1939 |
Article publié dans « LA VOIE DE LENINE » nº1 (pages 27 à 32) . Les notes sont de Barta. |
Dans les colonies
Les travailleurs de France et d'Algérie devant l'impérialisme
"Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre" (Marx)
La situation géographique de l'Algérie, ainsi que ses ressources économiques et militaires, lui confèrent, dans un prochain avenir, un rôle de tout premier ordre. Sa situation stratégique – permettant la jonction des possessions de l'Afrique avec la métropole – la chair à canon qu'elle peut fournir et ses matières premières en font une pièce maîtresse du système impérialiste français. Objet de conquête, elle sera utilisée comme moyen de rapine dans le prochain carnage, tout comme en 1914.
Thorez, et après lui Jouhaux, y ont entrepris récemment des voyages de propagande. Dans le but d'y poursuivre une agitation sociale contre l'impérialisme français ? Hélas ! Les coryphées du "Front populaire" y sont allés pour "resserrer l'union entre les peuples d'Algérie et la Métropole". Après Daladier, parlant officiellement et ouvertement au nom de l'impérialisme français, Thorez est parti faire œuvre de dupeur, parler "démocratie", "union contre le fascisme hitlérien", etc… Les compte-rendus de L'Humanité nous disent les nombreuses délégations dont il reçut la visite, les cadeaux qui lui ont été offerts ; il reçoit des fleurs en souriant ; des photos le montrent embrassant une indigène, en un mot, tout se déroule selon la technique que le "père des peuples" met en œuvre en U.R.S.S. Pas un mot sur les revendications des travailleurs et des paysans algériens. Il parle bien de la nécessité de s'unir "contre le fascisme hitlérien", mais passe sous silence la lutte par des méthodes de classe contre le fascisme EN ALGERIE. Devant son auditoire, il dénonce le P.S.F. et le P.P.F. algérien comme agents de l'étranger, mais bien sûr pas comme ceux du capitalisme français. La Métropole, voyez-vous, n'a que des représentants "honnêtes" comme M. Thorez. Les fascistes qui s'en revendiquent, ce sont des agents camouflés de Hitler. C'est ainsi qu'il réalise "l'union française" ! Du moment que le P.S.F. et le P.P.F. sont des agents de Hitler, et non pas mercenaires de la métropole, la lutte contre eux n'est plus la tâche des masses travailleuses luttant contre l'impérialisme français, mais une simple tâche de police. Thorez réclamera que celle-ci les emprisonne ; mais en attendant, ce sont ses propres meetings qui sont interdits.
L'Algérie est appelée à jouer un rôle important, non seulement dans la prochaine guerre, mais elle peut devenir, elle devient une place d'armes du fascisme français. Les Doriot, les de La Rocque ont profité de la politique du "Front populaire" à l'égard des masses travailleuses pour augmenter leur influence. De même que, sous la pression de Blum, les représentants du "Front populaire" espagnol ont refusé d'accorder satisfaction aux Marocains – auxquels Franco a accordé des droits démagogiquement, en paroles, pour pouvoir les utiliser contre les ouvriers espagnols – de même les représentants du "Front populaire" au pouvoir en France ont donné les gages exigés par l'impérialisme français. Ils ont permis un renforcement de la répression contre les luttes surgies en Algérie sous l'impulsion des grèves françaises. Lozeray ment quand il écrit, dans L'Humanité [1], que les salaires des ouvriers indigènes ont augmenté. Ils ont diminué par suite de la dévaluation. Le "Front populaire" a laissé les masses indigènes aussi dénuées de droits qu'avant 1936. Le droit d'adhésion aux organisations syndicales est tout bonnement théorique. Car celles-ci sont un moyen de défense des ouvriers algéro-européens qui, du point de vue économique et politique, représentent une couche de beaucoup supérieure à l'élément indigène. Ce dernier, composé de travailleurs non qualifiés, – manœuvres à tout faire, travailleurs agricoles, mineurs – manque d'esprit corporatif et est dans l'impossibilité de payer une cotisation qui dépasse complètement ses possibilités. Avant de pouvoir s'organiser dans une organisation commune avec les ouvriers algéro-européens, les travailleurs indigènes doivent préalablement conquérir l'égalité économique et politique, s'élever à leur niveau. Le moyen qui leur permettrait de l'atteindre, c'est une lutte autonome adaptée à leur situation. Le Front populaire n'a rien apporté aux masses travailleuses de l'Algérie, il a aggravé leur situation. Voilà la vérité !
Aux yeux des masses indigènes, Blum "représentait" les ouvriers français ; elles ont été habilement travaillées par le P.S.F. et le P.P.F. et dressées contre les ouvriers métropolitains, tenus "responsables" de cette politique. Aujourd'hui le danger est grand de voir l'impérialisme français s'en servir pour anéantir les conquêtes politiques et sociales des ouvriers français et instaurer le fascisme en France avec leur aide, comme Franco en Espagne avec celle des Marocains.
La résolution du B.P. du P.C.F. [2] , prise au retour de Thorez, donne un coup de chapeau à la nécessité (du point de vue de la sécurité française bien entendu) "de faire droit aux aspirations légitimes d'ordre économique, social, culturel, religieux et politique qu'exposent notamment les représentants des populations arabes et berbères musulmanes".
Et quelle est la mesure pratique envisagée ? La résolution rappelle "que le projet Blum-Violette... n'est toujours pas voté" ! La politique de collaboration de classe du Parti communiste français, sur le plan colonial, remplace l'agitation parmi les masses exploitées et la lutte autonome de ces masses par des méthodes de classe contre l'impérialisme, par des exhortations adressées à la métropole, c'est-à-dire aux capitalistes français. Le projet, en effet, n'a rien de dangereux pour la "sécurité française". S'il répond aux aspirations "qu'exposent notamment les représentants" (c'est-à-dire les exploitants indigènes, il ne donne aucune satisfaction aux millions d'ouvriers et paysans d'Algérie (approximativement 5.000.000). Donner des droits à une infime minorité de 20.000 privilégiés indigènes, comme le prévoit le projet, c'est, en réalité, augmenter l'inégalité et élargir la base sociale de l'impérialisme qui s'attacherait encore plus fortement cette mince couche et renforcerait par conséquent, sa domination : "L'équilibre social recherché par l'impérialisme consiste à déplacer certaines couches indigènes pour les lier à l'élément exploiteur d'une part, et d'autre part, à diviser l'ensemble des masses travailleuses en deux couches distinctes" [3]. C'est ce que Thorez explique à mots couverts à l'adresse des dirigeants français de ce pays, au meeting de Wagram, et il a l'impudence de donner l'exemple de l'U.R.S.S. !
Si la droite de la Chambre française s'oppose à l'adoption de ce projet, ce n'est pas parce qu'il représente une concession aux masses travailleuses, mais pour ne pas déplacer le poids respectif des exploiteurs indigènes par rapport aux exploiteurs algéro-européens.
Thorez écrit [4] : "A l'heure actuelle, l'intérêt supérieur du mouvement ouvrier français et du mouvement ouvrier international – prolétaires allemands en premier lieu – c'est de faire échec partout au fascisme hitlérien, de lui refuser partout de nouveaux moyens de puissance et de domination. L'intérêt non moins évident des peuples des colonies françaises – considéré sous l'angle de leur émancipation nationale et sociale – c'est de rester unis à un peuple chez lequel subsistent encore heureusement les notions de liberté et d'égalité des races." Voilà par quel tour de passe-passe Thorez réconcilie l'intérêt social et national des peuples coloniaux et du prolétariat métropolitain avec l'intérêt de l'impérialisme français. Le traquenard, c'est sa soi-disant croisade anti-fasciste... commandée par Gamelin-Franco, qui instaurera la dictature de son état-major militaire.
L'intérêt social et national des peuples coloniaux est de s'émanciper de l'impérialisme. En tant que phénomène économique, celui-ci asservit les peuples arriérés, les surexploite et les maintient dans l'esclavage. Ses méthodes de domination – sociales, militaires, politiques – dépendent des conditions concrètes du pays exploité et non pas des formes politiques de la Métropole. Généralement, les exploiteurs s'appuient sur l'élément social le plus arriéré, comme c'est le cas pour l'Algérie. La domination de la "démocratique" Angleterre aux Indes ou sur les peuples arabes s'appuie sur les féodaux. L'épopée sanglante que représentent les conquêtes coloniales de l'Angleterre et de la France en premier lieu, sont les plus noires des temps modernes [5]. Politiquement, les masses travailleuses n'ont aucun droit, à quelque impérialisme qu'elles appartiennent. Leur pire ennemi, c'est leur propre impérialisme, en l'occurrence l'impérialisme français.
Quant aux ouvriers français, leur intérêt le plus évident, le premier est celui-ci : ne pas fournir à leurs propres capitalistes – français – les moyens pour réprimer leurs luttes. L'impérialisme français tire précisément le plus clair de sa force de l'exploitation coloniale. Le soutien des luttes des opprimés de l'Empire français contre la Métropole par les ouvriers français c'est la condition même de leur victoire : "La victoire de la classe ouvrière dans les pays avancés et la libération des peuples opprimés de l'impérialisme sont impossibles sans la formation et la consolidation d'un front révolutionnaire commun". (Thèses de Lénine sur la question nationale et coloniale) [6].
Si l'on examine de plus près le "raisonnement" de Thorez, on constate qu'en réalité il nie la possibilité et le droit des peuples opprimés de déterminer librement leur sort puisqu'il feint de [ligne manquante] …mination de l'impérialisme français ou domination de l'impérialisme hitlérien. Mais le prolétariat et l'avant-garde ne doivent pas oublier la leçon récente de l'Espagne – si chèrement payée – .
Pour empêcher les indigènes – et surtout ceux de l'Afrique du Nord – de devenir les instruments de la répression capitaliste contre eux, les ouvriers français doivent montrer aux peuples coloniaux leur véritable figure, c'est-à-dire celle d'opprimés luttant contre l'impérialisme et l'exploitation coloniale et non pas celle de soutien des exploiteurs. Le prolétariat français doit aider tout d'abord par tous les moyens à la création de partis révolutionnaires dans les colonies, ayant pour tâche la lutte de libération sociale et nationale. Ces partis doivent conserver leur autonomie vis-à-vis du parti révolutionnaire de la métropole, car ils luttent dans des conditions différentes – et aussi pour que la trahison des "chefs" métropolitains n'entraîne pas automatiquement la subordination de ces partis à l'impérialisme – mais ils doivent rester en liaison étroite avec celui-ci sur le plan de la lutte d'ensemble contre l'impérialisme.
Thorez présente toute lutte pour la libération sociale et nationale des colonies comme l’œuvre de Hitler. Il spécule sur les sentiments de haine que les ouvriers français éprouvent contre le bourreau des ouvriers allemands, pour les enchaîner au char de l'impérialisme français. Chez celui-ci "subsistent encore", paraît-il, des notions démocratiques, c'est-à-dire qu'il trouve avantageux de se servir encore de ses laquais "démocrates" – Blum, Thorez, Jouhaux – avant d'utiliser exclusivement Doriot ou de La Rocque. Antifasciste ? Non. Agent de l'impérialisme.
C'est l'impérialisme qui est le fait dominant de notre époque, c'est lui la principale force de stagnation et de misère, de fascisme et de guerre. En soutenant les luttes de coloniaux contre celui-ci, le prolétariat français aura le plus puissant allié à sa propre lutte en la personne des 60.000.000 d'esclaves de l'Empire français, dont Thorez est devenu un des principaux garde-chiourme. Les Etats-Unis socialistes du Monde sauveront la civilisation de la barbarie qui la menace et jetteront les bases d'une humanité meilleure.
Notes
[1] 24 février 1939.
[2] L’Humanité, 19 février 1939
[3] Jean Martin, "Les problèmes révolutionnaires de l’Algérie" dans Lutte de Classes nº 50
[4] Avant-Garde, numéro 797
[5] Voir à ce sujet les excellents articles publiés par Juin 36, (nº34 à 39)
[6] Cité par Staline, Les questions du Léninisme, page 120