1936 |
Lettre de Bucarest à L. Trotsky
Bucarest, le 22 Mai 1936
Cher camarade L.D.,
Notre activité, malgré les forces extrêmement faibles dont nous disposons à la formation du groupe B.L. en Roumanie, nous a permis d'arriver à deux résultats essentiels :
Sur cette activité vous avez été certainement informé par le S.I. [1] : travail d'éducation politique des militants, publication de brochures et ces temps derniers discussions publiques, collage de papillons, etc… Nous avons certainement commis des fautes, mais elles étaient inévitables et nous croyons avoir maintenant la clarté nécessaire pour mener à bien notre lutte. La meilleure preuve de notre maturité (toute relative, cela va sans dire) c'est qu'on nous craint, qu'on évite les discussions publiques avec nous (unitaires, stalinistes ou socialistes font le front unique inavoué sur cette question).
Voici maintenant en quelques mots notre situation par rapport aux autres organisations :
Dans le P.C. il y a pas mal d'éléments révolutionnaires honnêtes mais à cause des zigzags et de l'inculture totale ils ne sont pas capables de penser. L'illégalité est aussi un frein puissant qui empêche le contact avec eux. A l'heure actuelle notre activité dans ce parti reste nulle.
Le P.S. est constitué d'éléments réactionnaires qui ont plutôt un rôle de policiers que de militants réformistes. L'influence de ce parti parmi les ouvriers est très réduite. La seule activité possible dans le P.S. serait l'activité illégale. Cette activité nous ne pouvons pas la mener pour le moment, pour plusieurs raisons (nous ne pouvons pas les indiquer ici).
Le parti unitaire [2] agonise. Inexistant sur tous les terrains, il subsiste encore seulement par l'ambition de deux ou trois intellectuels qui veulent être des "chefs" et avoir "leur" parti. Tout ce que l'on pouvait faire dans le parti unitaire (à Bucarest), nous l'avons fait dans les autres localités, nous examinerons les possibilités. La seule chose qu'on peut encore utiliser c'est leur tribune, d'où nous les critiquons et faisons des appels pour la 4ème.
Dans les syndicats nous avons deux éléments et nous essaierons de mener une action, qui demande beaucoup d'expérience et de prudence.
C'est pourquoi notre effort principal doit être dirigé vers les couches fraîches – apolitiques – et commencer le travail d'éducation par l'ABC – travail très long et qui demande beaucoup de patience –.
En résumé : notre tâche principale consiste dans l'éducation d'éléments presque vierges politiquement (cela n'exclut évidemment une activité pratique assez longue et dévouée de leur part, pratique menée par leurs propres moyens, sans plan et sans coordination). Pour cela nous devons enrichir constamment notre capital politique et imprimer des brochures. Nous en avons déjà imprimées. Mais, sauf une ("Front populaire ou front unique prolétaire ?"), toutes étaient sur un plan général, valable pour tous les pays. Nous voudrions beaucoup imprimer une brochure sur la Roumanie (une analyse générale de la situation et des tâches de l'avant-garde), mais le manque complet de traditions théoriques ne nous permet pas de le faire par nos propres forces (il s'agit d'écrire une analyse simple pour être comprise par les travailleurs – ce qui demande maturité complète de la pensée – et juste).
Comme vous voyez, cette lettre n'est pas seulement pour vous informer (si pauvrement d'ailleurs). Elle a plutôt un but "égoïste". Nous voudrions établir avec vous une liaison (nous l'avons essayé dans le passé, mais malheureusement votre santé ne le permettait pas) pour discuter notre travail futur et surtout pour que vous contribuiez directement à ce travail par écrit.
Si votre temps vous permet de le faire nous vous prions d'envoyer votre réponse à Adolphe qui nous l'enverra. Nous attendons vos questions sur la situation d'ici, renseignements qui vous permettront de connaître exactement la situation et en tirer les déductions nécessaires.
Recevez, cher camarade, nos salutations révolutionnaires.
pour le C.C. Barta.
Notes
[1] Secrétariat International de la IVème Internationale
[2] P.S.U. (Partidul socialist unitar) produit de la fusion en août 1933 du P.S.I. (Partidul socialist independent) Parti Socialiste Independant de Roumanie issu d'une scission (septembre 1931) du Parti Socialiste roumain, et du groupe, lui aussi issu de la social-démocratie, de Constantin Popovici.