des grandes puissances." Ce pronostic de Trotsky en août 1937 n'a pas été infirmé par la guerre actuelle : la guerre permanente, voilà le marécage où le capitalisme a enfoncé l'humanité.
Par contre la situation politique est favorable en Europe à la révolution prolétarienne. Sur le front intérieur, Hitler est encore plus vulnérable que Guillaume II. Toutes les classes et tous les peuples ploient sous le joug fasciste et souffrent de la guerre. Hitler est arrivé au pouvoir en écrasant le prolétariat allemand ; la guerre civile le guette à chaque défaite. A l'occasion de ses derniers échecs militaires, une propagande non pas nationaliste, mais internationaliste, une perspective d'émancipation commune de tous les prolétariats par les Etats-Unis socialistes d'Europe, auraient entamé la discipline "nationale" du soldat allemand et auraient créé des liens entre celui-ci et le prolétariat français C'eût été le premier coup porté à la deuxième guerre impérialiste mondiale.
Car il n'y a qu'une perspective à opposer à la guerre permanente, c'est celle de la "Révolution permanente". Un tel programme implique une suite de nouveaux Octobre 17 dans les pays capitalistes. S'engager dans cette voie demande de la part des ouvriers de nombreux sacrifices. Mais pourquoi ne ferions-nous pas volontairement pour nous-mêmes, au moins une partie de ce que nous accomplissons de force pour nos exploiteurs ?
La "Révolution permanente" n'est pas un chemin de Golgotha vers un but utopique. C'est la seule stratégie permettant aux masses un relèvement progressif et accéléré de la vie matérielle et culturelle, c'est la seule perspective révolutionnaire qui embrasse la solution complète de toutes les contradictions qui déchirent la société humaine, en menant aux ETATS-UNIS SOCIALISTES DU MONDE.
A BAS LA GUERRE
PERMANENTE !
VIVE LA "REVOLUTION
PERMANENTE" !